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Le présent article porte sur la place qu’occupent les femmes dans le site Web des Archives de Radio-Canada, site à vocation informative et éducative sur l’histoire canadienne[2]. Les femmes et les enjeux qui les touchent de près, les émissions féminines, les professionnelles travaillant pour le radiodiffuseur public canadien et les invitées de la radio et du petit écran en constituent le point de mire. L’analyse explore les liens complexes entre les technologies de l’information et de la communication (TIC), l’histoire des femmes et le genre, qui peut être défini comme l’interaction entre la conception sociale du féminin et du masculin et les autres dynamiques sociales, notamment en fait de rapports de pouvoir.

Pendant la période d’existence de la société d’État et de ses prédécesseurs (des années 20 à nos jours), les rapports de sexe connaissent une évolution sans précédent. Quelques jalons permettent de mesurer le chemin parcouru : l’obtention de nouveaux droits, soit celui du statut juridique de « personne » permettant aux femmes de siéger au Sénat canadien (1929), du droit de vote pour les femmes au Québec (1940) et de la pleine capacité juridique pour la femme mariée (1964); de même que le mouvement de libération des femmes (de la fin des années 60 au milieu des années 80), la décriminalisation de l’avortement (1988) et l’adoption d’une loi québécoise sur l’équité salariale en 1996 (Le Collectif Clio 1992). En ce qui a trait aux médias, la progression est tout aussi notable. Pendant les premières décennies de la radio, de nombreuses comédiennes ont prêté leur voix aux personnages féminins des radioromans, mais on ne reconnaissait pas à la voix féminine la dignité et l’autorité nécessaire à la présentation des contenus plus « nobles », telle l’information (Martin 1989). Le labeur des femmes journalistes sera longtemps sous-payé, dévalorisé, et le plus souvent confiné dans les pages féminines des journaux, les émissions radiophoniques et télévisées destinées aux femmes et les magazines féminins commerciaux. Ce n’est qu’en 1970 que le National Press Club leur ouvre enfin ses portes (Freeman 2001). Dix ans plus tard, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec consacre son congrès annuel aux obstacles posés à l’avancement des femmes dans ce métier (Saint-Jean 2002)[3].

La recherche au sujet des femmes et des nouveaux médias que sont les TIC s’intéresse surtout aux usages qu’elles en font et est traversée par trois principaux courants, qui partent tous du point que le développement du réseau Internet est en bonne partie le fait des hommes, qui en sont toujours les principaux utilisateurs (Jouët 2003 : 56-59 et 76). Le premier courant pose que toute différence observée entre les femmes et les hommes est due à la socialisation et propose aux premières des stratégies d’adaptation à ces technologies traditionnellement masculines. Le deuxième courant a d’abord avancé que les femmes sont, à l’opposé des hommes, technophobes de par leur nature, puis il a valorisé Internet comme le lieu féminin par excellence de la « communication interpersonnelle et [de] la constitution de réseaux féministes » (Jouët 2003 : 76). Enfin, le troisième et dernier courant rejette les déterminismes biologique et technique des deux autres approches et affirme que le rapport entre les femmes, les hommes et la technologie est le produit d’une « construction mutuelle » à contextualiser (Jouët 2003 : 59)[4]. Pour ce qui est du contenu, peu étudié, il n’y a cependant pas lieu de croire que la réalité s’est radicalement transformée au tournant du XXIe siècle, au contraire (Zoonen 2001 : 68) :

[I]n terms of “ texts ” and “ representations ” the Internet is […] not […] a women’s haven. Although there are few systematic analyses of the representations and constructions of gender on the Internet, there is enough evidence about (child) pornography, right wing extremism, sexual harassment, flaming and other unpleasantness to disclaim any utopian vision of the Internet as an unproblematic feminine environment.

Zoonen souligne que les femmes sont principalement ciblées dans le Web comme consommatrices et adeptes du magasinage en ligne. Elle mentionne par ailleurs, à titre d’exemple, le très dynamique site webgrrls, qui veut faciliter le réseautage des femmes d’affaires professionnelles, mais qui a dû abandonner l’épellation conventionnelle girls afin d’éviter les nombreux résultats de recherches à teneur pornographique.

