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Introduction[1]

De nombreux pays partagent le point de vue selon lequel on pourrait faire progresser le développement économique général par plus d’esprit entrepreneurial et qu’on pourrait vaincre le chômage de masse à l’aide de créations d’entreprises (p. ex., CSU, 2003). Werner Müller, ancien ministre allemand de l’Économie, constatait que « toute l’Europe […] [a besoin] d’un climat propice aux innovations favorisant le développement de l’esprit entrepreneurial » (BMWI, 2001). Depuis des années, la pression grandit sur la classe politique allemande en vue d’améliorer l’infrastructure entrepreneuriale. Bien que les gouvernements fédéral et régional aient conçu de nouveaux programmes et qu’ils investissent beaucoup d’efforts et d’argent dans la promotion de l’entrepreneuriat, ils semblent se heurter à des facteurs socioculturels et ce sont, quoi qu’il en soit, ces facteurs qu’on avance fréquemment pour expliquer la constante faiblesse de l’intérêt pour l’entrepreneuriat.

Dans ce contexte, le débat que les médias de masse mènent sur l’entrepreneuriat joue un rôle important dans la - première - impression que les entrepreneurs potentiels ont de la réalité entrepreneuriale et de son attractivité. Les journaux constituent un média efficace pour transmettre des idéaux et idées d’ordre culturel tout comme des idéologies sociopolitiques (Soothill et Grover, 1997). Stevenson (1995) constate que l’analyse d’articles de journaux est essentielle pour la compréhension de la communication de masse et la culture. Elle s’avère donc être une très bonne méthode pour étudier la manière dont le phénomène entrepreneuriat est représenté dans le débat public. Comme le discours journalistique structure notre perception de la réalité, le discours portant sur l’entrepreneuriat peut avoir une influence sur le fait qu’un entrepreneur potentiel se décide ou non de se mettre à son compte (cf. Mills, 1997, p. 15). Notre étude vise ici à analyser comment « l’esprit entrepreneurial » est représenté dans les grands journaux allemands et à définir la relation qu’il y a entre cette représentation et le contexte de la création d’entreprises. Dans notre exposé, nous allons tout d’abord présenter le cadre de référence de notre analyse discursive, puis notre méthode, pour ensuite voir comment les journaux peuvent influencer les points de vue et les tendances. Nous enchaînerons sur une présentation de notre étude empirique et des résultats que nous avons pu en tirer. Nous terminerons enfin cet article par quelques conclusions et recommandations.

1. Analyse discursive dans la recherche en entrepreneuriat

Dans la recherche en sciences économiques et sociales, la langue et son usage sont de plus en plus considérés comme extrêmement importants (Alvesson et Kärreman, 2000a, p. 1126). La langue offre un système de catégorie qui permet de classifier nos expériences et de leur attribuer une signification. L’usage de la langue dans la recherche en entrepreneuriat a un potentiel qui dépasse largement les méthodes basées sur des interviews qui, actuellement, sont souvent considérées comme les méthodes les plus appropriées pour mener à bien des recherches sociales de type qualitatif.

De façon générale, les discours se rapportent à l’activité de parler et d’écrire (Woodilla, 1998). L’analyse discursive, en tant que concept générique pour des méthodes de recherche très variées, peut donc très bien se prêter à l’analyse de « textes » écrits et oraux (cf. aussi le débat dans Van Dijk, 1997, p. 4). Alors que l’analyse du discours est née dans le domaine linguistique (par exemple, Gee, 2002), on s’en sert maintenant dans différentes disciplines avec succès, notamment en sociologie, philosophie ou anthropologie (Schiffrin, 1994, p. 5). Depuis quelques années, on découvre le potentiel de l’analyse discursive dans le domaine de l’entrepreneuriat (par exemple, Ahl, 2002 ; Ogbor, 2000 ; Pietiläinen, 2001). L’analyse du discours dans les médias peut contribuer à saisir momentanément les processus de transformation sociale et culturelle dans le contexte de l’entrepreneuriat et à mieux les comprendre (Fairclough, 1992).

L’analyse du discours est étroitement liée à la réflexion et permet donc aux chercheurs de porter un regard critique sur des « vérités » communément acceptées. Comme le domaine de l’entrepreneuriat engendre toute une série de stéréotypes et d’hypothèses et qu’il se fonde en partie sur celles-ci (par exemple, l’entrepreneuriat est en soi bénéfique à la société, il réduit le chômage et il offre aux femmes la possibilité de concilier carrière professionnelle et vie familiale), la méthode utilisée ici peut apporter une contribution importante et produire de nouveaux savoirs. Grâce à l’analyse du discours, on peut se représenter la construction sociale de ces stéréotypes et de ces hypothèses, étant donné que la langue sert d’intermédiaire pour construire la réalité (Burr, 1995, p. 11). L’hypothèse fondamentale est que les discours jouent un rôle important pour engendrer des réalités sociales et ont une grande influence sur les perceptions, identités et activités entrepreneuriales (cf. Phillips et Hardy, 2002, p. 1-2).

