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1. Problématique

De plus en plus souvent, la classe politique allemande, l’enseignement supérieur et le secteur privé considèrent la recherche en entrepreneuriat comme un élément important pour promouvoir des idées novatrices, des activités d’entreprises et le progrès économique. Au cours des dix dernières années, le milieu de la recherche a connu une évolution similaire et il a atteint en 2005, provisoirement, un total de 95 chaires dans 80 établissements d’enseignement supérieur (Klandt, Koch et Knaup, 2005). Le spectre des sujets de recherche est très étendu du fait de la disparité des institutions (écoles supérieures, universités, universités techniques) et de la diversité des disciplines associées à chaque titulaire de chaire.

À ce propos, Fallgatter (2004) reconnaît dans la recherche scientifique allemande une disparité qui s’exprime dans le manque d’un objet de recherche commun à la communauté scientifique. Grichnik (2006) arrive à des résultats similaires et impute cela à un phénomène général inhérent à la recherche internationale en matière d’entrepreneuriat (Shane et Venkataraman, 2000). De récentes études (Kollmann et Kuckertz, 2006) relèvent néanmoins quelques orientations théoriques dominantes dans la recherche en entrepreneuriat en Allemagne.

Pour décrire un champ de recherche, on peut s’attarder sur la nature même de la discipline, tout comme sur son orientation stratégique (Low, 2001), ou bien sur les phénomènes étudiés par les chercheurs (sujets), et les concepts (théories) et procédés (méthodes) mis en oeuvre (Kollmann et Kuckertz, 2006). Bien qu’il existe déjà une analyse sur les théories (Kollmann et Kuckertz, 2006) et les méthodes dominantes (dans le contexte international, voir Bouckenooghe etal., 2004), aucune étude ne s’est encore penchée sur l’évolution future des principaux points thématiques. Les auteurs sont tout à fait conscients qu’une conjecture ne saurait supplanter aucune recherche, au sens rationnel et critique du terme. Nous sommes cependant d’avis qu’une telle démarche prospective peut apporter d’intéressantes pistes de recherche à la communauté scientifique.

Reposant sur une enquête adressée aux membres du groupe de travail FGF en entrepreneuriat (Förderkreis Gründungsrforschung e.V., Bonn), cette contribution présentera l’avis d’experts fortement impliqués dans le développement de ce champ de recherche. Elle exposera notamment des points qui pourraient faire l’objet de futures recherches en entrepreneuriat en Allemagne.

2. Stratégies et sujets de recherche en entrepreneuriat

Les problématiques médiatisées à certains moments influencent la recherche en sciences de gestion (Lechner, Egger et Schauer, 1991). Ainsi, pour la décennie actuelle, le sujet de la complexité croissante et du dynamisme des marchés est considéré comme majeur dans la vie économique, ce dont témoignent les matières enseignées en gestion. L’orientation vers des problématiques médiatisées et la variété des sujets qui y sont liés pourraient aussi valoir pour la recherche en entrepreneuriat.

Sans vouloir plaider en faveur d’un intérêt de la recherche pour des sujets « en vogue » à un certain moment, connaître la portée potentielle de certains sujets pourrait néanmoins être intéressant pour les chercheurs en entrepreneuriat. Lorsqu’une contribution s’intéresse à des sujets particulièrement en vogue au moment de sa publication, son « impact » s’accroît, celui-ci peut être, par exemple, mesuré à partir de la fréquence des citations d’un sujet. L’impact est en relation positive avec la réputation de l’école supérieure ou l’université et le chercheur (Tahai et Meyer, 1999), et la probabilité de remporter des financements externes pour des projets augmente lorsqu’un chercheur s’est penché sur les domaines problématisés du moment. Puisque quelques années peuvent s’écouler entre le moment où l’on trouve une idée et celui où on la publie, après avoir effectué tout un travail de recherche, il est intéressant pour les chercheurs en entrepreneuriat d’obtenir des indications sur les sujets qui pourraient être pertinents à l’avenir.

2.1. Les stratégies de base de la recherche en entrepreneuriat

La sélection des principales thématiques se fait essentiellement à partir de stratégies de base de la recherche qui s’imposent d’elles-mêmes (Low, 2001). Ainsi, Low relève quatre possibilités : « l’entrepreneuriat comme soutien de l’enseignement », « l’entrepreneuriat en tant que pot-pourri », « l’entrepreneuriat émanant de disciplines classiques » et « l’entrepreneuriat en tant que domaine de recherche autonome ». Ces perspectives sont caractérisées comme suit.

Stratégie 1 : la recherche en entrepreneuriat en tant que soutien de l’enseignement. Cette stratégie renonce à vouloir expliquer les sujets émanant du domaine de l’entrepreneuriat et se limite à une fonction d’« accompagnateur ». L’output de la recherche se déplacerait ainsi d’articles publiés dans des revues spécialisées vers des concepts de praticiens, des outils et conseils tels qu’un plan d’affaires, la propriété intellectuelle, le financement, les réseaux, etc. Ces contributions conceptuelles seraient illustrées par des exemples actuels.

