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Introduction

L’histoire de l’entomologie au Québec comme science naturelle remonte à plus de 150 ans et a impliqué de nombreux entomologistes aux intérêts divers et plus ou moins spécialisés. Leurs associations professionnelles, unités de services et centres de recherche spécialisée, soit au niveau fédéral ou provincial, ainsi que les écoles supérieures, collèges et universités, ont encadré leurs activités professionnelles. Ceux qui ont oeuvré directement en protection des plantes cultivées et des forêts dans les services publics ne sont pas seuls. Il y a aussi tous ceux qui, au début du développement de l’entomologie, oeuvraient comme naturalistes et collectionneurs sérieux des insectes et qui communiquaient leurs observations et leur savoir en écrivant abondamment. Sans oublier ceux qui ont choisi d’enseigner l’entomologie et éventuellement d’entraîner des jeunes étudiants intéressés et habiles à l’observation des insectes et à la recherche scientifique sur leur biologie, leur écologie et leurs interactions avec les insecticides, prédateurs, parasitoïdes et microbes pathogènes. La couverture que nous offrons ici paraîtra peut-être trop étendue aux purs et durs de la phytoprotection. Nous pensons que c’est non seulement individuellement, mais en interaction entre eux et avec les associations et les institutions au sein desquelles ils ont souvent oeuvré toute leur vie, ou étudié pendant plusieurs années pour acquérir une formation spécialisée, que les activités des entomologistes qui ont façonné le paysage de la phytoprotection au Québec doivent être vues, et ce, dans le flot continuel des connaissances scientifiques globales auxquelles plusieurs, dont certains sont des figures bien connues, ont grandement contribué.

Les pionniers : Provancher, Couper, Fyles et autres…

Le XIXe siècle et le début du XXe sont dominés par les naturalistes et collectionneurs comme William Couper, Léon Provancher, Thomas Fyles, Henry Lyman, Gustave Chagnon, Joseph Ouellet et plusieurs autres personnes habiles et autonomes. Ces derniers ont assemblé le noyau des grandes collections d’insectes du Québec d’aujourd’hui, qui restent des témoignages durables de la diversité des insectes et autres arthropodes du territoire québécois (Perron 2008). Léon Provancher ressort comme le plus notable des pionniers francophones de l’entomologie au Québec. Son héritage scientifique le plus tangible est sans doute la description originale de plusieurs centaines d’espèces d’insectes, en particulier des hyménoptères, dont les types préservés en bonne partie à la collection Provancher de l’Université Laval sont encore valides à ce jour (Perron 1994). La diversité des connaissances de Provancher en zoologie, en botanique et en agriculture est considérable, tel qu’indiqué notamment par la publication du premier essai de phytoprotection en français (Dupont 1857), suivi dès 1862 de plusieurs rééditions de son guide horticole du jardin et du verger dans lequel il décrivait les méthodes de culture et de protection du temps (Provancher 1874). En fait, l’abondance et la diversité de ses écrits sont remarquables compte tenu du fait que ses activités remontent à près de 150 ans et qu’il n’avait pas de formation scientifique formelle. La fondation de sa propre revue, Le Naturaliste canadien, revue francophone québécoise de sciences naturelles encore largement lue et distribuée aujourd’hui, est le témoignage le plus vivant de son héritage scientifique. Dépisteur notoire, Provancher est le premier à signaler le doryphore de la pomme de terre, Leptinotarsa decemlineata Say, au Québec. « Voilà donc cette peste rendue chez nous », écrit-il en le décrivant dans un article après l’avoir observé à Saint-Hyacinthe (Provancher 1875). Le doryphore ne tarda pas à se propager rapidement comme le montre l’existence d’écrits hâtifs à son sujet (Chapais 1882 ; Taché 1877). En fait, les connaissances entomologiques de Provancher, son expérience en horticulture et ses talents d’écrivain et d’éditeur en font clairement à notre avis un « entomologiste appliqué » majeur du XIXe siècle, avec près de 50 articles sur les insectes et les maladies des plantes publiés dans Le Naturaliste canadien (pages 45-51 dans Desmarais 1956).

La part matérielle de l’héritage de Provancher, ses collections d’insectes et, en particulier, les types et paratypes des espèces qu’il a lui-même décrites ont difficilement traversé les âges, notamment au début des années 1960 lors de la « révolution tranquille ». Ses collections étaient sous la responsabilité du gouvernement provincial et logées au Musée du Québec sur les plaines d’Abraham. En 1962, l’entomologiste René Béïque, très récemment recruté comme curateur des collections de sciences naturelles et en particulier de la collection Provancher, les découvre en très mauvais état de conservation. La même année, le ministère des Affaires culturelles, alors dirigé par Georges-Émile Lapalme, décide d’expulser promptement les collections de sciences naturelles du Musée du Québec, invoquant notamment l’argument étonnant que « les bibittes, ça ne fait pas partie de la culture ». Le Musée du Québec serait désormais voué aux beaux-arts et tous les objets de sciences naturelles devaient en être exclus, y compris le magnifique spécimen de tricératops actuellement exposé à l’entrée du Pavillon Adrien-Pouliot de la Faculté des sciences et de génie (FSG) de l’Université Laval. Avec des institutions impliquées dans l’enseignement des sciences naturelles, l’Université Laval accepte rapidement d’abriter au Département de biologie les collections d’insectes de Provancher et celles du ministère des Affaires culturelles du Québec qui étaient sous la responsabilité de Béïque. Ce dernier consolidera éventuellement ces collections avec celles du ministère de l’Agriculture du Québec (MAQ) au Complexe scientifique, dans le but de les intégrer à celles du ministère des Terres et Forêts du Québec (MTF), laissant la collection Provancher à l’Université Laval sous la garde de Jean-Marie Perron. Dans cette affaire, Béïque et d’autres entomologistes concernés, dont Luc Jobin et Jean-Marie Perron, ont sauvé ces trois collections originales du Québec menacées d’anéantissement à une époque de renouveau où les sciences, dans leur ensemble, prenaient pourtant un essor sans précédent dans l’histoire culturelle québécoise.

Mentionnons aussi parmi les pionniers de l’entomologie appliquée le révérend Thomas W. Fyles, entomologiste de Lévis, pour ses observations et écrits en anglais sur les dégâts aux plantes cultivées causés par les insectes. Dès 1879, il publiait un sommaire des principaux ravageurs des cultures fruitières et légumières, des moyens de les réprimer et de leurs ennemis naturels (Fyles 1879). Les insectes du pommier ont également été traités en anglais à la même époque par les entomologistes F.B. Caulfield (1878) et C.J. Bowles (1880). Quelques années plus tard, Fyles décrivait les galles d’insectes sur les arbres et arbustes ornementaux (Fyles 1885).

Les sociétés d’entomologistes et de phytoprotection

Les sociétés québécoises d’entomologistes ont évolué dans la dualité culturelle et politique typique du Québec actuel et de ses origines. Deux sociétés québécoises éphémères d’entomologistes ont vu le jour à Québec, dont la plus notable avait été fondée en 1863 comme filiale du Bas-Canada de l’Entomological Society of Canada (ESC), avec William M. Couper comme membre fondateur (Beaulieu 1997; Moore 1956; Perron 1974). La filiale correspondante du Haut-Canada s’incorpora en 1871 (après la Confédération) à London, sous le nouveau nom d’Entomological Society of Ontario (ESO). Deux ans plus tard, en 1873, la première société québécoise durable est officiellement fondée à Montréal par des collectionneurs sérieux, avec comme premier président le naturaliste Couper (Paradis 1974; Perron 1995). À partir de 1875, le lépidoptériste Henry Lyman de Montréal deviendra l’âme dirigeante de cette jeune société qui est à l’origine de la Société d’entomologie du Québec (SEQ) actuelle. Connu internationalement, Lyman en sera président à trois reprises et léguera éventuellement sa collection et sa bibliothèque à l’Université McGill. La société naissante en 1873 était essentiellement composée de lépidoptéristes et existait sous le nom de filiale de Montréal de la Société entomologique d’Ontario (ESO) qui, elle, existait depuis plus de 10 ans. Cette société québécoise conservera ce statut de filiale jusqu’en 1951. Pendant des décennies, ses membres, sauf exceptions, s’occuperont plus spécialement à décrire la faune entomologique du Québec.

Au tournant du XXe siècle, les ravageurs agricoles et arboricoles fruitiers deviennent plus pressants et le besoin d’entomologistes appliqués pour s’en occuper sera clair. C’est dans ce contexte, et à la suite de l’ouverture récente (1907) du Collège Macdonald de l’Université McGill, que la Société de protection des plantes du Québec (SPPQ) est créée le 24 juin 1908 à l’instigation du professeur de biologie du Collège Macdonald, William Lochhead. La SPPQ aura comme premier objectif de regrouper les entomologistes et les mycologistes du Québec pour s’occuper des problèmes causés par les insectes nuisibles et les champignons les plus dommageables aux plantes cultivées. Lochhead, premier président de la SPPQ de 1908 à 1925, avait été très actif à la ESO, laquelle deviendra en fait seulement 43 ans plus tard, en 1951, la première société pancanadienne d’entomologistes, soit la Société d’entomologie du Canada (SEC). La jeune SPPQ attirera spécialement ceux qui, parmi les entomologistes québécois du temps, sont les plus intéressés à l’étude et à la répression des ravageurs des plantes. Les membres de la SEQ continueront encore longtemps de regrouper majoritairement ceux et celles s’intéressant à la faunistique des insectes. La SPPQ naissante, par une entente avec le gouvernement du Québec, s’engagera à publier dans les deux langues les travaux de ses membres portant sur les ravageurs et les maladies des plantes dans ses Rapports annuels, qui sont à l’origine de la revue Phytoprotection. Le besoin d’information pratique en français sur la protection des plantes était criant au début du XXe siècle. Lochhead lui-même donnera l’exemple et publiera une quarantaine d’articles dans les 17 premiers numéros des Rapports annuels de la SPPQ (1908-1925), 21 d’entre eux portant sur l’entomologie et les insectes nuisibles. Au début des années 1960, les Rapports annuels avaient servi les besoins de la SPPQ, sans toutefois répondre aux critères majeurs de toute revue scientifique : un délai de publication raisonnable et une critique objective des articles soumis pour publication (Estey 1983).

Après que la filiale de Montréal de la ESO se soit transformée en la SEQ en 1951, plusieurs entomologistes faunisticiens se sont graduellement désintéressés de ses activités de plus en plus orientées vers les ravageurs et autres insectes nuisibles. En 1973, plusieurs d’entre eux se sont regroupés pour former l’Association des entomologistes amateurs du Québec (AEAQ), avec comme membres fondateurs des entomologistes déjà bien établis comme Jean-Marie Perron, André Francoeur, Luc Jobin, Paul Bouchard, André Larochelle, Claude Chantal, Firmin Laliberté et plusieurs autres. La nouvelle AEAQ publiera les travaux de ses membres dans sa revue Fabreries, dont plusieurs suppléments seront des titres importants concernant l’entomofaunistique québécoise. L’AEAQ sera particulièrement active auprès des jeunes entomologistes. Des systématiciens professionnels réputés, dont Bernard Landry, Jean-François Landry, Laurent Lesage et quelques autres, seront parmi les premières recrues de l’AEAQ.

Les services publics gouvernementaux

Services canadiens

Au Québec, les services publics ont mis du temps à s’occuper des problèmes d’infestation des insectes ravageurs par rapport aux voisins des États-Unis et de l’Ontario. Dès 1868, le gouvernement de l’Ontario subventionnait la SEC (qui allait bientôt devenir la ESO) pour qu’elle publie dans sa nouvelle revue, The Canadian Entomologist, les travaux de ses membres sur les ravageurs des plantes. Le fédéral créait aussi, dès 1884, le premier poste d’entomologiste du Dominion. James Fletcher, un fonctionnaire habile et influent, fut le premier entomologiste fédéral en titre. Au cours des décennies suivantes, Fletcher créera le Service canadien d’entomologie du ministère de l’Agriculture du Canada (MAC), en recrutant des entomologistes et autres spécialistes des plantes, pour établir des programmes de recherche, activité qu’il considère comme la source majeure des connaissances les plus utiles en phytoprotection.