En comparaison des autres méthodes de recherche qualitatives, l’analyse de discours repose plus fortement sur le paradigme socioconstructiviste (Phillips et Hardy, 2002 , p. 2). D’après Berger et Luckmann (1969), le savoir est socialement partagé, ce qui signifie qu’il ne se base pas uniquement sur l’observation, mais qu’il se crée aussi dans le contexte social. Les hommes construisent leurs savoirs à partir de leurs expériences et de leur entendement. On peut également considérer l’entrepreneuriat comme un phénomène social construit ; reconnaître une opportunité entrepreneuriale en est, par exemple, un reflet – des individus (ré-)interprètent des informations qu’on leur a présentées, cela conduit à des actions ; et, avec le recul, cela peut être construit comme la reconnaissance d’une idée d’affaires – opportunity recognition – (Gartner, Carter et Hill, 2003). C’est là que se situe potentiellement la contribution de l’analyse de discours en tant que méthode de recherche qualitative pour la recherche en entrepreneuriat : elle permet de comprendre les processus propres à la construction sociale de phénomènes relatifs à l’entrepreneuriat (Ainsworth, 2001). À l’aide de l’analyse discursive, on peut étudier comment « the socially produced ideas and objects that populate the world were created in the first place and how they are maintained and held in place over time » (Phillips et Hardy, 2002, p. 6).

2. Le rôle du contexte dans l’analyse du discours

Les textes sont le résultat – ou la « manifestation » – de discours, mais les discours existent au-delà des textes qu’ils constituent (cf. Chalaby, 1996 ; Phillips et Hardy, 2002). Un discours ne peut être rattaché à un texte isolé. Au contraire, les discours naissent de l’interaction de différents groupes sociaux, de leurs « textes » et du contexte où s’inscrit l’interaction. La compréhension du contexte est, par conséquent, extrêmement importante dans l’analyse discursive ; d’un autre côté, l’analyse discursive a cependant bien souvent été l’objet de critiques, faute justement d’avoir prêté suffisamment attention au contexte (Cicourel, 1981 ; Fairclough, 1992).

Il existe différents niveaux de contexte. Ainsi, Keller (2004, p. 96) distingue les contextes situationnel, sociohistorique, organisationnel/institutionnel du discours. Se référant à Schegloff (1992), Wetherell (2001, p. 388) fait la différence entre les contextes immédiat (proximate) et éloigné (distal). Par rapport à la recherche en entrepreneuriat, cette distinction représente l’ancrage systémique (économique) et substantif (politique et culturel) de l’entrepreneuriat (Johannisson, Ramirez-Pasillas et Karlsson, 2002), qui se reflète dans le cadre institutionnel, les normes et les valeurs tout comme dans l’environnement social et politique de l’entreprise. Les contexte immédiat (proximate) et éloigné (distal) correspondent donc aux environnements micro et macro de l’entreprise.

Bien que l’on ne puisse pas comprendre les discours hors de leur contexte respectif, il faut préciser que le contexte ne détermine pas un certain discours (cf. Potter, 2001, p. 318). En outre, les contextes eux-mêmes ne sont ni fixés, ni préétablis mais, bien au contraire, flexibles et variables (Van Dijk, 1997, p. 15). Et pour terminer « contexts [are], just like discourse, […] not objective in the sense that they consist of social facts that are understood and considered relevant in the same way by all participants. They are interpreted or constructed, and strategically and continually made relevant by and for participants » (Van Dijk, 1997, p. 16).

Cependant, en utilisant l’analyse de discours dans la recherche en entrepreneuriat, le rôle que prend le constructivisme social dans l’analyse discursive pourrait être source de conflit (il se manifeste du reste dans le débat récent portant sur les opportunités d’affaires « subjectives » versus « objectives » ; cf. par ex., Gartner, Carter et Hill [2003] et Davidsson [2003]). Parallèlement au contexte subjectif mentionné plus haut, il existe bien sûr un contexte « objectif » : par exemple, le nombre d’entreprises nouvellement créées, le nombre d’entrepreneurs actifs et le montant du capital risque accordé. Néanmoins, ce contexte « objectif » n’est pas seulement objectif – il est aussi subjectif au sens où des individus l’interprètent, le reproduisent en interaction avec d’autres et le font passer dans les habitudes. Ainsi, les communautés sociales créent une réalité sociale qui fixe en contrepartie le cadre de leur propre perception (cf. Mumby et Clair, 1997, p. 181).

Comment pouvons-nous concilier ces affirmations et la méthode basée sur le constructivisme social pour la recherche en entrepreneuriat ? Tout d’abord, le constructivisme social définit lui-même différents niveaux de réalité, comme cela apparaît clairement dans la réflexion en profondeur menée par Berger et Luckmann (1969) sur la société en tant que réalité tout aussi bien objective que subjective. Cela nous permet aussi de considérer le contexte comme un phénomène à la fois objectif et subjectif et de dissiper le conflit mentionné plus haut. De plus, la méthode de l’analyse de discours ne vise pas ici en premier lieu à analyser des chiffres ou des fréquences de phénomènes basés sur l’entrepreneuriat, mais elle se concentre bien au contraire sur la réalité « subjective », et le contexte « objectif » vient seulement l’étayer.

Dans cette étude, nous utilisons une analyse de discours basée sur des articles de presse en vue d’étudier le discours sur l’entrepreneuriat et son évolution au fil du temps. La recherche en entrepreneuriat « traditionnelle » livre, pour ce faire, les données « objectives » du contexte sur les caractéristiques, l’évolution de l’entrepreneuriat et l’environnement général, tandis que l’analyse du discours s’interroge sur la manière dont les modèles, les rôles et les images façonnent l’esprit entrepreneurial.

3. La méthode de l’analyse discursive

L’analyse de discours vise à cerner la relation qu’entretient la réalité sociale avec un discours. Cette analyse s’appuie sur une série de textes individuels pour identifier le type d’un discours. « We cannot simply focus on an individual text, however ; rather, we must refer to bodies of texts, new textual forms, and new systems of distributing texts that constitute a discourse over time » (Phillips et Hardy, 2002, p. 5). Il est cependant presque impossible de reproduire un discours complet.