Stratégie 2 : la recherche en entrepreneuriat en tant que « pot-pourri ». Dans cette perspective, la recherche en entrepreneuriat recueille toutes sortes de questions qui traitent diversement de thèmes en entrepreneuriat. Suivant l’objet de recherche, divers principes théoriques émanant par exemple de la finance, de la psychologie, de la gestion d’entreprise ou encore de l’économie sont mis en oeuvre pour s’approprier l’objet.

Stratégie 3 : la recherche en entrepreneuriat émanant des disciplines classiques. Dans cette perspective, la recherche en entrepreneuriat ne s’appuie pas directement sur l’objet de recherche (par exemple, start-ups, corporate venturing). À la place, des phénomènes du domaine de l’entrepreneuriat sont considérés comme un contexte intéressant où des théories nouvelles et anciennes issues de disciplines comme la théorie de l’organisation, la finance (par exemple, les théories sur la structure du capital) sont, entre autres, testées et élargies.

Stratégie 4 : la recherche en entrepreneuriat comme domaine de recherche autonome. Dans cette perspective, la recherche en entrepreneuriat est un domaine qui se distingue des autres disciplines. Cette délimitation s’effectue grâce à des cadres conceptuels et des théories qui expliquent et prédisent des phénomènes empiriques qui ne sont pas traités dans les autres disciplines. À titre d’exemple, la recherche en entrepreneuriat a étudié en premier la relation entre individu et opportunité.

Chacune de ces stratégies comporte des forces et des faiblesses par rapport aux données institutionnelles actuelles. Ainsi, d’après la stratégie 3, on peut traiter une large palette de sujets émanant, par exemple, de la finance, des gender studies ou de l’économie régionale. Toutefois, comme le souligne Low (2001), cette fragmentation se fait également aux dépens d’une concentration et d’un approfondissement des contenus. À cela se joint le point de vue selon lequel la recherche en entrepreneuriat n’a pas encore acquis le statut dont jouissent les disciplines classiques en gestion et auxquelles appartenaient à la base la plupart des chercheurs allemands actuels en entrepreneuriat.

Si la recherche en entrepreneuriat devait évoluer vers un domaine de recherche autonome, avec des sujets de recherche clairement délimités (stratégie 4), elle pourrait progresser et étoffer ses contenus en se concentrant sur le développement de théories ; elle gagnerait ainsi en réputation dans les milieux spécialisés. Cependant, la particularité des problèmes d’un pays pourrait influencer l’axe de recherche en entrepreneuriat.

2.2. Les sujets spécifiques à la recherche en entrepreneuriat

Avant d’aborder la question des thèmes principaux en entrepreneuriat, il est nécessaire de structurer ce champ de recherche. Cette structuration s’oppose à la diversité du champ évoqué dans l’introduction. Pour structurer ce champ, on pourrait s’appuyer sur l’architecture de la recherche en entrepreneuriat (Gartner, 1985 ; Storey, 1994 ; Sarasvathy, 2004 ; Chrisman, Bauerschmidt et Hofer, 1998 ; Mugler, 1998) qui tient compte des caractéristiques de l’entrepreneur, de l’entreprise elle-même, de la stratégie et de l’environnement. Cependant, cette architecture se révèle être trop élémentaire pour suggérer le choix de sujets de recherche pertinents.

En supposant que la catégorisation du contenu d’une discipline est également une construction sociale et qu’elle se reflète dans les productions d’un centre de recherche comme le sont les actes d’une conférence, nous avons tenté de mettre au point une vision qui s’appuie sur la composition thématique de « la » conférence allemande en recherche sur l’entrepreneuriat (« G-Forum », 1998-2006) et de la conférence Babson Kauffman Entrepreneurship Research (1991-2005). Pour ce faire, nous avons codé les mots clés apparaissant dans les titres de la conférence, nous avons ensuite regroupé les mots ayant un rapport thématique. Il en a résulté neuf catégories (personnalité, processus de création, contexte de création, facteurs de réussite, management et stratégie, finance, entrepreneuriat coopératif, enseignement de l’entrepreneuriat et recherche en entrepreneuriat) qui se décomposent en 72 sous-catégories.

Nous avons mené une enquête (voir la section 3 ci-dessous) concernant la pertinence actuelle et future des sujets et nous avons également demandé aux sondés de comparer les stratégies et les thèmes principaux de la recherche en entrepreneuriat en Allemagne par rapport à d’autres zones linguistiques.

Les résultats indiquent que l’influence de la recherche américaine semble se trouver au premier plan. Les sujets et les méthodes issus des pays anglo-saxons dominent (comme dans d’autres disciplines orientées vers le management) également la recherche germanophone en entrepreneuriat. Il est alors intéressant de déterminer si la tendance va vers une émancipation ou bien, à l’inverse, vers une imitation encore plus forte du pays de référence en termes de recherche en entrepreneuriat : les États-Unis.

3. Méthodologie

Pour estimer les évolutions à venir, on peut mettre en oeuvre toute une série de procédés, comme l’extrapolation des tendances (Martino, 1980), l’analyse de scénario (Brauers, 1986), l’analyse Delphi (Story etal., 2001) ou bien la consultation d’experts (Bogner, Littig et Menz, 2002).

