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De plus en plus, les couples qui se séparent font appel à la médiation familiale au Québec. En effet, le gouvernement québécois a rendu la médiation familiale accessible en imposant une séance d’information obligatoire et en payant six rencontres de médiation auprès de médiateurs[1] qui s’engagent à respecter les honoraires fixés par l’État. En outre, les couples conservent leur liberté de recourir à des médiateurs privés rémunérés selon les lois du marché.

La généralisation de la pratique de la médiation familiale représente une avancée notoire dans la gestion de la rupture conjugale par rapport au recours traditionnel au système judiciaire. En effet, la médiation familiale favorise la communication entre des parents pour gérer le mieux possible les conséquences de leur séparation. Cette pratique veut encourager les bonnes relations entre les membres d’un couple qui apprivoisent une nouvelle parentalité. Pour ce faire, les parents sont appelés à déterminer eux-mêmes les modalités de leurs ententes, à imaginer des solutions sur mesure viables au quotidien et à s’acquitter de leurs obligations à l’égard de leur famille par l’entremise d’un processus qui nécessite leur participation volontaire et active. En somme, nous saluons d’emblée l’apport de la médiation familiale au règlement des conflits familiaux.

Par des services de médiation de plus en plus ouverts à tous, les couples en instance de rupture concluent des ententes qui portent sur les arrangements concernant à la fois les enfants, les aliments et le partage des biens. Or, la valeur juridique de ces ententes en droit québécois soulève des controverses. Ni les juges ni les auteurs n’adhèrent à une position commune sur les effets juridiques des ententes dans leur ensemble, ni de leurs parties. Les régimes diffèrent et les juristes ne partagent pas les mêmes opinions, selon que ces accords touchent les règles de vie concernant les enfants, les arrangements financiers pour ces derniers et les conjoints ou le partage des biens.

Cette confusion est exacerbée par le fait que la catégorisation du droit de la famille morcèle le statut juridique de ces conventions, ce qui complique le raisonnement relatif à leur caractère exécutoire ou non. En effet, l’organisation classique des traités sépare les questions qui touchent les aliments — soit les pensions alimentaires pour les enfants et celles entre conjoints — des règles qui concernent le partage des biens — comme celles qui régissent le patrimoine familial et la prestation compensatoire pour les couples mariés ou unis civilement et celles qui déterminent les avoirs des conjoints de fait au moment de la rupture. Les familialistes fragmentent en conséquence leur analyse de la valeur juridique des ententes en abordant séparément ces différents éléments. Corollairement, le caractère exécutoire ou non des ententes diffère selon qu’elles traitent soit des biens, soit des aliments ou encore des enfants.

Comme le Québec a choisi la médiation familiale globale et interdisciplinaire, les arrangements conclus à la suite d’un processus de négociation comportent tous ces aspects. Partant, le processus inclut le plan d’action parentale qui détermine les engagements parentaux à l’égard des enfants au sujet de leur lieu de résidence, de leur éducation, de leur santé et de leur bien-être. Cette pratique de la médiation familiale pose donc toute la question de la valeur juridique des ententes issues de ce processus.

La Cour suprême du Canada et la Cour d’appel du Québec se sont prononcées à maintes reprises sur le poids et l’importance à accorder aux ententes conclues au moment de la rupture d’un couple. En 1987, la fameuse trilogie Pelech[2], Richardson[3] et Caron[4] de la Cour suprême consacre le poids des conventions issues d’une désunion. Ainsi, les ex-conjoints doivent respecter les engagements qu’ils ont signés. Si les années 90 connaissent une certaine remise en question des accords en réaction à l’adoption de la Loi sur le divorce de 1985[5], l’arrêt Miglin[6] en 2003 réitère les principes de la trilogie en les rendant difficilement contestables après leur conclusion. Certains auteurs les qualifient de « quasi intouchables[7] ».

Pour compliquer les choses, l’expérience confirme la rareté des couples qui procèdent à la démarche supplémentaire qui consiste à homologuer ces accords. Par ailleurs, le droit demeure plus qu’incertain quant à la valeur juridique des ententes issues de la médiation familiale lorsque des conjoints mariés ou unis civilement tardent à faire entériner leur entente ou quand des conjoints de fait omettent simplement d’y donner suite.