À l’aide de l’analyse du discours, on essaie souvent de reconstruire la structure argumentative relative à un certain problème ou objet (Donati, 2001, p. 155). Pour comprendre la structure du discours et rendre l’analyse possible, les chercheurs peuvent s’orienter à partir de quelques recommandations (cf. Jäger 2001, p. 96-97). Dans le discours général, il existe différents types de sujets et les processus de discours qui se rapportent à un même sujet s’appellent aussi une thématique. Chaque thématique se compose d’une série de textes. Bien que ces textes puissent contenir différents sujets, la thématique apparaît au moins dans une partie de chacun des textes s’y afférant. Différents textes forment ensemble une thématique ; différentes thématiques forment ensemble un discours général (Jäger, 2001, p. 97). Les noeuds discursifs qui peuvent se trouver dans un même texte assurent la cohésion des différentes thématiques entre elles. Ainsi, un texte portant sur les réussites d’une jeune femme entrepreneure appartient à la fois aux thématiques « caractéristiques personnelles des entrepreneurs couronnés de succès », « défis pour les femmes entrepreneurs » et « politique du personnel des jeunes start-ups ».

Différentes thématiques dans le domaine de l’entrepreneuriat se répercutent aussi dans divers domaines discursifs comme les sciences, la politique, l’éducation, la vie quotidienne, l’économie ou l’administration (Jäger, 2001, p. 99). Ces domaines discursifs s’influencent les uns les autres et se réfèrent les uns aux autres dans leur argumentation respective. Un exemple dans le domaine de l’entrepreneuriat, comme nous l’expliciterons plus tard, est le discours typique tenu autour de la nécessité de renforcer l’esprit entrepreneurial pour créer davantage de postes de travail et pour promouvoir une société entrepreneuriale. Un autre discours aussi tout à fait typique renvoie au besoin de créer une infrastructure adéquate (par exemple, pour la garde d’enfants) pour motiver davantage de personnes à se mettre leur compte. Les médias reprennent des fragments de ces différents discours tout en ayant une influence sur ces discours dans leur présentation de l’information par exemple, par rapport à l’image des entrepreneurs dans la société. Les médias sont toutefois eux aussi influencés par les discours existants dans les différents domaines, par exemple, lorsque certains résultats de recherche issus du domaine de l’entrepreneuriat sont utilisés dans le discours, mais aussi au moment de décider quels sujets le lectorat juge intéressants et pertinents.

L’analyse de discours peut s’effectuer à différents niveaux. Nous allons d’abord faire une analyse de discours à un niveau méso en nous centrant sur les contenus et les modèles linguistiques. Concernant le domaine de l’entrepreneuriat, nous pouvons analyser et relever les images typiques que diffusent les médias. Ces images ont une influence sur le rôle des entrepreneurs et leur identité dans la société et, par conséquent, une grande influence sur l’impact et le type d’entrepreneuriat. Une analyse de discours au niveau macro (qu’on appelle aussi le « Grand Discours ») nous permet non seulement de reconnaître les modèles généraux de la présentation de l’information dans les discours, mais aussi de déceler des discours « cachés » qui ont justement la particularité d’occulter certains sujets ; cela ne fait que mettre en évidence certains aspects du discours, comme ses limites et son pouvoir.

Comme pour toute méthode de recherche qualitative, des critères de qualité peuvent être déterminés pour l’analyse du discours. Une analyse peut être qualifiée d’exhaustive à partir du moment où elle ne livre plus de nouveaux enseignements substantiels. En fonction du discours étudié, on peut atteindre cette exhaustivité relativement vite, car il n’existe souvent qu’un nombre limité d’arguments et de contenus considérés comme pertinents dans un certain discours et dans un certain domaine de discours (Jäger, 2001, p. 101-102). Un nombre plus important de textes ne sert normalement qu’à relever quels arguments sont le plus souvent mentionnés. Nous utilisons ce type de quantifications pour constater quels arguments sont préétablis en tant que mots clés tout comme pour analyser les modèles de discours au fil du temps. Pour assurer la validité de la présente étude, nous illustrerons cette analyse du matériel empirique par des détails et des exemples tirés de la batterie de données ; les lecteurs pourront ainsi en tirer leur propre conclusion (cf. Potter, 2001, p. 324).

4. Méthode et batterie de données

Dans cet article, nous utilisons une analyse du discours basée sur des textes journalistiques pour étudier le discours en matière d’entrepreneuriat et ses modifications au fil du temps. La recherche « traditionnelle » en entrepreneuriat nous fournit à cet effet les données contextuelles « objectives » relatives aux caractéristiques et à l’évolution de l’entrepreneuriat tout comme le cadre général, tandis que l’analyse du discours étudie comment l’esprit entrepreneurial se construit à travers les images et les modèles. Nous avons, pour ce faire, analysé des articles de presse portant sur l’esprit entrepreneurial et issus des principaux journaux allemands à tirage national. Afin d’analyser l’évolution du discours sur l’esprit entrepreneurial en Allemagne (et ainsi l’entrepreneuriat, comme un phénomène à la fois économique, culturel et social), nous avons mené une étude longitudinale où se reflètent ses modifications. Notre période d’étude s’étend sur sept ans (1997-2003) et couvre la période avant, pendant et après la bulle Internet. L’analyse porte principalement sur les modifications des modèles de discours (donc au niveau du Grand Discours) et dans les contenus du discours (donc au niveau méso).