Cette étude s’appuie sur une consultation d’experts par voie de questionnaires contenant des questions ouvertes et fermées. Nous avons écarté une extrapolation des tendances à partir, par exemple, de mots clés de publications et de communications, car il nous aurait été seulement possible de constater la pertinence future de sujets déjà existants, mais pas celle de nouveaux sujets. Une analyse de scénario est plus appropriée pour traiter des données fortement agrégées tels les scénarios d’entreprise ou de marché, elle n’a donc pas été utilisée pour estimer des données peu agrégées, qui concernent, par exemple, l’importance des sujets d’une branche de recherche. Nous avons renoncé à l’analyse Delphi en raison du petit nombre de personnes consultées (N = 31), puisque, comme le montre l’expérience, le retour est moins important à la deuxième consultation qu’à la première (Haus, 2006), ce qui nous aurait amené à un nombre de cas encore plus réduit.

L’ensemble de base est constitué par les membres du groupe de recherche en entrepreneuriat de la FGF (N = 31), l’association des chercheurs germanophones en entrepreneuriat. Parmi les 31 membres, 22 ont pu être interrogés en février 2007 dans le cadre des sixièmes rencontres du groupe (sans compter les auteurs de cette étude). Ainsi, le pourcentage de retour s’élève à 70 %. Le groupe ne recoupe qu’une partie des membres de la FGF (avec ses 165 membres institutionnels et privés, en mars 2007). La FGF représente, quant à elle, environ 70 % des chaires germanophones en entrepreneuriat, nous pouvons donc supposer avoir atteint un pourcentage suffisant de chercheurs en entrepreneuriat dans la région visée. De plus, nous pouvons supposer que les participants à ce groupe ont une vue d’ensemble relativement pertinente de la scène germanophone en recherche sur l’entrepreneuriat, en raison de leur intérêt pour la matière.

Les items relatifs aux stratégies fondamentales s’inspirent de Low (2001) et ont déjà été décrits brièvement. Les personnes consultées pouvaient sélectionner leur degré d’approbation pour telle ou telle affirmation sur une échelle allant de 0 à 5. Nous avons par ailleurs différencié les stratégies actuelles des stratégies futures (dans cinq ans).

Une échelle à 5 points sert également de base pour apprécier la pertinence actuelle ou future d’un sujet. Les appréciations suivantes étaient possibles : 0 = on ne parle pas du sujet ; 1 = on parle du sujet dans un petit nombre de contributions ; 2 = on parle systématiquement du sujet, par exemple, dans le cadre de groupes de recherche et de groupes de travail informels ; 3 = on parle largement du sujet, par exemple, dans des numéros spéciaux et des actes de conférences spécifiques ; 4 = le sujet est dans le courant dominant de la recherche en entrepreneuriat, c’est-à-dire que toutes les contributions abordent le sujet au moins de façon brève. Pour tester s’il existe des écarts significatifs entre la pertinence actuelle et future d’un sujet, nous avons utilisé le test de Wilcoxon pour des échantillons de paires.

Dans cette opérationnalisation, nous nous sommes attachés à la discussion de sujets de recherche. Comme cette grandeur est fortement agrégée, elle se laisse plus facilement prédire que des valeurs orientées essentiellement sur des inputs comme l’âge ou la somme des subventions, ou que des valeurs orientées output comme la somme des contributions qui paraissent sur un sujet particulier.

Cette opérationnalisation ne comporte en aucun cas une appréciation de la pertinence par rapport à la gestion de l’entreprise ou à la société (March et Sutton, 1997 ; Nicolai et Kieser, 2002). Cette dernière n’est que très difficilement estimable, voire impossible à estimer, et en raison de la portée des conséquences, elle est orientée vers un avenir plus lointain (Dunn, Hegedus et Holzner, 1988). Notre opérationnalisation constitue, par contre, un bon indicateur, permettant de se faire une idée de la recherche en entrepreneuriat, à partir de l’opinion d’un cercle d’experts germanophones.

Comme « futur », nous nous sommes fixés un horizon de cinq ans, puisque les affirmations au-delà de cette période sont empreintes d’une incertitude encore plus grande. D’après les estimations des auteurs, les travaux en cours pourraient préfigurer les principaux points thématiques sur une période de temps plus brève.

Outre l’appréciation des stratégies et de la pertinence des principaux points thématiques, nous avons pu mesurer le consensus autour des appréciations en nous basant sur l’écart type. Un écart par rapport à un standard relativement faible reflète une propension relativement forte au consensus et inversement.

Finalement, nous avons demandé aux participants de répondre à une question ouverte portant sur la comparaison (sur la stratégie et les questions de recherche) entre la recherche en entrepreneuriat en Allemagne et dans d’autres zones géographiques. Nous avons choisi une question ouverte car elle porte sur un thème peu structuré.

4. Résultats

4.1. Stratégies

D’après Low (2001), la recherche en entrepreneuriat dispose de quatre stratégies principales qui caractérisent la nature même du champ de recherche. Ces stratégies exercent une influence essentielle sur la manière d’aborder la recherche en entrepreneuriat et sur les thèmes afférents. Le tableau 1 montre nos résultats. Il compare les réponses sur les stratégies actuelles et futures aux stratégies principales de Low (2001).

Tableau 1

Stratégies de recherche en entrepreneuriat

 

Présent/rang

Écart type présent

Futur/rang

Écart type futur

Différence présent/futur (sig.)