Quelle est la place de l’histoire des femmes dans ce cyberespace marqué par l’inégalité des rapports de sexe, mais aussi par l’action des groupes féministes? Aucune étude n’a été réalisée sur ce sujet, à notre connaissance, mais quelques sites institutionnels mettant en valeur le patrimoine historique féminin existent bel et bien sur la Toile. C’est dans cet esprit que l’Université d’Angers et l’Université virtuelle en Pays de la Loire ont créé le site Muséa (2007) pour « mettre en valeur les recherches qui intègrent la dimension du genre en lettres, langues et sciences humaines, et tout particulièrement l’histoire des femmes [et] mettre en évidence l’évolution du féminin et du masculin à travers des expositions temporaires et permanentes ». Ce site s’adresse aux femmes et aux hommes qui font de la recherche, qui enseignent ou qui étudient, peu importe l’ordre d’enseignement visé, mais il veut aussi rejoindre le public en général. Une initiative semblable existe aux États-Unis avec le site Discovering American Women’s History Online (Middle Tennessee State University 2008). Une recherche rapide avec le fureteur Google permet aussi de découvrir quelques sites institutionnels canadiens où l’histoire des femmes est à l’honneur, dont celui de l’organisme fédéral Parcs Canada. Son site intitulé Histoire des femmes canadiennes : notre fierté, notre contribution a pour objet de faire connaître aux Canadiens et aux Canadiennes « le rôle joué par les femmes dans l’histoire du pays et de susciter, chez eux, le désir de participer à la reconnaissance de la place importante qu’elles y occupent » (Parcs Canada 2006)[5].

Trouve-t-on pareille sensibilité à l’histoire des femmes dans les sites à vocation historique d’autres organismes publics canadiens? Celui des Archives de la Société Radio-Canada (SRC) créé en 2002 se présente comme un lieu d’observation intéressant à cet égard, principalement en raison de sa collection unique d’archives radiophoniques et télévisuelles. Pour constituer le site, les archivistes de tous les centres de production de la SRC auraient « écouté, visionné et documenté des milliers d’heures d’émissions remontant à la naissance de la télévision publique, en 1952, et même jusqu’en 1927, aux débuts de CN Radio, ancêtre » du radiodiffuseur public (Archives de Radio-Canada 2008)[6]. Le but des concepteurs et des conceptrices est le suivant : « informer, éclairer et éduquer les Canadiens sur leur histoire » en leur permettant « d’entendre, de voir et d’apprécier des générations de journalistes, de politiciens, d’artistes, de techniciens et de gens de tous les milieux qui ont laissé leur marque dans des émissions dont l’enregistrement se trouve quelque part sur une bande, un disque ou un film entreposé dans l’imposante voûte des archives de CBC/Radio-Canada » (Archives de Radio-Canada 2008). Normalement, seules les maisons de production qui travaillent pour la société d’État ont accès à ces archives[7]. Le site, maintes fois primé, est très consulté, notamment dans les milieux éducatifs qui constituent une forte proportion de sa clientèle (Archives de Radio-Canada 2008[8]).

Le contexte d’archivage est crucial pour comprendre la place que les concepteurs et les conceptrices du site ont pu réserver aux femmes. Les contraintes techniques et financières des débuts de la télévision, par exemple, ont obligé les producteurs à réutiliser les supports permettant de conserver les enregistrements[9], ce qui a eu pour résultat de faire disparaître à jamais de nombreuses émissions. De plus, les choix qui ont guidé la conservation des sources d’archives se sont souvent faits au détriment des femmes au cours de l’histoire (Dumont 2001), et rien ne permet de croire que les documents audiovisuels de la société d’État auraient échappé à cette tendance[10]. Dans leur anthologie du féminisme québécois, les historiennes Dumont et Toupin (2003 : 226) affirment à cet égard qu’« il [leur] a malheureusement été impossible de procéder à l’analyse des émissions destinées aux femmes dans l’état pitoyable des archives radiophoniques et télévisuelles, et devant l’impossibilité de tout retracer ».