Dans les années 1910, la pression des ravageurs alerte l’opinion publique. Le gouvernement fédéral vote des subventions de recherche sur les ravageurs et le premier laboratoire fédéral d’entomologie s’ouvre au Québec (à Covey Hills), à la demande de la Société de pomologie et de culture fruitière de Montréal. À l’opposé des grands ravageurs forestiers (voir plus loin), les ravageurs agricoles sont éclectiques et diversifiés. En plus des imprévus absolus liés à l’introduction accidentelle d’espèces exotiques invasives, chaque plante (ou filière dans le jargon actuel) a comme ravageurs majeurs des criquets, des chenilles, des cédidomyies, des mouches des fruits, des doryphores, des hannetons ou vers blancs, des pyrales, des carpocapses, des enrouleuses, des tordeuses, des mouches ou tenthrèdes mineuses, des perce-tiges, des anneleurs et des asticots, des vers ou encore des chrysomèles des racines. Ensemble ou séparément, à différentes époques et dans différentes régions, ces ravageurs ont constitué un feu roulant pour les entomologistes des services d’entomologie qui se sont occupés de combattre leurs infestations (Maheux 1974).

Dirigé par Charles E. Petch (président de la SPPQ de 1928 à 1930), le premier laboratoire fédéral ouvert en 1912 est axé sur les ravageurs fruitiers, notamment ceux du pommier. Fervent promoteur de la lutte chimique, naissante au début du siècle, Petch favorisera le développement du Service des arrosages créé en 1929 par le gouvernement provincial pour lutter contre les ravageurs des vergers. Déménagé à Hemmingford peu après son ouverture, le laboratoire fédéral s’occupera de la lutte aux insectes nuisibles avec à son actif une dizaine d’entomologistes qui s’y sont succédé durant les deux ou trois premières décennies, dont notamment G.H. Hammond (ennemis naturels des vers blancs), André A. Beaulieu (vergers) (M.Sc. 1938, Collège Macdonald; président de la SPPQ en 1961-1962), Jean-Baptiste Maltais (vergers, légumes) (M.Sc. 1928, Collège Macdonald; président de la SPPQ de 1950 à 1952) et plusieurs autres noms connus. Parmi eux, J.-B. Maltais est l’un des premiers au Québec à s’intéresser à la résistance des plantes aux insectes, avec le puceron du pois Acyrthosiphon pisum (Harr.) comme modèle.

En 1940, les producteurs maraîchers pressent à leur tour le gouvernement et Maltais déménage à Saint‑Jean‑sur‑Richelieu pour y ouvrir un nouveau laboratoire d’entomologie où le joindront des collègues, dont J. Lafrance, Jean‑Paul Perron et A.A. Beaulieu. Ce dernier établira définitivement en 1952 le laboratoire fédéral à l’origine de la Station de recherche de Saint‑Jean‑sur‑Richelieu. Au début des années 1950, plusieurs entomologistes sont toujours actifs à Saint‑Jean‑sur‑Richelieu, notamment Benoît Parent (président de la SPPQ en 1970-1971), Rodolphe-O. Paradis (Ph.D. 1964, Collège Macdonald; président de la SPPQ en 1965-1966) et Edgar J. Leroux (Ph.D. 1954, Collège Macdonald), spécialistes des ravageurs fruitiers, ainsi que Marcel Hudon (M.Sc. 1954, Collège Macdonald; président de la SPPQ en 1983-1984), J. Lucien Auclair (M.Sc. 1945, Collège Macdonald) et Jean-Jacques Cartier (M.Sc. 1953, Université de Montréal; président de la SPPQ en 1974-1975), spécialistes des ravageurs des légumes. Au cours de cette période, les entomologistes des services canadiens Joseph Duncan (M.Sc. 1942, Collège Macdonald) et René Couture (M.Sc. 1961, Université Laval) seront aussi actifs à la Station fédérale de La Pocatière, aujourd’hui fermée. Ils y travaillaient notamment sur les pucerons de la pomme de terre comme vecteurs de maladies virales.

Noubar Bostanian (Ph.D. 1971, Collège Macdonald) sera recruté à Saint-Jean-sur-Richelieu comme acarologiste et toxicologiste dans les années 1970 et il y est toujours actif comme spécialiste en lutte intégrée, principalement en pomiculture. Dans les années 1980, la vocation de la station de Saint-Jean s’élargira considérablement. Ce laboratoire deviendra le Centre de recherche et de développement en horticulture (CRDH), largement reconnu à l’échelle internationale, avec à son service les chercheurs entomologistes Guy Boivin et Charles Vincent recrutés en 1981 et 1983, respectivement. Guy Boivin (Ph.D. 1981, Collège Macdonald) est bien connu pour ses travaux de nature fondamentale et appliquée concernant les ravageurs et notamment les trichogrammes parasitoïdes des oeufs de lépidoptères. Charles Vincent (Ph.D. 1983, Collège Macdonald) est aussi bien connu pour ses contributions en lutte intégrée impliquant des alternatives biologiques et physiques de répression des ravageurs. Boivin et Vincent collaborent activement à l’enseignement supérieur et sont abondamment impliqués dans la supervision d’étudiants universitaires de la région métropolitaine.

Services québécois

C’est avec la SPPQ, en 1908, que le Gouvernement du Québec commence à s’occuper des insectes nuisibles et d’entomologie appliquée. À l’instar de Toronto avec la ESO, Québec subventionnera la SPPQ pour la publication des travaux de ses membres sur les ravageurs. En 1912, paraît en français le premier bulletin de lutte aux ravageurs, dont l’auteur est James M. Swaine du Collège Macdonald (Swaine 1912). Les services canadiens d’entomologie ayant servi de modèle, Québec crée en 1914 le poste d’Entomologiste provincial, confié au chanoine Victor-Alphonse Huard du Séminaire de Chicoutimi, éditeur du Naturaliste canadien (titre qu’il hérita de Provancher). Huard publiera en 1916 un bulletin sur les insectes nuisibles et sur les principales maladies des plantes alors connues, comprenant 54 entrées. Dès 1917, Huard, dont la santé est maintenant fragile, cède son poste à Georges Maheux, jeune diplômé brillant et dynamique de l’École forestière de l’Université Laval ouverte en 1910. Conseillé par le directeur J.C. Piché, Maheux était allé étudier l’entomologie forestière comme stagiaire avec James M. Swaine (Ph.D. 1919, Cornell University), alors entomologiste à Ottawa, pour pouvoir l’enseigner à l’École forestière. Les besoins de forestiers compétents en entomologie étaient clairs. Par exemple, il était devenu évident que la spongieuse Porthetria dispar L., introduite comme ver à soie aux États-Unis en 1869 et devenue depuis un ravageur majeur des feuillus, s’introduirait bientôt au Québec, ce qui arriva de fait en 1925.

Entomologie agricole

Au ministère de l’Agriculture du Québec, Maheux, en succédant à Huard, organise le premier Bureau de protection des plantes du Québec dans les années 1920 (Perron 2006). Il sera un fervent promoteur de l’étude et de la répression des ravageurs agricoles sur la base des connaissances scientifiques disponibles. Dès 1917, à ses débuts comme entomologiste provincial, il avait fait la démonstration dans le comté de Berthier de l’efficacité des appâts empoisonnés au vert de Paris contre une infestation de sauterelles (criquets) qui avait été estimée à plusieurs millions à l’hectare. Il recrute à son service des agronomes compétents en entomologie, en pathologie et en malherbologie. Avec le jeune entomologiste (et par ailleurs poète) Germain Beaulieu, il publie en 1929 le premier manuel d’entomologie appliquée à la lutte aux insectes ravageurs en français au Canada, une contribution majeure et de première importance en son temps pour l’enseignement des bases de l’entomologie appliquée (Beaulieu et Maheux 1929). En 1929, Québec ouvre le Service des arrosages (aussi connu sous le nom de Comité de protection des vergers), dirigé dès 1930 par Fernand Godbout (président de la SPPQ de 1946 à 1948), au sein duquel ont travaillé plusieurs entomologistes.

Au début des années 1930, Maheux est très occupé. La pyrale du maïs, Ostrinia nubilalis (Hbn.), qui a été introduite vers 1926, envahit le Québec. Sa propagation par les résidus de chaume est problématique et des inspecteurs du MAQ, investis de pouvoirs réglementaires, pressent les producteurs négligents. En 1935, Maheux (président de la SPPQ de 1930 à 1932) engage l’entomologiste Georges Gauthier qui vient de compléter une thèse (M.Sc., Cornell University) sur les pucerons. Ce dernier obtiendra éventuellement un doctorat de l’Université Laval (1943) et le prix David pour ses travaux pionniers sur les vers blancs (hannetons, Melolontha spp.), ravageurs majeurs des pâturages qui étaient à cette époque de toute première importance en production laitière. En 1935, Gauthier (président de la SPPQ en 1954-1955) devient responsable de la division de l’entomologie au Bureau de protection des plantes.

Dans les années 1930 et 1940, Gauthier et Maheux établissent une suite de laboratoires de terrain dans les régions, visant notamment à rapprocher les experts et les producteurs pour faire la démonstration des outils de lutte que les services du Québec recommandent. Ces laboratoires permettront d’établir, dans les conditions bioclimatiques du Québec, la phénologie et les cycles vitaux des ravageurs ainsi que les conditions d’efficacité des insecticides – peu sélectifs, dangereux et encore rares – qui sont accessibles à cette époque et dont l’usage se répand. Un premier laboratoire est ouvert à Granby (vers blancs), puis à Mont-Saint-Hilaire (ravageurs du pommier) et à Saint-Martin de l’île Jésus à Laval (cultures maraîchères). Parmi d’autres, suivent ceux de l’île d’Orléans (anthonome du fraisier), en 1937; de Joliette (chenilles du tabac), en 1942; de Sainte-Foy (plantes maraîchères), en 1943; et de Farnham (tétranyques du pommier), en 1949. Les entomologistes Gérard Rioux (président de la SPPQ en 1971-1972), Léo Raynault (M.Sc. 1944, Université de Montréal), Roger Desmarteau (président de la SPPQ en 1975-1976), Joseph Duncan, J. André Doyle (M.Sc. 1942, Collège Macdonald; président de la SPPQ en 1964-1965), Léon Sauvageau et Marc-André Richard (président de la SPPQ en 1981-1982) sont des figures connues des travaux en phytoprotection qui ont eu lieu dans ces laboratoires de campagne. Parmi d’autres entomologistes ayant aussi collaboré étroitement avec Maheux et Gauthier à la protection des plantes contre les ravageurs, mentionnons Joseph I. Beaulne (taxonomiste au MAQ) ainsi que Lionel Daviault (Ph.D. 1937, Université de Montréal; président de la SPPQ en 1956-1957) et André A. Beaulieu, qui ont aussi été actifs au sein du gouvernement fédéral. En 1937, Maheux est président de l’ACFAS et affirme sans équivoque que la science est la base essentielle des connaissances pour le progrès en agriculture. Il dénonce le retard scientifique du Québec et affirme l’urgence d’y développer la recherche et l’enseignement supérieur. Il critique à la fois le gouvernement fédéral pour la rareté de ses laboratoires au Québec et le gouvernement provincial pour le peu de ressources qu’il consacre à la recherche. Au cours des années 1920 et 1930, Maheux continuera d’enseigner l’entomologie forestière à l’Université Laval tout en travaillant au MAQ et à former des agronomes compétents en entomologie appliquée. Au cours d’un stage en 1919-1920 au Département d’entomologie de Cornell University, il relate avoir décliné l’offre de faire une maîtrise (Maheux 1974). Autodidacte, il continua cependant d’étudier tout en travaillant, de sorte que l’Institut agricole d’Oka lui décerna une Licence en sciences agricoles en 1929. Notons aussi que sa créativité exceptionnelle a été reconnue par l’Université de Montréal qui lui décerna un doctorat honoris causa en 1937 et par l’Université Laval qui fit de même en 1942.