Stratégie 1

1,76 / 4

0,97

1,19 / 4

0,96

0,007

Stratégie 2

2,57 / 1

0,90

2,38 / 2

1,00

Insign.

Stratégie 3

2,10 / 2

0,99

2,05 / 3

1,12

Insign.

Stratégie 4

2,00 / 3

0,93

2,81 / 1

1,01

0,002

0 : pas d’adhésion ; 1 : adhésion faible ; 2 : adhésion moyenne ; 3 : adhésion forte ; 4 : très forte adhésion.

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Le test de Kruskal-Wallis pour des échantillons indépendants montre qu’il existe des différences entre les prévisions stratégiques aussi bien à court terme (significatives à un niveau inférieur à 5 %) qu’à long terme (significatives à un niveau inférieur à 1 %).

La perspective de l’« entrepreneuriat comme soutien pour l’enseignement » obtient le degré d’adhésion le plus faible. Les personnes consultées s’accordent pour dire que cette perspective continuera à perdre de son importance. Cette tendance concorde avec le fait que la recherche en entrepreneuriat – également en Allemagne – continue à développer ses méthodes et ses contenus et qu’elle a bien l’intention de devenir une discipline autonome. L’écart d’appréciation entre la pertinence actuelle et future est significatif à un niveau de moins de 1 %.

À l’heure actuelle, la perspective de l’« entrepreneuriat en tant que pot-pourri » jouit du plus grand degré d’adhésion (la valeur de 2,5 correspond à une adhésion moyenne à élevée). Cette caractérisation de la recherche en entrepreneuriat avait déjà été réalisée par Low en 2001 dans le contexte international. Entre la pertinence actuelle et future, on ne relève pas de différence significative.

L’interprétation de la recherche en entrepreneuriat comme « champ d’expérimentation des disciplines classiques des sciences économiques et sociales » (comme la finance, le marketing et la théorie de l’organisation) obtient un degré d’adhésion moyen. La première génération de professeurs germanophones en entrepreneuriat est issue en règle générale des disciplines « classiques » de l’enseignement en gestion. Si les principaux sujets qui ont fait l’objet de recherches jusqu’à présent sont appliqués dans le contexte de la recherche en entrepreneuriat, cela résulte de l’orientation stratégique évoquée. Même pour cette stratégie, on ne voit pas d’écart significatif quant à la pertinence actuelle ou future.

La forte adhésion au fait que l’entrepreneuriat pourrait devenir un « domaine de recherche autonome » signifie que la communauté de chercheurs germanophones s’y emploie. L’écart significatif entre les appréciations actuelles et futures montre que ces efforts seront poursuivis à l’avenir. Le point 4.2 (ci-après) s’attachera à éclairer quels points thématiques pourraient y jouer un rôle.

4.2. Sujets de recherche

4.2.1. Les domaines des sujets

Dans cette partie, nous nous attarderons sur la question de savoir quels points thématiques jouent et joueront un rôle dans la recherche en entrepreneuriat en Allemagne. À cet effet, le tableau 2 présente les valeurs moyennes et les écarts types par rapport aux catégories principales. Quelques sujets particuliers ont été sélectionnés et seront traités sous les points 4.2.2 et 4.2.3 à l’aide d’exemples.

Tableau 2

Points thématiques centraux de la recherche en entrepreneuriat

 

Présent/rang

Écart type présent

Futur/rang

Écart type futur

Différence présent/ futur (sig)

Entrepreneur en tant que personne

2,35/5

0,84

2,31 / 9

0,77

n.s.

Processus de création

2,59/3

0,84

2,72 / 5

0,73

n.s.

Contexte

2,40/4

0,88

2,56 / 7

0,70

n.s.

Facteurs clés de réussite

3,06/2

0,83

2,82 / 3

0,92

n.s.

Management / stratégie

2,33/6

0,87

2,75 / 4

0,56

0,034

Finance

3,13/1

0,78

2,88 / 2

0,90

n.s.

Entrepreneuriat collaboratif

2,21/8

0,94

2,60 / 6

0,71

0,059

Enseignement en entrepreneuriat

2,20/9

0,91

2,34 / 8

1,13

n.s.

Recherche en entrepreneuriat

2,31/7

0,77

2,91 / 1

0,69

0,010

0 : on ne parle pas du sujet ; 1 : on parle du sujet dans un petit nombre de contributions ; 2 : on parle systématiquement du sujet ; 3 : on parle largement du sujet ; 4 : sujet dominant, toutes les contributions parlent au moins brièvement du sujet.

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Concernant les différences entre les appréciations actuelles de la pertinence, le résultat du test de Kruskal-Wallis est significatif (on le considère comme significatif à un niveau inférieur à 5 %). Ce sont en particulier les domaines « facteurs clés de succès » et « finance » qui obtiennent un rang moyennement plus élevé que les autres. Quant à la diversité des avis dans l’appréciation de la pertinence future, le test de Kruskal-Wallis ne met en évidence aucune différence significative. En somme, les sujets sont tous très proches les uns des autres aussi bien en ce qui concerne l’appréciation actuelle que future de leur pertinence. Signalons que dans la plupart des appréciations, il règne un certain degré consensuel (écarts types de moins d’un point).