L’histoire même du radiodiffuseur public pourrait également expliquer l’absence des femmes de ses archives numérisées, tant en fait de personnel qu’en ce qui a trait au contenu, puisque les concepteurs et les conceptrices du site des Archives ne peuvent pas créer de toutes pièces une présence qui n’existe pas. Jusqu’aux années 80, comme l’indiquent les rapports publiés par le radiodiffuseur public, l’histoire de la SRC est en effet marquée par des conditions de travail le plus souvent discriminatoires à l’égard des femmes (en matière de possibilités d’emploi et d’avancement, de même que pour ce qui est des salaires), et par un contenu dominé par les hommes et les stéréotypes féminins (Groupe de travail sur la condition de la femme 1975, Société Radio-Canada 1981, CRTC 1982, Caron et Mayrand 1982). Au cours des années 60 et 70, par exemple, les postes de cadre en programmation sont presque tous réservés aux hommes, les femmes sont sous-représentées à tous les échelons de la production et sont le plus souvent cantonnées dans les postes traditionnellement féminins (secrétaires, assistantes, recherchistes, etc.) (Lebel 1994)[11]. Pour ce qui est du contenu, la production radio-canadienne est traditionnellement divisée de façon étanche entre les différents services (divertissements, éducation, information) et selon les publics (jeunesse, femmes). Par exemple, le Service des émissions féminines produit durant les années 60 et 70 des émissions à vocation didactique diffusées en après-midi qui s’adressent aux femmes au foyer, dont les titres évoquent un contenu à caractère traditionnel : Fémini-thé [1957-1960], Votre cuisine, madame [1959-65], Votre enfant, madame [1962-1964], etc. Plusieurs auteures et auteurs ont souligné par ailleurs le peu d’attention accordé aux enjeux qui touchent les femmes dans les bulletins d’information et les émissions d’affaires publiques de la société d’État (Beauchamp 1987; El Yamani 1998), phénomène qui n’est d’ailleurs pas exclusif à la SRC. Le radiodiffuseur public s’est cependant montré plus ouvert que les autres médias à l’égard des revendications féministes des années 60 et 70, notamment lors des audiences de la Commission fédérale d’enquête sur la situation de la femme au Canada qui a soumis à l’attention du public, entre autres enjeux, l’égalité salariale, les congés de maternité payés et la contraception (Freeman 2001).

La méthode retenue

L’analyse présentée ici porte sur la place qu’occupent les femmes et les enjeux qui les concernent dans le contenu offert aux internautes afin de déterminer ce que l’on peut y apprendre. Il est en effet impossible de mesurer la part véritable qui est faite aux archives qui concernent les femmes sans la comparer à l’ensemble des archives féminines existantes, auxquelles nous n’avons pas accès. Le site des Archives de Radio-Canada a été consulté entre le 28 mai et le 4 juin 2007, soit avant que la version actuelle soit mise en ligne[12]. Il a été exploré en utilisant la logique du site et les principaux outils de recherche fournis dans la page d’accueil. La première étape a permis de repérer les « dossiers » et les « extraits » pertinents, c’est-à-dire, respectivement, les séries d’extraits audiovisuels regroupés autour d’un thème ou du nom d’une personnalité et les parties d’émissions radio ou télé d’une durée de quelques secondes ou quelques minutes. Ils ont été retenus quand le mot « femme » ou le nom d’une femme figurait dans le titre du dossier ou de l’extrait, ou quand il s’agissait d’un enjeu – souvent lié au mouvement féministe de la deuxième vague – touchant clairement la condition féminine : égalité salariale, famille, contraception, divorce, avortement, garderies, etc. Ce sont là, à notre avis, des points de repère plus évidents que les événements plus pointus qui ont ponctué – et parfois marqué lourdement – l’histoire des femmes au Québec (tuerie de Polytechnique[13]) ou d’autres thèmes plus généraux (surpopulation, Jeux olympiques). Cela constitue cependant une limite non négligeable de notre étude.

La méthode que nous avons adoptée favorise ainsi les termes qui attireraient facilement le regard d’un ou d’une internaute qui s’intéresserait à l’histoire des femmes sans avoir en tête de point de repère précis. L’analyse quantitative des dossiers et des extraits a été effectuée en tenant compte des catégories constituées par le site des Archives : personnalités, guerres et conflits, arts et culture, politique et économie, vie et société, désastres et tragédies, sciences et technologies, sports. Une analyse à la fois quantitative et qualitative des index de dossiers et d’extraits a permis, à la deuxième étape, de déterminer l’importance relative accordée par les concepteurs et les conceptrices à cette présence féminine. Ces outils de recherche sont en effet organisés de façon hiérarchique, c’est-à-dire que l’on place dans le haut de la liste certains dossiers et extraits que l’on accompagne en outre d’un résumé et d’une photo. L’index présente par la suite une simple liste d’hyperliens permettant d’accéder aux autres dossiers et extraits. L’outil « Recherche assistée » a par la suite permis de repérer, à l’aide d’onglets et de listes, les émissions de radio et de télévision s’adressant à un public féminin dont des extraits sont présentés sur le site. Le titre devait être évocateur, selon l’idée qu’il attirerait facilement le regard d’un ou d’une internaute qui s’intéresse aux émissions féminines. Notre analyse fait ressortir, dans les sections nommées précédemment, les thèmes qui émergent des dossiers et des extraits présentés. Enfin, les listes d’artisans et d’artisanes (journalistes, animateurs ou animatrices) et de personnes invitées à la radio et à la télévision de Radio-Canada ont été dépouillées pour circonscrire la place qu’occupent les femmes de ces catégories professionnelle et sociales dans le site.