Notre analyse comprend les journaux à tirage national les plus importants, à savoir : Bild, Welt, Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), Berliner Zeitung (BZ), Frankfurter Rundschau, Tagesanzeiger (TAZ), Süddeutsche Zeitung (SZ) et das Handelsblatt. Nous avons tout d’abord fait des recherches en ligne pour collecter tous les articles répondant aux critères de recherche pertinents autour de l’entrepreneuriat (création d’entreprise, entrepreneuriat, entrepreneur, esprit entrepreneurial). En raison de l’abondance des articles et de l’importance manifeste du concept « esprit entrepreneurial », nous avons ensuite restreint notre recherche à ce dernier concept. Les journaux ne disposant pas d’archives en ligne en accès libre ont été chargés d’un mandat de recherche, c’est-à-dire de nous fournir les articles où apparaissent les mots recherchés (c’est le cas de Bild). Tous les articles qui contenaient le terme recherché (en tout 747 articles) ont été téléchargés (ou bien achetés), sans appliquer aucun autre critère de sélection (comme « rubrique économique »). Nous voulions en effet obtenir un tableau exact de tous les moments où les journaux ont estimé devoir parler d’esprit entrepreneurial.

Dans une deuxième étape, nous avons développé une classification pour toutes les informations présentes dans les articles de journaux. Cette classification comprend des catégories renfermant des informations générales sur les articles respectifs (par exemple, journal, mot clé principal, date de parution, rubrique du journal, titre de l’article) et des catégories portant sur les contenus (par exemple, les points essentiels de l’article, le principal message relatif à l’esprit entrepreneurial, les images utilisées, les pays en question, l’appréciation de l’esprit entrepreneurial). Les passages pertinents ont été saisis dans un fichier Excel, à l’aide duquel nous avons pu identifier les sujets relatifs à l’entrepreneuriat et éclairer les facteurs imputés à « l’esprit entrepreneurial ». Toutes les codifications et toutes les entrées ont été effectuées par les deux auteurs indépendamment l’une de l’autre, les éventuels écarts ont été traités au cas par cas pour accroître la robustesse de la présente étude. La fiabilité en termes de concordance des résultats s’élevait au début à 89 % et elle a pu être accrue en discutant les écarts et, le cas échéant, en procédant à une réévaluation.

Afin d’ancrer l’analyse du discours dans un contexte plus large (en tenant compte du contexte éloigné – distal – pour reprendre la terminologie introduite plus haut), nous avons analysé en outre l’environnement de l’entrepreneuriat en Allemagne. Pour ce faire, nous nous sommes concentrées sur le développement des créations d’entreprises ainsi que sur les tendances pertinentes de la politique de promotion de la création d’entreprises sur la période étudiée. À ce propos, nous examinons dans quelle mesure les évolutions politiques vont de pair avec le discours politique, sans vouloir pour autant postuler une dépendance causale et statistiquement avérée – ce qui n’est pas possible avec la méthode utilisée ici.

5. Le discours sur l’esprit entrepreneurial entre 1997 et 2003 aux niveaux méso et macro

5.1. Ampleur, évolution et ancrage externe du discours

Alors que le taux de nouvelles créations était décroissant entre 1991 et 2002 en Allemagne (le nombre de nouvelles créations est passé de 531 000 à 452 000[2] ; cette tendance ne s’est inversée qu’à partir de 2003 – avec une part croissante de créations d’entreprises par des personnes au chômage), le débat dans les médias autour de l’esprit entrepreneurial s’est accru depuis le début des années 1990. Depuis cette date, les gouvernements fédéral et régionaux, tout comme des initiatives publiques et privées, ont mis en place davantage de moyens pour promouvoir et soutenir la création de nouvelles entreprises. Devant les taux de création à la baisse, les dépôts de bilan croissants et un taux de chômage toujours élevé, la classe politique a commencé, en outre, à discuter la manière d’encourager au mieux la culture entrepreneuriale (cf. Lageman et Welter, 1999).

Tous ces faits se reflètent dans le nombre croissant d’articles de journaux publiés sur l’esprit entrepreneurial, surtout après le changement de gouvernement en 1998 et la formation de la nouvelle coalition entre les socialistes et les verts. Les différents journaux se différencient toutefois les uns des autres en termes d’ampleur et de développement de l’information. Tandis que les deux journaux conservateurs Welt et FAZ ont accordé de façon continue une part plus ou moins accrue à la diffusion de l’information, elle était plutôt erratique dans le SZ progressiste. Le Berliner Zeitung constitue une exception dans la tendance générale croissante de la diffusion de l’information. En effet, fortement ancré dans l’ex-RDA, ce journal a constamment réduit le nombre d’articles publiés sur l’esprit entrepreneurial. Après que la coalition formée par les socialistes et les verts a été reconduite au gouvernement fédéral lors des élections en 2002, il est intéressant de voir que le nombre d’articles publiés est en hausse dans les deux journaux conservateurs alors qu’il baisse dans le Süddeutsche Zeitung progressiste passant de 25 à 12 (2003). Ainsi, ces trois journaux ont traité l’information à l’inverse de l’évolution qu’on aurait pu prévoir au regard de l’orientation politique.