En 1943, Gauthier accède au poste d’Entomologiste provincial à la suite de Maheux et Québec modernise son image en créant le Service de l’information et de la recherche, au sein duquel le Service de protection des plantes est intégré comme organisme de recherche. Maheux, convaincu de la nécessité de la diffusion du savoir, devient très actif en communication et interviendra plus de 600 fois à l’émission radiophonique populaire Le Réveil rural de Radio-Canada. En 1947, Québec crée le Conseil des recherches agricoles du Québec avec Maheux comme président. Le Conseil octroiera des subventions de recherche aux universités et des bourses aux étudiants qui désirent faire des études supérieures en entomologie et en phytopathologie. En 1950, J. André Doyle, qui enseigne aussi l’entomologie à l’Université Laval à cette époque, dirige l’entomologie au sein de la Défense des cultures du ministère de l’Agriculture du Québec, où une dizaine d’entomologistes sont encore actifs en lutte aux insectes ravageurs.

En 1971, le malherbologiste Gilles Émond (Ph.D. 1968, Collège Macdonald) devient directeur du Service de recherche en défense des cultures, qui sera connu après 1987 comme le Service de phytotechnie de Québec. Face à l’impact environnemental de l’usage croissant des pesticides qui alerte déjà le milieu de la phytoprotection depuis un certain temps, il privilégiera la lutte raisonnée, faisant intervenir la notion de seuil de nuisibilité, ainsi que le dépistage et la prévention. En 1975, il consolide la diffusion des informations issues de la Défense des cultures en créant le Réseau d’avertissements phytosanitaires du Québec (RAP) et nomme l’entomologiste expérimenté Léo Raynault comme son premier coordonnateur. Le RAP couvrira un large éventail de cultures et tentera de sensibiliser les producteurs et les conseillers à l’impact environnemental des pesticides. Émond (président de la SPPQ en 1973-1974) développera aussi à partir de 1986 la version moderne du Laboratoire de diagnostic en protection des cultures du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) couvrant l’entomologie, la malherbologie et la phytopathologie. L’entomologiste Michèle Roy (voir ci-dessous) est aujourd’hui responsable du diagnostic des insectes dans ce service, avec l’aide de Mario Fréchette. L’expertise entomologique de Fréchette de même que celle de sa proche collègue du ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec (MRNF), Céline Piché, s’appuient aujourd’hui sur la collection consolidée des insectes des services publics du Québec (MAPAQ et MRNF) comprenant plus de 120 000 spécimens de la majorité des insectes forestiers et agricoles du Québec. Elle comprend également une collection des lépidoptères du Québec originellement constituée par T.W. Fyles vers 1860.

Dans les années 1970 et 1980, plusieurs entomologistes sont encore actifs au gouvernement provincial en agriculture, notamment : Marc-André Richard (agronome; pomme de terre, petits fruits et légumes, Québec); Michel O’Connell Guibord (M.Sc. 1969, Collège Macdonald; grandes cultures, Saint-Hyacinthe); Claude Ritchot (Ph.D. 1968, Collège Macdonald; cultures maraîchères, Saint-Hyacinthe; président de la SPPQ en 1977-1978); Michel Letendre (M.Sc. 1970, Université de Montréal; lutte intégrée en grandes cultures, Québec; président de la SPPQ en 1988-1989) et Raymond-Marie Duchesne (Ph.D. 1980, Université Laval; lutte intégrée, doryphore de la pomme de terre, Québec; président de la SPPQ en 1986-1987).

Claude Richtot a marqué l’entomologie agricole appliquée durant les années 1970-1980. Il fut l’un des fondateurs du RAP en 1975 et l’un de ses premiers avertisseurs pour le maïs sucré. En 1986, il devient responsable de l’entomologie au Laboratoire de diagnostic nouvellement créé. Ardent défenseur de la lutte intégrée, ses travaux de recherche ont surtout porté sur les insectes des crucifères et du maïs. Il fut honoré par les groupements d’agriculteurs et les sociétés scientifiques, ainsi que par l’Ordre des agronomes du Québec.

Michel Letendre a été coordonnateur du RAP de 1986 à 1998. Actif promoteur de la lutte intégrée, il a aussi été le principal agent responsable au MAPAQ concernant l’impact des pesticides auprès des conseillers agricoles et des producteurs du Québec, ainsi qu’auprès de l’Agence de réglementation de lutte antiparasitaire (ARLA) du gouvernement fédéral.

Raymond-Marie Duchesne a évalué des solutions de rechange aux insecticides contre le doryphore de la pomme de terre, en particulier des biopesticides à base du Bacillus thuringiensis tenebrionis. Des produits commerciaux étaient disponibles au début des années 1990, mais ils sont disparus face à la compétition des pesticides chimiques qui vont connaître un renouveau après 1995 à la suite de l’introduction des néonicotinoides. Dynamique, Duchesne a été président de la SEQ à deux reprises (1989 et 1993) et fut impliqué dans la création du bulletin Antennae de la SEQ. Fervent promoteur de la lutte intégrée, Duchesne organisera en 1995 le Symposium sur la lutte intégrée aux insectes nuisibles de la pomme de terre, en collaboration avec Gilles Boiteau d’Agriculture Canada, Fredericton. Duchesne est devenu coordonnateur de la Stratégie phytosanitaire du MAPAQ en 1997, programme instauré en 1992 pour inciter les producteurs et les conseillers à faire un usage modéré des pesticides chimiques, qui persisteront encore longtemps comme principaux outils de lutte recommandés par les services publics du Québec.

Pendant la deuxième moitié du XXe siècle, le transfert des connaissances sur l’usage efficace des pesticides et la promotion de la lutte intégrée étaient les principales priorités des services du Québec en protection des cultures. La recherche de base comme première source de connaissances sur les ravageurs et sur les moyens de lutte y était moins apparente, du moins jusqu’en 1998, alors que fut créé l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA). D’origine multipartite, l’IRDA a été institué pour regrouper le MAPAQ, le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs et celui du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, en plus de l’Union des producteurs agricoles (UPA) du Québec. L’IRDA s’est donné pour mission de réaliser des activités de recherche et de transfert des connaissances sur le développement durable de l’agriculture. L’équipe de l’IRDA est pluridisciplinaire, avec plus de 30 chercheurs incluant notamment les entomologistes Josée Boisclair (M.P.M. 1998, Simon Fraser University) en horticulture maraîchère ainsi que Gérald Chouinard (Ph.D. 1991, Collège Macdonald) et Daniel Cormier (Ph.D. 1998, Collège Macdonald) en pomiculture. L’entomologiste Gérard Mailloux (écologie des populations des ravageurs) et l’agronome Bruno Bélanger (lutte au doryphore de la pomme de terre), aujourd’hui retraités, ont aussi fait partie de l’équipe originale de l’IRDA. La recherche en lutte intégrée contre les ravageurs est développée au sein du programme de recherche entomologique de l’IRDA, avec une emphase plus particulière en pomiculture.

Entomologie forestière

Les services publics développés pour l’étude et la répression des grands ravageurs forestiers suivront un patron d’évolution semblable à ceux consacrés aux ravageurs agricoles. Toutefois, les insectes ravageurs impliqués sont moins nombreux, bien que de nature plus épidémique dans leurs fluctuations d’abondance. En plus, ils sont généralement perçus comme étant économiquement plus dommageables dans le contexte de l’exploitation forestière, où les essences arborescentes sont moins diversifiées et les exploitants sont bien souvent des compagnies forestières. Les infestations des grands ravageurs forestiers tarderont à attirer l’attention des entomologistes. Avant l’avènement des grandes papetières, en particulier, l’importance économique des ravageurs forestiers pour le bois de sciage n’était probablement pas suffisante ou était peu documentée. Les principales essences de coupe étaient exploitées plus localement et moins intensément.

Des infestations de la tenthrède du mélèze, Pristiphora erichsonii (Htg.), sont rapportées dès les années 1880 par le révérend Fyles, bien connu pour ses écrits en entomologie appliquée et ses activités au sein des premières sociétés d’entomologistes. Le mélèze, essence d’importance secondaire aujourd’hui, était recherché en construction navale et avait connu une période de demande accrue avec la construction du chemin de fer transcanadien. C’est en rapport avec la lutte contre la tenthrède du mélèze que le second entomologiste du Dominion, C. Gordon Hewitt, sera le premier à mettre en pratique la « lutte biologique classique » au Québec. Il organisera l’introduction, à partir de l’Europe, de la guêpe ichneumone Mesoleius tenthredinis Morley, parasitoïde dont l’établissement se fera par la suite, à Lorette, près de Québec, à Pointe-Platon (Domaine Joly-De Lotbinière) et à Sainte-Agathe-des-Monts, dans les Laurentides. Le caractère de la tenthrède du mélèze au Québec, présumé exotique au tournant du siècle, demeure encore controversé de nos jours. Des séries dendrochronologiques du mélèze de plus de 250 ans, collectées sur une large portion du territoire québécois dans les années 1980 par Louise Filion, Conrad Cloutier et leurs étudiants du Centre d’études nordiques de l’Université Laval, le suggèrent fortement (Arquillière et al. 1990; Cloutier et Filion 1991; Jardon et al. 1994; Tailleux et Cloutier 1993).

Au début du XXe siècle, les enjeux économiques forestiers se précisent de sorte que l’épinette blanche deviendra l’essence majeure prédominante alors que le papier s’avérera être la filière commerciale principale de la fibre ligneuse pour les prochaines décennies. À partir de 1909, une longue épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette (TBE) fait rage au Québec. Ce seront les entomologistes fédéraux du ministère de l’Agriculture (MAC), notamment James M. Swaine, qui s’occuperont du problème. Les moyens de répression à leur disposition sont très limités et ils seront surtout actifs à documenter la biologie, l’abondance et les dommages de la TBE aux stations d’échantillonnage permanentes établies en collaboration avec les compagnies forestières Laurentide (Mauricie) et Price (Lac Kénogami). Les infestations de TBE s’effondreront finalement au début des années 1920. Les dégâts auront été importants et les grands feux de 1923 seront attribués à la masse importante de combustible créée par la mortalité des arbres après l’épidémie récente de TBE (Daviault 1950). Cette dernière sera plus ou moins inactive pendant une vingtaine d’années.

À la fin des années 1920, une forte infestation de l’arpenteuse de la pruche, Lambdina fiscellaria (Gn.), attire l’attention sur la Côte-Nord. On essaie pour la première fois des poudrages aériens à l’arséniate de calcium. Dans les années 1930 et 1940, d’autres ravageurs importants de l’épinette en Gaspésie, notamment le diprion ou la tenthrède européenne de l’épinette, Gilpinia hercyniae (Htg.) (apparue en 1922 près de Hull), et le dendroctone de l’épinette, Dendroctonus rufipennis (Kby.) (syn. D. piceaperda), seront documentés en détail. Durant les années 1930, Malcolm L. Prebble (Ph.D. 1940, Collège Macdonald) dirige des recherches axées sur la tenthrède de l’épinette en Gaspésie, espèce qu’on suppose contrôlée en Europe par des parasitoïdes. Sous la direction de Lionel Daviault, une station de terrain vouée aux pépinières, aux plantations et aux essences ornementales est ouverte à Berthierville en 1930, où des entomologistes fédéraux du MAC seront actifs jusqu’en 1943 (elle devint par la suite une station de terrain du MTF). Les entomologistes W.A. Reeks, A. Robert Gobeil (Ph.D. 1941, Collège Macdonald) et Ludger J. Briand sont impliqués dans un programme d’introduction de parasitoïdes de la tenthrède de l’épinette dans la réserve de Park (comté de Kamouraska), avec la collaboration du laboratoire fédéral de lutte biologique de Belleville (Ontario). La direction fédérale des forêts aménagera la Station forestière de Valcartier sur le territoire non occupé de la base militaire, incluant des placettes-échantillons permanentes et des plantations expérimentales.

Les services publics du Québec en entomologie forestière se développent en 1937 avec la création du Bureau d’entomologie du MTF. A. Robert Gobeil en est le premier directeur, suivi de L. Daviault. Le Relevé annuel des insectes et des maladies des arbres (RIMA) est établi en 1938. Ce programme était en développement depuis 1936 avec la collaboration d’Ottawa et de Fredericton pour l’identification des insectes. L’inventaire impliquera l’échantillonnage systématique des insectes associés aux essences forestières dans toutes les régions exploitées. En 1939, le Bureau d’entomologie du MTF engage des jeunes diplômés de l’École d’arpentage et de génie forestier de l’Université Laval qu’il envoie étudier l’entomologie à l’étranger, notamment René Martineau (M.Sc. 1941, University of Illinois), Gérard Paquet et Robert Lambert. Le MTF ouvre à cette époque l’Insectarium de Duchesnay qui sera voué à l’élevage des insectes, y compris des parasitoïdes exotiques qui sont relâchés dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie afin de rétablir le contrôle naturel de la tenthrède européenne. En fait, les populations de tenthrède européenne s’effondrent en 1939, apparemment sous l’impact d’une épidémie virale massive, d’où l’importance qu’on accorde aujourd’hui aux baculovirus dans le contrôle naturel des populations des mouches-à-scies des conifères.