Les résultats

La présence des femmes

Dans l’ensemble, le site des Archives de Radio-Canada de 2007 réserve une place plutôt limitée et traditionnelle aux femmes, qui figurent explicitement dans 10,6 % des dossiers constitués (voir le tableau 1). Si elles en constituent invariablement la part marginale, elles sont beaucoup mieux représentées dans les catégories « Personnalités » (20,5 %), « Arts et culture » (17,3 %) et « Vie et société » (16,9 %). Elles se font par contre plus rares dans les catégories plus traditionnellement masculines telles que « Politique et économie » (7,0 %), « Désastres et tragédies » (5,6 %), « Guerres et conflits » (5,2 %), « Sports » (6,1 %) et « Sciences et technologies » (1,7 %). Les femmes représentent pareillement un modeste pourcentage des extraits, pourtant beaucoup plus nombreux que les dossiers (10,6 %). Les variations observées pour les dossiers se répètent ici. Les catégories les plus favorables à la présence féminine sont les mêmes : « Arts et culture » (19,4 %), « Vie et société » (18,8 %) et « Personnalités » (18,1 %). Les catégories où les femmes sont le plus marginales sont, comme dans le cas précédent, les suivantes : « Sports » (12,0 %), « Politique et économie » (6,5 %), « Guerres et conflits » (4,4 %), « Désastres et tragédies » (3,0 %) et « Sciences et technologies » (0,8 %).

Tableau 1

Catégorie

Dossiers concernant les femmes

Dossiers

(total)

 

N

 %

 

Personnalités

15

20,5

73

Arts et culture

19

17,3

110

Vie et société

21

16,9

124

Politique et économie

12

7,0

172

Sports

4

6,1

66

Désastres et tragédies

4

5,6

72

Guerres et conflits

4

5,2

77

Sciences et technologies

1

1,7

60

TOTAL

80

10,6

754

Dossiers concernant les femmes dans le site des Archives de Radio-Canada en 2007

Source : archives.cbc.ca/index.asp?IDLan=0, consulté entre le 28 mai et le 4 juin 2007.

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Les personnalités à l’honneur sont surtout des femmes du milieu de la littérature (ce qui ne surprend pas étant donné l’importance des deux premières catégories), des politiciennes et des sportives. Dans le premier groupe, on trouve la féministe et philosophe existentialiste Simone de Beauvoir, dont Le deuxième sexe, publié en 1949, est reconnu comme l’un des ouvrages clés à l’origine de la relance du mouvement féministe occidental. Le site présente une entrevue de 40 minutes accordée par de Beauvoir en 1959, mais censurée par la direction de Radio-Canada en raison des pressions de l’Église qui ne voit pas d’un bon oeil cette athée qui qualifie l’institution du mariage d’« esclavage » et dont l’ouvrage a été mis à l’index des livres interdits aux catholiques[14]. Des auteures canadiennes primées sont également présentées, soit la Manitobaine Gabrielle Roy, dont le roman Bonheur d’occasion, publié en 1945 puis traduit en plusieurs langues, décrit les difficiles conditions de la vie urbaine au Québec de l’époque, et l’Acadienne Antonine Maillet, connue pour les monologues de La Sagouine, femme des milieux pauvres de la région de Bouctouche au Nouveau-Brunswick, qui a reçu le prestigieux prix Goncourt pour son roman Pélagie-la-Charrette, publié en 1979, qui raconte le long périple de retour du peuple acadien déporté en 1755. Sur le plan politique et sportif, on célèbre les premières, dont l’élection de Claire Kirkland-Casgrain à titre de première députée à l’Assemblée législative du Québec en 1961, le court mandat de Kim Campbell comme première femme élue première ministre du pays en 1993, alors qu’elle était chef du Parti progressiste-conservateur, et la victoire mémorable de la golfeuse québécoise Jocelyne Bourassa sur le circuit de la Ladies Professional Golf Association en 1973[15]. Un dossier au sujet de la guerre, milieu masculin par excellence, permet par ailleurs aux internautes de prendre connaissance de la participation active des femmes dans les usines militaires pendant la Seconde Guerre mondiale de 1939 à 1945, par l’entremise du témoignage de l’Acadienne Mathilda Blanchard, célèbre syndicaliste du secteur de la transformation des produits de la pêche au Nouveau-Brunswick, qui était au début de la vingtaine lors du conflit.