Le statut indéterminé des engagements issus de la médiation familiale permet une forme de privatisation de la justice et une contractualisation de la rupture conjugale. Dans un très grand nombre de séparations de couples, les seuls accords conclus entre les conjoints interviennent en présence d’un médiateur dont le rôle se limite à les guider et à les orienter, sans exprimer d’opinion juridique. En conséquence, le résumé des ententes[8] qui détermine les relations entre les parents s’en tient aux fruits de leurs négociations privées, éclairées minimalement par de l’information juridique générale, comme celles qui gouvernent le partage du patrimoine familial et les contributions financières pour les enfants. Ainsi informés, les membres du couple négocient et fixent les règles auxquelles ils se soumettent. Aucun contrôle de la légalité n’intervient. Le résumé constitue une entente contractuelle dont la valeur juridique demeure indéterminée. L’entente reste le produit de tractations privées.

Pour notre part, nous nous déclarons résolument favorables à la pratique de la médiation familiale promue par les politiques publiques québécoises. Dans cette optique, nous décrivons ci-dessous brièvement, dans un premier temps, la médiation familiale telle qu’elle est pratiquée au Québec afin de mieux saisir son caractère global, interdisciplinaire et accessible et d’expliciter le type d’engagement auquel elle donne lieu (partie 1). Notre objectif est d’attirer l’attention du lectorat sur l’incertitude entourant la valeur juridique du résumé des ententes et l’absence fréquente d’homologation de cette convention[9]. En conséquence, dans un second temps, nous examinons les controverses au sujet des différents aspects compris dans les résumés des ententes conclues en médiation, soit les conventions sur le partage des biens, sur les responsabilités financières pour les enfants et entre conjoints ainsi que sur le plan d’action parentale. Pour ce faire, notre analyse présente les perspectives conflictuelles qui opposent la doctrine et la jurisprudence, dans l’objectif de révéler les controverses sur la valeur des ententes issues de la médiation familiale et la confusion qui en résulte (partie 2). La conclusion de notre étude confirme la nécessité de la médiation familiale comme processus fondamental de résolution des conflits de séparation. Elle appelle également à une forme de surveillance et de contrôle des ententes engendrées par cette approche.

1 La médiation familiale au Québec : globale, interdisciplinaire et accessible[10]

Au Québec, la médiation familiale a pour objet de permettre aux conjoints qui ont des enfants et qui sont en situation de séparation ou de divorce de parvenir à un accord mutuellement satisfaisant concernant le partage des responsabilités parentales (garde des enfants), des biens et des contributions financières (pension alimentaire)[11], tout en maintenant entre eux une relation parentale fonctionnelle[12]. Elle se déroule sous les auspices d’un médiateur accrédité, tiers impartial, qui appartient à l’un des ordres professionnels reconnus au Québec pour exercer la médiation[13]. Le processus de la médiation familiale se termine par la formulation d’ententes entre les ex-conjoints qui sont synthétisées dans un document intitulé « résumé des ententes », qui sera rédigé et signé par le médiateur.

Afin de comprendre le statut juridique du résumé des ententes, il importe de connaître non seulement le contexte dans lequel il s’inscrit, mais aussi certaines des politiques publiques sous-jacentes à la médiation. Le choix d’encourager une médiation globale et interdisciplinaire assurée généralement par un seul intervenant issu d’une des cinq professions désignées entraîne la conclusion d’accords qui englobent l’ensemble des arrangements au moment d’une rupture conjugale[14]. Conséquemment, dans la plupart des cas, le résumé des ententes porte sur divers aspects qui touchent la vie des enfants, mais également les dimensions pécuniaires et patrimoniales des ex-conjoints. La médiation familiale telle qu’elle est pratiquée au Québec favorise des négociations dont les éléments demeurent interreliés et interdépendants. Par exemple, les compromis sur le plan d’action parentale influent sur la répartition des responsabilités financières pour les enfants — et entre conjoints, s’il y a lieu — et même sur le partage des biens. Ainsi, le choix d’une garde exclusive ou partagée aura une incidence sur la décision de conserver, à court ou à long terme, ou de vendre la résidence familiale. Le montant de la pension alimentaire divergera selon le plan d’action parentale choisi par les parents. Dans ces conditions, les objets abordés par la médiation familiale s’avèrent souvent indissociables.

Depuis 1997, le gouvernement du Québec a opté pour un système de gestion des ruptures conjugales fondé sur la médiation familiale globale et interdisciplinaire. Elle s’inscrit dans un cadre législatif favorable à la négociation en ce qu’il précise strictement les droits et les obligations de chaque membre du couple, sauf en ce qui a trait à la prestation compensatoire et à la pension alimentaire pour les conjoints. Enfin, la médiation familiale apparaît véritablement accessible vu la mise en place d’un système de gratuité pour les six premières séances.

Dans les prochaines sections, nous allons aborder les dimensions globale et interdisciplinaire de la médiation familiale (1.1), son accessibilité (1.2), le déroulement du processus (1.3), les règles du jeu de la médiation (1.4) et le contenu du résumé des ententes (1.5).