Les ravages successifs du dendroctone de l’épinette à cette époque apparaîtront à Gobeil comme étant corrélés à ceux de la tenthrède pour des raisons de cause à effet. Gobeil a même défendu l’idée, dans le Journal of Forestry en 1941, que les dendroctones sont en quelque sorte les « nettoyeurs » des forêts conifériennes. Il y soutient qu’ils sont importants écologiquement pour recycler le bois suranné et mourant à la suite de l’assaut répété des défoliateurs, idée réfutée (ou du moins critiquée point par point) sans tarder par l’entomologiste Reginald E. Balch dans la même revue (Daviault 1974). Balch a été en charge d’un projet à long terme qui fut parmi les plus importants à avoir été entrepris sur le problème de la TBE, soit le projet d’aménagement forestier et d’entomologie forestière de Green River dans le nord du Nouveau-Brunswick.

Au début des années 1940, la TBE revient en force en Abitibi. Les entomologistes, notamment Lionel Daviault recruté au Bureau d’entomologie du MTF en 1943, sont sceptiques à l’effet que les ennemis naturels de ce ravageur, espèce réputée indigène, puissent en contrôler naturellement les infestations. Après la Seconde Guerre mondiale, la demande en produits ligneux croît très rapidement au Canada et aux États-Unis et l’impact économique des ravageurs forestiers est perçu comme étant de plus en plus important. Les associations forestières, les ingénieurs forestiers et l’industrie des pâtes et papier, en place partout au Québec forestier, interviennent auprès du gouvernement pour qu’il augmente la protection des forêts contre les ravageurs.

À la fin de la guerre, le DDT, récemment démontré efficace comme insecticide de contact polyvalent, arrive comme un symbole de la supériorité technologique des victorieux. Les premiers arrosages aériens au DDT au Québec ont lieu en 1945, impliquant la collaboration du MTF, de la Défense nationale, d’Agriculture Canada et du U.S. Forest Service. Trois équipes de recherche sur l’écologie et le problème de la TBE s’activent dans la région du réservoir Cabonga sur les territoires de la papetière CIP en Abitibi (Daviault 1974). Les entomologistes américains H. Bess et H. Newell (U.S. Forest Service) et C.O. Dirks (University of Maine) étudient la TBE dans divers peuplements, avec Jean-Robert Blais qui travaillera alors comme étudiant au doctorat inscrit en foresterie (Ph.D. 1950, University of Toronto). Les entomologistes du MTF se concentrent sur les parasitoïdes, avec J.P. Picard qui prépare une thèse de maîtrise (University of Illinois). Des forestiers du U.S. Forest Service s’occupent des impacts de l’aménagement et des coupes, en collaboration avec J. Beal de la North Carolina State University et K. Heimberger des services forestiers canadiens. Sous la pression de l’industrie forestière, une conférence majeure a lieu en 1949 impliquant les services publics gouvernementaux de lutte aux ravageurs (notamment la TBE), dont les recommandations seront à l’effet d’accroître l’investissement public dans la protection des forêts au MTF et au gouvernement fédéral. Le développement de la recherche sur les ravageurs forestiers à l’Université Laval, avec par exemple l’établissement de la forêt Montmorency et celui du Centre de recherches forestières des Laurentides (CRFL) sur le campus dans les années 1950, seront parmi les conséquences immédiates de cette conférence. Au Nouveau-Brunswick, après 1945, les entomologistes Ray F. Morris et son groupe du gouvernement fédéral à Fredericton (projet Green River) développent des tables de survie de la TBE et proposent que la classe d’âge qui s’étend du stade L3 jusqu’à la pupaison est la clé de la régulation naturelle des populations de la TBE (Morris et Miller 1954).

Dès 1952-1953, le MTF effectue des arrosages au DDT sur le territoire de la CIP à Causapscal, dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, lesquels seront étendus à grande échelle en 1954 (Blais 1977). Ces arrosages auraient été impliqués dans le déclin temporaire de la colonie de fous de bassan de l’île Bonaventure, dont les populations étaient recensées annuellement depuis des décennies par les ornithologistes lors du nichage. Blais conclura des résultats obtenus dans les années 1950 sur la TBE au Québec (et au Nouveau-Brunswick, où ils furent encore plus importants) que les traitements insecticides prolongent la vie des arbres, mais également la durée d’une épidémie du ravageur.

En 1952, le gouvernement fédéral ouvre un laboratoire de recherche à vocation forestière sur le campus de l’Université Laval pour regrouper ses effectifs, avec Lionel Daviault comme premier directeur. Daviault recrutera des entomologistes francophones dans son équipe, notamment Gérard Paquet, René Martineau et René Béïque (M.Sc. 1950, Université de Montréal). Le développement du laboratoire fédéral à Sainte-Foy créera des tensions avec les services publics forestiers du Québec au sujet de leurs responsabilités respectives en ce qui concerne les ravageurs forestiers, tensions marquées notamment par le départ de G. Paquet pour le MTF. En 1960, ce laboratoire fédéral deviendra officiellement le Centre de recherches forestières des Laurentides (CRFL) qui maintiendra les stations d’échantillonnage stratégiques du gouvernement fédéral en Mauricie et au Lac-Saint-Jean. Jean-Robert Blais se joint à cette époque à l’équipe des entomologistes du CRFL. Par l’approche dendrochronologique appliquée à l’épinette blanche, Picea glauca (Moench) Voss, il documente la périodicité des épidémies de la TBE de la grande région Ontario-Québec-Maine (Blais 1962). Son analyse l’amène à conclure que la fréquence des épidémies a clairement augmenté au XXe siècle, en partie en raison des interventions forestières de nature à maintenir, sinon à favoriser, des peuplements d’arbres équiennes. Blais avancera aussi l’idée qu’une épidémie de TBE est plus ou moins inévitable dans ces conditions et qu’elle entraîne un rajeunissement naturel de la forêt.

Au cours des années 1960, la dynamique de la tenthrède de Swaine, Neodiprion swainei Midd., sera d’intérêt majeur pour plusieurs entomologistes du CRFL, notamment Jack M. McLeod, Peter W. Price (Ph.D. 1970, Cornell University), Bernard J.R. Philogène (Ph.D. 1970, University of Wisconsin) et Paul Benoit (M.Sc. 1958, Université Laval). Les entomologistes Wolfgang Quednau (Ph.D. 1953, Université libre de Berlin, Allemagne ; lutte biologique par l’introduction de parasitoïdes, taxinomie des pucerons) et René Martineau (RIMA) seront aussi à cette époque des figures bien connues du CRFL. Bernard Philogène, qui a terminé sa carrière comme professeur à l’Université d’Ottawa, est bien connu pour ses travaux sur les facteurs allélochimiques de défense des plantes contre les insectes ravageurs.

Durant la troisième épidémie majeure de la TBE au Québec au XXe siècle qui a commencé vers 1970, les traitements aériens ont repris en force, cette fois avec des insecticides organophosphatés nouveaux et réputés moins persistants que le DDT, en particulier le fénitrothion. Entre 1973 et 1977, 2,5 millions d’hectares de forêt sont ainsi traités annuellement au Québec, pour une réduction de la défoliation estimée éventuellement par les forestiers à environ 5 % (54 % versus 59 %), mais avec une meilleure survie des arbres selon le MTF (Desaulniers 1977). Le MTF affirmera que les traitements n’ont pas allongé cette épidémie de la TBE, ni affecté l’abondance de ses ennemis naturels, mais l’entomologiste écologiste Jeremy N. McNeil de l’Université Laval sera sceptique à l’effet que les données du MTF soient adéquates pour en faire la preuve (McNeil 1977). L’entomologiste Gilles Bonneau (M.Sc. 1970, Université de Sherbrooke) entre au service du MTF en 1977 pour y remplacer René Béïque comme responsable du RIMA et y sera actif comme entomologiste jusqu’en 1997.

Durant les années 1970, le Service canadien des forêts (SCF) est incorporé au nouveau ministère fédéral de l’Environnement (MFE). Après la conférence de Stockholm « L’homme et son environnement » en 1972, le gouvernement fédéral intègre ses services offerts dans les filières environnementales des forêts, des eaux intérieures et des sols et il crée cinq directions régionales (Daviault et al. 1988). La lutte biologique est valorisée au CRFL, notamment dans les projets anti-TBE de Wladimir Smirnoff (D.Sc. 1957, La Sorbonne, Paris; développement pré-commercial du B. thuringiensis, BT) et de Ray Finnegan (M.Sc. 1950, University of New Brunswick; introduction de fourmis prédatrices), de même que les projets de lutte contre la spongieuse de Luc Jobin (Ph.D. 1968, Université Laval) et de Wolfgang Quednau, impliquant le Commonwealth Agricultural Bureau pour l’introduction de parasitoïdes exotiques. Le RIMA sera partagé par entente entre le MTF et le SCF, de sorte que les inventaires courants reviendront au SCF alors que le MTF sera en charge des inventaires qui sont reliés aux interventions anti-ravageurs forestiers. Le CRFL formalisera sa contribution à la formation aux études supérieures à l’Université Laval. La modélisation des interactions forêt-TBE est développée, impliquant le biométricien Michel Boudoux en collaboration avec l’Université Laval et le MTF. En 1982, Jacques Régnière (Ph.D. 1980, North Carolina State University), spécialiste de la dynamique et de la modélisation de l’abondance des populations d’insectes (en particulier de la TBE) est recruté et deviendra une figure majeure et de réputation internationale en ce domaine.

Au début des années 1980, 35 chercheurs oeuvrent au CRFL dans quatre volets, dont trois en entomologie : épidémiologie de la TBE, entomopathogènes et phéromones. La recherche en protection est axée sur le comportement des ravageurs et la lutte biologique avec Blais, Smirnoff, Finnegan, Quednau et Jobin, entre autres. Le RIMA est dirigé par Denis Lachance, avec Jean-Paul Laplante, Paul Benoit et Thérèse Arcand au diagnostic des insectes. En 1984, le Bureau des audiences publiques (BAPE) du Québec recommande la cessation des arrosages aux pesticides chimiques contre la TBE, alors que le MAC récupère la responsabilité du SCF. Le CRFL publie les ouvrages entomologiques remarqués de Jean-Paul Laplante (1985) et de René Martineau (1985). Yvan Hardy (Ph.D. 1970, New York State College of Forestry), professeur à la Faculté de foresterie et de géomatique (FFG) de l’Université Laval, devient directeur général du CRFL. En 1986, l’aménagement des ressources ligneuses au gouvernement fédéral est revalorisé par rapport à la recherche et le CRFL « perd son R », devenant officiellement le Centre de foresterie des Laurentides (CFL).

Johanne Delisle (Ph.D. 1986, Université Laval) entre au CFL en 1986 comme chercheure scientifique. Ayant étudié au doctorat à l’Université Laval avec Jeremy McNeil, elle travaillera sur les stratégies de reproduction des ravageurs forestiers impliquant des phéromones sexuelles et, du point de vue appliqué en protection, sur la confusion sexuelle comme stratégie de lutte. En 1989, l’entomologiste Christian Hébert obtient un Ph.D. en biologie à l’Université Laval pour sa thèse sur les parasitoïdes de la TBE. Recruté au CFL d’abord comme entomologiste au RIMA, il devient chercheur scientifique en 1995. Il étudiera la dynamique de l’arpenteuse de la pruche et l’impact des perturbations naturelles et anthropiques sur la biodiversité des insectes forestiers, appuyé depuis 1997 par le taxinomiste Georges Pelletier (M.Sc. 1985, Collège Macdonald). Hébert collabore avec des professeurs et étudiants universitaires, notamment de la FFG et de la FSG de l’Université Laval. Pelletier lui-même est gestionnaire à l’Insectarium René-Martineau du CFL (où l’on trouve plus de 200 000 spécimens d’espèces principalement forestières), où il fait de la recherche sur la systématique des parasitoïdes d’oeufs du genre Telenomus et des cantharides qui sont des prédateurs de ravageurs. Entomologiste également bien connu comme naturaliste, Pelletier est l’auteur du Guide sonore et visuel des insectes chanteurs du Québec.

