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L’originalité de l’ouvrage recensé, qui s’inscrit dans le cadre de la littérature traitant à la fois du régionalisme, de la gouvernance et des institutions internationales, est qu’il présente une première évaluation complète du cadre institutionnel hémisphérique depuis le lancement en 1994, à Miami, du processus des Sommets des Amériques. Ce sommet, qui marque le début d’une troisième vague de construction d’institutions dans le système interaméricain, met en place une nouvelle structure de prise de décisions dans les Amériques : le Sommet des chefs d’État et de gouvernement (qui se tient approximativement tous les quatre ans), les conférences ministérielles et le Groupe de suivi des Sommets (gss-sirg). Parallèlement à cette structure décisionnelle, la structure administrative est composée des institutions régionales déjà existantes, parmi lesquels l’Organisation des États américains (oea), la Banque interaméricaine de développement (bid) et l’Organisation panaméricaine de la santé (paho).

Les directeurs de l’ouvrage rappellent avec justesse que les enjeux interaméricains liés à la sécurité, à la démocratie, à l’économie et à l’environnement sont devenus beaucoup plus complexes au début des années 1990 et que les structures institutionnelles issues de l’adoption de la Charte de l’oea en 1948 ont été jugées inadéquates pour répondre au nouvel ordre du jour des relations interaméricaines notamment marquées par la fin de la guerre froide et par la montée de blocs commerciaux en concurrence.

Cet ouvrage a pour objet d’analyser le rôle de ces nouvelles institutions interaméricaines et leurs liens avec les institutions régionales déjà en place. Les contributeurs se prononcent également sur l’efficacité du nouveau régionalisme dans les Amériques comme instrument d’action collective et son impact sur l’avenir du système interaméricain. Afin d’établir si cette nouvelle vague de construction institutionnelle constitue une réussite, quatre dimensions ont été retenues : le cadre institutionnel général (la gouvernance); la sécurité ; la démocratie et les droits humains ; le commerce et la croissance économique.

Bien que les enjeux pris en compte dans le cadre de ce nouvel environnement institutionnel demeurent sensiblement les mêmes que ceux de la période précédente, le véritable changement s’illustre par le nombre de thèmes traités pour chacun de ces enjeux. Ainsi, concernant la sécurité, les discussions à l’échelle du continent ne se limitent plus seulement aux mouvements de révolte et aux menaces venant de l’étranger, mais incluent maintenant la corruption, le narcotrafic, la criminalité, le terrorisme et les relations entre civils et militaires.

Afin de contribuer à une meilleure compréhension de la gouvernance dans les Amériques ainsi qu’à l’étude théorique des institutions internationales, les chapitres de l’ouvrage s’organisent autour du problème suivant : comprendre la gouvernance du système interaméricain et la façon dont il a été transformé depuis le plus récent cycle de construction des institutions. Ainsi, les différents chapitres de l’ouvrage renvoient aux principales théories de la gouvernance et des institutions, notamment à l’institutionnalisme néolibéral, au néoréalisme, au constructivisme et au néo-institutionnalisme économique.

Mace, Thérien et Haslam concluent que cette évaluation de la troisième phase de construction d’institutions interaméricaines dans les Amériques témoigne du résultat mitigé du régionalisme hémisphérique. D’une part, les institutions interaméricaines ont démontré leur capacité à aborder des problèmes d’action collective, à réduire les coûts de transaction et d’information et à faciliter des ententes. D’autre part, elles sont souvent demeurées inefficaces, incapables de résoudre des enjeux jugés importants par les gouvernements participants. Ces attentes insatisfaites ont suscité un grand mécontentement à l’égard de ces institutions. Parmi les principaux obstacles structurels à l’amélioration de la performance des institutions interaméricaines, les directeurs de l’ouvrage en retiennent trois : les asymétries ou la distribution inégale de la puissance entre les États de la région, la distribution inégale des richesses et l’incapacité des institutions interaméricaines à générer un fort sentiment d’identité auprès des communautés du continent. Devant ce constat, comment mettre fin à la stagnation actuellement constatée et relancer la coopération interaméricaine ?

À ce sujet, le chapitre de L. Ronald Scheman est très intéressant. Celui-ci décrit le cadre de la coopération institutionnelle interaméricaine en examinant d’abord les racines historiques, puis la structure institutionnelle. Il définit ensuite les enjeux et les tendances propres aux pays de l’hémisphère et les embûches à l’approfondissement de la coopération. Il propose enfin des façons de surmonter ces embûches. À son avis, il est aujourd’hui important d’identifier des enjeux concrets susceptibles de galvaniser une plus grande coopération dans les Amériques et d’accroître la confiance du public en général à l’égard du processus, un peu comme a pu le faire la Communauté européenne du charbon et de l’acier (ceca) pour la construction européenne dans les années 1950. À cet égard, deux domaines lui semblent porteurs : l’énergie et les infrastructures de transport.

Scheman propose, par exemple, la création d’une commission américaine de l’énergie, ce qui permettrait de lancer les discussions sur le financement du développement énergétique. Ainsi, traiter d’un tel sujet serait non seulement l’occasion pour les pays des Amériques de discuter de la sécurité énergétique du continent à long terme, mais également de parler de l’harmonisation des différentes législations, des mesures de conservation de l’énergie et de l’électrification des zones rurales.

En somme, Governing the Americas est un ouvrage pertinent, d’actualité et bien documenté. Il expose clairement les problèmes auxquels doit faire face la coopération interaméricaine dans les différents domaines retenus et apporte des réponses concrètes quant aux perspectives d’avenir. C’est un ouvrage qui s’adresse à tout universitaire ou étudiant, mais également à tout stratège politique concerné par l’état actuel des institutions interaméricaines.