1.1 La médiation globale et interdisciplinaire

L’organisation de la médiation québécoise se fonde sur la prémisse suivante : même si la relation conjugale prend fin, les liens parentaux se maintiennent pour la vie[15]. Au Québec, la médiation familiale intervient lorsque la rupture conjugale se révèle définitive et irréversible. Son objectif est de faciliter la séparation en favorisant la communication et en valorisant l’élaboration d’une nouvelle parentalité pour l’avenir.

La médiation familiale se veut « globale » puisqu’elle concerne tous les aspects de la rupture, qu’ils soient émotifs, relationnels, financiers ou juridiques[16]. Cinq ordres professionnels peuvent accréditer des médiateurs en matière familiale : le Barreau du Québec, la Chambre des notaires du Québec, l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation et des psychoéducateurs et psychoéductrices du Québec, l’Ordre des psychologues du Québec et l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec[17]. Le médiateur accrédité, peu importe sa profession d’origine, est formé puis habilité à intervenir sur tous les plans de la rupture. En effet, les lois de 1993 et de 1997[18] ont institué la médiation familiale globale au Québec en permettant de débattre de tous les aspects liés à la désunion par un seul intervenant en médiation[19]. Selon ce système, tout médiateur accrédité est autorisé à traiter de la garde des enfants, des aliments pour les enfants et les conjoints ainsi que du partage des biens[20].

La plus-value que la collaboration interdisciplinaire ajoute à la médiation réside dans la possibilité d’humaniser l’approche de négociation en considérant la séparation en tant qu’événement personnel qui comporte de multiples dimensions, qu’elles soient conjugales, parentales, sociales, matérielles, financières ou juridiques.

Pour cette raison, les professionnels qui pratiquent la médiation doivent compléter leurs savoirs, mais également procéder à une utilisation nouvelle de leurs propres connaissances et habiletés. En effet, les juristes ne peuvent émettre d’opinions juridiques et doivent s’affranchir de la logique du système contradictoire qui opère sur un fond adversaire et conflictuel. De même, les professionnels de la relation d’aide doivent éviter d’établir une relation thérapeutique avec les membres du couple. De plus, ces professionnels incarnent nécessairement un double rôle. Ils doivent employer certaines techniques juridiques comme informer les membres du couple sur le droit, conduire la procédure, rédiger les textes, représenter et défendre les intérêts et les points de vue des enfants, des parents et des adultes. Toutefois, ils doivent par surcroît agir sur le plan humain en mettant en place des stratégies de communication, d’écoute, d’attention, de compréhension et de soutien[21]. En conséquence, les intervenants ont pour rôle d’éviter d’envenimer une situation de crise, de désamorcer les conflits et de favoriser un climat propice à imaginer l’avenir[22].

1.2 L’accessibilité

La loi de 1997 prévoit que tout différend relatif à la garde des enfants, aux aliments dus à un conjoint et aux enfants ou ayant trait au partage du patrimoine ne peut être entendu par la cour avant que les parties participent préalablement à une séance d’information[23] sur la médiation[24]. Le gouvernement rétribue directement le médiateur à un tarif fixé par règlement pour garantir la gratuité de cette séance[25]. Celle-ci permet de s’assurer que les couples avec enfants connaissent l’existence de la médiation et songent à employer cette approche à leur disposition. Elle invite les parents à utiliser ce moyen pour régler leurs problèmes plutôt que d’emprunter la voie des tribunaux judiciaires.

Si les conjoints décident de gérer leur rupture en participant à un processus de médiation familiale, le programme gouvernemental subventionne cinq séances supplémentaires. En conséquence, six rencontres de 75 minutes chacune, soit 7 heures et demie de médiation au total, peuvent être mises à contribution, et ce, gratuitement pour les parents en vue de les inciter à régir eux-mêmes leurs conflits[26]. Toutefois, dans plusieurs cas, ce nombre d’heures se révèle insuffisant alors que certaines situations nécessitent des périodes de médiation plus longues. Dans ces circonstances, les conjoints doivent payer les montants qui excèdent le 7 heures et demie prévues par le gouvernement au taux prédéterminé par l’État de 76 dollars l’heure[27]. C’est un tarif obligatoire pour le médiateur affilié au régime public qui lui interdit d’exiger un prix plus élevé[28]. À noter que la possibilité d’avoir recours à la médiation ne cesse pas à la rupture conjugale initiale. Le programme gouvernemental subventionne aussi trois rencontres de 75 minutes, donc 3 heures et 45 minutes, y compris la séance d’information du couple afin de permettre la révision d’un jugement ou d’une entente préalable[29].

