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La libéralisation économique qui s’est produite au Mexique dans les années 1980 et 1990 a provoqué de profondes modifications dans le monde rural mexicain. Si les résultats socioéconomiques ont été amplement étudiés dans ce pays et dans les pays voisins, peu nombreux sont les géographes qui se sont penchés sur les conséquences de ces changements dans les territoires ruraux. Le nouveau contexte économique, politique et social a cependant provoqué de fortes restructurations (Hiernaux-Nicolàs, 1998 : 92 ; Calva et Aguilar, 1995 : 14). Cet article tentera de démontrer, à travers l’exemple du développement d’une région de l’ouest du pays, que le dualisme constaté au niveau économique et productif dans le secteur agraire (Schwentesius, 2004 : 62 ; Puyana et Romero, 2004 : 22-24) et souvent adapté au territoire rural mexicain (Morales, 1999 : 989-991 ; Veeman et al., 2002 : 312-314), mérite d’être nuancé.

Libéralisation et restructuration territoriale

Lors du sexennat de Lazaro Cardenas (1936-1940), de nouvelles régions comme les Terres chaudes de l’État de Michoacán ou la Vallée du Río Yaqui dans le nord du pays ont bénéficié d’importants investissements publics, en particulier d’infrastructures pour l’irrigation, qui leur ont permis de se tourner vers des productions spécifiques (cultures maraîchères, productions animales) (Puyana et Romero, 2004 : 20 ; Sanderson, 1990 : 77). Elles ont rejoint d’autres régions anciennement consacrées aux cultures céréalières, plaines et hauts plateaux étendus comme le Bajío et le plateau de Puebla-Tlaxcala, qui ont progressivement adopté la culture de fruits et légumes. De nombreuses autres régions (zones montagneuses ou désertiques, régions tropicales) dans lesquelles prédominaient les petites exploitations, sont restées en marge, cantonnées aux cultures vivrières et à l’élevage extensif.

Au cours des décennies 1980 et 1990, les politiques d’ajustement structurel appliquées au Mexique ont marqué l’ouverture économique du pays dans un contexte mondial de globalisation et d’application du modèle néolibéral. Le désengagement de l’État du secteur primaire, l’encouragement aux investissements étrangers, la privatisation des agroindustries nationales et l’ouverture des frontières avec l’Uruguay Round en 1986, ont été suivis de deux mesures particulièrement significatives : la réforme de la Constitution à l’article 27, en 1992, qui a permis le changement de statut des ejidos, symboles de la Réforme agraire, et l’entrée en vigueur de l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA) signé en 1994 entre les trois pays de l’Amérique du Nord, Mexique, États-Unis et Canada (Musset, 1994 : 28-32, 45-51 ; Calva, 1996 : 31-33). En quelques années, l’abolition des mesures protectionnistes et la disparition ou la réduction des barrières douanières entre le pays et ses voisins du nord ont fait passer le Mexique d’une économie fermée à une économie ouverte (Dussel, 1997 ; Dabat, 1994 ; Rivera, 1992 ; Sarmiento, 1999).

Au Mexique, l’ALENA, l’accord le plus significatif du processus de libéralisation, avait comme objectifs d’augmenter les investissements étrangers et nationaux dans le domaine agraire, de développer les productions agricoles et d’élevage et d’accroître la compétitivité de l’agriculture (Calva, 2001 : 12). Il devait aussi permettre d’écouler des productions vers l’important marché nord-américain, assurant ainsi un développement économique fort et soutenu, de façon à décourager l’émigration vers les États-Unis (Puyana et Romero, 2004 : 37). Comme le soulignent plusieurs auteurs (Schwentesius et Gomez, 2002 : 19-20 ; Rubio, 2004 : 22 ; Alvarez, 2006 : 36), en ce qui concerne le secteur agraire, l’accord a surtout privilégié les États-Unis, pays qui, grâce à sa forte productivité, aux coûts de production modérés permis par la mécanisation des travaux agricoles et aux fortes subventions accordées au secteur primaire, peut exporter à bas prix. Les exportations vers le Mexique ont donc augmenté. Le Service de recherche économique du Département de l’agriculture des États-Unis signale, dans ses statistiques, une augmentation de 147 % des exportations en valeur entre la période 1991-1993 et 2003-2005 (ERS, USDA). Pour le maïs, produit de consommation de base au Mexique, les exportations en valeur sont passées de 104 millions de dollars de moyenne annuelle pour la période 1991-1993 à 667 millions pour 2003-2005, soit une augmentation de 542 % (ERS-USDA). L’arrivée massive de productions agricoles à bas prix sur le marché mexicain a provoqué une baisse ou une stagnation des prix de nombreux produits nationaux, en particulier le maïs, les produits laitiers et la viande (Cornelius, 2003 : 294). Ce phénomène a coïncidé avec la disparition de la plupart des prix de garantie, la diminution des investissements publics dans le secteur agraire et la réduction des crédits (Calva, 2001 : 14). Les nombreuses petites exploitations qui pratiquaient la culture du maïs et l’élevage sont devenues de moins en moins rentables, donnant lieu à plusieurs phénomènes interdépendants  : déprise agraire, repli des paysans vers un élevage et des cultures d’autosubsistance, exode rural (Schwentesius et al., 2004 : 59-61). Contrairement à ce qui était souhaité, l’émigration a augmenté : les petits producteurs appauvris se sont dirigés vers les usines du nord du pays en pleine expansion (maquiladoras) et surtout vers les États-Unis (Cornelius, 2003 : 294-295).