Les trois domaines les plus pertinents aujourd’hui, dont on parle systématiquement et largement, sont la finance (1), les facteurs clés de succès (2) et le processus de création (3). Les actes de conférence du G-Forum sur plusieurs années renforcent ce résultat. Les sujets considérés aujourd’hui comme les moins pertinents sont la recherche en entrepreneuriat (7), l’entrepreneuriat coopératif (8) et l’enseignement de l’entrepreneuriat (9).

L’entrepreneuriat coopératif et la recherche même en entrepreneuriat ont connu un regain conséquent (avec des thèmes comme le transfert technologique, les réseaux et le franchisage). À moyen terme, les thèmes suivants sont considérés comme dominants : recherche en entrepreneuriat (1), finance (2) et facteurs clés de succès (3). La plus grande importance que l’on accorde à la recherche en entrepreneuriat à l’avenir pourrait être l’expression d’une professionnalisation accrue de ce champ. Ce résultat s’inscrit dans la continuité d’une tendance qui se traduit, par exemple, par une complexification des méthodes (Bouckenooghe etal., 2004), décelable dans les propos des personnes interrogées (point 4.3).

À court terme, les personnes interrogées accordent une moindre importance aux thèmes suivants : facteurs contextuels (7), enseignement en entrepreneuriat (8) et les aspects concernant l’entrepreneur (9). L’importance faible et décroissante accordée à l’entrepreneur en tant qu’objet de recherche va de pair avec l’éloignement de la recherche en entrepreneuriat de l’approche « profil », qui (sans grand succès), visait à identifier les caractéristiques de l’entrepreneur comme facteurs de réussite dans la création d’entreprise. Cette approche part du principe que le lien entre individu et opportunité est inséparable. Entre-temps, cette approche a été presque entièrement remplacée par l’approche behavioriste qui se concentre sur le comportement des entrepreneurs en tenant compte des dispositions personnelles pertinentes.

4.2.2. Les sujets particuliers : leur pertinence actuelle

S’agissant des sujets particuliers, le graphique 1 nous offre un aperçu des valeurs moyennes des appréciations actuelles et futures.

Les thèmes les moins traités actuellement sont l’« entrepreneuriat ethnique », et la « formation à l’entrepreneuriat à l’école et dans la formation adulte ». La sous-discipline « entrepreneuriat ethnique » est étroitement liée au principe du capital social et culturel (Bourdieu, 1992) et s’intéresse aux entrepreneurs avec un passé migratoire ou issus de minorités ethniques. Une raison qui expliquerait la position marginale de l’« entrepreneuriat ethnique » dans l’espace germanophone pourrait tenir au fait que les immigrés et les minorités jouent un rôle proportionnellement moins important qu’aux États-Unis, par exemple, d’où sont issues plusieurs études sur ce sujet (Chaganti et Greene, 2002 ; Fairchild, 2008). On pourrait certainement trouver une autre explication, cependant plus difficile à cerner, dans la nature interdisciplinaire de ce sujet, la recherche germanophone en entrepreneuriat étant majoritairement ancrée en gestion.

Figure 1

Pertinence actuelle et future des champs thématiques choisis

Pertinence actuelle et future des champs thématiques choisis

1 : appartenance ethnique ; 2 : formation adulte ; 3 : socialisation ; 4 : entrepreneuriat à l’école ; 5 : pays en mutation ; 6 : entreprises familiales ; 7 : marketing entrepreneurial ; 8 : théorie de l’entrepreneuriat ; 9 : plan d’affaires ; 10 : évolution des marchés capital-risque ; 11 : décisions sur les investissements capital-risque ; 12 : entrepreneuriat high-tech.

-> Voir la liste des figures

Le domaine de la « formation en entrepreneuriat » dispose d’une communauté internationale de chercheurs dans laquelle les chercheurs allemands en entrepreneuriat sont fortement impliqués. Le sujet semble pourtant très peu, voire pas du tout, abordé dans les établissements scolaires et dans la formation d’adultes (excepté dans les établissements d’enseignement supérieur). Partant de la réflexion qu’une sensibilisation à la philosophie et aux activités entrepreneuriales chez les jeunes influence leur choix de carrière (Gorman et Hanlon, 1997 ; Schmitt-Rodermund et Vondracek, 2002), une discussion accrue pourrait émerger dans ce sous-domaine, comme le montre déjà l’importance grandissante du sujet.

Les aspects suivants comptent parmi les sujets les plus fortement cités : le « développement de la branche capital-risque », les « décisions pour investissements capital-risque », et l’« entrepreneuriat high-tech ». Ce résultat concorde avec la situation de la recherche internationale en capital-risque (Denis, 2004). En se focalisant sur le financement par capital-risque, la recherche entrepreneuriale en matière de finance se livre en quelque sorte à des recherches « irrégulières », si l’on considère la faible part réelle des financements en capital-risque de jeunes entrepreneurs. Cette impression coïncide avec la conclusion de Welpe et Grichnik (2006) : le financement en capital-risque qui est en pratique moins pertinent, tout particulièrement en Allemagne, occupe une place proportionnellement plus large dans les contributions scientifiques. En revanche, le financement par le biais de prêts bancaires classiques ou de programmes publics de promotion, qui constituent le mode de financement le plus employé pour la création et la croissance rapide d’entreprises en Allemagne, ne trouve pas d’impact équivalent dans les publications. Néanmoins, l’entrepreneuriat high-tech – dont l’appréciation actuelle est tout aussi importante – indique que la recherche reconnaît la pertinence du potentiel de ces entreprises à forte croissance, à savoir leur financement par des sociétés de capital-risque. Le fait que les données sur le secteur et le financement des entreprises soient faciles d’accès pour des études pourrait expliquer cet engouement.