1.3 Le déroulement du processus de médiation

La première rencontre consiste en une période de renseignement sur la médiation, sur le processus et les règles d’éthique à observer. Au cours de cette séance d’information, le médiateur procède à une évaluation de la situation familiale du couple[30]. Par la suite, pour chaque rencontre et sur chaque thème, le médiateur amène les parents à reconnaître et à déterminer leurs besoins comme parents et adultes ainsi que ceux de leurs enfants. Ils doivent alors rechercher et énumérer les options permettant la résolution du conflit. L’analyse de ces options s’effectue en fonction des besoins des enfants, des parents et des adultes. À la toute fin du processus seulement intervient la décision concernant la solution pour chaque objet examiné dans le contexte de la médiation[31].

Le recours à la médiation familiale provient donc d’un besoin des conjoints qui cherchent à résoudre les problèmes engendrés par leur rupture, en les aidant à trouver de nouvelles règles de fonctionnement. Les conjoints réalisent l’importance de conserver une relation entre eux à titre de parents. La médiation s’insère alors comme un chaînon manquant entre la thérapie et le droit. La thérapie a pour objet d’accompagner les personnes dans la recherche d’idées pour remédier à leurs impasses personnelles ou interpersonnelles. Le droit qui impose, par la loi, la jurisprudence et les tribunaux, un cadre objectif de règlement offre l’intervention des juges pour trancher entre des points de vue divergents.

À la fin du processus, le médiateur rédige un rapport pour le Service de médiation familiale qui relève du ministère de la Justice du Québec[32], ainsi qu’un résumé des ententes pour le couple[33]. À cette dernière étape, mais parfois aussi en cours de rencontre, le médiateur recommande fortement à chaque membre du couple d’aller chercher l’opinion d’une conseillère juridique indépendante ou d’un conseiller juridique indépendant pour s’assurer de la conformité de l’entente avec ses droits.

Dans ce contexte, la rupture conjugale conduit à la contractualisation des relations. En effet, la médiation familiale permet précisément de conclure une entente entre les parents au sujet de leur séparation autour des éléments fondamentaux de leur désunion.

1.4 Les règles du jeu de la médiation familiale

La médiation constitue un mode alternatif de résolution des conflits. Il ne s’agit pas d’un remplacement du système judiciaire, mais plutôt d’une seconde voie originale qui n’élimine pas la possibilité du recours aux tribunaux. Elle implique la divulgation complète de tous les éléments d’un litige par les participants[34]. D’ailleurs, elle repose sur la transparence, ce qui requiert, par exemple, la déclaration de tous les aspects financiers. Cette attente de divulgation demeure envisageable puisque la confidentialité protège les échanges et empêche les conjoints d’utiliser l’information obtenue en médiation dans le contexte d’une judiciarisation ultérieure[35]. Il s’agit d’établir un dialogue pleinement ouvert au sein duquel les parties peuvent échanger librement, soumettre des offres et des contre-offres, considérer toutes les options et tenter de modifier leurs stratégies de communication dans l’objectif de trouver des solutions sur mesure applicables de manière réaliste à leur contexte de vie.

La médiation repose sur la croyance en la capacité d’autodétermination des personnes dans la recherche de remèdes à partir des intérêts communs et spécifiques de chacun[36]. Les parents assument leur rupture de couple et règlent leurs propres problèmes avec l’aide du médiateur. Il n’appartient pas à un tiers, comme la juge, de prendre les décisions à leur place. Le contenu de leurs ententes leur revient.

1.5 Le contenu du résumé des ententes issues de la médiation familiale

Le résumé des ententes termine le processus de médiation. Il en constitue l’aboutissement logique. Il contient les arrangements des ex-conjoints sur le plan d’action parentale pour les enfants, les responsabilités financières à leur égard et, s’il y a lieu, entre les ex-conjoints ainsi que sur le partage des biens[37]. Il porte sur toutes ces questions ou, selon les circonstances, sur certaines d’entre elles seulement. Il traite également d’éléments particuliers comme l’assurance vie en cas de décès d’un parent pour assurer le bien-être matériel des enfants et le régime d’assurance médicaments qui couvre leurs besoins. Enfin, le résumé des ententes repose sur la liberté contractuelle et, partant, sur des règles qui régissent de façon minimaliste son contenu. Il peut donc inclure toute disposition utile aux nouvelles compositions familiales dans la mesure où elles ne contreviennent ni à la loi ni à l’ordre public. Le processus de médiation familiale a précisément pour objet la conclusion d’une entente « mutuellement satisfaisante » souvent rédigée dans le vocabulaire des ex-conjoints. Celle-ci consigne des compromis « sur mesure », pragmatiques, réalistes et viables dans le contexte précis de ses protagonistes. Son originalité réside dans son unicité et dans la possibilité d’offrir des mesures adaptées à chaque situation particulière.