Face aux exploitations qui se sont repliées vers une agriculture pluviale peu lucrative et destinée à l’autoconsommation, d’autres se sont spécialisées dans des cultures d’exportation à haute valeur ajoutée et ont vu se développer une forte activité agroindustrielle, s’intégrant ainsi au marché international (Léonard et Palma, 2002/1 : 155 ; Echánove, 2004 : 208-209). Le contraste préexistant entre régions agraires productives et régions pauvres s’est donc renforcé, comme conséquence des mesures économiques des années 1980-1990. L’apparition de bassins productifs, favorisés par les nouvelles conditions économiques grâce à la croissance de productions spécifiques, pousse cependant à reconsidérer la bipolarité constatée par certains agronomes et économistes dans le secteur agraire et dans les territoires mexicains (Schwentesius, 2004 : 62 ; Puyana et Romero, 2004 : 22-24 ; Morales, 1999 : 989-991 ; Veeman et al., 2002 : 312-314).

Le Mexique possède sans aucun doute des avantages pour plusieurs types de productions. Les conditions climatiques de certaines régions permettent la culture de fruits tropicaux (melons, ananas, bananes, mangues) qui ne donnent pas ou donnent peu de résultats dans les pays voisins (Schwentesius, 2002 : 29). Par ailleurs, la présence d’une main-d’oeuvre bon marché et nombreuse permet de faire baisser les coûts de production de cultures seulement en partie mécanisables, comme les légumes, les fruits et les cultures maraîchères. Des régions comme le Bajío et les grandes vallées des États du nord (Sinaloa et Sonora) pratiquent intensivement ces cultures depuis les années 1940 et 1950, grâce à l’eau d’irrigation dont ils disposent (Sanderson, 1990 : 78). Les exportations de fruits et légumes frais vers les États-Unis, qui existaient depuis cette époque et même antérieurement, se sont renforcées avec l’ALENA et l’ouverture des frontières. Le Mexique a augmenté surtout ses exportations de fruits et légumes hors saison, qui ne font pas concurrence aux productions nationales américaines (Veeman 2002 : 317), et il est aujourd’hui le premier exportateur de fruits et légumes frais aux États-Unis. Le pays voisin est son premier client pour ce type de produits, malgré une timide ouverture vers les pays européens et l’Asie. La valeur des exportations agricoles vers les États-Unis a augmenté de 187 % entre la période 1991-1993 et la période 2003-2005, surtout grâce à ces deux types de produits : 251 % en ce qui concerne les fruits frais et les préparations à base de fruits, et 191 % pour les légumes frais et préparés (ERS, USDA).

Cependant, les études faites sur ces cultures d’exportation et sur les régions dans lesquelles elles se développent présentent souvent un bilan négatif. Robert Alvarez, qui a étudié les conditions d’exportation des mangues depuis les États de Guerrero et Sinaloa et des citrons obtenus dans l’État de Veracruz (Alvarez, 2006), souligne les inégalités qu’engendre le libre échange. Selon son étude, seuls les producteurs et les agroexportateurs qui peuvent respecter les strictes mesures imposées par les États-Unis pour les produits d’exportation – c’est-à-dire ceux qui peuvent se permettre les investissements nécessaires – sont avantagés. Alvarez constate par ailleurs qu’à travers ces mesures, les États-Unis exercent un contrôle strict sur le marché des fruits et légumes frais en général. Stanford (1994) qui a étudié l’évolution des exportations mexicaines de cultures maraîchères au moment de la mise en place de l’ALENA, a également constaté une augmentation de la concentration des marchés d’exportation entre les mains d’entrepreneurs privés locaux. Echánove, dans son travail sur les productions maraîchères dans l’État de Guanajuato, signale pour sa part que «les avantages comparatifs que possède le Mexique pour la majorité des légumes ont sauvé le marché national du raz-de-marée des importations» (2004 : 216). Mais elle indique aussi que les mesures économiques adoptées depuis le milieu des années 1980 lèsent ces producteurs et que, comme dans le cas des fruits frais, les gains sont concentrés surtout entre les mains de quelques agroindustriels qui préparent et conditionnent les produits.

De nombreux auteurs soulignent par ailleurs les problèmes causés par l’expansion de ce type de cultures : maladies des plantes et pollution des terres (Ibid. : 216 et 226), érosion des sols, assèchement des nappes aquifères, développement et transmission rapide des maladies dans le cas de la monoculture d’oignons dans l’État de Morelos (Barros, 2000 : 345). Le suremploi des pesticides, l’intoxication progressive des journaliers agricoles qui en découlent, la contamination des eaux par les différents produits chimiques utilisés, la salinisation des eaux d’irrigation, ainsi que la disparition d’une faune et d’une flore spécifiques sont autant d’autres problèmes graves inhérents à ces cultures (Abler et Pick, 1993 : 794). Dans les régions anciennement consacrées aux céréales qui se sont spécialisées depuis une cinquantaine d’années dans les cultures maraîchères et fruitières, les dynamiques de développement renforcées par la libéralisation commerciale ont mené à la surexploitation des eaux et des sols et à des pollutions multiples qui menacent la persistance d’un modèle durable de croissance. C’est le cas dans le Bajío, région située dans le centre-ouest du pays, spécialisée dans la culture de fruits et légumes d’exportation – dont les fraises de Zamora et les brocolis et choux-fleurs de Guanajuato – et dans l’industrie agroalimentaire (porciculture de La Piedad). Les eaux et les couches superficielles des sols y sont extrêmement polluées, tant par les déchets industriels et urbains que par les produits chimiques utilisés dans l’agriculture (Boehm, 2005 : 387). Ces produits provoquent par ailleurs des dégâts irréversibles à la santé des travailleurs (Seefoó, 2005).

