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Au début du mois d’octobre 2008, après une déclaration du rabbin Shear-Yashuv Cohen, débuta une nouvelle polémique sur le rôle de Pie XII lors de la Deuxième Guerre mondiale. Premier juif à s’exprimer dans un synode épiscopal au Vatican, le grand rabbin de Haïfa a soulevé une pierre d’achoppement entre Juifs et Catholiques, devant le pape et une assemblée de 253 cardinaux, archevêques et évêques. Selon la presse, il déclara en effet que les juifs étaient opposés à la béatification de Pie XII parce qu’ils ne pouvaient pas oublier ses silences sur l’holocauste. Or, quelques jours plus tard, le 9 octobre, lors d’une messe solennelle dans la basilique Saint-Pierre pour célébrer le cinquantième anniversaire de la mort de Pie XII, le pape Benoît XVI a exprimé publiquement le souhait de sa béatification. Il rejeta toutes les allégations selon lesquelles il aurait eu un rôle négatif pendant la Shoah et affirma que Pie XII avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour sauver un maximum de juifs. Cependant, la plupart des juifs restent convaincus que Pie XII est coupable tout au moins d’avoir gardé le silence face à l’holocauste. Mais qu’en est-il exactement ?

Pour éclairer cette question, nous pouvons nous appuyer sur un livre paru en 2007 aux éditions Tempora. Ce livre est particulièrement intéressant puisqu’il est écrit par le rabbin David Dalin, professeur d’histoire et de sciences politiques à l’Université Ave Maria. Spécialiste de l’histoire juive américaine et des relations entre le christianisme et le judaïsme, il a écrit plusieurs livres sur l’histoire juive, dont Religion and State in the American Jewish Experience (Notre Dame University Press, 1998), récompensé par le magazine Choice pour sa valeur académique. Cette fois, il s’attarde sur le mythe du pape d’Hitler. Pour lui, « la vérité historique c’est que les papes se sont souvent manifestés pour prendre la défense des juifs, qu’ils les ont protégés dans les temps de persécution et de pogroms et ont préservé leur droit d’exercer librement leur culte dans les synagogues. Ils ont, traditionnellement, défendu les juifs contre toutes sortes d’accusations aberrantes. Ils ont régulièrement condamné les antisémites qui cherchaient à susciter la violence contre les juifs » (p. 42).

À partir d’une documentation solide (les 11 tomes des Actes et documents du Saint-Siège relatifs à la Deuxième Guerre mondiale, d’autres archives et travaux historiques), le rabbin Dalin montre que dès le début du nazisme Pie XII a lutté pour sauver les victimes de l’antisémitisme. Le rabbin réfute avec brio les arguments des détracteurs de Pie XII qui l’accusent d’avoir laissé faire les nazis. Il estime que le pape Pacelli a sauvé entre 700 000 et 860 000 juifs. C’est ainsi qu’immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale, de nombreuses voix autorisées témoignent de leur reconnaissance envers Pie XII : le Congrès Juif mondial, Isaac Herzog (grand rabbin de Jérusalem), l’Union des communautés israélites, Golda Meier, etc. David Dalin réclame donc pour Pie XII le titre de « Juste parmi les nations ».

Mais d’où vient donc cette controverse contre Pie XII ? David Dalin tente une chronologie du développement de cette polémique. Pour lui, cette campagne de diffamation vient de la propagande communiste qui cherchait à discréditer la papauté dans le contexte de la Guerre froide. Cette propagande fut cependant rapidement écartée. En 1963, elle ressurgit cependant après la première, à Berlin, de la pièce Le Vicaire de Rolf Hochhuth, ancien membre des Jeunesses Hitlériennes. Dans cette oeuvre, considérée comme « la pièce la plus controversée de notre époque », l’auteur accuse Pie XII d’avoir collaboré avec les nazis et d’être coupable de lâcheté pour avoir gardé le silence sur le sort des juifs persécutés. Malgré ses nombreuses erreurs historiques, cette pièce déclencha une série de controverses dans les médias et dans les milieux intellectuels. Cette pièce fut adaptée au cinéma en 2001 dans le film Amen de Costa-Gravas.

Même s’il a malheureusement peu utilisé la bibliographie française (nous pensons aux travaux du père Blet, s.j., et à ceux de Jean Chélini), le livre est dense et bien documenté. Son principal intérêt est d’avoir été écrit par un juif, car il faut avouer qu’aucun historien sérieux ne remet en doute les efforts de Pie XII pour contrer le nazisme. L’ouverture progressive des archives du Vatican en apporte d’ailleurs chaque année de nouvelles preuves. Le livre du rabbin David Dalin est donc plutôt convaincant, même si nous pouvons apporter des réserves sur sa dernière partie dans laquelle il expose ce qu’il considère être la source la plus dangereuse de l’antisémitisme contemporain, l’islam. Certaines pages pourraient être contestables sur un sujet qui demanderait un livre à lui tout seul.