4.2.3. Les sujets particuliers : leur pertinence future

Dans les appréciations, les trois sujets avec la moindre pertinence future sont l’« entrepreneuriat ethnique », la « socialisation » et l’« entrepreneuriat dans les économies en mutation ». Contrairement à la recherche sur le profil, les études sur la socialisation ne s’intéressent pas aux dispositions innées mais aux caractéristiques acquises qui pourraient avoir une influence sur un comportement entrepreneurial (Anderseck, 2000). Certains aspects de la recherche en socialisation pourraient, entre autres, influer sur la manière de voir les différences entre les genres dans la création d’entreprises (Schwarz, Almer-Jarz et Breitenecker, 2005) et dans les analyses de formation à l’entrepreneuriat. Le fait que l’on accorde peu de pertinence à ce sujet, malgré toutes les applications possibles, pourrait être lié à sa nature interdisciplinaire ; en faisant ainsi appel à des perspectives de gestion, de psychologie (Lang-von Wins, 2004) et de sociologie, ce sujet demande un énorme déploiement de moyens pour être traité.

La faible valeur en termes de pertinence accordée à l’« entrepreneuriat dans les économies en mutation » pourrait être due au fait qu’à moyen terme, le processus de mutation des anciens pays du bloc de l’Est, en raison surtout de l’élargissement de l’Union européenne, pourrait être terminé. Cependant, l’intérêt pour l’entrepreneuriat dans des zones économiques et politiques en développement gagne en importance ; ce n’est pas un hasard si l’on a attribué en 2006 le prix Nobel de la paix à Muhammad Yunus pour ses mérites quant à l’octroi de microcrédits dans les pays en voie de développement. Cet exemple démontre que même des sujets marginaux peuvent prendre une place importante en raison de leur forte pertinence pour la société.

Les sujets les plus fortement représentés à l’avenir seront, d’après les appréciations, le « management de l’innovation », les « créations high-tech » et la « théorie en entrepreneuriat ». Ainsi, on accorde dans la société une pertinence accrue aux créations orientées technologies, parce qu’elles contribuent à intensifier la concurrence, à accélérer la mutation des structures et à créer des effets positifs en matière d’emploi tant sur les plans qualitatif que quantitatif (Egeln, 2000). En recherche et dans la pratique, il reste cependant encore beaucoup à faire : la position des entreprises possédant un fort potentiel de croissance est faible, comme le constate le rapport de 2006 sur la compétitivité de l’Allemagne, et l’évolution à l’échelle internationale est également faible, avec même une tendance à la baisse du nombre de créations orientées technologies (BMBF, 2006).

La concentration sur les créations innovantes, orientées technologies, pourrait indiquer l’émergence d’un sous-domaine au sein de la recherche allemande en entrepreneuriat. D’après Miller, une entreprise entreprenante est « […] one that engages in product-market innovation, undertakes somewhat risky ventures, and is first to come up with “pro-active” innovations, beating competitors to the punch » (Miller, 1983, p. 771). Ainsi, il va de soi que l’entrepreneuriat ne doit pas être associé à une certaine taille d’entreprise ou à un certain âge, mais qu’il se réfère plutôt à un certain comportement. Comme éléments caractérisant un comportement entrepreneurial, on pourrait citer le goût pour l’innovation, la prise de risque et la croissance de l’entreprise (Gartner, 1990).

De plus, comme il existe une proximité thématique entre les « créations high-tech » et le management de l’innovation, les chercheurs étant bien impliqués dans ce dernier domaine peuvent, eux aussi, contribuer aux discussions en entrepreneuriat : c’est une raison supplémentaire qui expliquerait le large débat autour de ce sujet.

Parmi les domaines qui jouissent de la plus haute progression en termes d’importance, on compte l’entrepreneuriat familial (significativité : écart d’importance de moins de 0,1 %), le marketing entrepreneurial (significativité en deçà de 1 %) et la théorie entrepreneuriale (significativité de moins de 1 %). Les entreprises familiales constituent depuis toujours une grande partie des petites et moyennes entreprises (Frasl et Rieger, 2007). La problématique de la succession est un aspect qui, en raison des changements démographiques, devrait susciter un intérêt accru dans un proche avenir (Freund, 2004). D’après l’Institut de la recherche sur les PME à Bonn, il y aurait plus de 70 000 successions entrepreneuriales par an (Freund, 2004). L’étude des aspects microéconomiques liés à la succession devrait donc aussi connaître un regain d’intérêt.

L’importance grandissante du « marketing entrepreneurial » pourrait s’expliquer par le retard à rattraper dans ce domaine. C’est d’ailleurs aussi ce que relève Gruber tant pour la recherche que pour la réalité économique dans ce domaine (Gruber, 2004). En outre, ce champ continue d’évoluer très rapidement comme le démontrent, par exemple, les nouvelles applications qui naissent sur Internet (Hobson, 2006, 2007).

