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Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) créé en décembre 1978 au moment de la refonte de la Loi sur la qualité de l’environnement par le gouvernement Lévesque, célèbre en 2009 son trentième anniversaire. Le BAPE est un organisme consultatif, permanent et indépendant des autorités gouvernementales, dont la mission est d’informer et de consulter la population sur des questions relatives à la qualité de l’environnement que lui soumet le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs. Selon les termes de la loi, « le Bureau a pour fonction d’enquêter sur toute question relative à la qualité de l’environnement que lui soumet le ministre et de faire rapport à ce dernier de ses constatations ainsi que de l’analyse qu’il en a faite »[1]. Depuis sa création, le BAPE a produit plus de 275 rapports d’enquête et on estime que plus de 100 000 personnes ont assisté à des séances d’audiences publiques organisées par cet organisme. Fort de cette expérience, le BAPE est généralement considéré comme un leader en matière d’information et de consultation publique au Québec et il jouit d’une réputation enviable à l’échelle internationale. Le BAPE a notamment inspiré la Commission nationale du débat public (CNDP) en France et plusieurs pays d’Afrique francophone. Il a également grandement influencé le dispositif de participation mis en place par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), créé en 2002 par une modification à la charte de la Ville de Montréal, afin d’examiner les projets d’urbanisme et d’aménagement du territoire. En outre, l’organisme a opté dès sa création pour une définition large de la notion d’environnement – celle-ci englobe les dimensions biophysique, sociale, économique et culturelle – faisant de l’organisme un précurseur en matière de développement durable. Pourtant, malgré cet engagement en faveur des idéaux de la participation démocratique et du développement durable, l’utilité et l’existence du BAPE sont régulièrement remises en question, non seulement par les grands promoteurs et les milieux d’affaires, mais également par les gouvernements successifs et certains groupes de citoyens. Dans ce contexte, le livre de Jean Baril arrive à un moment opportun pour contribuer au débat sur d’éventuelles réformes à apporter à la procédure québécoise d’évaluation environnementale.

Jean Baril se présente, dans l’avant-propos de son livre, comme « un citoyen préoccupé par les questions environnementales » (p. 1) ayant milité à la fin des années 1990 au sein d’un groupe de citoyens s’étant opposé à la construction d’un barrage privé sur une rivière du Québec. Son livre est issu du remaniement de son mémoire de maîtrise en droit réalisé à l’Université Laval et prend la forme d’un essai sur les rapports entre la participation publique, l’évaluation environnementale et le développement durable au Québec. L’objectif de l’ouvrage est « d’examiner de quelle façon le BAPE a évolué et comment cette évolution se compare à celle qui est observée sur la scène internationale par l’entremise de divers textes ou conventions » (p. 8). L’auteur formule trois questions : « La procédure québécoise d’évaluation et d’examen des impacts environnementaux doit-elle être revue à la lumière des principes du développement durable ? Le rôle et le mandat actuel du BAPE dans l’évaluation environnementale peuvent-ils satisfaire aux exigences nouvelles posées par le développement durable ? Dans la négative, quelles modifications faut-il apporter pour que le BAPE soit un organisme majeur dans la poursuite du développement durable du Québec ? » (p. 10). L’hypothèse principale de Jean Baril est que la procédure québécoise d’évaluation environnementale, incluant le rôle et le mandat du BAPE, ne répond pas adéquatement aux impératifs du développement durable. Il importe donc, selon l’auteur, de revoir la législation actuelle et de réformer cette procédure dans ce sens, d’où le sous-titre de l’ouvrage : « pour une évaluation environnementale au service du développement durable ».

Pour étayer sa démonstration et répondre à son questionnement de recherche, l’auteur a eu recours à une démarche méthodologique classique en droit de l’environnement, qui consiste essentiellement en une étude et une analyse critique de divers documents juridiques et administratifs, dont les conventions internationales en matière d’information et de participation publique, les lois et règlements québécois en matière d’évaluation environnementale et de développement durable, et les documents administratifs provenant du BAPE et d’autres organismes publics québécois. De plus, l’auteur, qui a effectué un stage de six mois au sein du BAPE, a mené des observations directes puisqu’il « a eu le privilège de participer à titre de collaborateur à tous les travaux d’une commission d’enquête » (p. 9). Il a également eu accès à de nombreux documents de travail internes du BAPE et du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, dont des documents de réflexion sur la modernisation de la procédure d’évaluation environnementale.