Une nouvelle région agraire dynamique : la ceinture d’avocatiers du Michoacán

La région d’étude, située dans l’État de Michoacán, dans l’ouest du Mexique, présente un intérêt particulier pour une étude géographique, dans la mesure où elle a connu de profonds changements dans son organisation territoriale lors des dernières décennies. Contrairement à d’autres régions, comme le Bajío voisin, exploité depuis des siècles en raison de conditions climatiques et topographiques favorables et où les cultures d’exportation se sont substituées à d’autres cultures, la région montagneuse avait été occupée jusqu’alors de façon extensive seulement : clairières de céréaliculture de subsistance, élevage extensif et exploitation des ressources forestières. Dans les années 1960, quand les habitants de cette partie de l’axe néo-volcanique se sont engagés dans un créneau de production – la culture des avocatiers – pour lequel la région bénéficie d’avantages comparatifs, le bouleversement a donc été total. Parallèlement aux nombreuses études agronomiques menées pour améliorer les conditions culturales, les travaux récents effectués dans cette région sur la dynamique de croissance de la culture traitent surtout des conséquences économiques ou présentent un état des lieux de la situation régionale évoquant les techniques de culture et parfois brièvement, les conséquences sociales (Bárcenas, 2002 : 31-50 ; Pardo, 1999 : 254-269 ; Talavera, 1987). Les impacts économiques, sociaux et territoriaux de cette nouvelle culture, dans une région exploitée intensivement depuis quelques décennies seulement, méritent cependant d’être étudiés plus précisément, ainsi que l’articulation de la région productrice avec les régions voisines de l’occident mexicain. Les solutions possibles pour que les modifications profondes qui se sont produites dans l’organisation territoriale se fassent sans rompre l’équilibre environnemental seront également abordées.

Le choix de cette région d’étude s’explique par les caractéristiques qu’elle présente : développement relativement récent des vergers, ouverture du marché d’exportation dans le courant des années 1990, fort dynamisme de la culture des avocatiers. Pour connaître l’histoire et l’évolution de cette région et apporter des explications sur sa situation actuelle, nous avons effectué un travail bibliographique approfondi ainsi qu’une trentaine d’entretiens de durée variable avec des producteurs, des travailleurs journaliers et des personnes chargées de l’essor de la culture de l’avocatier dans différentes administrations et associations[1]. Les ingénieurs agronomes de Sanidad Vegetal, organisme auxiliaire de la SAGARPA (Secrétariat de l’agriculture, de l’élevage, du développement rural, de la pêche et de l’alimentation), en particulier, nous ont fourni de nombreuses informations. L’étude s’est concentrée sur les communes qui se trouvent au coeur de la région productrice d’avocats – Uruapan, Peribán et Tancítaro – en raison à la fois de leur forte productivité et de leur rôle précurseur dans la culture ; c’est dans les deux premières communes qu’elle a commencé dans les années 1960 (figure 1). Nous avons utilisé différentes statistiques, actuelles et des décennies antérieures, provenant de l’Institut national de statistiques, géographie et informatique mexicain (INEGI) et du Département de l’agriculture des États-Unis (USDA). Les chiffres plus précis concernant la culture dans l’État de Michoacán ont été fournis par des associations de producteurs (l’APROAM, Association agricole locale de producteurs d’avocats d’Uruapan, Michoacán, et l’APEAM, Association de producteurs et exportateurs d’avocats de Michoacán). Ces statistiques démographiques et socioéconomiques donnent des éléments qui mesurent, d’une part, les retombées économiques pour la population locale ainsi que les changements provoqués dans les territoires et, d’autre part, les évolutions de la culture et de ses conditions commerciales. L’objectif est de comprendre comment est né et comment s’est développé ce créneau de production rentable, dans une région montagneuse bénéficiant a priori de peu d’avantages comparatifs.