Le domaine qui de façon la plus significative a perdu en importance est le « plan d’affaires » (avec toutefois une significativité de perte d’importance de moins de 10 %). On dispose déjà de toute une série de résultats de recherche à ce sujet (Gruber etal., 2002). Certains analysent, par exemple, son efficacité en tant qu’instrument de communication pour les investisseurs potentiels (Shuman, Shaw et Sussmann, 1985 ; Risseeuw et Masurel, 1994) ou au sein même d’une entreprise (Kraus, Schwarz et Harms, à paraître). Sans pouvoir dire clairement si un champ de recherche offre suffisamment de sujets marginaux, le sujet des « plans d’affaires » pourrait, du moins en partie, être épuisé. La perte d’importance de ce sujet ne signifie cependant pas qu’une importance moindre soit accordée à la planification de la création d’entreprise (avec une valeur moyenne de respectivement 2,39 quant à la pertinence actuelle et future).

4.3. Existe-t-il des particularités de la recherche en entrepreneuriat en Allemagne ?

Pour terminer, nous avons demandé aux interviewés s’ils pouvaient noter des différences entre la recherche allemande et la recherche au plan international en ce qui concerne les stratégies, les principaux sujets d’études et les méthodes, et, dans ce cas, nous leur avons demandé quelles évolutions ces différences allaient connaître.

Parmi les personnes ayant répondu (n = 9), il semble régner un consensus sur le fait qu’il y a peu de différences dans la recherche en entrepreneuriat d’un pays à un autre. Parler d’une recherche en entrepreneuriat particulière à l’Allemagne leur semble donc peu pertinent. Le fait que l’état de la recherche ne doit jamais se référer uniquement aux publications nationales, mais aux publications du domaine en général, illustre par exemple un fort communautarisme du champ de recherche. La participation intense des chercheurs allemands à des conférences et à des publications internationales est un indicateur supplémentaire de cette intégration, bien que l’on note encore dans ce domaine un retard à rattraper.

Par rapport à la recherche américaine - qui est d’ailleurs perçue par quelques interviewés comme dominante à l’échelle internationale -, l’une des personnes interrogées voit avant tout des différences dans une théorisation plus poussée en Allemagne. Ce résultat coïncide avec l’analyse de Galtung (1983) sur le style intellectuel de divers cercles culturels : selon lui, la tradition économique « teutonne » accorde une forte place à la théorisation.

La portée de la recherche en entrepreneuriat en Allemagne est estimée comme relativement peu importante comparée aux disciplines « classiques » de gestion et comparée à l’étranger. Cela se reflète, par exemple, dans les classements relativement bas des revues en entrepreneuriat dans le « JOURQUAL » (classement national). Ainsi, la revue en entrepreneuriat avec le meilleur classement (Journal of Business Venturing) obtient un rang « B », mais un « facteur d’impact » de 1,864 en 2005 (Elsevier, 2007), ce qui est nettement plus élevé que celui de revues classées « A » dans le JOURQUAL (par exemple, les Annals of Operation Research avec 0,525 ou bien les Organization Studies avec 1,278 [Sage, 2007 ; Ovid, 2007]). À titre de comparaison, la revue Strategic Management Journal classée « A » ne se trouve, avec un impact de 1,897 en 2005 (Foss, 2007), qu’à 0,033 points du Journal of Business Venturing classée « B ».

5. Discussion

L’analyse des stratégies dominantes de la recherche en entrepreneuriat en Allemagne révèle que les chercheurs aspirent à l’établissement d’un champ de recherche en entrepreneuriat avec des problématiques autonomes, qui ne soient pas traitées par les autres disciplines (cf. tableau 1). L’évolution des différents sujets montre cependant qu’il ne semble pas encore aisé de déterminer quels contenus pourraient composer un tel champ de recherche. On aurait donc pu s’attendre à ce que des points thématiques précis se cristallisent. Mais comme, d’après les estimations, la plupart des sujets sont relativement importants, on ne peut pas encore prédire dans quels domaines se concentrera la recherche en entrepreneuriat dans le futur.

Un noyau de recherche autour de l’analyse de créations innovantes et high-tech - étant donné la pertinence qu’on leur accorde aussi bien aujourd’hui que dans le futur - pourrait se structurer. Comparées aux créations ou aux reprises d’entreprises dans des secteurs plus « traditionnels », les créations high-tech sont des organisations où l’on peut davantage s’attendre à un comportement entrepreneurial. Par ailleurs, l’Allemagne devant rattraper un certain retard dans ce type de créations, on pourrait espérer des allocations financières pour la recherche dans ce domaine.

L’attention de la recherche pourrait en outre se porter sur le financement des entreprises. D’après le GEM, la problématique du financement constitue en Allemagne la barrière la plus importante à la création. D’après Börner et Grichnik (2005), les sujets ayant trait à la « finance entrepreneuriale » ne sont pas suffisamment traités, exceptés dans le domaine du capital-risque. Cette conclusion vaut également au plan international, selon une analyse de Denis (2004).