Le biologiste et forestier Armand Séguin (Ph.D. 1990, Université Laval) est recruté en 1992 pour étudier les interactions arbres-ravageurs au niveau moléculaire. Il étudie les mécanismes de résistance aux insectes chez l’épinette blanche et le peuplier hybride. Séguin est impliqué dans le développement d’arbres transgéniques résistants aux ravageurs par l’expression des toxines du B. thuringiensis, ainsi qu’au devenir des transgènes dans les milieux naturels. Le biologiste entomologiste Michel Cusson (Ph.D. 1989, Université Laval) entre aussi au CFL en 1992 comme chercheur en physiologie des insectes et spécialiste de l’hormone juvénile, un facteur crucial du développement normal des insectes. Cusson a fait son doctorat avec Jeremy McNeil en collaboration avec le physiologiste des insectes bien connu Stephen S. Tobe (University of Toronto). Cusson fait aussi de la recherche avec des étudiants de l’Université Laval sur la perturbation du développement de la TBE par les polydnavirus associés à certains de ses parasitoïdes. Actif au CFL depuis 1983, l’entomologiste forestier Robert Lavallée (Ph.D. 1994, Université Concordia) y deviendra chercheur scientifique en 1994 pour travailler en protection des plantations. Spécialiste des coléoptères et en particulier du charançon du pin blanc, Pissodes strobi (Peck), il s’intéresse à la lutte biologique en pépinières avec des entomopathogènes, notamment le Beauveria bassiana (Bals.) Vuillemin. Lavallée collabore avec Claude Guertin (Ph.D. 1992, Université Concordia) de l’Institut Armand-Frappier de l’INRS à Laval et Richard Trudel (Ph.D. 2000, Université Laval) de la SOPFIM (voir ci-dessous). L’entomologiste Jan Klimaszewski (Ph.D. 1978, Université de Wroclaw, Pologne) est depuis 1998 chercheur au CFL en systématique et faunistique des insectes de la litière, notamment les staphylins. Conservateur de l’Insectarium René-Martineau depuis 2004, Klimaszewski s’intéresse aussi aux effets de l’aménagement forestier sur la diversité des insectes.

En 1986, la nouvelle Loi sur la protection des forêts du Québec stipule que l’industrie forestière détermine les moyens à prendre pour minimiser les pertes de rendement engendrées par les insectes ravageurs. En 1990, le MRNF et l’industrie forestière s’associent pour créer la Société de protection des forêts contre les insectes et les maladies (SOPFIM). Un partenariat public-privé (PPP), la SOPFIM sera financée par l’industrie forestière, le Fonds forestier (auquel contribuent l’industrie et le gouvernement), des grands propriétaires forestiers et le MRNF. Sa mission explicite est de protéger la forêt en réalisant les programmes de pulvérisations insecticides. En 1989, le Québec adopte une nouvelle politique restrictive des pesticides en forêt, visant à satisfaire ses utilisateurs non industriels et le respect de l’environnement. La TBE se manifeste à nouveau au début des années 1990 et la SOPFIM traite des forêts publiques (100 000 hectares en Gaspésie; 30 000 hectares sur la Côte-Nord) et des forêts privées (7 000 hectares) par des arrosages aériens au BT dès 1991. À partir de 1997, la SOPFIM développe son laboratoire d’évaluation de la qualité et du dépôt des bioinsecticides appliqués dans ses programmes d’arrosage pour permettre le suivi environnemental du B.t. kurstaki sur les arbres, dans l’eau et dans le sol.

En 1994, le Québec et l’industrie forestière s’entendent sur une Stratégie de protection préventive où les insectes seront dorénavant reconnus comme faisant partie intégrante des milieux forestiers. Les pesticides seront désormais des outils de répression d’usage restreint. Les relevés d’abondance des ravageurs (RIMA) seront encadrés par le Système de protection contre les insectes et les maladies (SPIM), qui sera dirigé par l’entomologiste forestier Louis Dorais. Le SPIM doit informer les exploitants sur l’activité des ravageurs et en documenter la dynamique. Michel Auger, Clément Bordeleau et Michel Chabot sont des entomologistes forestiers bien connus du SPIM qui, retraités aujourd’hui, ont oeuvré pendant toute leur carrière au sein du MRNF. Sous la coordination de Louis Dorais, plusieurs d’entre eux, ainsi que le mycologiste Bruno Boulet, ont contribué à la rédaction du premier Manuel de foresterie de l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec publié en 1996, dont un chapitre important concerne les ravageurs forestiers. Une deuxième édition revue et augmentée de cet ouvrage vient de paraître (Ordre des ingénieurs forestiers du Québec 2009).

En 1995, la SOPFIM adopte son premier plan quinquennal et seul le BT sera dorénavant autorisé pour traiter les forêts du Québec contre les ravageurs. Les cibles prioritaires sont le diprion de Swaine (ravageur du pin), l’arpenteuse de la pruche, la tordeuse du pin gris, Choristoneura pinus pinus Free., et la TBE, qui est toujours perçue comme l’insecte forestier le plus destructeur en Amérique du Nord malgré son impact récent plutôt mitigé. En l’an 2000, 40 000 hectares de forêts de la Côte-Nord ont été traités contre l’arpenteuse de la pruche. La SOPFIM présente une demande la même année pour que ses interventions anti-ravageurs soient reconnues comme étant conformes à la norme environnementale ISO 14001. En 2004, la SOPFIM diversifie sa mission et participe à la lutte au virus du Nil occidental dans la région métropolitaine de Montréal et envisage des projets de protection contre la malaria en Amérique du Sud et contre les criquets en Afrique de l’Ouest afin de maximiser son expertise dans les arrosages.

Les écoles supérieures d’agriculture et les universités

Plusieurs écoles d’agriculture sont fondées avant 1900 pour aider les producteurs (Létourneau 1959). Toutefois, l’entomologie comme science appliquée tarde à se développer au Québec faute de chercheurs actifs dans ces institutions. Dans les années 1910, l’entomologie générale sera enseignée à l’Institut agricole d’Oka (fondé en 1893) et à l’École supérieure d’agriculture de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (fondée en 1859).

En 1913, Firmin Létourneau, récemment formé à l’Ontario Agricultural College (situé à Guelph) spécifiquement à cette fin, enseigne l’entomologie appliquée à l’Institut d’Oka, centre majeur de culture fruitière situé à La Trappe (Létourneau 1959). Les entomologistes d’Oka s’intéressent à la protection du pommier contre les insectes et les maladies, tel qu’indiqué par trois documents substantiels sur la protection des vergers issus d’Oka à cette époque (Institut agricole d’Oka 1912 ; Léopold 1914 ; Létourneau 1916). Le père Léopold, en 1921, devient le deuxième titulaire du cours d’entomologie générale à Oka. Il fera une large couverture de la matière, comprenant 70 heures de cours réparties sur deux sessions prévues en 3e année du programme de baccalauréat en agriculture d’une durée de 4 ans. Léopold est clairement une figure francophone importante de son temps en phytoprotection. C’est un entomologiste accompli qui a collectionné abondamment, aidé de Gustave Chagnon, du frère Joseph Ouellet et de l’étudiant Paul Morisset (Perron 2007). Léopold a par ailleurs été président de la SPPQ (de 1925 à 1927) et de l’Entomological Society of Ontario.

À la suite du décès de Léopold en 1947, Jean-Baptiste Maltais, pendant deux ans, puis Léo Raynault enseigneront l’entomologie à Oka. En 1962, en pleine révolution tranquille marquée par le déclin de l’implication des communautés religieuses dans l’enseignement, l’Institut agricole d’Oka ferme ses portes. L’Université Laval, qui vient de créer sa Faculté d’agriculture (1962), hérite des collections de plantes et d’insectes ainsi que de la bibliothèque d’Oka. La collection d’insectes de Léopold deviendra ainsi la Collection d’invertébrés de l’Université Laval qui comprend aujourd’hui, avec de nombreux ajouts, environ 275 000 spécimens répartis en plus de 6 500 espèces.

En 1915, Georges Bouchard commence à enseigner l’entomologie à l’École supérieure d’agriculture de La Pocatière. En 1931, c’est Jean-Baptiste Maltais qui enseignera l’entomologie à La Pocatière, suivi jusqu’à la fermeture en 1962 de plusieurs autres entomologistes connus, notamment Pellerin Lagloire, Georges Gauthier, J.-André Doyle, Joseph Duncan, Robert Harrison et Lucien Huot (Ph.D. 1957, Université Laval). L’école de La Pocatière n’a jamais remis de diplômes d’études supérieures (Leroux et Paradis 1970). Toutefois, logée dans le Bas-Saint-Laurent, un milieu dominé par les grandes cultures, elle a contribué à la formation initiale de nombreux spécialistes connus qui ont éventuellement joué des rôles clés en phytoprotection.

La recherche scientifique en entomologie ne se développera jamais sérieusement à Oka et à La Pocatière. Notons toutefois que le père Léopold a abondamment testé des insecticides contre les insectes nuisibles en vergers à Oka et que les entomologistes Joseph Duncan et René Couture des services canadiens ont étudié les pucerons de la pomme de terre et leur rôle comme vecteurs de virus à la station fédérale de La Pocatière, tout en participant à l’enseignement de l’entomologie à l’École supérieure d’agriculture.

Collège Macdonald

C’est dans cette institution rattachée à l’Université McGill que le seul programme universitaire spécialisé en entomologie à avoir existé au Québec est initié à partir de 1909, au sein du programme de biologie, avec les cours d’entomologie générale et d’entomologie économique. William Lochhead (M.Sc. 1895, Cornell University) en est le premier professeur titulaire. Il avait enseigné pendant sept ans auparavant, notamment à l’Ontario Agricultural College, à Guelph. À cette époque, les cours étaient régulièrement donnés dans les universités par des assistants compétents, sous la responsabilité des titulaires. Lochhead étant très occupé, son chargé de cours, James M. Swaine, ressort ainsi comme une figure importante de l’enseignement de l’entomologie à la naissance du programme. Lochhead est néanmoins très impliqué comme l’indique la publication de son manuel Cours d’entomologie appliquée (Lochhead 1919).

Le programme d’entomologie du Collège Macdonald sera surtout développé par un de ses premiers étudiants diplômés, l’Antillais d’origine Ernest-Melville DuPorte, à partir de 1915 et davantage dans les années 1920. Comme chargé de cours, DuPorte crée deux cours d’entomologie pour remplacer le cours d’entomologie générale initial : morphologie des insectes et taxinomie des insectes. En 1921, DuPorte obtient son doctorat de l’Université McGill pour sa thèse sur la morphologie du grillon, soit le premier doctorat en entomologie décerné par une université québécoise. C’est aussi en 1921 que le Département d’entomologie est créé au Collège Macdonald lors de la division du Département de biologie, avec Lochhead comme directeur et DuPorte comme chargé de cours. Alexander D. Baker (M.Sc. 1925, Collège Macdonald) est aussi recruté comme chargé de cours en 1923 par Lochhead qui part recruter des étudiants au Royaume-Uni. En son absence, le jeune département est de fait dirigé par DuPorte en 1924-1925. En 1926, William H. Brittain (Ph.D. 1922, Cornell University; président de la SPPQ de 1936 à 1938) est nommé directeur du Département d’entomologie et enseigne l’entomologie économique, cours hérité de Lochhead qui est malade et qui décèdera en 1927. Notons que Brittain était un entomologiste polyvalent qui publiera dans les années 1920 des articles en français (dans les Rapports annuels de la SPPQ, dont il sera président de 1936 à 1938) sur divers sujets en entomologie appliquée. Walter E. Whitehead (M.Sc. 1931, Collège Macdonald), recruté comme assistant de Brittain, joue à partir de 1926 un rôle clé dans l’enseignement, notamment comme illustrateur et comme collectionneur et curateur de la collection du Département d’entomologie (éventuellement incorporée à la collection Lyman). Collaborant étroitement avec Brittain, qui est très occupé, DuPorte agit en fait comme directeur exécutif du Département d’entomologie. C’est à ce titre qu’il s’occupe, en 1930, de la création de l’Institut de parasitologie du Collège Macdonald. En 1932, J.W. McBain Cameron (Ph.D. 1938, Collège Macdonald) hérite du cours de Brittain qui devient doyen de la faculté. En 1935, le programme du Collège Macdonald offre de nouveaux cours créés et enseignés par DuPorte : anatomie comparative des invertébrés, techniques en histologie, entomologie médicale et vétérinaire et écologie des insectes. À noter que ces cours s’ajoutaient aux cours existants, soit zoologie générale, entomologie générale (destiné aux non-spécialistes), morphologie des insectes, taxinomie des insectes et entomologie économique (Kevan 1979).