Figure 1

Région d’étude de la ceinture d’avocatiers

Région d’étude de la ceinture d’avocatiers

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Les débuts d’une arboriculture rentable

Située au sud de l’axe néo-volcanique, la région d’étude fut peu prisée des Espagnols pendant l’époque coloniale, parce que les conditions culturales et les productions présentaient un intérêt limité. Peu de grandes propriétés se sont donc formées à cette époque. Au XIXe siècle, l’avocatier était déjà présent dans les vergers, mêlé à d’autres arbres fruitiers. Mais son implantation dans la région d’Uruapan en monoculture à des fins commerciales date de 1961, quand fut réalisée la première greffe, à l’initiative de l’Institut mexicain du café qui mit sur pied un Programme de diversification des cultures dans les zones caféières (Bárcenas, 2002 : 33-38). En quelques décennies, les superficies couvertes par ces arbres prirent des proportions importantes : les avocatiers couvraient 30 979 ha de l’État de Michoácan en 1980 (SIAP). Le climat tempéré et humide et les conditions pédologiques se sont révélés excellents pour une culture qui réclamait peu d’investissements et d’infrastructures et qui pouvait supporter les mois de sécheresse sans irrigation, dans une région où les eaux superficielles sont rares [2]. Un autre avantage était l’existence d’une forte demande sur le marché national, qui donnait aux producteurs la certitude de vendre la totalité de leur récolte. L’avocat est en effet un produit consommé depuis l’époque précolombienne et qui reste essentiel dans la diète et la gastronomie mexicaines ; la consommation annuelle moyenne par personne est de 8,65 kg (Gómez, 2006 : 17).

Dès les premières années, la culture s’est révélée rentable. D’après le témoignage oral d’un ingénieur agronome de Sanidad Vegetal, producteur d’avocats depuis 30 ans, un hectare de maïs permettait d’obtenir 1000 pesos de bénéfices dans les années 1970 alors qu’un hectare d’avocatiers en production rapportait de 15 000 à 17 000 pesos. Les premiers producteurs qui se sont lancés dans la culture se sont donc rapidement enrichis et ont acquis de nouvelles terres. Les avocatiers pouvant être plantés sur des versants escarpés impropres aux autres cultures, les producteurs achetaient, pour des sommes dérisoires, des dizaines d’hectares dont ils obtenaient d’importants bénéfices lors des premières récoltes au bout de quelques années. Les petits producteurs et les ejidataires (bénéficiaires de la Réforme agraire) [3] qui conservèrent leurs propriétés se laissèrent également gagner à la nouvelle culture. En quelques années, les vergers remplacèrent la quasi-totalité des parcelles de céréales – maïs et blé – et des superficies de pâture utilisées pour l’élevage bovin extensif pratiqué traditionnellement dans la région. Depuis Uruapan et Peribán, où étaient apparus les premiers vergers, les arbres se sont étendus aux communes environnantes jusqu’à former une « ceinture d’avocatiers » qui, en 2007, comprenait 22 communes situées dans la moitié centre-ouest de l’État de Michoacán (figure 2).Parallèlement, commença un vaste mouvement de déforestation. Les forêts de résineux et de chênes (encinos), exploitées auparavant pour l’extraction de résine et la vente du bois de construction à des scieries, subirent des coupes massives et incontrôlées au moment où les vergers commencèrent à se développer. D’une part, les avocatiers pouvaient être implantés sur des terrains pentus, où régnaient jusqu’alors les résineux. D’autre part, la demande de bois augmenta : matière première pour la construction de cagettes dans lesquelles étaient transportés les avocats vers les marchés des grandes villes du pays, on l’utilisait aussi dans la fabrication de papier et de cellulose, pour les besoins de l’artisanat et de l’industrie du meuble et dans le secteur de la construction, en cette période de forte croissance démographique.

Figure 2

Municipes producteurs d’avocatiers, 2005

Municipes producteurs d’avocatiers, 2005

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Expansion continue de la culture et transformations territoriales

Dans les années 1980, la croissance de la production d’avocats, qui coïncida avec l’augmentation des coûts de production, l’absence de soutien de l’État et la chute des prix (Mac Nair, 2007), provoqua la saturation de la production nationale et la diminution des bénéfices des producteurs, ce qui poussa ces derniers à conquérir les marchés extérieurs. Les exportations, qui se dirigeaient surtout vers la France, le Canada et le Japon, se renforcèrent avec les années, passant de 11 101 t (cycle 1991-1992) à 42 307 t (cycle 1998-1999) (APROAM). En 1997, la frontière des États-Unis s’ouvrit à nouveau à l’importation des avocats mexicains, après 83 ans d’interdiction pour des raisons phytosanitaires (décret datant de 1914). La norme qui autorisait la reprise de l’importation, publiée au Journal Officiel américain, marquait le résultat d’un effort collectif de plusieurs années entre la Commission de l’avocat de l’État de Michoacán et des chercheurs agronomes de diverses institutions – les plus importantes étant le Comité et les assemblées locales de Sanidad Vegetal – pour démontrer l’absence des insectes responsables de l’interdit d’importation américain (APROAM) [4]. Du côté des États-Unis, l’APHIS (Système d’inspection sanitaire animal et végétal) effectua une analyse de risques et établit la liste des mesures sanitaires et phytosanitaires que devaient adopter les producteurs afin d’éviter toute nouvelle intrusion d’insectes dans les cultures : utilisation d’insecticides, ensevelissement des fruits tombés dans les vergers, vérification par échantillonnages de l’absence d’insectes dans les fruits, à la réception dans les usines d’emballage, etc. L’accord signé par la SAGARPA et l’USDA à la suite de ces opérations autorisait l’exportation des productions dans les vergers certifiés de cinq communes de l’État de Michoacán vers 19 États du nord-est du pays voisin, de novembre à février. Cette période est celle où les productions nord-américaines – principalement obtenues dans l’État de Californie – sont faibles. En 1997, les exportations furent peu nombreuses : 6031 t furent expédiées vers le pays voisin par 60 producteurs (California Avocado Society). Dans les années suivantes, les deux parties étant satisfaites par l’accord, la demande extérieure augmenta, ce qui tira les prix nationaux vers le haut. Le 1er novembre 2001, l’exportation fut autorisée dans 31 États pendant six mois de l’année. À partir du 31 janvier 2005, les avocats mexicains ont pu se vendre toute l’année dans tout le pays, à l’exception des trois États producteurs, Californie, Floride et Hawaï. Finalement, le 31 janvier 2007, le marché de ces trois États s’est ouvert, apportant de nouvelles possibilités aux producteurs mexicains. À ces différentes étapes, correspond une progression continue des exportations : 14 314 t en 1991, 72 960 t en 2001 et 198 023 t en 2006, ce qui équivaut à 19,4 % de la production mexicaine totale (UN comtrade, SIAP). La demande d’avocats est encore en hausse actuellement aux États-Unis grâce à une plus forte consommation du fruit, ces dernières années, surtout dans le sud du pays (El Aguacatero, n° 51). La tendance s’est accentuée avec l’ouverture du marché de la Californie, État où vivent de nombreux émigrés mexicains, grands consommateurs de ce produit. Parallèlement, de nouveaux marchés s’ouvrent ou se développent sur d’autres continents : en 2006, aux côtés des 108 485 t exportées aux États-Unis, 28 807 t sont parties pour le Japon, 17 148 t au Canada, 12 717 t vers les pays de l’Union Européenne, et 26 989 t vers différents pays d’Amérique Centrale (UN comtrade).