La première partie de l’ouvrage traite d’évaluation environnementale et de développement durable et comprend quatre chapitres. L’auteur présente d’abord brièvement la genèse de l’évaluation environnementale qui émerge aux États-Unis au tournant des années 1970 avec l’adoption du National Environmental Policy Act et qui influencera grandement la législation québécoise. En s’appuyant essentiellement sur deux ouvrages de référence québécois[2], ce chapitre permet à l’auteur de montrer comment la notion d’évaluation environnementale peut être envisagée de nos jours comme un outil de développement durable. Dans le second chapitre, Baril rappelle le contexte de la création du BAPE, en 1978, et il présente ses fonctions, ses types de mandats et ses champs d’interventions. Ce chapitre est l’occasion pour lui de décrire le déroulement de la procédure québécoise d’évaluation environnementale et le rôle du BAPE dans cette procédure. Il souligne la grande spécificité du modèle québécois, qui accorde une place importante à l’information, à la consultation et à la participation du public. L’auteur dresse un portrait historique des propositions de réforme de la procédure d’évaluation environnementale et dénonce les stratégies visant à la contourner, telles que la « technique du saucisson » qui permet à des promoteurs d’éviter d’être assujettis à la procédure, ou encore la possibilité pour le gouvernement de soustraire des projets au processus d’évaluation. Le troisième chapitre est consacré à la question de l’émergence de nouveaux droits « procéduraux » dans un contexte d’affirmation du concept de développement durable sur la scène internationale. Ce chapitre dresse notamment un bref survol de la Convention d’Aarhus ratifiée en 2001 par plusieurs pays de l’Union européenne qui consacre les droits d’accès à l’information sur l’environnement, de participation du public au processus décisionnel et d’accès à la justice en matière d’environnement. Selon Baril, cette convention illustre l’émergence d’un nouveau droit international de l’environnement qui affirme de nouveaux principes juridiques qui devraient influencer la pratique de l’évaluation environnementale. Le quatrième chapitre cherche à rendre compte de la prise en compte du concept de développement durable dans les textes de lois et de règlements québécois. L’auteur y retrace entre autres le moment d’apparition du concept de développement durable dans les rapports du BAPE et traite de la récente Loi sur le développement durable[3] en déplorant le peu d’importance qu’elle accorde aux droits procéduraux d’information et de participation du public. Dans l’ensemble, cette première partie est somme toute très descriptive et le lecteur familier avec la question environnementale au Québec et sur la scène internationale n’y apprendra rien de nouveau.

La deuxième partie de l’ouvrage est de nature beaucoup plus prescriptive et prend la forme d’un plaidoyer, d’un manifeste, voire d’un programme politique. Baril avance une multitude de propositions visant à accorder plus de place aux citoyens, à élargir le droit d’accès à l’information, à accroître le rôle du BAPE en matière de participation publique et à assurer une plus grande démocratie participative. Dans cette seconde partie du livre, l’auteur reprend à son compte diverses propositions maintes fois formulées depuis la parution du rapport Lacoste[4], dont la mise en place d’une démarche de consultation en amont du processus décisionnel, l’établissement de comités de suivi environnemental, l’élaboration d’un registre des avis du BAPE et des décrets gouvernementaux, ainsi que la mise sur pied d’un processus de suivi post-projet. L’auteur propose également de doter le BAPE d’un pouvoir d’autosaisine, de lui accorder un rôle accru en matière d’évaluation environnementale stratégique, d’établir des programmes de soutien financier aux participants, d’assurer la télédiffusion des audiences publiques et, finalement, d’obliger le gouvernement à motiver ses décisions, dont plus particulièrement celles allant à l’encontre des avis du BAPE. L’ouvrage se termine par une conclusion dans laquelle Baril en appelle à une réforme en profondeur de la procédure d’évaluation environnementale incluant le rôle et le mandat du BAPE et, pour ce faire, à la mobilisation des citoyens.

