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Qui, au Québec, achète et lit des livres en français, élégamment écrits, sur la question nationale, sinon une catégorie de lecteurs-qui-écrivent au profil commun : certainement instruits, plutôt nationalistes que fédéralistes, probablement en majorité lecteurs du journal de l’élite francophone, Le Devoir (sur papier ou virtuel). Ce livre-ci reproduit de nombreux extraits de la participation de cette sorte de gens à la « grande enquête » intitulée Québec imaginaire, menée de septembre à décembre 2007 dans les pages du quotidien Le Devoir par l’auteur, « artiste et philosophe, associé à la Faculté des Arts de l’UQAM », disait l’annonce de la consultation.

Cela ne fait cependant pas de ce texte un condensé des opinions, réactions, charges et rêveries exprimées par les participants. L’ouvrage est plutôt un essai personnel d’un personnage médiatique, reconnu et honoré, français et canadien. Les citations, quoique souvent de grande qualité littéraire, y jouent plutôt le seul rôle d’illustrations des arguments présentés autour de deux grandes propositions : le Canada est plus « fragile » que le Québec (chapitre 4) parce que son imaginaire mythologique est plus pauvre ; l’incontournable indépendance du Québec (p. 199), que l’auteur appelle de ses voeux et qu’il croit toujours possible, sinon probable.

On l’aura deviné, par le titre de l’enquête autant que par celui du livre, l’auteur est très porté sur l’analyse des rêves, croyances et autres discours ouverts à une lecture par associations d’idées, de symboles et d’images pour sonder les coeurs et toutes ces sources d’énergie qui animent le monde par en dedans. Hervé Fischer n’a-t-il pas d’ailleurs écrit La société sur le divan, éléments de mythanalyse (2007) ? La « grande enquête » aura été une opération de ce genre, fondée sur la proposition que le fondement de l’identité d’un pays est toujours mythique (p. 30) et sur la conviction de la propension québécoise à passer du réel à l’imaginaire (p. 17).

Expressément, l’auteur n’a pas le propos de faire oeuvre scientifique (p. 35). D’ailleurs, il souligne lui-même les limites de la méthode. Ainsi de la sélection stratégique des citations qu’il a faite dans les écrits des participants : « J’ai choisi de citer dans ce livre abondamment les répondants à l’enquête, pour partager la parole avec eux, et avec les lecteurs, la vibration de leur voix. Bien sûr, j’ai aussi dialogué avec eux ; j’ai choisi les textes et les extraits les plus significatifs. Ils ne sont pas statistiquement représentatifs du Québec, mais des questions que se posent les Québécois, de leurs anxiétés, de leurs espoirs et de leur lucidité » (p. 36). De même, à deux reprises au moins, il met en garde à propos de l’ « échantillon » de population que son enquête a constitué. Parlant de son association avec Le Devoir, il dit : « J’aurais aussi obtenu des réponses différentes de The Gazette, ou encore du Journal de Montréal. Et l’usage de l’internet a certainement contribué à sélectionner le statut social des répondants » (p. 9). Puis, sous un autre angle : « Certes, nous comptons parmi les réponses reçues huit ou neuf prises de position indépendantistes pour une qui semble plus ouverte à l’option fédéraliste. Nous n’en avons reçu aucune qui soit fédéraliste militante, alors que nous en avons lu des quantités qui affichent sans détour leurs convictions indépendantistes. Et nous ne prétendons pas que ce pourcentage est représentatif du Québec » (p. 192).

À noter que le livre est clairement daté : « Et le hasard du calendrier a fait coïncider mon enquête avec les séances publiques de la commission Bouchard-Taylor de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, […] Et c’est finalement de plusieurs centaines de réponses, de commentaires dans les journaux et de rapports mis sur le site de la commission Bouchard-Taylor que j’ai pu disposer pour préciser mon analyse » (p. 8-9). C’était aussi le temps fort de l’Action démocratique du Québec (ADQ) et de Mario Dumont. D’où plusieurs passages relatifs au « Nous », aux accommodements, au multiculturalisme, ainsi que l’affirmation : la question québécoise n’est d’aucune façon ethnique (p. 93).

Ce livre est aussi l’écho d’un autre livre du même auteur, un « roman-enquête » (p. 7) publié 25 ans plus tôt : L’oiseau-chat (Éditions La Presse, 1983), à propos duquel il présente des éléments de comparaison résumés ainsi : « Et j’ai été étonné par le ton de ces contributions, en général beaucoup plus optimistes que celles de 1982. Le Québec a changé » (p. 9). Et de cette autre façon : « Cependant, ces commentaires pessimistes sont nettement moins fréquents et désespérés que les expressions de souffrance et de dépression collectives qui dominaient dans mon enquête d’il y a vingt-cinq ans » (p. 157). Il faut donc croire, comme le fait Hervé Fischer, que les années qui ont suivi le référendum de 1980 ont été plus nettement des années de l’oiseau-chat, symbole de l’ambivalence de « l’identité québécoise imaginaire » qui se partage « de façon contradictoire entre les identifications dominantes au chat (symbole de repli sur soi) et à l’oiseau (libre et missionnaire) » (p. 7). Le livre affirme que l’ambivalence était moins grande en 2007, ce qui est pour son auteur un motif d’espérance… que l’indépendance se réalisera.