DuPorte est la figure prédominante de l’enseignement de l’entomologie au Collège Macdonald jusqu’à la fin des années 1950 (Perron 1998). Également actif en recherche fondamentale pendant presque 50 ans, il acquiert une réputation internationale en morphologie évolutive des insectes et écrit des essais théoriques sur l’évolution du stade pupal chez les insectes holométaboles (DuPorte 1957a, 1957b), en plus de rédiger son manuel de morphologie des insectes (DuPorte 1959). La plupart des entomologistes professionnels du Canada qui ont été formés à cette époque ainsi que plusieurs Américains bien connus étudieront au Collège Macdonald et suivront les cours d’entomologie de DuPorte. Selon Kevan (1979), DuPorte n’est pas officiellement reconnu pour tout ce qu’il a fait; par exemple, il serait le « directeur non officiel » de thèse de Leslie E. Saunders (M.Sc. 1921, Collège Macdonald), qui fut un professeur bien connu de zoologie à l’University of Saskatchewan. DuPorte a eu comme collègue le professeur Frank O. Morrison (Ph.D. 1939, Collège Macdonald; président de la SPPQ de 1952 à 1954 et en 1957-1958), recruté après le départ de Cameron en 1939 pour l’enseignement du cours d’entomologie économique. Tardivement, en 1955, lorsque DuPorte est enfin nommé officiellement directeur du département après la retraite de Brittain, seront recrutés John E. McFarlane (Ph.D. 1955, University of Illinois), qui donnera le cours de physiologie et développement des insectes, et Robert S. Bigelow (Ph.D. 1954, Collège Macdonald), qui enseignera et fera de la recherche en systématique et évolution des insectes. En 1957, D. Keith McEwan Kevan (Ph.D. 1956, University of Nottingham) est engagé comme professeur chercheur et comme successeur de DuPorte à la direction du Département d’entomologie. Productif, Kevan dirigera de nombreux étudiants et fera de la recherche sur les orthoptères. Il introduira aussi l’étude des arthropodes du sol comme programme de recherche majeur en écologie des insectes.

En 1961, la collection Lyman, jusqu’alors logée au campus de Montréal de l’Université McGill (Redpath Museum), est transférée au Collège Macdonald. Le poste de curateur du Musée Lyman est confié à Vernon R. Vickery (Ph.D. 1964, Collège Macdonald) qui enseignera les cours de systématique des insectes et d’apiculture. En 1966, Robin K. Stewart (Ph.D. 1966, University of Glasgow) devient professeur du cours d’écologie des insectes et fera de la recherche en écologie des insectes des vergers. Stewart formera de nombreux chercheurs en entomologie et deviendra directeur du Département d’entomologie en 1975. La formation en entomologie au Collège Macdonald est perturbée à la fin des années 1960 et dans les années 1970 (comme la plupart des programmes universitaires au Québec) par la création du cégep John Abbott sur le campus. Le programme d’entomologie fait face au déclin du recrutement étudiant et lutte pour ses postes d’enseignants, plusieurs chercheurs postdoctoraux et chargés de cours étant recrutés pour enseigner durant cette période. Cependant, en 1972, Kevan recrute le professeur Stewart B. Hill (Ph.D. 1969, University of West Indies, Trinidad) qui fera de la recherche sur l’entomofaune du sol. Hill sera surtout connu comme fondateur de Ecological Agriculture Projects (EAP). En 1977 et 1978, Bill Yule (Ph.D. 1962, University of Nottingham) et David J. Lewis (Ph.D. 1976, Memorial University, St. John’s, Terre-Neuve-et-Labrador) seront aussi recrutés comme professeurs spécialistes en entomologie.

La vocation du Campus Macdonald de l’Université McGill s’est grandement diversifiée au cours des récentes décennies. Des entomologistes sont actifs à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’environnement, notamment au Plant Science Department ainsi qu’au programme de ressources naturelles qui est axé sur la conservation et l’aménagement durable. Des cours en systématique des insectes et en phylogénie et diversité des insectes y sont offerts. La professeure Jacqueline Bede (Ph.D. 2000, University of Toronto) fait de la recherche avec ses étudiants sur les interactions plantes-insectes et sur la défense végétale avec la légumineuse modèle Medicago truncatula (voir aussi ci-dessous). Terry A. Wheeler (Ph.D. 1991, University of Guelph) est l’actuel curateur du Musée Lyman. Il est professeur en systématique et fait de la recherche en zoogéographie des diptères et sur la biodiversité des milieux naturels. Christopher Buddle (Ph.D. 2000, University of Alberta), professeur depuis 2002, enseigne et fait de la recherche sur l’impact de l’aménagement forestier sur la diversité des arthropodes des débris ligneux.

Université Laval

Dès 1917, Georges Maheux commence à enseigner l’entomologie à l’École forestière (appelée École d’arpentage et de génie forestier à compter de 1919, puis Faculté de foresterie et de géomatique (FFG) et, à compter d’avril 2009, Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique). Il y est resté à titre de professeur pendant plusieurs décennies, partageant ses activités universitaires avec ses responsabilités au MAQ. Lionel Daviault succède à Maheux comme professeur d’entomologie forestière à l’Université Laval en 1943 et y sera éventuellement assisté par Michel Maldague. En 1970, Yvan Hardy devient professeur chercheur d’entomologie forestière à l’Université Laval. Hardy introduit la recherche sur la TBE à la FFG et forme des étudiants au niveau supérieur. À partir de 1985, il occupe des fonctions administratives à Forêts Canada et ensuite à Ressources naturelles Canada. Il est remplacé en 1989 par Éric Bauce (Ph.D. 1989, State University of New York College of Environmental Science and Forestry), qui avait été son étudiant, comme professeur chercheur en entomologie forestière. Bauce a été un chercheur actif et a formé plusieurs étudiants à la recherche en entomologie forestière. Ses travaux en collaboration avec plusieurs chercheurs et professeurs québécois ont porté notamment sur les relations entre les coupes et la sensibilité des sapinières aux infestations de TBE et, plus récemment, sur la résistance des arbres à la TBE. Il a occupé des fonctions universitaires importantes comme doyen de la FFG et est actuellement vice-recteur exécutif et au développement de l’Université Laval. Il est secondé dans l’enseignement en entomologie forestière par Richard Berthiaume (Ph.D. 2007, Université Laval).

L’Université Laval a ajouté l’entomologie au programme de biologie de la FSG à partir de 1943, avec Georges Gauthier et J. André Doyle, aussi employés au MAQ, comme premiers professeurs chargés de cours. En 1950, en biologie, Lionel Daviault et Gauthier développaient le premier programme de cours d’entomologie du niveau de la maîtrise à l’Université Laval. Dès 1952, la Faculté de médecine de l’Université Laval aura des biologistes chercheurs actifs en biochimie des insectes, notamment André Lemonde (Ph.D. 1947, Université Laval), qui fait de la recherche sur les lipides et la nutrition des insectes, appuyé de René Charbonneau (D.Sc. 1961, Université Laval) et de Jean-Louis Villeneuve (D.Sc. 1963, Université Laval). Ce dernier deviendra par la suite le premier entomologiste à s’occuper d’apiculture et de pollinisation au MAQ. À partir de 1962, Lucien Huot, aidé de Wilfrid Corrivault (D.Sc. 1948, Université Laval) et par la suite de Jean-Marie Perron (Ph.D. 1967, Université Laval), introduit la recherche en entomologie au programme de biologie, avec une orientation plus particulière en physiologie des insectes. Le développement de l’entomologie au niveau universitaire francophone, notamment au niveau des 2e et 3e cycles, était alors perçu comme critique. Sur un total d’environ 700 entomologistes professionnels actifs au Canada à cette époque, seulement 35 étaient francophones (Huot et Filteau 1968). Agronome de formation, Huot avait fait son doctorat avec A. Lemonde à l’Université Laval en nutrition minérale des insectes. À partir de 1962, il enseigne l’entomologie générale au 1er cycle à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de Laval (FSAA) et développe le contenu entomologique du programme de biologie de la FSG, où il fait de la recherche sur les effets des substances neuroleptiques sur les insectes en collaboration avec Wilfrid Corrivault. Il dirigera et codirigera aussi des thèses sur les insectes nuisibles aux plantes cultivées, sur les pollinisateurs du bleuet et sur la systématique des fourmis. Habile et diplomate, il occupe des fonctions administratives à divers niveaux, notamment comme doyen de la FSG, et recrute en tant que directeur du Département de biologie une vingtaine de professeurs, terminant sa carrière comme protecteur universitaire. Notons aussi que Huot a été président de la SEQ (1974) et de l’ACFAS (1983).

Jean-Marie Perron a étudié, en codirection avec Lucien Huot et l’entomopathologiste Wladimir Smirnoff du CFL, l’impact de la nutrition minérale sur la sensibilité des lépidoptères au B. thuringiensis (BT). Les toxines du B.t. kurstaki allaient devenir l’agent actif de nombreux biopesticides anti-lépidoptères que le MTF commencera à utiliser contre la TBE dans les années 1970 à l’instigation de Smirnoff, bien que trop timidement à son avis (Smirnoff 1977). Perron enseignera plusieurs cours d’entomologie au programme de biologie de l’Université Laval, notamment la morphologie et taxinomie des insectes et l’apiculture. Il a formé des étudiants à la recherche sur les mimétiques de l’hormone juvénile que des physiologistes notoires comme Caroll Williams, de Harvard University, suggéraient alors comme « pesticides de seconde génération » susceptibles de remplacer les neurotoxines comme substances actives des insecticides futurs. Dans les années 1970, il travaillera également à la restauration des collections d’insectes exclues des édifices gouvernementaux de Québec, particulièrement celle de Léon Provancher. Il deviendra actif en muséologie à partir de 1995 et travaillera par la suite à consolider les collections de l’Université Laval et à écrire sur l’histoire et le développement de l’entomologie au Québec.

En 1972, Jeremy N. McNeil (Ph.D. 1972, North Carolina State University) est recruté en biologie à la FSG par Lucien Huot comme professeur-chercheur en entomologie, spécialiste en écologie des insectes. Dans les décennies qui suivront, ses cours sur les insectes nuisibles et l’écologie chimique seront très appréciés. Chercheur actif, il publie abondamment et est reconnu internationalement pour ses travaux effectués avec ses étudiants, notamment sur la manipulation du comportement de l’hôte chez les parasitoïdes et sur le déterminisme endocrinien de l’activité sexuelle de la légionnaire Pseudaletia unipuncta (Haw.). McNeil a formé de nombreux entomologistes, dont plusieurs sont aujourd’hui des chercheurs ou des professeurs. Il fut actif à l’Université Laval jusqu’en 2003, puis brièvement à l’Université de Montréal, pour enfin retourner comme professeur à l’University of Western Ontario. Conrad Cloutier (Ph.D. 1978, Simon Fraser University) sera recruté par Huot comme professeur en biologie à l’Université Laval en 1976. Ses recherches porteront sur les insectes entomophages dans une perspective de lutte biologique avec, d’une part, le doryphore de la pomme de terre et, d’autre part, la punaise asopine Perillus bioculatus (F.), prédateur naturel des larves de chrysomèles et des chenilles de lépidoptères (Cloutier et al. 2002). Il s’est aussi intéressé aux effets non intentionnels des plantes transgéniques sur les insectes auxiliaires en collaboration avec Dominique Michaud, biochimiste des plantes, et leurs étudiants (Cloutier et al. 2008). Cloutier a aussi collaboré avec André Pettigrew du MAPAQ à Rock Forest et avec Christian Hébert du CFL et leurs étudiants au développement de la lutte intégrée en protection du sapin baumier, abondamment cultivé au Québec comme arbre de Noël (Cloutier et Jean 2002).