Il importe de distinguer le résumé des ententes du rapport du médiateur. Alors que ce résumé contient le résultat des négociations intervenues entre les parents à la suite de la détermination d’un grand nombre d’options, le rapport du médiateur ne reste qu’un formulaire administratif. Il s’agit d’un document dont le dépôt s’avère imposé à différentes fins. Il atteste, pour les ex-conjoints, qu’ils ont assisté à une séance d’information sur la médiation. Ces derniers doivent joindre le rapport du médiateur à leurs procédures judiciaires[38]. Comme nous l’avons mentionné précédemment, au Québec, le caractère obligatoire ne concerne que la séance d’information et non le processus de médiation familiale. Pour les médiateurs, le rapport accompagne leurs demandes de paiement d’honoraires auprès du Service de médiation familiale du Québec[39]. Enfin, pour ce dernier organisme, il permet d’établir certaines statistiques[40]. À cet effet, le rapport du médiateur fait état de la conclusion d’une entente complète ou partielle sur les éléments traités pendant la médiation familiale, soit la « garde », l’« accès », la « pension alimentaire » et le « partage des biens ». Lorsque la situation se présente, ce rapport consigne l’absence d’accords entre les parents. En somme, le résumé des ententes contient le contenu des arrangements entre les parents, alors que le rapport du médiateur ne témoigne que du fait que le processus a eu lieu et de son degré d’avancement à la suite de l’épuisement des heures de médiation payées par le système étatique.

Après la séance d’information, mais avant d’amorcer la médiation, le médiateur doit faire signer aux parents un contrat qui détermine les droits et les devoirs de chacun. Le Guide des normes de pratique des médiateurs fournit en annexe un modèle de contrat de médiation à soumettre aux ex-conjoints qui commencent un tel processus[41]. L’article 12 de ce contrat proposé par le Comité des organismes accrédités en médiation familiale (COAMF) se prononce notamment sur la portée juridique pour le moins ambigüe du résumé des ententes[42] :

Nous sommes informés que le résumé des ententes préparé à la fin de la médiation, le cas échéant, ne constituera ni un document légal, ni une entente exécutoire. Il servira aux conseillers juridiques qui seront retenus pour préparer les documents légaux appropriés. Nous sommes également informés que la signature du résumé des ententes produit des effets juridiques, même s’il n’a pas de force exécutoire, et qu’il est préférable d’obtenir un avis juridique indépendant[43].

L’expression « ne constituera ni un document légal, ni une entente exécutoire » intrigue, plus particulièrement en ce qui concerne le sens à donner à l’énoncé qui suit : « la signature du résumé des ententes produit des effets juridiques, même s’il n’a pas de force exécutoire ». À quelle signature l’article 12 fait-il référence ? Celles des conjoints ou celle du médiateur ? À quels effets juridiques renvoit-il ? Que faut-il entendre par l’« absence de force exécutoire » ? La prochaine partie de notre article tente de répondre à ces questions.

En réalité, le médiateur agit généralement à titre de seul signataire du résumé des ententes. Or, si le Guide des normes de pratique des médiateurs[44] ne se prononce nulle part sur les conséquences de la signature par le médiateur, il mentionne précisément à la section 6.02 de ne pas faire signer la convention par les ex-conjoints dans les termes suivants[45] :

Le document doit être daté et identifié du nom du médiateur ayant rédigé le résumé. Il y a lieu de le présenter aux parties pour en faire approuver le contenu et assurer ainsi la conformité de la version finale du résumé des ententes de médiation.

Le médiateur ne doit pas faire signer le résumé par les parties et doit inclure un avertissement (voir modèle à l’Annexe II) précisant la nature et la portée du document, ainsi que les risques que sa signature ou sa mise en application ferait courir aux parties.

Le second alinéa de la section 6.02 soulève des doutes. À quelle signature le texte fait-il référence lorsqu’il mentionne « les risques que sa signature […] ferait courir aux parties » ? S’agit-il de la signature de l’une des parties (« sa ») ou de celle du médiateur ou encore du fait de la signature même du texte ? À quels risques précisément se réfère cette allusion ? Quels sont les risques de la « mise en application » pour les parties ? Est-ce la « mise en application » de la signature du résumé des ententes ou la « mise en application » de l’entente elle-même ? Or, le résumé des ententes, même non homologué, est destiné à une mise en oeuvre immédiate par les parents pressés de faire cesser les souffrances de la séparation et les tourments de la rupture afin d’entamer une nouvelle étape de leur vie. À quels risques la section 6.02 renvoie-t-elle ?