Figure 1

Esprit entrepreneurial – le Grand Discours 1997-2003

Esprit entrepreneurial – le Grand Discours 1997-2003

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Un autre aspect de l’analyse macro se rapporte à l’ancrage externe, à savoir les catégories des journaux respectifs dans lesquels paraissent les articles portant sur l’esprit entrepreneurial (par ex., le feuilleton correspond à un ancrage culturel et la rubrique économique, à un ancrage économique)[3]. Le tableau 1 présente l’ancrage externe dans le journal conservateur die Welt, le journal plus progressiste Berliner Zeitung et le journal économique Handelsblatt pour la période avant, pendant et après la bulle Internet. Dans l’ensemble, l’ancrage économique est décroissant entre 1997 et 2003 ; c’est le plus probant dans die Welt. Le discours relatif à l’esprit entrepreneurial dans les rubriques économiques concerne principalement l’environnement économique et institutionnel respectif ainsi que ses forces et ses faiblesses. Ces articles couvrent un large éventail de sujets ; par exemple, on y présente des analyses concernant le système fiscal, les changements législatifs, les dispositions pour les nouvelles créations tout comme des exemples d’esprit entrepreneurial individuel, régional et national. Plusieurs articles soulignent clairement la relation (souhaitée) entre la création de nouveaux emplois et l’évolution de l’esprit entrepreneurial. C’est tout particulièrement le cas lorsque les articles traitent de stratégies européennes pour l’emploi et du plan d’action national pour l’emploi en Allemagne.

Pour la période après la bulle Internet, on peut constater des changements intéressants qui vont de pair avec une tendance générale vers un ancrage plus « substantif » (Johannisson, Ramirez-Pasillas et Karlsson, 2002), indépendamment de l’orientation politique du journal en question : l’ancrage culturel et politique du discours portant sur l’esprit entrepreneurial devient de manière générale nettement plus important. Dans la catégorie ancrage culturel, on trouve, par exemple, des articles associant l’esprit entrepreneurial à des données culturelles ou historiques ainsi que des articles portant sur des critiques littéraires ou théâtrales. Les articles politiques traitent par contre fréquemment l’esprit entrepreneurial dans un contexte international (à titre d’exemple, l’esprit entrepreneurial américain des États-Unis dont on a fait maintes fois l’éloge et qu’on se plaît à présenter comme exemple positif, l’index levé en signe d’exhortation).

Tableau 1

Ancrage externe avant et après la bulle Internet

 

Welt

Berliner Zeitung

Handelsblatt

 

1997

2003

1997

2003

1997

2003

Culture

0

7

4

5

1

1

Politique

0

6

3

1

5

2

Économie

0

11

6

0

19

10

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Le discours officiel (politique) avance en même temps l’argument selon lequel l’esprit entrepreneurial serait et devrait faire partie de la mentalité (allemande). Cette revendication nécessiterait cependant un changement des valeurs culturelles où l’entrepreneuriat devrait obtenir une meilleure valeur sociale. Comme les discours peuvent avoir une influence sur l’ampleur et le type d’entrepreneuriat, l’ancrage substantif du discours (représenté par le nombre d’articles publiés dans les rubriques politiques et culturelles) devrait dans ce cas augmenter (Johannisson, Ramirez-Pasillas et Karlsson, 2002). C’est effectivement le cas bien que dans une moindre mesure. La signification attribuée aux activités entrepreneuriales se reflète dans l’importante recrudescence du discours économique et dans l’amélioration du champ pour l’entrepreneuriat. Ainsi, les années 1990 sont-elles marquées par de multiples activités aux plans fédéral et régional dans le cadre de la stratégie européenne de l’emploi pour simplifier notamment la création d’entreprises et réduire les coûts bureaucratiques ; presque toutes les régions ont en même temps mis sur pied des plans pour favoriser la création d’entreprises. Dans l’ensemble, la dimension de l’entrepreneuriat était pourtant sur la même période décroissante, ce qui laisse supposer une absence d’ancrage du discours socioculturel. La baisse des créations d’entreprises est certainement due à la récession survenue au même moment et pourrait de plus expliquer la tendance vers un ancrage renforcé du discours en économie. Cela illustre, par ailleurs, les liens récursifs entre discours et contexte.

5.2. Ancrage interne

Le tableau 2 présente les résultats de l’ancrage interne de l’esprit entrepreneurial dans les journaux sélectionnés. Nous avons comparé l’évolution entre le journal conservateur Welt et le Berliner Zeitung, plus progressiste sur la période étudiée. L’ancrage interne se rapporte à la question de savoir si l’esprit entrepreneurial est le sujet principal ou un sujet annexe des articles respectifs. Les articles avec l’esprit entrepreneurial comme sujet principal ont un plus fort ancrage interne ; cela comprend, par exemple, des séries entières d’articles, des portraits d’entreprises et d’entrepreneurs tout comme des articles sur les mesures de soutien et les réseaux des entrepreneurs. Le discours se manifeste dans un sujet annexe – ou bien a un ancrage interne plus faible – lorsque l’esprit entrepreneurial ne se réfère, par exemple, qu’à un seul acteur dans l’article, alors que l’article traite d’un sujet tout autre. À titre d’exemple, le quotidien Bild prête un esprit entrepreneurial à une starlette du pop qui a encore l’énergie de sortir après un concert.

Tableau 2

Évolution de l’ancrage interne, 1997-2003

Welt

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Sujet principal

0

2

2

5

3

7

7

Sujet annexe

2

7

9

13

19

15

23

Total

2

9

11

18

22

22

30

Berliner Zeitung

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Sujet principal

4

1

0

1

4

1

1

Sujet annexe

9

11

9

6

5

2

5

Total

13

12

9

7

9

3

6

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Concernant l’ancrage interne, il est intéressant de ne pouvoir constater aucune différence fondamentale dans la présentation de l’information, quel que soit le bord politique des journaux. Les articles qui traitent de l’esprit entrepreneurial comme sujet annexe dominent dans les deux journaux. Dans le journal Welt, ces articles sont en nombre croissant, bien que le nombre d’articles avec pour sujet principal l’esprit entrepreneurial soit lui aussi croissant. L’augmentation générale du nombre d’articles portant sur l’esprit entrepreneurial tout comme celle sur l’intégration substantive et l’intégration économique vont de pair avec l’augmentation des sujets traités secondairement et remettent en question la pertinence de l’ensemble du discours.