En 1992, Jacques Brodeur (Ph.D. 1990, Université Laval) devient le premier professeur chercheur recruté en entomologie au Département de phytologie de la FSAA. Il y enseignera la lutte biologique comme approche de lutte intégrée et formera des étudiants en écologie des ravageurs et sur les mycoses et les entomophages comme agents de lutte biologique. En 2006, Brodeur quitte l’Université Laval et rejoint l’Université de Montréal où il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biocontrôle. Spécialement intéressé à l’impact des interactions multitrophiques en écologie des insectes, il contribue aussi au développement de la lutte biologique en écologie urbaine. En 2008, Brodeur devient président de l’Organisation internationale de lutte biologique (OILB-IOBC), une première pour un entomologiste québécois.

Université de Montréal

Dès 1931, le coléoptériste réputé Gustave Chagnon enseigne la taxinomie des insectes en sciences biologiques comme premier professeur d’entomologie à cette institution. Employé à la Montreal Heat and Light Power, il était un entomologiste collectionneur assidu de Montréal. Il fut l’un des plus grands collectionneurs québécois de son époque, connu pour la diversité de ses intérêts taxinomiques (hémiptères, coléoptères et diptères), à l’opposé de bien d’autres entomologistes de son temps. Actif jusqu’en 1950, il a contribué abondamment à la collection Lyman de l’Université McGill, en plus de celle de l’Université de Montréal.

Le frère Joseph Ouellet csv, diptériste actif et largement reconnu, est aussi chargé d’enseignement au laboratoire de travaux pratiques d’entomologie à l’Université de Montréal. Il contribue largement à l’assemblage de la collection d’insectes de l’université, commencée à l’Institut des Sourds-Muets où il enseignait auparavant. La collection Ouellet-Robert, comptant aujourd’hui environ 1 500 000 spécimens d’insectes, est la plus importante du Québec après la collection Lyman de l’Université McGill. Louise Cloutier, connue pour son intérêt pour les chironomides, en est la curatrice actuelle. Ouellet aurait lui-même collectionné plus de 250 000 spécimens d’insectes, répartis en 10 000 espèces (Bonneau 1999). En 1944, Ouellet a publié 300 ajouts à la faune des diptères du Québec, mais au bilan, il était peu enclin au prestige et a laissé peu d’écrits. En plus d’enseigner à l’Université de Montréal, il fut connu comme membre fondateur de la Société canadienne d’histoire naturelle et ses contributions à l’éducation des jeunes en sciences naturelles et en entomologie ont été soutenues, nombreuses et diversifiées.

À partir de 1935, la morphologie, la physiologie et la parasitologie des insectes sont enseignées à l’Université de Montréal par l’abbé Ovila Fournier. De 1942 à 1956, M.E.R. Bellemare donne les cours d’entomologie appliquée et de toxicologie des insectes. Bellemare était une figure bien connue en répression des insectes, ayant fondé le Canadian Pest Control Operators Conference (Leroux et Paradis 1970). En 1943, J. Lucien Auclair devient professeur de physiologie des insectes. Il quitte son poste en 1953 pour y revenir en 1967 comme directeur du Département des sciences biologiques. Les travaux pionniers de J.L. Auclair sur la nutrition et l’alimentation artificielles des pucerons (Auclair 1963) ont été internationalement reconnus. En 1946, le frère Adrien Robert csv (Ph.D. 1953, Université de Montréal), bien connu pour sa contribution à la faunistique des libellules du Québec, est le premier entomologiste diplômé à enseigner à l’Université de Montréal. Sa thèse porte sur la maladie hollandaise de l’orme. Dès 1947, un premier programme d’études supérieures en entomologie est mis sur pied.

Dans les années 1960, l’entomologie aquatique se développera aussi à l’Université de Montréal avec la venue de Jean-Guy Pilon (Ph.D. 1965, Yale University) qui remplace A. Robert, en 1965, et qui s’intéressera particulièrement aux Odonates du Québec, sujet qui fera éventuellement l’objet d’un livre dont il est le premier auteur (Pilon et Lagacé 1998). L’entomologiste aquatique Pierre Paul Harper (Ph.D. 1971, University of Waterloo) y a aussi enseigné comme professeur à partir de 1970. Il a fait de la recherche notamment sur la systématique et la biogéographie des plécoptères et des éphémères, en plus d’avoir été curateur de la collection Robert-Ouellet.

Au cours des années 1970, les biophysiciens Jean-Louis Schwartz (Ph.D. 1977, Université d’Ottawa) et Raynald Laprade (Ph.D. 1970, Université de Sherbrooke) font de la recherche en collaboration sur les mécanismes cellulaires d’action du B. thuringiensis à l’Université de Montréal, où ils formeront plusieurs étudiants. À la fin des années 1990, Schwartz et Laprade développent le Réseau Biocontrôle, le plus important réseau du genre à avoir existé au Canada et dont plusieurs entomologistes chercheurs québécois actifs en phytoprotection seront membres avec leurs étudiants.

Université de Sherbrooke

Créée en 1954, l’Université de Sherbrooke ajoute l’entomologie à son programme de biologie en 1962, avec Louis-C. O’Neil (Ph.D. 1961, New York State College of Forestry) comme premier professeur. S’y joindront par la suite Jacques Juillet (Ph.D. 1958, New York State College of Forestry) en 1964, l’aphidologiste M.L. Sharma (Ph.D. La Sorbonne, Paris) en 1966 et L. Roland Vallotton (Ph.D. 1969, École polytechnique fédérale, Zurich) en 1969. Louis O’Neil a été président de l’ACFAS et de la SEQ. Les entomologistes de Sherbrooke dirigeront plusieurs étudiants en recherche sur les insectes, qui deviendront par la suite des entomologistes québécois bien connus ; pensons notamment à Domingos de Oliveira et Daniel Coderre de l’Université du Québec à Montréal.

Universités du Québec

En 1968, le gouvernement du Québec crée l’Université du Québec, dont trois filiales recruteront des entomologistes comme professeurs actifs en recherche en écologie des insectes et en lutte biologique. La plus importante est l’Université du Québec à Montréal (UQAM) qui ouvre ses portes dès 1969. Domingos Duarte de Oliveira (Ph.D. 1972, Université de Sherbrooke), à partir de 1974, est le premier professeur d’entomologie au Département des sciences biologiques de l’UQAM. Ses travaux sur les cultures fruitières et la conservation des abeilles sont motivés par le rôle essentiel de la pollinisation dans la productivité des écosystèmes et de nombreuses plantes agricoles majeures. Jean-Claude Tourneur (D.Sc. 1969, Université de Paris VII), avec son expérience africaine en lutte biologique aux cochenilles, s’y joint ensuite en 1976. Tourneur y introduira la recherche sur les coccinelles prédatrices de pucerons. Daniel Coderre (Ph.D. 1984, Université de Sherbrooke) est devenu professeur chercheur entomologiste à l’UQAM en 1982. Ses recherches sont spécialement axées sur les coccinelles comme agents de lutte biologique et sur la pédofaune. Dynamique et productif, Coderre a dirigé de nombreux étudiants aux études supérieures. Fortement impliqué dans l’administration départementale et facultaire, il sera recruté au poste de vice-président à l’enseignement et à la recherche de l’Université du Québec en 2004. Éric Lucas (Ph.D. 1998, Université Laval) rejoint les entomologistes de l’UQAM en 2002 pour y travailler sur les entomophages, notamment sur les interactions interspécifiques et la prédation intraguilde qu’il a étudiée sous J. Brodeur à l’Université Laval. Yves Mauffette (Ph.D. 1987, University of California) deviendra professeur chercheur à l’UQAM en 1986. Il s’intéressera aux interactions plantes-insectes et notamment à la dynamique des défoliateurs forestiers et à leur impact. Tim Work (Ph.D. 2000, Oregon State University) s’est récemment joint à l’UQAM, en 2004. Ses recherches portent sur la conservation de la biodiversité des communautés d’insectes forestiers ainsi que sur l’écologie des espèces invasives.

Des entomologistes ont aussi été très actifs à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), notamment Jean-Pierre Bourassa (Ph.D. 1980, Université de Paris VI), qui a consacré la très grande majorité de sa carrière à l’écologie des insectes piqueurs et en particulier aux moustiques. Avec les microbiologistes Jacques Boisvert (D.Sc. University of Alberta) et Guy Charpentier (Ph.D. 1981, Université de Montréal), Bourassa a notamment collaboré au développement de bioinsecticides à base du B. thuringiensis israelensis dans la lutte contre les mouches noires et les moustiques.

À l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), André Francoeur (D.Sc. 1972, Université Laval) a été professeur d’entomologie pendant plusieurs décennies, secondé de Robert Loiselle. Systématicien de réputation internationale, Francoeur a réuni la plus importante collection de fourmis au Canada avec plus de 300 000 spécimens répartis en 1 300 espèces, dont près d’une trentaine ont été décrites par lui-même. Francoeur est aussi à l’origine de la Corporation Entomofaune du Québec (CEQ) fondée à l’UQAC en 1988 avec pour mission la dissémination des connaissances et des données taxinomiques et faunistiques sur les insectes et autres arthropodes. Notons que l’une des plus récentes contributions de la CEQ concerne les cicadelles (Gareau 2008), un groupe d’homoptères suceurs de plantes d’importance économique notable en agriculture et en horticulture.

L’Institut national de la recherche scientifique (INRS) de l’Université du Québec est la seule université du Québec vouée entièrement à la recherche. Claude Guertin est recruté comme professeur en 1993 à l’Institut Armand-Frappier de Montréal-Laval, l’un des quatre centres universitaires majeurs de recherche de l’INRS. Spécialiste des baculovirus d’insectes, Guertin, assisté de ses étudiants, a contribué au développement d’insecticides biologiques anti-ravageurs, notamment contre la TBE.

À l’Université Concordia, le professeur Paul Albert (Ph.D. 1972, Université du Nouveau-Brunswick) est une figure bien connue en neurobiologie des insectes phytophages. Albert a travaillé notamment sur le comportement d’ingestion des larves de la TBE. L’entomologiste Emma Despland (Ph.D. 2001, Oxford University, UK) est récemment devenue professeure-chercheure en biologie à l’Université Concordia. Particulièrement intéressée au comportement des insectes phytophages grégaires, Despland travaille sur le rôle du grégarisme et de la communication dans les relations plantes-insectes avec comme modèle la livrée des forêts, Malacosoma disstria Hbn., un ravageur épidémique majeur des feuillus.

Les femmes et l’entomologie au niveau professionnel : une histoire récente

Si l’on considère strictement l’occupation de postes de chercheures spécialistes ou de professeures, les femmes ont longtemps été absentes du monde de l’entomologie professionnelle. La première québécoise à obtenir un poste de chercheure scientifique au gouvernement du Canada en entomologie est Johanne Delisle, en 1986, tel que déjà mentionné (voir ci-dessus). Michèle Roy (Ph.D. 2002, Université Laval) est aussi l’une des entomologistes professionnelles les plus remarquables du Québec. Recrutée au MAPAQ pour s’occuper du dépistage en verger fruitier après sa maîtrise à l’University of Guelph, elle a ensuite oeuvré temporairement à l’IRDA, puis est devenue responsable de l’entomologie au Laboratoire de diagnostic en phytoprotection du MAPAQ, poste qu’elle occupe toujours. Ses recherches doctorales à l’Université Laval, réalisées en parallèle avec ses activités au MAPAQ, ont porté sur le tétranyque Tetranychus mcdanieli McGregor et les agents de lutte biologique associés, notamment la coccinelle Stethorus punctillum (Weise). Depuis plusieurs années, Roy collabore activement à l’enseignement de l’entomologie et à la formation d’étudiants à la recherche à la FSAA de l’Université Laval. Dynamique et active, Roy a aussi été la première femme présidente de la SEQ en 1991.