La valorisation des femmes

Dans quelle mesure les femmes et les enjeux qui les touchent sont-ils placés au premier plan des dossiers (soit dans le haut de la liste, où les titres sont accompagnés d’un résumé et d’une photo) plutôt que dans la simple liste d’hyperliens qui suit ces éléments valorisés? En 2007, les femmes forment à peine le dixième (9,3 %) des dossiers ainsi mis en valeur et qui risquent le plus d’attirer l’attention des internautes (voir le tableau 2). Malgré une certaine variation selon les catégories (ex. : « Guerre et conflits », « Personnalités »), la valorisation du féminin demeure marginale et ne dépasse jamais 20 % des dossiers. Les catégories où les femmes et leurs enjeux sont le plus valorisés sont les mêmes qui leur accordaient déjà une plus grande place : « Personnalités » (19,1 %), « Vie et société » (18,8 %), « Arts et culture » (16,7 %). Elles figurent très rarement dans les hauts de listes avec résumé et photo dans les catégories « Guerres et conflits » (6,3 %), « Sports » (2,9 %), « Désastres et tragédies » (0 %) et « Sciences et technologies » (0 %).

Tableau 2

Catégorie

Femme mise en valeur dans le dossier principal

Éléments principaux

(total)

 

N

%

 

Personnalités

9

19,1

47

Vie et société

9

18,8

48

Arts et culture

6

16,7

36

Guerres et conflits

2

6,3

32

Politique et économie

4

5,3

75

Désastres et tragédies

0

0,0

23

Sciences et technologies

0

0,0

36

Sports

1

2,9

35

TOTAL

31

9,3

332

Valorisation des dossiers concernant les femmes (haut de liste, résumé et photo) ans le site des Archives de Radio-Canada en 2007

Source : archives.cbc.ca/index.asp?IDLan=0 consulté entre le 28 mai et le 4 juin 2007.

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Les extraits concernant les femmes occupent aussi la part marginale (11,2 %) des extraits mis en valeur dans le site. Les mêmes tendances s’observent. Les femmes sont plus nombreuses, mais toujours marginalisées, dans les catégories « Personnalités » (18,2 %), « Arts et culture » (20,3 %) et « Vie et société » (22,1 %), alors qu’elles représentent une part négligeable des catégories « Sports » (11,5 %), « Politique et économie » (6,1 %), « Guerres et conflits » (4,4 %), « Désastres et tragédies » (2,7 %) et « Sciences et technologies » (1,0 %).

Les émissions féminines

Le site des Archives de Radio-Canada présente peu d’émissions visant un public cible féminin, soit douze en tout (voir le tableau 3) : quatre émissions radiophoniques et huit émissions télévisées. Cela représente un maigre pourcentage (2,2 %) des 534 émissions que contient le site et ne rend pas compte de la diversité des émissions féminines diffusées au fil des ans par la société d’État (Lebel 1998). Les descriptions d’émissions ne sont pas offertes systématiquement, ce qui fait que, une fois sur deux, pour découvrir les années où elles ont été diffusées, leurs principaux animateurs ou animatrices et le type de contenu offert, il faut écouter les extraits, ouvrir d’autres onglets ou se documenter ailleurs sur Internet. Cela constitue une lacune de taille dans un site d’archives dont l’objet est de situer les phénomènes dans le temps. Le site permet néanmoins de découvrir des émissions clés et de se familiariser avec certains phénomènes marquants de l’histoire des femmes au XXe siècle, d’autant que les émissions féminines retenues sont principalement diffusées des années 50 à la fin des années 70, période de transition pendant laquelle le traditionalisme ambiant d’après-guerre faire place aux années chaudes du mouvement féministe de la deuxième vague, deux tendances présentes dans les clips retenus.