L’avertissement de l’annexe II qui doit être inclus dans le résumé des ententes prévoit ceci[46] :

Vous êtes informés que le présent résumé des ententes de médiation se veut un outil de référence pour susciter la réflexion et pour orienter toutes démarches juridiques futures[47].

Vous êtes informés que le présent résumé des ententes de médiation ne constitue ni un contrat, ni un jugement, ni une convention sur mesures accessoires à être déposé à la cour. Sa signature pourrait produire des effets juridiques, même s’il n’a pas de force exécutoire, en conséquence, il est alors préférable de ne pas procéder à sa signature avant d’obtenir un avis juridique indépendant.

Vous êtes informés que la mise en application de tout ou d’une partie du résumé des ententes peut également produire des effets juridiques, en ce sens qu’elle pourrait constituer une reconnaissance juridique de l’entente.

Vous êtes informés que pour vous assurer de donner force exécutoire à toutes les clauses de votre résumé, de l’obligation de préparer ou de faire préparer tout document requis et de les faire entériner par le tribunal et ce, dans les meilleurs délais. Avant d’entreprendre cette démarche, une consultation juridique indépendante est recommandée.

Vous vous êtes engagés lors du contrat de médiation, à ne pas utiliser en preuve devant un tribunal tout document contenu au dossier, incluant le présent résumé des ententes de médiation, sans vos consentements respectifs.

Vous êtes informés que l’omission de divulguer certaines informations, au cours du processus de médiation, pourrait avoir comme conséquence de remettre en question les ententes de médiation inscrites dans le présent résumé.

Le libellé d’un pan de cet avertissement n’a pas fait l’unanimité au moment de son adoption. En effet, lors de la révision du guide en janvier 2004, l’Ordre des psychologues du Québec a émis une réserve quant à l’énoncé du premier paragraphe parce que « la formulation utilisée ne reflète pas l’esprit de l’exercice de médiation tel qu’initialement prévu par la loi ». Pour cet ordre professionnel, ce paragraphe accorde une place exagérée au droit ou réitère l’importance du juridique que la médiation familiale voulait précisément écarter de la gestion de la rupture conjugale.

Ici encore, l’avertissement à inclure dans le résumé des ententes pose la question de la signification de la phrase « Sa signature pourrait produire des effets juridiques, même s’il n’a pas de force exécutoire ». Cette affirmation apparaît laconique : quels effets juridiques ? Le résumé des ententes jamais signé par les parties produit-il des effets juridiques ?

En principe, le résumé des ententes devra ultérieurement être utilisé pour rédiger une convention en langage juridique par une conseillère juridique ou un conseiller juridique qui, idéalement, ne serait pas la personne qui assure la médiation. Une fois cette tâche accomplie, l’entente pourra être homologuée par la cour ou par le greffier spécial, pour devenir exécutoire et obtenir sa pleine portée : voilà l’aboutissement logique du processus de médiation tel qu’il est actuellement conçu[48]. Toutefois, dans la pratique, certains couples n’homologuent jamais leur entente ou ils entreprennent les démarches pour y parvenir longtemps après l’acceptation et la mise en oeuvre de leurs arrangements. Les raisons fluctuent et se cumulent : les motifs financiers, la complexité de la procédure, la vie qui reprend son rythme, etc.

Dans ce contexte, nous nous intéresserons dans la prochaine partie à la valeur juridique des ententes conclues grâce à la médiation familiale. Cette réflexion s’impose puisque, même si la médiation permet la conclusion d’ententes très variées, celles-ci ne font pas toujours l’objet de contrôle en droit. De plus, le statut juridique du résumé des ententes issu d’un processus de négociation se révèle difficile à établir, voire complexe à déterminer. Dans ces conditions, la recherche à cet effet laisse voir l’existence d’un véritable labyrinthe dont les dédales camouflent plusieurs incertitudes.

Afin d’éclairer ces méandres, nous avons divisé la seconde partie de notre texte en sept sections. Alors que la partie introductive présente la démarche méthodologique suivie, la deuxième fait l’examen du caractère juridique du résumé des ententes (2.1). Notre analyse permettra de démontrer que ce document devient parfois une véritable convention entre les conjoints. Ce constat oblige subséquemment à entreprendre une étude de la validité juridique des conventions matrimoniales. Cependant, avant d’étudier les aspects de ces ententes relatifs aux biens (2.3), aux responsabilités financières (2.4 et 2.5) et au plan d’action parentale (2.6.), nous estimons qu’une brève analyse du contrat de transaction s’impose pour comprendre les problèmes d’effectivité juridique auxquels se butent les ententes (2.2).