En définitive, la principale critique que l’on peut adresser à l’ouvrage est que l’auteur hésite et navigue entre deux registres difficilement conciliables, à savoir, d’une part, celui du juriste spécialisé en droit de l’environnement et, d’autre part, celui du militant membre fondateur d’un groupe de citoyens s’étant opposé à un projet de développement. Dans le premier cas, l’auteur mobilise la démarche et les outils classiques du juriste pour comprendre, décortiquer et analyser la pratique québécoise de participation du public à l’évaluation environnementale des projets à la lumière des principes du développement durable et du droit international. Dans le deuxième cas, le citoyen/militant/opposant s’indigne, dénonce et propose des réformes au régime québécois d’évaluation environnementale. Lorsque l’auteur se situe dans le registre et l’univers de référence du juriste spécialisé en droit de l’environnement, il apporte un éclairage intéressant et pertinent bien que peu original sur la pratique du BAPE. On peut toutefois regretter que l’auteur mobilise uniquement des travaux spécialisés en droit de l’environnement, en ignorant ceux provenant des autres disciplines des sciences sociales (sociologie, science politique, géographie) et des sciences de l’action (ingénierie, aménagement, urbanisme). Tout au long de l’ouvrage, il convoque des notions telles que la « participation publique » et la « démocratie participative » qui ne sont pas théorisées, de sorte que l’analyse ne permet pas d’ouvrir sur une lecture davantage sociopolitique. Dans la première partie de l’ouvrage, par exemple, Baril dénonce le fait que, malgré la grande crédibilité acquise par le BAPE tant au Québec qu’à l’étranger, son rôle et ses fonctions ne soient toujours pas encore totalement acceptés dans la société québécoise. Malheureusement, à défaut d’un cadre d’analyse plus sociopolitique, le travail de Baril ne permet pas d’expliquer ou de mieux comprendre pourquoi le BAPE jouit d’une telle crédibilité auprès de certains acteurs, alors que d’autres intervenants le craignent au point de vouloir le contourner, l’éviter, ou le supprimer. Le travail de Baril n’explique pas non plus pourquoi toutes les tentatives menées au cours des dernières décennies visant à réformer la procédure d’évaluation environnementale ont toutes avorté.

Par ailleurs, outre le fait que l’on retrouve dans l’ouvrage des dénonciations qui n’ont pas leur place dans un livre publié par des presses universitaires, le registre du citoyen/militant/opposant aux projets de développement a souvent pour effet de conduire l’auteur sur la voie de l’indignation, de la dénonciation et de la prescription plutôt que sur celle de l’analyse et de la compréhension. Lorsqu’il dénonce, par exemple, le refus de la participation publique exprimé par certains grands promoteurs, dont l’Hydro-Québec et le ministère des Transports du Québec, cela ne contribue pas à expliquer pourquoi ces derniers veulent se soustraire à la procédure d’évaluation environnementale. À certains endroits, l’auteur verse même dans une forme d’angélisme, lorsqu’il affirme, par exemple, que « […], plutôt que de prendre des décisions visant à échapper à ce processus, les intervenants devraient comprendre qu’il y va de l’intérêt de tous, à court et à long terme, de permettre la participation du public » (p. 43). À cet égard, le titre principal de l’ouvrage – « Le BAPE devant les citoyens » – apparaît pour le moins énigmatique, puisque, en règle générale, ce sont plutôt les promoteurs de projets qui se retrouvent bien souvent contre leur gré devant le BAPE pour défendre leurs projets qui soulèvent l’opposition des citoyens. Malgré ces critiques, les apports de l’ouvrage ne sont pas négligeables. Le livre pose des questions fondamentales dans le contexte actuel, il réunit des éléments d’information riches et pertinents, et émet des propositions qui méritent d’être débattues. En ce sens, le livre atteint son objectif visant à contribuer à alimenter la réflexion sur le rôle du BAPE et l’avenir de la participation publique en matière d’environnement et de développement durable au Québec.