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Je ne suis pas sûr que vous puissiez comprendre, mon ami. Vous êtes trop… comment dit-on, déjà? Petit? Petite et moyenne entreprise, c’est ça?

Romain Gary (1975), Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, Éditions Gallimard.

Cette boutade d’un personnage du roman de Romain Gary illustre ce que fut pendant trop longtemps l’attitude « disciplinaire » ou « fonctionnelle » dans les sciences de la gestion à l’égard de la recherche en PME. Et encore aujourd’hui, pour une discipline telle que le marketing ou la finance, la PME demeure un domaine relativement ignoré ou marginalisé comme en ferait foi un examen rapide des dernières parutions des périodiques scientifiques et des manuels universitaires les plus reconnus dans ces disciplines. Devant une telle attitude, la recherche en PME doit-elle à son tour se « discipliner » et à quelle condition peut-elle le faire ? Or, pour tenter de répondre à cette question, il nous faut d’abord établir globalement les apports de cette recherche.

Le premier courant de recherche en PME, fondé sur la spécificité de ce type d’entreprise, outrepasse les limites spatiales des théories développées à l’intérieur de disciplines telles que le marketing (et de sous-disciplines telles que le marketing industriel) et la finance dans la mesure où ces théories pour la plupart ne furent empiriquement validées que dans et pour la grande entreprise. Un second courant de recherche opposé au premier, fondé sur la diversité de la PME (TPE, entreprises familiales, entreprises artisanales, « gazelles », entreprises « born global », ME, etc.), permet de reconnaître l’incapacité relative de ces mêmes théories à rendre compte d’une réalité organisationnelle « complexe », de nature fondamentalement processuelle et donc difficilement sécable par « fonction ». Le courant de recherche en entrepreneuriat, complémentaire aux deux autres, intègre de multiples unités d’analyse (l’entrepreneur, le projet entrepreneurial ou l’organisation créée, l’environnement dans lequel elle est créée) et outrepasse ainsi les limites méthodologiques et temporelles des théories fonctionnelles, dans la mesure où ces dernières ne tiennent pas compte d’une unité d’analyse fondamentale, soit l’entrepreneur, dans l’explication de phénomènes organisationnels et tiennent rarement compte de la dynamique des processus (le « temps ») qui relient ces unités d’analyse. Par ailleurs, le champ de recherche en PME et en entrepreneuriat en est un qui intègre théories et niveaux d’analyse multiples (Klein et Kozlowski, 2000), incluant des théories de type « contenu » et de type « processus », ainsi que des niveaux individuel, collectif, organisationnel, méta-organisationnel, sectoriel et régional.

Nous invitons donc les lecteurs à juger dans quelle mesure les limites théoriques et méthodologiques associées à la notion de « discipline » ont été respectées ou dépassées dans les cinq articles que comprend ce nouveau numéro de la Revue. Dans un premier article, Jean-Claude Boldrini de l’Université de Nantes a effectué de l’observation participante de cinq projets de conception interorganisationnelle de produits pour déterminer dans quelle mesure l’organisation et les outils méthodologiques de la conception, développés pour les grandes entreprises, sont transférables aux PME. Pour leur part, Foued Cheriet de l’École supérieure d’agronomie de Montpellier, Frédéric Le Roy de l’Université de Montpellier I et Jean-Louis Rastoin de l’École supérieure d’agronomie de Montpellier analysent un cas d’alliance stratégique entre une firme multinationale et une PME agroalimentaire qui illustre des situations d’asymétrie de taille, de pouvoir de négociation et de contrôle, faisant de cette alliance une figure spécifique des relations PME-GE. À leur tour, François Meyssonnier de l’Université de Nantes et Cindy Zawadzki de l’Université de Metz ont effectué une étude longitudinale qui leur a permis de décrire et d’analyser la structuration tardive de la gestion d’une entreprise familiale moyenne en forte croissance. Le quatrième article provient d’Olivier Torrès et Gaël Gueguen de l’Université de Montpellier III qui ont enquêté auprès de 239 PME pour valider la proposition que la spécificité de la gestion des PME est la « proximité ». Enfin, Michel Bernasconi du CERAM Sophia-Antipolis nous présente une étude de cas constructiviste qui modélise la création d’une entreprise technologique comme la réalisation successive de trois projets, soit le projet d’affaires, le projet d’entreprendre et le projet d’entreprise.Bonne lecture!Le rédacteur en chef