Tableau 3

Média

Public féminin

Public (total)

 

N

 %

 

Radio (nombre d’extraits)

Fémina (1)

Place aux femmes (4)

Si femme savait (2)

Vivre au féminin (1)

4

1,6

254

Télévision (nombre d’extraits)

Appelez-moi Lise (17)

Bonjour Madame (3)

Deux millions de femmes (1)

Femme d’aujourd’hui (62)

Le beau sexe (1)

Place aux dames (3)

Sophie magazine (1)

Vous, familles (1)

8

2,9

280

TOTAL

12

2,2

534

Émissions féminines dans l’index du site des Archives de Radio-Canada en 2007 (Les émissions plus récentes de Christiane Charrette et de Liza Frulla ne sont pas incluses dans cette liste étant donné qu’elles ne visent pas explicitement les femmes.)

Source : http://archives.cbc.ca/index.asp?IDLan=0 consulté entre le 28 mai et le 4 juin 2007.

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On y apprend notamment que Fémina propose aux auditrices et aux auditeurs pendant plus de 30 ans (soit des années 30 aux années 60), « des informations, sous forme de sketches, sur leurs droits, responsabilité sociale et vie culturelle ». Le site présente l’extrait d’une émission de 1961 dans laquelle l’animatrice et future politicienne et sénatrice Solange Chaput-Rolland[16] interviewe Thérèse Casgrain, célèbre militante pour le droit de vote des femmes au Québec, qui animait cette émission à ses débuts (d’abord à CKAC, puis à Radio-Canada). Cette dernière décrit Fémina comme une émission audacieuse qui abordait des questions brûlantes telles les revendications pour apporter des modifications au Code civil afin d’élargir la capacité d’action juridique des femmes mariées (alors considérées comme des mineures par la loi), notamment en matière de gestion des biens. Figurent aussi dans le site plusieurs émissions féminines axées sur les rôles traditionnels des femmes et diffusées à la télévision de Radio-Canada durant les années 50 et 60. À titre d’exemple, Place aux dames présente pendant les années 50 des reportages télévisés portant sur la maternité et l’entretien ménager. Dans l’un des extraits consultés, il est question de la préparation des fêtes de fin d’année, et l’on insiste sur l’importance pour la ménagère québécoise « de bien paraître et de bien habiller sa table[17] ». Un autre clip, celui-là sur la santé des femmes enceintes, met en scène une entrevue entre un médecin et sa patiente qui illustre le paternalisme du milieu médical envers les femmes pendant une période où les naissances, de moins en moins nombreuses, se font de plus en plus souvent en milieu hospitalier sous anesthésie générale[18] plutôt qu’à la maison avec l’aide d’une sage-femme[19]. Par ailleurs, le magazine quotidien Bonjour Madame, qui prend les ondes à la télévision de la SRC en 1958, présente tous les jours des rubriques de 15 minutes « sur la mode, la royauté, la santé, l’alimentation ». Dans le site, trois clips de cette émission présentent une recette de vinaigrette d’une grande spécialiste des questions culinaires, une pièce didactique sur le nom des pièces des appareils ménagers et une entrevue avec l’épouse du premier ministre libéral Jean Lesage[20].

Femme d’aujourd’hui est l’émission qui compte le plus grand nombre d’extraits consultables (62 sur 89). De 1965 à 1982, soit pendant dix-sept ans, ce magazine quotidien, croisement entre l’interview-variétés (talk show) et l’émission d’affaires publiques, est diffusé l’après-midi en semaine à partir des studios de Montréal[21] et atteint d’abord les femmes au foyer du Québec (Légaré 1980). Dans le site du radiodiffuseur public, l’émission se présente comme une production avant-gardiste faisant place aux enjeux féministes des années 60 et 70, période témoin de l’essor du mouvement féministe de la deuxième vague et du féminisme radical au Québec. Les enjeux féministes sont en effet les plus nombreux (21,0 %) parmi les sujets des extraits présentés, ce qui reflète les résultats d’une étude sur la 1 500e émission de Femme d’aujourd’hui en 1973 (Brun et Lebel à paraître). La Commission fédérale d’enquête sur la situation de la femme au Canada a une place de choix dans les extraits de Femme d’aujourd’hui : la moitié des clips présentant un enjeu féministe touchent à la création de la Commission en 1967, à sa présidente, la journaliste Florence Bird, au rapport déposé à la suite de plusieurs années d’audiences en 1970 et aux réactions qu’elle suscite. Parmi les autres enjeux féministes abordés, on note les suivantes : création en 1966 de la Fédération des femmes du Québec, qui regroupe les associations féminines actives depuis la Seconde Guerre mondiale, planification familiale, divorce, filles-mères, revendications des gais et lesbiennes, violence faite aux femmes. L’émission accorde aussi une place de choix au travail à l’extérieur du foyer (19,4 %). Les professions représentées sont nombreuses et variées : hôtesse de l’air, gynécologue, écrivaine, journaliste, politicienne, créatrice de mode, golfeuse professionnelle, sculptrice. Le travail domestique (9,7 %) est par contre beaucoup moins représenté, comme les sports de loisir et le divertissement (8,1 %), ainsi que la famille et le couple (8,1 %). Les extraits portant sur des thèmes sans aucun lien avec les femmes sont toutefois très nombreux (33,9 %), soit presque autant que les clips qui ont trait aux enjeux féministes et au travail des femmes, ce qui montre que cette émission offrait à ses téléspectatrices et à ses téléspectateurs un éventail de sujets dépassant la simple condition féminine.