2 Le résumé des ententes issues de la médiation familiale : entre controverses et incertitudes

Les conjoints qui s’engagent dans le processus de médiation désirent explorer toutes les avenues possibles pour parvenir ultimement à un règlement négocié de leur rupture. À la fin de ce processus, le médiateur rédige un résumé des ententes qui consigne les arrangements mutuellement convenus. Originellement, nous voulions répondre aux questions suivantes : quelle est la valeur juridique du résumé des ententes ? Produit-il des effets juridiques ? Si oui, quels sont-ils et à quelles conditions ?

Nous pensions trouver une réponse suffisamment précise à ces interrogations. Toutefois, nous avons constaté dans la doctrine des argumentations parfois opposées sur plusieurs aspects qui se rattachent à ce questionnement. Dans certains cas, les auteurs présentent leur point de vue sans noter l’existence de controverses doctrinales. En conséquence, nous avons voulu répertorier les controverses dans lesquelles baigne le résumé des ententes pour démontrer le caractère équivoque et volatile du droit en la matière.

La démarche méthodologique que nous avons employée pour inventorier ces controverses se fonde sur l’analyse exhaustive de la doctrine en droit de la famille et de la jurisprudence sur laquelle s’appuie celle-ci. Trois articles de périodiques juridiques se penchent précisément sur la valeur juridique du résumé des ententes. Le premier restreint son analyse au commentaire d’un jugement[49]. Les deux autres se limitent à énoncer qu’il ne lie pas les parties[50]. Sept articles portent plus généralement sur la valeur des conventions en matière familiale, sans s’intéresser à celles qui proviennent de la médiation[51]. Placés devant cette carence, nous nous sommes tournés vers les traités généraux en matière de droit de la famille qui, sur cette question, fournissent les analyses les plus raffinées. Sur ce chapitre, nous avons retenu quatre ouvrages pour faire l’objet d’une étude approfondie : Droit de la famille[52] et La rédaction des conventions en matière familiale, de Michel Tétrault[53], La famille, de Jean Pineau et Marie Pratte[54], ainsi que Le droit de la famille au Québec[55], de Mireille D.-Castelli et Dominique Goubau[56]. Enfin, nous avons consulté Droit de la famille[57] publié par le CCH. Ce dernier recueil se distingue des précédents ouvrages par sa vocation à satisfaire les besoins des praticiens en offrant des mises à jour doctrinales et jurisprudentielles mensuelles rédigées par une équipe d’une douzaine de rédacteurs. Les auteurs du CCH aspirent à traiter de façon beaucoup plus exhaustive tous les aspects du droit de la famille. En conséquence, ce recueil représente la source la plus complète d’information sur l’objet de notre étude.

Puisque les traités occupent une place prépondérante aux fins de l’examen des ententes, nous allons suivre la structure de raisonnement appliquée dans les traités de droit de la famille qui séparent traditionnellement en catégories les questions liées au partage des biens de celles qui se rapportent aux contributions financières concernant les conjoints et les enfants, de même que celles qui touchent au plan d’action parentale. L’emploi de cette subdivision facilite la compréhension des controverses propres à chaque aspect des ententes. Toutefois, cette étude compartimentée pose problème dans la mesure où la médiation globale en matière familiale au Québec conduit à des ententes sous tous ces chefs dans un seul et même résumé. Nous reviendrons à cette difficulté à la fin de notre analyse.

L’examen de la doctrine ne peut être effectué sans un suivi de la jurisprudence citée par les auteurs. Dans certains cas, celle-ci ne concorde pas tout à fait avec le point de vue exprimé. Dès lors, nous nous attacherons davantage aux décisions judiciaires en réalisant une recherche jurisprudentielle distincte. En conséquence, notre étude va au-delà du strict examen des confusions doctrinales et étend son regard à l’ensemble des sources du droit.

Il faut également souligner que les remarques qui suivent valent généralement pour la séparation de corps, le divorce, la dissolution de l’union civile et la séparation des conjoints de fait si ces derniers peuvent obtenir un jugement sur l’aspect traité. Nous noterons certaines distinctions pertinentes lorsqu’elles s’appliquent.