Comme conséquence directe de l’ouverture des frontières septentrionales et de la hausse générale des prix entraînée par ce phénomène, s’est produite une expansion généralisée de l’arboriculture, qui s’est substituée à toute autre forme d’utilisation des sols (figure 3). Les arbres fruitiers sont très présents entre 1600 et 2200 m, limites entre lesquelles seules les pentes les plus fortes, difficilement accessibles, et certains petits bassins dans lesquels la stagnation de l’air froid provoque la gelée des récoltes, ne sont pas gagnés par le phénomène. On trouve cependant des plantations jusqu’à 2400 m, altitude au-delà de laquelle les gelées et les basses températures prolongées excluent tout résultat. En deçà de 1200 m, les températures sont au contraire trop douces et favorisent la propagation incontrôlable d’insectes (figure 4).

Figure 3

Superficie plantée d’avocatiers, État de Michoacán, 1990-2006

Superficie plantée d’avocatiers, État de Michoacán, 1990-2006

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Face à l’expansion des cultures, la déforestation s’est encore accrue. Des coupes illégales et massives ont lieu la nuit, dans des forêts isolées. Des incendies, supposés accidentels, « nettoient » des hectares entiers dans lesquels peuvent ensuite être plantés les arbres fruitiers. Les producteurs parviennent également à éviter l’interdiction de déboisement en plantant des avocatiers en dessous des résineux et en faisant progressivement disparaître ensuite ces derniers. Selon la COFOM (Commission forestière de l’État de Michoacán), 797 000 ha ont été déboisés dans l’État de Michoacán entre 1990 et 2005. Et dans la zone d’étude, la déforestation est directement liée au changement d’utilisation des sols, avec 110 000 ha de vergers d’avocatiers qui se sont substitués à des superficies forestières (COFOM, La Jornada Michoacán, 03/02/06). L’autorisation de substitution des forêts par les cultures a été donnée par la SEMARNAT (Secrétariat de l’environnement et des ressources naturelles) dans seulement 5 % des cas, la déforestation étant dans l’immense majorité des cas, illégale.

Figure 4

Vergers d’avocatiers et forêts de résineux

Vergers d’avocatiers et forêts de résineux

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Des bénéfices économiques visibles

Plusieurs indicateurs montrent que l’activité a bénéficié à l’ensemble de la population, bien que de façon inégale. La concentration des terres, commencée dans les années 1960, s’est accentuée au cours des dernières décennies dans cette région où la petite propriété avait toujours été dominante et qui avait donc connu peu de divisions et de créations d’ejidos, lors de la réforme agraire. Anciens propriétaires de scieries, anciens éleveurs ou agriculteurs à la tête de quelques hectares qui se sont enrichis progressivement, les plus gros producteurs possèdent aujourd’hui des dizaines, voire des centaines d’hectares. Connu des fonctionnaires et de la vox populi, ce phénomène de concentration est difficile à vérifier statistiquement, car l’utilisation de prête-noms est répandue et les registres de la propriété, difficilement accessibles. Les gros producteurs sont aussi souvent propriétaires d’usines d’emballage qui fonctionnent à l’échelle nationale et parfois internationale.