D’autres émissions font place aux enjeux féministes de l’heure. L’animatrice Jeanne Sauvé, future gouverneure générale du Canada, anime une émission consacrée au travail des mères de famille, et plus particulièrement à la nécessité de rendre accessibles des services de garderie financés par l’État[22]. Au cours de l’été 1967, la SRC diffuse Le beau sexe, une émission consacrée aux femmes qui propose des reportages où l’on traite de la présence et de l’émancipation féminine dans la société. Le seul extrait présenté dans le site porte cependant sur l’exode vers les banlieues, et la question de l’isolement et de la détresse des femmes au foyer n’y est pas centrale[23].

Les artisanes et les invitées

Par ailleurs, les femmes représentent le tiers (34,7 %) des 1 309 artisans et artisanes, c’est-à-dire les journalistes ainsi que les animateurs et animatrices ayant collaboré à des émissions radio ou télé pour lesquelles des extraits sont consultables dans le site (voir le tableau 4). Ces résultats montrent que les professionnelles de la radiodiffusion sont mieux représentées dans le site que les femmes en général. Le travail de ces artisanes bénéficie ainsi d’une certaine reconnaissance. La célèbre journaliste Judith Jasmin, qui a fait une brillante carrière à la radio et à la télévision de la SRC durant les années 50 et 60, y raconte avec humour ses débuts comme chroniqueuse affectée aux sujets ménagers de l’émission Fémina pendant les années 30, alors qu’elle était surtout connue comme la comédienne qui jouait le rôle d’Élise dans le populaire radioroman La pension Velder[24]. Le site des Archives de Radio-Canada reconnaît la valeur de celle qui a coanimé au cours des années 50 l’émission d’affaires publiques Carrefour avec le futur premier ministre péquiste René Lévesque avant d’entreprendre une carrière comme journaliste aux nouvelles télévisées, où elle aura à coeur de faire place aux enjeux féministes et à l’émotion : « Trente ans après sa mort, Judith Jasmin demeure un des piliers du journalisme québécois. Et si de nombreuses journalistes d’aujourd’hui se réclament de son héritage, leurs collègues masculins lui doivent également beaucoup[25] ».

Tableau 4

Catégorie

Femmes

Artisans ou artisanes

ou bien personnes invitées (total)

 

N

 %

 

Artisans ou artisanes

454

34,7

1 309

Personnes Invitées

1 510

21,8

6 936*

TOTAL

1 964

56,5

8 245

Présence des femmes chez les artisans et les artisanes de même que chez les personnes invitées dans le site des Archives de Radio-Canada en 2007

*L’identité de 26 personnes demeure inconnue.

Source : archives.cbc.ca/index.asp?IDLan=0 consulté entre le 28 mai et le 4 juin 2007.