5.3. Valeurs et représentations

Comme nous l’avons déjà mentionné, la langue représente le coeur de l’analyse de discours. Dans ce qui précède, nous avons analysé le « Grand Discours » sur l’esprit entrepreneurial en formant des modèles agrégés de discours (Alvesson et Kärreman, 2000a, p. 1145). Dans cette partie, nous allons délaisser ce niveau d’abstraction et orienter notre regard sur les détails des textes qui constituent le discours. Nous allons voir comment l’esprit entrepreneurial se présente dans les articles de presse en termes de valeurs et de représentations. Nous référant à Alvesson et Kärreman (2000b, p. 137), nous partons du principe qu’il existe une relation entre la réalité sociale et la langue, même si la langue n’est pas toujours représentative de la réalité. Comme le discours, la langue est une construction complexe qui se compose de différents éléments et de relations récursives. Afin de dégager la signification de la langue pour un discours, nous présenterons le discours sur l’esprit entrepreneurial en considérant les appréciations communiquées et les structures grammaticales, les figures de styles et les métaphores employées. Pour ce faire, nous reprenons la proposition de Hysrky (1999) selon laquelle une analyse des métaphores permet d’appréhender l’entrepreneuriat sous un autre angle. Notre objectif est d’exposer les différentes voix présentes dans un discours et de montrer la diversité de ses éléments – en partie contradictoires (cf. tableau 3).

Le tableau 3 présente les estimations relatives à l’esprit entrepreneurial comme elles se présentent dans les deux journaux sélectionnés (FAZ et Berliner Zeitung) en 1997 et en 2001. On peut relever différentes thématiques relatives à l’esprit entrepreneurial. La première voit dans l’entrepreneuriat le moyen de combattre le chômage, d’améliorer la situation économique et de favoriser des activités innovantes. Dans cette thématique, l’esprit entrepreneurial est considéré comme une faculté qui peut s’apprendre et engendrer un comportement entrepreneurial. La deuxième thématique du discours retrace la réussite professionnelle d’entrepreneurs à titre individuel. L’esprit entrepreneurial y est, la plupart du temps, perçu comme une qualité innée, bien que certains articles montrent qu’il peut être acquis. Néanmoins, les deux thématiques s’appuient de manière plus ou moins implicite sur deux définitions liées à la personne dont la recherche en entrepreneuriat parle déjà depuis des années de façon extrêmement critique. Ici apparaît le clivage évident entre le discours officiel sur l’esprit entrepreneurial et les résultats récents de la recherche en entrepreneuriat. Une troisième thématique établit une relation entre l’esprit entrepreneurial et les régions tout en soulignant le rôle sous-jacent que peut jouer à différents niveaux la culture dans la promotion de l’entrepreneuriat. Dans de nombreux articles, on attribue, par exemple, à différentes cultures nationales et régionales un esprit entrepreneurial particulier élevé ou bien absent. Il est fréquent à ce sujet de faire l’éloge de l’esprit nord-américain et de critiquer l’absence d’esprit entrepreneurial en Allemagne. De la même manière, on voit l’esprit entrepreneurial comme une caractéristique propre à une région ou à une ville ou bien dans le secteur économique comme une caractéristique propre à une industrie, une entreprise ou un fonds d’investissement. Le discours journalistique reflète ici de façon implicite les résultats de recherches nationales et internationales en entrepreneuriat qui mettent en évidence l’ancrage général de l’entrepreneuriat dans différents contextes (par exemple, organisationnels, régionaux ou culturels ; Johannisson, 1991). Les résultats de la recherche qui ont une influence sont ici, par exemple, ceux qui soulignent l’importance des équipements factoriels régionaux (comme le capital humain ou l’infrastructure physique et institutionnelle) pour l’ampleur des activités entrepreneuriales dans différentes régions (par exemple, Sternberg, 2003). Mais les études comparatives internationales du Global Entrepreneurship Monitor - GEM et leur pendant en Allemagne le Regional Entrepreneurship Monitor - REM notent l’importance que revêtent les facteurs mous (comme le climat de création) pour l’esprit entrepreneurial (par exemple, Tamasy, 2003 ; Sternberg, 2002 ; Wagner et Sternberg, 2002).

Tableau 3

Estimation de l’esprit entrepreneurial (UG), 1997-2001

 

FAZ

 

 

 

 

Berliner Zeitung

 

1997

1998

1999

2000

2001

1997

1998

1999

2000

2001

EE manque en All.

10

10

8

8

5

6

3

0

2

0

EE manque en All., fort aux USA

2

1

0

3

0

1

1

0

0

0

EE fort aux USA

0

0

0

2

8

0

0

0

0

1

EE présent en All.

2

0

2

1

4

0

1

1

0

0

Portrait positif de l’EE d’une pers./ent.

3

2

7

7

3

2

0

0

2

3

Portrait positif de l’EE dans région

8

4

7

9

9

0

0

0

0

2

Portrait négatif de l’EE de pers./entr.