La majorité des exploitants possèdent cependant quelques hectares seulement. D’une part, selon les calculs des agronomes de l’APEAM, un hectare planté d’avocats permet d’obtenir un bénéfice annuel d’environ 85 000 pesos. Un petit agriculteur peut donc subsister avec cinq hectares et parfois moins, sans avoir besoin de revenus extérieurs, fait rare dans le secteur agraire mexicain. D’autre part, l’activité, source d’emplois, a bénéficié à d’autres secteurs de la population, ce qui se reflète dans l’évolution démographique. L’étude de la population des communes où s’est développée la culture de l’avocatier avec le plus de force ces dernières années montre un taux de croissance positif, important pour le milieu rural mexicain, ce qui indique une stagnation ou une diminution de l’émigration. À l’opposé, des communes proches de la Sierra Purhépecha, dans lesquelles la culture est inappropriée en raison de l’altitude, présentent des taux faibles, voire négatifs (tableau 1). Des migrations pendulaires, courantes mais difficiles à mesurer, ont d’ailleurs lieu entre les deux régions. On estime en effet que la culture de l’avocatier a créé, dans la région, 50 000 emplois, temporaires ou permanents, auxquels s’ajoutent ceux des 14 000 producteurs. Un coupeur d’avocats spécialisé peut facilement trouver du travail quasiment toute l’année dans les vergers : payé en fonction du nombre de caisses récoltées, il touche approximativement 100 pesos par jours, soit plus du double du salaire minimum mexicain (47,60 pesos au 1er janvier 2007). Les possibilités d’emplois non qualifiés se sont également multipliées dans les parcelles, dans le secteur de la construction et dans les commerces ayant rapport ou non avec l’agriculture. Entre 1994 et 2004, le nombre de personnes travaillant dans le secteur commercial a doublé dans trois des principaux centres productifs d’avocats : de 229 à 537 à Tancítaro, de 451 à 970 à Peribán et de 544 à 1002 à San Juan Parangaricutiro. Des usines d’empaquetage pour les marchés national et international, sources d’autres emplois, ont fleuri dans les principales villes productrices et au milieu des vergers ; on estime leur nombre total à une centaine, dans l’ensemble de l’État. La demande de travailleurs qualifiés – ingénieurs, techniciens, personnel administratif – est également en hausse.

Tableau 1

Taux de croissance démographique entre 1990 et 2005 dans quelques communes de la ceinture avocatière

Nom de la commune pratiquant la culture d'avocats

Population 1990

Population 2005

Taux de croissance (%) annuel moyen 1990-2005

Salvador Escalante

9 852

13 069

1,9

Nuevo Parangaricutiro

9 765

12 710

1,77

Tancítaro

3 653

5 478

2,74

Peribán

9 179

13 654

2,68

Uruapan

187 623

238 975

1,63

Sans culture d'avocats

 

Cherán

11 846

12 331

0,27

Paracho de Verduzco

14 322

16 816

1,08

Chilchota

10 494

7 206

-2,47

Source: INEGI, Archivo Histórico de Localidades, 1990 et 2005

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La qualité de l’habitat reflète aussi cette augmentation du niveau de vie. Les maisons ont gagné en confort et en services, comme en témoignent les statistiques du CONAPO (Conseil national de population) à l’échelle municipale (tableau 2). Dans les villages et les petites villes, les rues pavées ou en terre battue ont été asphaltées et dotées de trottoirs, tandis que les commerces et les services, liés ou non à l’agriculture, se sont multipliés pour répondre à une demande croissante.

Tableau 2

L'évolution des conditions de vie dans la commune de Tancítaro

Variables socioéconomiques

1990 (%)

2000 (%)

État de Michoacán 2000 (%)