Quant à la question concernant la forme que prendra le noyau commun de la « recherche en entrepreneuriat », elle reste finalement sans réponse. À ce propos, Steyaert (2005, p. 5) parle même de « disciplinary utopia », un lieu imaginé, très difficilement accessible, voire inaccessible. Les chercheurs allemands seront certainement amenés à débattre sur ce « distinctive domain » qu’est la recherche en entrepreneuriat (Shane et Venkataraman, 2000 ; Venkataraman, 1997 ; Davidsson, Low et Wright, 2001). (Cf. La haute considération accordée à la recherche en entrepreneuriat même dans le tableau 1.)

Il est difficile de répondre à la question de l’existence d’une recherche en entrepreneuriat propre aux pays germanophones. Il n’existe pas, à notre connaissance, d’études similaires à la nôtre, quelles soient issues de la sphère anglo-américaine ou française, que l’on puisse directement comparer à cette enquête. D’un côté, les interviewés nient majoritairement le fait que la recherche en entrepreneuriat occupe une place particulière dans l’espace germanophone. D’un autre côté, il pourrait néanmoins y avoir des raisons institutionnelles ou de contenus qui plaident en faveur d’une spécificité de la recherche germanophone en entrepreneuriat.

Ainsi, l’institutionnalisation relativement tardive et rapide (par rapport aux É.-U.) de la recherche en entrepreneuriat en Allemagne pourrait avoir conduit à l’attribution des chaires en entrepreneuriat aux experts des disciplines « classiques » de la gestion. En partant de l’hypothèse que l’origine disciplinaire exerce également une influence sur les centres d’intérêt de la recherche future, la finance continuera à jouer un rôle important dans la recherche en entrepreneuriat en Allemagne (environ 20 % des titulaires d’une chaire ont ainsi des affinités claires par leur passé professionnel ou académique avec des sujets relevant de la finance). Aux États-Unis, par contre, il existe la possibilité de nommer à une chaire des chercheurs en entrepreneuriat formés dans ce domaine grâce à des écoles doctorales spécifiques en entrepreneuriat. Cela mène, à l’échelle internationale, à une meilleure appréhension de l’entrepreneuriat en tant que domaine interdisciplinaire, à l’inverse de l’espace germanophone où les frontières entre des chercheurs issus de différentes disciplines sont souvent encore maintenues.

Des problématiques nationales spécifiques pourraient justifier l’attribution de fonds. D’après le GEM Allemagne 2006 (Sternberg, Brixy et Hundt, 2007), l’Allemagne obtient des résultats relativement médiocres quant au cadre contextuel pour la création d’entreprises, notamment dans les domaines du transfert technologique, du financement et de l’imposition ; alors que l’infrastructure de soutien à la création occupe une place en tête dans le classement. Aux États-Unis, les possibilités de financement pour les jeunes entrepreneurs sont multiples, mais les estimations sont plutôt critiques quant à la structure publique de soutien (Minniti et Bygrave, 2004). Sans vouloir créer un lien direct entre les problématiques et les centres d’intérêts de la recherche, d’autant plus que la recherche universitaire ne doit pas forcément être directement applicable, ces spécificités nationales pourraient néanmoins avoir une influence sur la recherche. Si les problématiques choisies devaient être prises en compte pour la promotion de la recherche, cela aurait une influence sur la profondeur du débat au sein de la communauté des chercheurs.

L’objet de cette étude n’était pas de détecter des différences nationales à l’égard de la théorisation ou de l’utilisation de méthodes. Même si l’on attribue à la recherche en entrepreneuriat en Allemagne une plus forte tendance à la théorisation (cf. point 4.3), on peut supposer qu’en raison de la domination de la presse anglo-américaine en entrepreneuriat elle ne pourra pas régresser en deçà de « l’état de l’art » qui y est exigé.

Les résultats de cette étude doivent évidemment être vus à la lumière de certaines restrictions méthodiques. Nous avons consulté, par le biais de cette enquête, les membres du groupe « Gründungsforschung », un cercle d’experts qui a largement pu influencer le travail de la recherche en entrepreneuriat en Allemagne. En outre, le nombre de personnes consultées est relativement faible, conséquemment, une généralisation n’est possible que sous certaines réserves. Dans cette perspective, il s’avère nécessaire d’élargir le panel des interrogés, ce qui permettrait de réaliser une analyse Delphi.

Afin que la recherche en entrepreneuriat puisse gagner en importance en comparaison des disciplines « classiques » de la gestion, il faut continuer à communiquer dans des conférences et publier des contributions de qualité dans des revues nationales et internationales. À ce propos, il est probable qu’on puisse augmenter la visibilité par une plus forte présence dans des revues plus générales de gestion et d’économie et dans les conférences y afférant. Des prix, comme celui de la meilleure contribution, participent certainement à une plus grande visibilité et attirent l’attention des représentants de certaines matières sur l’importance de la discipline (par exemple, à travers l’association des enseignants-chercheurs en gestion pour des articles de calibre national et international, émanant des scientifiques allemands dans le domaine de l’entrepreneuriat).

Ainsi, l’entrepreneuriat va devoir évoluer à l’intersection de particularités nationales et d’exigences internationales de recherche. Dans ce champ de tensions et avec sa forte croissance, dans quelle direction la recherche germanophone en entrepreneuriat va-t-elle évoluer ? En tout cas, participer à son élaboration est un défi que l’on devra relever dans un avenir proche.