2

1

0

1

0

0

0

0

0

0

Portrait négatif de l’EE dans région

0

5

3

2

0

0

2

0

0

0

Description neutre de l’EE

0

1

1

1

1

3

5

2

2

1

Estimation critique de l’EE

0

1

1

1

0

1

0

6

0

2

Total

27

25

29

35

30

13

12

9

6

9

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Un sujet dont le discours traite largement a pour thème la prétendue absence d’esprit entrepreneurial en Allemagne et la forte présence de l’esprit entrepreneurial aux USA. Cette tendance est nettement prononcée, tout particulièrement dans le journal conservateur FAZ. Toutefois, il faut tenir compte dans l’interprétation de ces résultats de l’influence du 11 septembre 2001, car la moitié des articles avec un jugement positif a été publiée après cette date. Par ailleurs, la plupart des articles publiés dans ces deux journaux émettent un jugement fondamentalement négatif déjà en 1997 – donc avant la bulle Internet –, leur leitmotiv étant que l’esprit entrepreneurial en Allemagne est trop faible mais qu’il est fantastique aux États-Unis. Contrairement à cette tendance, le FAZ présente une grande partie de portraits positifs de régions ou de pays, alors que le Berliner Zeitung se concentre sur les portraits d’individus ou de leurs entreprises.

En 2001 – donc après la bulle Internet –, cela a changé du tout au tout. Les deux journaux ont publié moins d’articles portant un jugement négatif sur l’esprit entrepreneurial en Allemagne, alors que les comparaisons avec les États-Unis en tant que modèle étaient en nombre croissant. Concernant le Berliner Zeitung, il est intéressant de constater un accroissement des jugements critiques qui remettent fondamentalement en question la nécessité et l’utilité de l’esprit entrepreneurial. Cette critique va de pair avec la baisse du nombre d’articles publiés et, parallèlement, avec une extension thématique présentant des portraits d’autres régions ou pays. À l’inverse, on remarque dans le FAZ une recrudescence de portraits négatifs présentant les régions et les pays ainsi qu’une nette tendance à porter un jugement plus positif sur l’esprit entrepreneurial en Allemagne.

Quelle relation cette discussion entretient-elle avec la langue qu’on utilise pour décrire le phénomène d’esprit entrepreneurial ? Il est peu surprenant que l’esprit entrepreneurial soit clairement le sujet du discours (tableau 4). Différents verbes s’y rapportent. Il est aussi intéressant de voir que l’on attribue à l’esprit entrepreneurial un rôle tout aussi bien passif qu’actif. Par exemple, on attribue à l’esprit entrepreneurial la faculté d’être actif : il sommeille, crée des emplois et pénètre la société. Mais on le voit aussi dans un rôle plutôt passif ; ainsi, il peut être accru, exporté et détruit. Pour les démarches visant l’accroissement des activités entrepreneuriales, ce point de vue est déterminant puisqu’on présuppose ici la possibilité d’avoir une influence externe sur l’esprit entrepreneurial. Les attributs du sujet sont employés pour décrire plus en profondeur l’esprit entrepreneurial : il est, par exemple, considéré comme une qualité innée, une particularité masculine, une capacité et une source de création de richesse. Si quelques attributs du sujet sont connotés de manière positive, l’esprit entrepreneurial est néanmoins aussi tenu pour représenter le contraire de professionnalisme, de loyauté et de comportement éthique.

Les phrases consécutives représentent le résultat de l’esprit entrepreneurial : il conduit, par exemple, à une économie plus dynamique, plus flexible et plus aisée ; il crée des emplois et une ambiance positive sur le marché. Les phrases consécutives suivent donc très clairement l’hypothèse et la vision – latente – de la classe politique selon laquelle l’esprit entrepreneurial pourrait être un remède contre tous les maux économiques. Il en va de même pour les phrases causales relatives à des facteurs qui freinent ou favorisent l’esprit entrepreneurial. Des exemples sont la suppression de barrières bureaucratiques, l’amélioration de l’infrastructure et la mise à disposition de plus de capital-risque. Enfin, les phrases relatives font référence à des facteurs étroitement liés à l’esprit entrepreneurial, comme la dureté du travail, l’engagement et la créativité, mais aussi l’esprit aventurier, la discipline allemande, la politique des clans ou le communautarisme religieux.

Toutes ces assertions mettent en évidence la diversité des voix et des nuances du discours portant sur l’esprit entrepreneurial à un niveau méso. Elles soulignent qu’il n’y a pas qu’un seul « Grand Discours », mais qu’un discours est constitué d’une multitude de facettes différentes. On peut ainsi interpréter et comprendre l’esprit entrepreneurial de différentes manières qui ne reflètent pas toujours les « mythes entrepreneuriaux » (Nodoushani et Nodoushani, 2000, p. 7). Il n’existe donc pas UNE définition correcte et complète d’un discours et de son contenu, mais cette définition est sans cesse recréée et modifiée par les différents acteurs sociaux. Cet état de fait correspond à l’appel lancé par Alvesson et Kärreman pour établir un « pragmatisme discursif » (2000b, p. 147) qui tienne compte des différentes significations dans un discours, ces significations ayant trait à la multitude des réalités sociales.

Tableau 4

La langue dans le discours sur l’esprit entrepreneurial

Sujet : Esprit entrepreneurial

Verbe (Qu’est-ce qui caractérise l’esprit entrepreneurial ?) : l’esprit entrepreneurial

Résulte d’une nécessité, imprègne les USA, imprègne la société, veille en chacun de nous, créé des emplois, s’oppose aux aspirations vers plus de sécurité, agit de façon autonome, peut être détruit, peut manquer, peut être exporté, peut être éveillé, peut être transposé par l’entrepreneur sur l’entreprise, peut être mobilisé et exercé, doit être renforcé ; est éphémère, décroît plus l’entreprise grandit, s’est accru dans le management, est attractif.