Population de 15 ans et plus analphabète

24,4

20,41

13,9

Population de 15 ans et plus qui n'a pas fini l'école primaire

68,95

57,76

40,19

Maison particulière sans égout ni WC

26,83

11,85

2,74

Maison particulière sans électricité

35,25

7,65

2,68

Maison particulière sans eau potable

32,59

16,82

1,63

Maison particulière avec sol de terre battue

44,13

32,94

19,9

Population qui gagne deux salaires minimums ou moins par famille

76,4

70,31

57,29

Source: CONAPO, Marginación municipal, 1990 et 2000

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Comme le transport des avocats s’effectue essentiellement par route, de nombreuses voies de communication ont été modernisées. En effet, les expéditions se font par camion jusqu’à la destination finale au Mexique, aux États-Unis et au Canada (dans 95,7 % des cas pour les productions du cycle 2006-2007) ou jusqu’aux ports d’embarquement (le transport par bateau représentait 4,3 % du transport de l’avocat pour ce même cycle). Les travaux sont financés par les autorités municipales et l’État de Michoacán, avec l’appui du Secrétariat de la communication et des transports, pour les voies les plus importantes. Ont été rénovées les routes qui relient les principales villes productrices – Uruapan et Tancítaro, Uruapan et Peribán –, la route qui joint Los Reyes à Jacona et permet d’intégrer la région aux grandes routes de l’ouest et du nord du pays (Mexico / Guadalajara / États du nord du Mexique) et l’autoroute qui relie Uruapan à Lazaro Cardenas. Cette ville portuaire du Pacifique en pleine croissance, où sont embarqués les avocats pour l’Europe, le Japon et la Chine, a supplanté en grande partie le port de Manzanillo pour l’expédition de ce type de produits. Les voies goudronnées, qui dans un premier temps ont remplacé des pistes puis ont été élargies, ont aidé au désenclavement de la région montagneuse, longtemps éloignée des grands pôles agricoles du pays. De nombreux chemins secondaires, reliant les principaux hameaux producteurs d’avocats aux agglomérations principales, ont également été goudronnés, afin d’augmenter la qualité de transport d’un fruit délicat qui ne doit souffrir aucun dommage, en particulier lorsqu’il est destiné à l’exportation.En quelques décennies, l’organisation territoriale de la région de Uruapan, Peribán et Tancítaro s’est donc profondément modifiée, et les paysages se sont transformés. Les vergers d’arbres fruitiers ont fait reculer les limites des forêts de résineux vers le haut des versants et ont remplacé les cultures de céréales et les pâtures dans les zones planes et sur les bas versants. La ville d’Uruapan est devenue un centre économique important et les bourgs de Peribán et Tancítaro, qui pendant des siècles avaient vécu isolés et repliés sur leurs activités traditionnelles, se sont rapidement modernisés. Une activité intense d’emballage des fruits, de contrôle de leur qualité, de commerce et de transport, s’y est développée, avec ses cohortes d’ingénieurs agronomes, d’ouvriers, de journaliers et de commerçants. Reliée aux principaux axes de communication, la région s’est largement ouverte sur le reste du pays puis sur ses voisins du nord, sur l’Europe et sur l’Asie. L’étude de cette région, relativement isolée et peu attractive pendant des siècles et qui constitue aujourd’hui un pôle en plein développement au sein de l’occident mexicain, montre qu’il existe une grande diversité de situations et d’évolutions possibles parmi les régions rurales. Elle atteste que des conditions culturales a priori peu favorables (altitude, terrains accidentés) peuvent se révéler adéquates pour un créneau de production à un moment donné. Cet essor de la région contraste avec le déclin des activités agraires dans les régions voisines : les Terres Chaudes du Michoacán au sud qui peinent à trouver une culture de substitution au coton depuis sa disparition dans les années 1970-1980 ; la Sierra Purhépecha au nord qui se heurte à la faible rentabilité du maïs et à un processus croissant et inéluctable de déforestation ; les régions cannières de l’ouest (Michoacán) et de l’est (État de Jalisco) en pleine dépression depuis les accords de l’ALENA.

Les conséquences économiques et environnementales de la monoculture

L’organisation actuelle de l’espace dépend aujourd’hui presque totalement d’une seule activité, la culture de l’avocat, qui implique directement ou indirectement de multiples activités secondaires : les industries d’emballage, le commerce, le transport, la déforestation et la vente du bois. Cela pose la question de la durabilité du système, autant sur le plan économique que territorial et environnemental.

La croissance économique concentrée autour d’une monoactivité implique en effet des risques importants. Si le marché continue à s’étendre, il en est de même pour les régions productrices. La culture s’est répandue dans de nouvelles régions mexicaines et la concurrence d’autres pays producteurs qui pourraient rapidement accéder au marché nord-américain, comme le Chili et le Pérou, n’est pas négligeable. En l’absence de solutions de rechange viables de cultures et d’activités, la chute des exportations pourrait provoquer la baisse du prix de vente de l’avocat.

La fermeture de la frontière du pays voisin, justifiée par un manquement aux critères imposés par les États-Unis, pourrait avoir les mêmes conséquences. En effet, si les mesures sanitaires et phytosanitaires ainsi que les échantillonnages effectués par des contrôleurs de la USDA semblent garantir l’absence des insectes responsables de l’interdit d’importation, il existe d’autres mesures concernant l’hygiène et la qualité des produits exportés, qui ne sont pas systématiquement appliquées dans la région d’étude. Préconisées par le pays voisin et diffusées par le SENASICA (Service national sanitaire, d’innocuité et de qualité agroalimentaire) depuis 1997, les Bonnes pratiques agraires et les Bonnes pratiques manufacturières concernent la qualité des sols et des eaux d’irrigation, l’hygiène des travailleurs dans les parcelles de culture et les aires d’emballage, l’utilisation raisonnée des produits chimiques, les conditions de transport, etc. Leur application devrait éviter tout risque pour le consommateur. De nouveaux critères, plus stricts encore (protocole Eurepgap, protocole Tesco NTC), qui reflètent la préoccupation de pays européens pour l’environnement et la situation sociale des travailleurs, sont de plus en plus souvent demandés pour pouvoir exporter en Europe. Des efforts sont faits pour respecter ces normes, et les recommandations des administrations et associations pour leur application sont insistantes. Par exemple, un programme de récupération des emballages d’engrais, insecticides et désherbants, financé par les négociants des produits chimiques, a été mis en place en 2007. D’autres mesures sont aussi appliquées progressivement, comme l’installation de latrines et de lavabos dans les parcelles de culture, pour une question d’hygiène, ou le respect d’un laps de temps entre les traitements et la récolte afin d’éviter la présence de tout résidu chimique sur les fruits. Mais ces mesures demandent des investissements et une rigueur qui ne sont pas à la portée de tous les producteurs. Or, tant qu’elles ne sont pas systématiquement respectées, les agronomes travaillant pour Sanidad Vegetal estiment que le risque existe. La présence d’un germe responsable d’une épidémie aux États-Unis provoquerait la fermeture immédiate de la frontière pour les produits concernés, comme cela s’est déjà produit dans le passé : par exemple, en 1997, à la suite de cas d’hépatite dans le Michigan, susceptibles d’avoir été causés par la consommation de fraises importées de la Basse-Californie, ou en 2002, quand des melons cantaloups venus du Michoacán ont été suspectés d’avoir provoqué une épidémie de salmonellose (El Aguacatero, n° 40). Selon d’autres ingénieurs agronomes, le respect des mesures sanitaires ne constituerait qu’une excuse fallacieuse et les États-Unis pourraient fermer leur frontière à n’importe quel moment, pour des raisons strictement économiques (augmentation de la production nationale), comme cela s’est déjà vu pour d’autres productions et pays exportateurs par le passé. L’impossibilité d’exporter ne représenterait pas l’arrêt de la culture puisque seulement 19,4 % de la production part pour l’étranger et que le marché interne continue à s’accroître, en raison de l’enrichissement d’une partie des consommateurs mexicains. Elle pourrait cependant constituer un frein à l’activité.

