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Perspectives sur la littérature franco-ontarienne est une édition « revue et augmentée » d’un ouvrage collectif paru en 2000 qui s’intitulait alors La littérature franco-ontarienne : état des lieux et qui portrait sur la littérature de l’Ontario français. Si, de l’aveu même des directeurs de publication, cette nouvelle édition répond au besoin spécifique de combler certaines lacunes que présentait l’ouvrage original – notamment l’absence d’études consacrées au théâtre –, elle témoigne également du fait que la littérature franco-ontarienne, qui n’a fait son entrée dans l’aire véritable des discours critiques et théoriques qu’au début des années 1990, continue à susciter un vif intérêt chez divers lecteurs et chercheurs.

En tête du recueil se situe la remarquable étude d’Élizabeth Lasserre qui présente une vue panoramique des paysages littéraire et culturel de l’Ontario français. Elle explore tout particulièrement les enjeux entourant les liens qui unissent une oeuvre littéraire à son contexte d’origine, phénomène que l’auteure désigne par le néologisme « sociativité », et établit que l’évolution de la littérature franco-ontarienne et des discours qui s’y rattachent peut être interprétée, non pas en termes de ruptures (par rapport à un discours fondateur), mais plutôt en termes d’une « dynamique de la (dis)continuité » et de la « (con)fusion », qui implique une multiplicité de modèles d’appartenance et une logique relevant de l’instabilité et du dialogisme. Cette idée d’échange et de partage, d’une certaine harmonie des contraires réside aussi au coeur de la réflexion de Jacqueline Beaugé-Rosier sur l’écriture des poètes de l’exil. Dans un texte dense et profond, mais assez abstrait, Beaugé-Rosier montre que la parole des écrivains migrants, ces « grammairiens de la différence », est lieu d’une « transpoétique des dérives » et source d’un « savoir régénéré ».

Après ces deux contributions qui ouvrent l’ouvrage, suivent l’article de Robert Yergeau, qui expose les enjeux institutionnels reliés à la création et à la circulation de « discours contrastés » dans les champs littéraires, culturels et sociaux en Ontario et au Québec, et celui de François Paré, qui met en relief, pour sa part, les relations complexes entre l’institution littéraire franco-ontarienne et le discours universitaire. Ces textes, remarquables tous les deux par la limpidité du regard et la solidité analytique, tissent, sous plusieurs angles, des liens avec deux autres interventions tout aussi éclairantes, qui touchent, elles aussi, aux questions institutionnelles. Lucie Hotte s’intéresse au fonctionnement même de l’institution littéraire et notamment à ses versants normatifs et prescriptifs, alors que Johanne Melançon esquisse les contours et le parcours historique de l’institution littéraire franco-ontarienne et souligne en particulier la fluidité des frontières géographiques et temporelles de cette dernière.

Outre l’article de Beaugé-Rosier, trois autres textes explorent la poésie : Jules Tessier étudie les « éléments exogènes » dans les poèmes de Jean Marc Dalpé et de Louise Friset ; Lélia Young donne un aperçu de la poésie franco-ontarienne et en dégage quelques thématiques saillantes ; et Pierre Léon présente les « profils littéraires » de huit poètes franco-ontariens. François Ouellet et Michel Lord abordent, quant à eux, respectivement le roman et la nouvelle. Ouellet se penche sur les structures du « roman de l’écriture » dans une dizaine d’oeuvres de romancières franco-ontariennes, et Lord fait ressortir des convergences et des divergences, formelles et thématiques, chez quatre nouvellistes franco-ontariens. Consacrées au théâtre, les deux dernières interventions de l’ouvrage – qui, avec l’étude de Melançon, constituent des ajouts par rapport à la publication originale – complètent pour ainsi dire ce tour d’horizon générique. On lira avec intérêt l’analyse approfondie et percutante de l’évolution des pratiques dramaturgiques de langue française en Ontario que nous fournit Joël Beddows. En mettant en lumière l’importance des « liens d’échange » qui existent entre les institutions théâtrales franco-ontarienne et québécoise, l’analyse de Beddows invite en effet non seulement à une déconstruction du mythe qui veut que le théâtre en Ontario français se soit développé « en vase clos » – mythe qui rappelle d’ailleurs certaines thèses de Gaston Tremblay (L’écho de nos voix) – mais aussi à un réexamen de « la définition courante de l’institution québécoise ». En outre, Beddows, propose, sans occulter la spécificité de l’institution théâtrale franco-ontarienne, des rapprochements avec le théâtre québécois en région et avec la situation de l’institution belge. Voilà des perspectives comparatistes fort intéressantes, qui, soit dit en passant, semblent répondre à un appel lancé par Melançon en conclusion à son article. Enfin, notons la contribution de Simon Laflamme et Sylvie Mainville qui étudient, à leur tour, les rapports qu’entretient l’acteur social postmoderne avec le théâtre. Même si, de par son approche sociologique, ce texte tranche avec le reste du recueil, les observations qu’il nous livre contribuent néanmoins à une meilleure compréhension de « l’amateur de théâtre » et, partant, de la place du théâtre en Ontario français.

Bref, Perspectives sur la littérature franco-ontarienne offre dans l’ensemble des interventions de qualité qui posent un regard lucide sur des tendances et des traits marquants de la littérature franco-ontarienne. Par rapport à l’édition originale, les notices biobibliographiques et surtout l’introduction s’avèrent plus objectives, et la bibliographie exhaustive ajoutée à la fin de l’ouvrage est très pertinente. En plus de ces éléments de « révision », le recueil fait certainement aussi preuve d’une « augmentation », non pas par le nombre total de contributions – en fait, les trois nouveaux textes déjà indiqués prennent en quelque sorte la place de trois interventions parues dans l’édition originale –, mais plutôt par la vision plus large qu’il présente de la littérature de l’Ontario français. D’ailleurs, le changement de titre vise sans doute à signaler précisément cet élargissement de « perspectives ». Cela dit, on pourrait regretter que l’ouvrage n’insiste pas davantage sur le roman ou la nouvelle, genres qui se taillent une place de plus en plus importante en littérature franco-ontarienne, surtout au cours des deux dernières décennies. De plus, la facture quelque peu éclatée du recueil risque de porter à confusion et il y aurait lieu de se demander si une structuration en fonction de problématiques ou thèmes abordés ne serait pas plus appropriée. Malgré ces quelques réserves, l’intérêt et la portée de cet ouvrage ne font pas de doute. Car, en nous présentant des perspectives variées, tantôt inquiétantes, tantôt séduisantes, qui se rejoignent, se contrastent ou s’opposent, il scrute les horizons métamorphiques de la littérature franco-ontarienne qui ne cessent de s’agrandir et de se reconfigurer.