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On y découvre aussi le travail de Lise Payette, future ministre péquiste[26], qui a fait un passage remarqué à la radio et à la télévision en tant qu’animatrice avant de se lancer dans l’écriture de téléromans à succès[27]. À l’émission de radio Place aux femmes, coanimée par le comédien Guy Provost, elle interviewe en 1968 le père Bernard Côté au sujet de l’encyclique Humanae Vitae publiée par le pape Paul VI qui condamne l’usage de la pilule anticonceptionnelle, commercialisée dès 1960. Payette lui demande s’il estime que toutes les femmes qui ont pris la pilule depuis le début de l’année « ne peuvent avoir la consciente nette[28] ». Deux ans plus tard, elle anime en direct, à la veille de la Saint-Valentin, le très couru Gala du plus bel homme du Canada présenté annuellement à Montréal. C’est le coanimateur Guy Provost, qui figure sur la liste depuis cinq ans, qui remporte la palme cette année-là. Cette formule gagnante sera reprise à la télévision, où Lise Payette coanimera avec Jacques Fauteux l’émission Appelez-moi Lise, à l’antenne de 1972 à 1976, émission de fin de soirée diffusée en direct du lundi au vendredi où ils recevaient des artistes et des personnalités de tous les domaines. En 1976, elle y fera une entrevue mémorable avec la gymnaste roumaine Nadia Comaneci, âgée de 14 ans, qui raflait des médailles d’or aux Jeux olympiques de Montréal grâce aux notes parfaites attribuées par les juges à ses performances époustouflantes. Parmi les artisanes mentionnées dans le site figure par ailleurs la réalisatrice Jeanne Quémart, qui a été à la barre de plusieurs magazines télévisés, dont Bonjour Madame (de 1958 à 1961) et Femme d’aujourd’hui (de 1966 à 1969).

Enfin, les femmes représentent le cinquième (21,8 %) des 6 936 personnes invitées à l’occasion d’émissions pour lesquelles des extraits sont consultables dans le site (voir le tableau 4). Une analyse plus détaillée n’a pas pu être réalisée étant donné leur nombre impressionnant.

Conclusion

Le site des Archives de Radio-Canada accorde en 2007 une place marginale aux femmes, qu’il s’agisse de dossiers, d’extraits, d’émissions, d’artisanes ou d’invitées, et elles occupent rarement les emplacements les plus valorisés du site, soit le haut d’une liste, où on leur joint un résumé et une photo. Les catégories où elles sont le plus présentes sont celles qui sont le moins marquées par la tradition masculine : « Personnalités », « Vie et société », « Arts et culture ». On y découvre plusieurs figures féminines importantes du XXe siècle, dont des écrivaines, des politiciennes et des sportives ayant fait époque, souvent parce qu’elles étaient les premières à occuper des fonctions non traditionnelles. Les femmes se font particulièrement rares dans les catégories « Sports », « Sciences et technologies » et « Guerres et conflits », qui permettent tout de même d’aborder des thèmes importants comme celui du travail féminin dans les usines de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. Les émissions féminines ne représentent qu’une part très faible des productions radiophoniques et télévisuelles que contient le site. Ce dernier permet néanmoins aux internautes de se familiariser avec des émissions clés tel le magazine quotidien télévisé Femme d’aujourd’hui, diffusé de 1965 à 1982, et avec plusieurs phénomènes importants et enjeux féministes de cette période témoin du féminisme de la deuxième vague : Commission fédérale d’enquête sur la situation de la femme au Canada, contraception, travail rémunéré, garderies, etc. Les professionnelles de la radio et de la télévision sont mieux représentées, quoique minoritaires, chez les artisans et les artisanes de la radiodiffusion publique, parmi qui figure, par exemple, la journaliste vedette Judith Jasmin, qui travaille pour la SRC des années 30 aux années 60. Le travail hors du foyer et d’autres enjeux féministes sont les thèmes qui ressortent le plus des dossiers consultés, et de l’émission Femme d’aujourd’hui, qui semble, d’après l’importance que lui accorde le site, le témoin par excellence de la condition féminine des années 60 et 70. La présence limitée des femmes dans le site Web des Archives de Radio-Canada, que l’on peut lier à leur difficile intégration au récit historique, est en partie tributaire de leur absence dans la production radiophonique et télévisuelle de la société d’État au cours de son histoire, du problème technique de conservation des archives et d’une sélection sexiste des documents audiovisuels archivés qui se serait faite au fil de l’histoire du radiodiffuseur national. Il n’est pas possible de déterminer, au terme de notre analyse, dans quelle mesure cette marginalisation découlerait également d’une démarche de constitution des archives qui se ferait encore au détriment des femmes. Cela n’a pas semblé alerter les organismes à vocation historique qui ont décerné des prix au radiodiffuseur public. À notre avis, c’est là une piste de recherche à explorer, qui permettrait de montrer comment la dynamique actuelle des rapports sociaux de sexe et la représentation des femmes sur Internet se construisent mutuellement, dans l’esprit de l’approche constructiviste adoptée désormais par nombre de chercheuses féministes s’intéressant au lien entre le genre et les TIC. Il serait aussi intéressant de faire une analyse comparable de la nouvelle version du site mise en ligne en 2008.