Agathe Cimon (M.Sc. 1984, Université Laval) est recrutée au MRNF en 1986 pour y étudier l’impact de l’aménagement et de la récolte sur la biodiversité en milieu forestier. Son intérêt pour l’exploitation forestière en mosaïques, approche pouvant réduire la sensibilité des forêts aux ravageurs, lui a valu en 2005 la Distinction Henri-Gustave-Joly-de-Lotbinière de l’Ordre des ingénieurs forestiers. À partir de 1990, Hélène Chiasson (Ph.D. 1990, Collège Macdonald) travaille sur les biopesticides à base de végétaux, notamment le chénopode, en collaboration avec l’acarologiste Noubar Bostanian et l’entomologiste Charles Vincent au CRDH de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Au milieu des années 1990, le nombre de femmes chercheures actives en entomologie augmente rapidement. Mentionnons, entre autres, Lucie Royer (Ph.D. 1993, Université Laval), aujourd’hui au Service canadien des forêts à St. John’s, Terre-Neuve-et-Labrador, où elle travaille sur les ravageurs forestiers. Josée Boisclair, chercheure à l’IRDA, est spécialiste des cultures maraîchères. Silvia Todorova (Ph.D. 1998, UQAM) s’intéresse à la lutte biologique basée sur le myco-entomopathogène Beauveria bassiana. Madeleine Chagnon (Ph.D. 1999, UQAM), qui a fait un doctorat sur la diversité des collemboles dans les érablières, s’intéresse au déclin actuel des abeilles et de leur efficacité comme pollinisateurs majeurs des plantes cultivées. Marjolaine Giroux (Ph.D. 2007, Collège Macdonald) a étudié avec T. Wheeler la systématique des diptères sarcophages. Bien connue également comme éducatrice à l’Insectarium de Montréal pendant 10 ans, Giroux est parmi les premières québécoises à avoir obtenu un doctorat en systématique des insectes. Oeuvrant soit dans les institutions, soit au secteur privé, en collaboration avec les services de recherche publics, la majorité d’entre ces femmes sont impliquées en recherche liée à la protection des plantes cultivées ou des essences forestières.

En ce qui concerne l’enseignement et la recherche universitaires, Felicity E.A. Cutten-Bensink (Ph.D. 1969, Collège Macdonald, insectes aquatiques) et Hai Choo Lim-Smith (Ph.D. 1972, Collège Macdonald, cytotaxonomie des insectes) sont certainement parmi les premières femmes à avoir obtenu un doctorat en entomologie au Québec, la première ayant acquis le rang de professeure en 1977, vers la fin de sa présence au Collège Macdonald. Parmi les femmes actives en recherche et en enseignement universitaire actuellement, ont déjà été mentionnées ci-dessus : Jacqueline Bede (Plant Science, campus Macdonald de l’Université McGill), Emma Despland (Université Concordia) et Madeleine Chagnon (chargée de cours et professeure associée à l’UQAM). Mentionnons en plus Jade Savage (Ph.D. 2004, Collège Macdonald), qui a joint le Département de sciences biologiques de l’Université Bishop en 2004 et qui poursuit ses travaux sur la systématique et la biogéographie des Diptères, ainsi que Valérie Fournier (Ph.D. 2003, Université Laval) qui a été recrutée en 2007 comme entomologiste spécialiste en écologie urbaine au Département de phytologie de l’Université Laval.

Conclusions

Ce bref survol historique montre que l’entomologie et les entomologistes ont occupé au Québec depuis 150 ans une place importante dans le développement des connaissances sur les insectes en général et, en particulier, sur la protection des plantes cultivées et des forêts contre les insectes ravageurs. Au XIXe siècle, les entomologistes pionniers étaient peu nombreux et ceux dont l’héritage nous est parvenu étaient des naturalistes, souvent des religieux, qui observaient et collectionnaient abondamment les insectes. Aujourd’hui, bien que l’intérêt pour la faunistique et la systématique n’ait pas disparu, très peu d’entomologistes professionnels sont actifs dans ces spécialités. La croissance économique phénoménale qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a favorisé l’implication de l’État dans tous les secteurs de la société, notamment dans les services publics en agriculture et en foresterie, qui sont les principaux secteurs traditionnels d’activité des entomologistes professionnels. Au cours des 10 ou 15 dernières années, plusieurs entomologistes ont été actifs comme professeurs dans près d’une dizaine d’institutions universitaires, ou comme chercheurs scientifiques dans deux centres de recherche majeurs du gouvernement fédéral, ou encore comme professionnels dans les services publics reliés à la protection des cultures et des forêts. Ces activités se révèlent abondamment au nombre d’étudiants chercheurs, d’assistants de recherche et de chercheurs établis qui présentent leurs découvertes aux réunions scientifiques, comme la réunion conjointe 2008 de la SPPQ-SEQ qui a marqué ce centenaire. En participant à un tel événement, force est de constater que l’entomologie est une science naturelle en plein essor ici et que, de toute évidence, les étudiants chercheurs en entomologie sont devenus aujourd’hui les principaux moteurs du développement de connaissances nouvelles dans cette discipline au Québec.

Cependant, la question se pose à savoir si l’entomologie pourra se maintenir et progresser encore davantage au Québec durant le XXIe siècle comme une science de base majeure en protection des cultures et des forêts, tel que l’entomologiste provincial Georges Maheux en affirmait l’importance dans les années 1930. La réponse à cette question n’est pas évidente face au renouveau générationnel en cours dans notre société et dans un contexte économique incertain. À défaut de pouvoir y répondre directement, nous résumerons brièvement la tendance actuelle que nous percevons en ce qui concerne le maintien de l’entomologie comme expertise au niveau professionnel dans les services publics, dans les universités et dans les centres de recherche, où elle occupait encore récemment une position visible.

Au Québec, au niveau fédéral, les ressources humaines en recherche sur les insectes sont restées substantielles et stables, notamment du côté forestier, dans un contexte où la pression des ravageurs récurrents comme la TBE cède le pas à celle des risques liés aux ravageurs exotiques invasifs et aux conséquences prévisibles (ou imprévisibles) du réchauffement climatique. Au CFL, en 2004, huit entomologistes étaient encore actifs en recherche, nombre représentatif des deux ou trois dernières décennies. Au niveau provincial, au MRNF, l’expertise entomologique au niveau professionnel serait en déclin et le recrutement limité au niveau technique (Cusson et Brodeur 2004).

Pierre Therrien (Ph.D. 1986, University of British Columbia) a été recruté au MRNF comme entomologiste en 1989, où il est toujours actif au Service des relevés et des diagnostics (Direction de l’environnement et de la protection des forêts). Ses travaux ont porté sur le contrôle des charançons ravageurs et sur l’amélioration des inventaires d’insectes forestiers et des pépinières. Louis Morneau (M.Sc. 2002, University of Alberta) a été recruté comme entomologiste au Service des relevés en 2002. Morneau a contribué à la coordination des prévisions concernant les ravageurs récurrents comme la TBE et à la définition des mesures à prendre face aux ravageurs envahissants, notamment l’agrile du frêne Agrilus planipennis Faimaire.

Notons aussi qu’à la division de la faune du MRNF, le systématicien et naturaliste Jean Denis Brisson (Ph.D. 1978, University of Guelph) est depuis 2003 spécialiste des insectes au sein du programme de la biodiversité. Brisson est l’auteur d’ouvrages de vulgarisation sur les insectes associés aux plantes cultivées (Brisson 1994 ; Brisson et Fréchette 1992). Membre actif de l’AEAQ, il s’intéresse de près aux espèces exotiques introduites, y compris à la surveillance des ravageurs potentiels des plantes.

En ce qui concerne la SOPFIM, dont le MRNF est un sociétaire majeur et dont la principale activité est la répression des ravageurs (en particulier la TBE), Richard Trudel y travaille comme entomologiste depuis 2007, de même que le forestier Alain Dupont (M.Sc. 1990, Université Laval). Dupont a travaillé à la modélisation des relations (encore incertaines et fondées sur des hypothèses non vérifiées) qui devraient exister entre les pertes attribuables à la TBE et l’impact des interventions insecticides, dont l’effet protecteur varie et dépend notamment de l’âge des peuplements traités (Dupont 2006).

Du côté des services publics en agriculture, le nombre d’entomologistes chercheurs semble également stable au CRDH de Saint-Jean-sur-Richelieu, bien qu’à un niveau faible et qu’on peut qualifier de critique relativement au passé de cette institution majeure de recherche en entomologie, où près d’une dizaine d’entomologistes étaient actifs au temps de Charlie Petch et d’André Beaulieu. Au MAPAQ, des entomologistes avec une expertise en recherche sur les insectes figuraient encore récemment parmi les experts, mais leur nombre est en déclin. La création, il y a 10 ans, de l’IRDA, dont le MAPAQ reste un sociétaire majeur, semblait avoir pris le relais avec quelques entomologistes chercheurs dans ses rangs (voir ci-dessus), mais le caractère partenarial de l’IRDA, impliquant notamment l’UPA, n’est pas une garantie évidente du soutien de la recherche indépendante parmi les activités de ses chercheurs. La venue récente des Clubs d’encadrement technique et des Clubs agroenvironnementaux en agriculture a peut-être favorisé le déclin des activités entomologiques professionnelles. Ces partenariats bénéficient d’un soutien important du MAPAQ, mais dans un contexte professionnel évoluant hors des services publics. La spécialisation d’agronomes compétents en entomologie au niveau de la maîtrise ou du doctorat y est sans doute moins intéressante que dans les services publics traditionnels.

Dans les institutions universitaires, le nombre de professeurs chercheurs spécialistes en entomologie qui sont actifs paraît stable dans l’ensemble, mais montre des signes de déclin récent dans les institutions situées à l’extérieur de la région métropolitaine. À l’Université Laval, par exemple, sur trois entomologistes actifs en biologie en 1990, il n’en reste qu’un seul et le maintien de l’entomologie au programme, ne serait-ce qu’au niveau de l’enseignement du 1er cycle, est très incertain dans le contexte des difficultés financières persistantes des universités. Le déclin apparent de l’entomologie dans un programme de biologie à forte teneur en écologie peut sembler paradoxal devant l’intérêt public pour les sciences naturelles et le fait que les insectes sont les organismes terrestres qui sont de loin les plus diversifiés. Cette situation nous semble explicable en termes de l’incertitude et du déclin des opportunités professionnelles. En effet, si les services publics et les partenariats publics-privés ne recrutent que très peu ou pas de professionnels compétents en entomologie, pourquoi les universités devraient-elles en former aux études supérieures, alors qu’il y a si peu de place pour eux dans la vie professionnelle au niveau privé, sauf dans le domaine de la répression des insectes nuisibles avec des insecticides ?

Notons toutefois que les institutions qui ont traditionnellement offert des programmes avec formation de base en entomologie (agronomie, biologie, foresterie) ont de plus en plus tendance à les identifier en faisant référence à l’environnement, à la protection intégrée des ressources naturelles, ou à leur exploitation durable, ou encore à la conservation de la biodiversité. Dans ces étiquettes de programmes élargis, les organismes qui sont les objets les plus directement observables des écosystèmes (insectes, plantes vasculaires, mammifères, etc.) ne sont plus manifestement identifiés comme étant au centre de la formation, comme c’était le cas dans les programmes traditionnels. Dans un contexte impliquant le déclin du recrutement étudiant aux études supérieures, il semble que les termes entomologie, phytologie et autres descripteurs traditionnels similaires ne soient plus perçus comme étant suffisamment porteurs des sciences qu’ils représentent auprès des étudiants visés, auprès des directeurs de programmes, voire auprès des professeurs et chercheurs qui en sont des spécialistes. Comme les concepts de recherche et de développement ont tendance à être surpassés dans le subventionnement universitaire par ceux de découverte et d’innovation, il est devenu plus actuel d’entendre parler de l’entomologie comme de la science des arthropodes ou des entomologistes comme des spécialistes de la biodiversité.

Dans un essai à venir, et qui fera suite à celui-ci, nous analyserons les influences récentes et les perspectives majeures qui se dessinent quant au développement futur de l’entomologie dans le contexte québécois, lequel est évidemment de plus en plus tributaire du contexte global. L’objectif sera de préciser les développements majeurs dans le secteur des ressources naturelles qui, selon nous, détermineront le profil des entomologistes québécois du futur, leur rôle comme professionnel en protection des plantes et des ressources forestières contre les ravageurs et, par extension, celui des connaissances des organismes fascinants que sont les insectes qu’ils devraient acquérir au cours de leur formation.