Le risque environnemental provoqué par la monoculture semble plus sérieux. En effet, l’utilisation souvent abusive et non contrôlée de produits chimiques dans les cultures, entraîne la contamination des sols et de l’air ainsi que la pollution des eaux. Elle semble directement liée aux graves maladies fréquemment contractées par les producteurs et les travailleurs journaliers. La déforestation massive, principal problème posé par la forte expansion des avocatiers, provoque toute une série de phénomènes particulièrement préoccupants pour l’environnement : disparition d’une faune et d’une flore spécifiques des sous-bois qui met en danger l’écosystème, érosion des versants dégarnis de leur végétation naturelle, qui cause des glissements de terrain, assèchement des sources, des ruisseaux et rivières et des nappes phréatiques. Ce dernier problème est d’autant plus préoccupant que ces eaux sont utilisées abondamment dans les régions situées en contrebas (Terres Chaudes du Michoacán, Vallée de Los Reyes). Les habitants parlent également d’un réchauffement du climat et d’une diminution générale des précipitations.

Bien que la surveillance et les contrôles se soient renforcés ces dernières années aux trois niveaux de gouvernement – État fédéral, État de Michoacán et communes –, il est difficile de mettre un frein à la déforestation. Cela, d’une part parce que les coupes de bois procurent des bénéfices économiques immédiats aux bûcherons illégaux (talamontes), indiens des villages de la Sierra dont c’est la source de revenus principale, et qu’ils agissent en bandes organisées et armées, difficiles à intercepter. D’autre part, parce qu’il existe de nombreuses façons de contourner les interdictions et d’éviter les contrôles, par exemple en payant des pots-de-vin aux autorités locales et aux contrôleurs afin de pouvoir couper et transporter illégalement le bois. L’activité bénéficie par ailleurs à d’autres personnes, grands propriétaires de vergers et de commerces liés aux avocats, souvent influents dans la sphère politique, qui ont tout intérêt à éviter une répression trop efficace.

Les quelques initiatives officielles qui mettent de l’avant des programmes de reforestation connaissent des débuts laborieux. C’est le cas du Programme national de reforestation (Pronare) qui n’a pas apporté de résultats significatifs, malgré les efforts et l’optimisme de la Conafor [5]. Il existe des superficies reboisées, mais aucun suivi n’est effectué après la plantation, et les plants ne sont pas toujours adaptés aux terrains : par conséquent, seulement 37 % des arbres survivent selon une étude indépendante menée en 2006 par des ingénieurs de l’INIRENA (Institut de recherche sur les ressources naturelles, Université Michoacana de San Nicolas de Hidalgo).

La déforestation à grande échelle pourrait menacer rapidement la culture de l’avocatier, ou tout au moins la continuité de son expansion : l’épuisement des ressources hydrauliques, la pollution généralisée et le réchauffement climatique ont en effet des conséquences néfastes dans les cultures. Ces problèmes pourraient, à un moment donné, provoquer le retrait des entreprises américaines sous-traitantes assurant l’exportation de 85 % des avocats. Ces entreprises n’ont pas d’autres attaches qu’économiques dans la région et elles peuvent se rabattre sur d’autres terrains de production. Par exemple, Calavo travaille essentiellement avec des fruits produits en Californie, alors qu’Index Fresh et West Pak vendent des productions de Californie et du Chili. Les entrepreneurs locaux, qui sont souvent aussi producteurs et assurent la commercialisation des 4/5 des récoltes et du 15 % restant des exportations, ont par contre des intérêts sur place et ont donc avantage à ménager l’environnement et à privilégier un développement durable de la culture.

Conclusion

Si les retombées économiques sont ici indéniables et bénéficient en grande partie à la population, la région productrice d’avocatiers du Michoacán connaît des problèmes environnementaux, comme d’autres régions mexicaines étudiées par différents auteurs. Divers recours sont actuellement évoqués pour limiter les effets pervers sur l’environnement. Des ingénieurs agronomes proposent par exemple d’augmenter les rendements par hectare, de manière à accroître la production pour répondre à la demande sans avoir à étendre davantage les superficies cultivées. Une autre proposition, qui commence à recevoir un certain écho, est le développement de l’agriculture biologique, actuellement pratiquée dans seulement 2 à 3 % des vergers. Ce type d’agriculture, qui va souvent de pair avec une utilisation modérée des ressources naturelles, permettrait en effet d’assurer la pérennité du système de culture et d’exploitation du bois et de garantir, à long terme, les retombées économiques pour la région. Des études supplémentaires sur l’agriculture biologique ainsi que sur les stratégies de protection de l’environnement seraient cependant nécessaires, pour présenter des solutions de rechange et de développement viables.