Attribut du sujet (définit plus précisément le sujet)

L’esprit entrepreneurial est

Un facteur de réussite, une compétence professionnelle, une qualification pour la société de la connaissance, une compétence d’une grande nécessité, une vertu, un esprit pionnier, ce dont ont besoin les managers, un phénomène culturel, un facteur culturel influent, un trait de caractère propre aux entrepreneurs masculins, un trait de caractère inné, un objectif du système éducatif, une source de croissance.

Présent dans les activités normales, le contraire de loyauté, le contraire d’éthique, le contraire de professionnalisme, néocapitaliste, absent de l’esprit contemporain.

Phrases consécutives (expriment la conséquence)

L’esprit entrepreneurial conduit à

Une innovation et à un dynamisme accrus, de nouvelles idées, une économie dynamique, la flexibilité et la rentabilité, une moindre pauvreté, des emplois, une ambiance de marché positive et des idées sauvages.

Phrases causales (raisons qui conduisent à un esprit entrepreneurial accru)

Flexibilité et grande faculté d’imaginer, capital-risque, suppression des barrières bureaucratiques, meilleure infrastructure, options boursières, travail hautement qualifié, capital financier, savoir et audace ; soutien public.

Phrases relatives

L’esprit entrepreneurial dépend de

un travail dur et un esprit créatif ; conduit à la richesse, engagement, confiance en soi ; volonté et tempérament, la colonne vertébrale de l’économie ; succès et folie des grandeurs ; bonheur et talent ; conjoncture, concurrence ; initiative, performance et prise de risques ; goût du risque et résistance au stress ; indépendance par rapport à l’État, envie de liberté, subvenir à ses besoins et croire aux forces du marché ; adaptabilité, esprit inventif ; audace ; discipline allemande ; esprit entrepreneurial ; politique de clans, communautarisme religieux ; soutien public pour les investissements et le génie scientifique ; fierté provinciale et sens du marketing ; envie de sécurité.

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Conclusion et recommandations

Le « Grand Discours », c’est-à-dire l’analyse à un niveau macro, a montré une augmentation générale de l’information sur l’esprit entrepreneurial dans la plupart des journaux, qui a atteint en 2002 son paroxysme et qui est depuis de nouveau en recul. Nous avons pu montrer que le discours sur l’esprit entrepreneurial ne se concentre plus uniquement dans les rubriques économiques des journaux, mais que nous pouvons le trouver dans les rubriques culturelles et politiques des journaux. L’analyse du discours à un niveau méso se rapporte, d’un côté, à des modèles de contenus et, d’un autre côté, à l’utilisation de la langue. Cette analyse illustre comment l’appréciation de l’entrepreneuriat a évolué dans les journaux allemands après la bulle Internet – partant tout d’abord d’un avis général relativement négatif sur l’esprit entrepreneurial en Allemagne et d’éloges de l’esprit entrepreneurial aux États-Unis, pour passer à un jugement plus nuancé. Les représentations que les journaux véhiculent par là même peuvent jouer un rôle important sur les (potentiels) entrepreneurs et leur définition identitaire et elles peuvent avoir une influence sur l’ampleur et le genre des activités entrepreneuriales. Au niveau méso, nos résultats mettent en évidence qu’il faut prêter oreille aux différentes voix présentes dans un discours.

À nos yeux, cette étude apporte à l’état actuel de la connaissance dans le domaine de l’entrepreneurial les contributions suivantes. Premièrement, nous avons introduit la méthode de l’analyse de discours (basée sur des articles de journaux) dans la recherche en entrepreneuriat en Allemagne. Alors que l’analyse de discours dans d’autres pays est devenue une méthode importante de la recherche en sciences économiques et en gestion de l’entreprise (par exemple, dans la théorie de l’organisation ; Hardy, 2001, p. 25), on l’utilise peu en Allemagne, voire pas du tout. Deuxièmement, nous livrons une contribution méthodique en faisant le choix d’une approche de recherche qui combine une étude du discours (orientée procédé) avec des données du contexte. Cela signifie que nous pouvons non seulement comprendre le discours entrepreneurial en tant que tel, mais que nous pouvons aussi suivre son évolution dans le contexte. Troisièmement, nous prenons en compte deux dimensions différentes du discours. Pettigrew et Whipp (1991, p. 27) argumentent en faveur d’un tel procédé pour obtenir une meilleure connaissance de l’objet d’étude. Dans cette étude, nous conjuguons une analyse du niveau macro et d’un niveau méso plus détaillé (Alvesson et Kärreman, 2000a, p. 1133). Ce procédé a porté ses fruits dans la mesure où nous avons pu analyser non seulement les caractéristiques et les assertions principales du « Grand Discours », qui sont nécessairement à un niveau agrégé, abstrait et qui exclut donc – de manière paradoxale – le discours en soi. Le procédé nous a permis en outre d’analyser l’usage de la langue à un niveau méso, ce qui correspond à l’idée fondamentale de l’analyse du discours (Alvesson et Kärreman, 2000a, p. 1145).

Les recommandations qui résultent de notre étude pour la classe politique et les autres acteurs de la promotion entrepreneuriale reposent sur l’écart à combler entre l’objectif de promouvoir l’entrepreneuriat et les représentations de l’esprit entrepreneurial dans le discours public. Étant donné que le discours public influence les activités effectives et potentielles, un discours négatif la plupart du temps et mettant en avant le manque d’esprit entrepreneurial émet probablement de mauvais signaux pour les entrepreneurs potentiels. Le fait que le discours ne soit pas à jour avec les connaissances produites par la recherche en entrepreneuriat peut être perçu comme problématique. Améliorer les échanges entre la recherche, la pratique et les acteurs publics s’impose donc ici.