Enfin, une mise en garde s’impose devant la pléthore de controverses dénotées qui peut laisser une impression de confusion. Cela est imputable au fait que tous les aspects des ententes présentent des désaccords plus ou moins importants, particulièrement en ce qui concerne les aspects patrimoniaux et les pensions alimentaires pour époux. Des développements opposés et en conséquence incompatibles existent d’ailleurs sur ces sujets. Pourtant, les auteurs ne soulèvent pas toujours l’existence d’une controverse, ce qui laisse l’impression au lecteur de la certitude du droit sur ces questions. Les sections qui suivent permettent de réaliser que l’état actuel du droit ne permet pas de trancher définitivement ces débats. Il en découle une incertitude quant à la valeur juridique des ententes issues de la médiation. Il faut espérer que l’actuelle démarche favorise une clarification de ces enjeux dans un avenir rapproché.

2.1 La valeur juridique du résumé des ententes issues de la médiation familiale

D’entrée de jeu, la valeur du résumé des ententes se présente comme équivoque. Alors que, d’un côté, les auteurs se prononcent unanimement sur l’absence de caractère juridique attribuable au résumé des ententes, la jurisprudence, de l’autre côté, demeure ambivalente à ce sujet.

Avant d’aborder la position du CCH, nous croyons important de souligner que ce recueil confond le rapport du médiateur et le résumé des ententes[58]. Ses auteurs amalgament à tort les expressions « état des consensus » et « rapport du médiateur » pour désigner ce qui, dans les faits, constitue le résumé des ententes signé par le médiateur[59]. Faut-il le rappeler, le rapport du médiateur ne contient aucune information précise quant au contenu des ententes[60]. Cette erreur n’est pas bénigne puisqu’elle suppose des effets juridiques : le Code de procédure se réfère exclusivement au rapport du médiateur et non au résumé des ententes[61]. Ainsi, lorsque les auteurs du CCH emploient les termes « rapport du médiateur », ils abordent en fait la question des effets juridiques propres au résumé des ententes.

Selon l’analyse des auteurs du CCH, le résumé des ententes ne détient aucun caractère juridique : ce n’est pas un contrat. Les parties peuvent donc à loisir changer d’avis, par exemple, à l’occasion de poursuites judiciaires subséquentes, même après la consignation par le médiateur du contenu de leur accord. De l’avis du CCH, la situation ne saurait s’analyser autrement puisque la loi interdit aux médiateurs psychologues et travailleurs sociaux de se poser comme rédacteurs d’un écrit juridique pour des tiers. En effet, le législateur réserve traditionnellement ce rôle aux avocats et aux notaires[62]. Les auteurs du CCH confortent leur opinion en s’appuyant sur un jugement qui refuse de reconnaître un poids juridique au résumé des ententes déposé par une partie même s’il contient le paraphe des ex-conjoints contrairement aux règles du COAMF[63].

Pour sa part, Tétrault exprime un avis qui mène à la même conclusion. À l’égard du résumé des ententes, cet auteur rappelle que les parties ne doivent pas le signer et que des effets juridiques émaneront de celui-ci seulement si les conditions suivantes sont réunies : retranscription de l’écrit par les parties ou encore par une ou un juriste, signature du document par les ex-conjoints et homologation par le tribunal. Il précise également que son contenu bénéficie de la protection accordée par le législateur au processus de médiation quant à la confidentialité[64]. Ainsi, selon Tétrault, le résumé des ententes ne doit pas être employé par une cour si une des parties s’y oppose.

De leur côté, les auteurs Pineau et Pratte ne s’attachent pas précisément au texte contenant les ententes des conjoints à la suite de la médiation. Ils se réfèrent toutefois à plusieurs reprises aux « conventions » entre les conjoints sans mentionner si ce terme comprend le résumé des ententes issues de la médiation[65]. Quant à Castelli et Goubau, ils ne se prononcent pas non plus explicitement sur la valeur de ce document. Néanmoins, ils précisent que les ex-conjoints ne devraient jamais signer une entente issue de la médiation avant d’avoir consulté une conseillère juridique indépendante ou un conseiller juridique indépendant[66] et ils laissent entendre qu’un tel geste pourrait imposer aux parties des obligations juridiques.

Il importe également de signaler que l’apparente unanimité du CCH et de Tétrault cache en réalité une confusion de la jurisprudence concernant cette question, particulièrement dans les cas où les parties décident de parapher le résumé des ententes. Judith Desmarais soulève cette controverse dans sa chronique jurisprudentielle sur l’affaire S.M. c. M.C.[67]. Dans cette décision, l’ex-conjointe se voit opposer par son ancien conjoint un résumé des ententes qui énonce qu’ils désirent employer ce document en preuve devant le tribunal, et ce, sans le consentement de l’autre. La juge ne mentionne pas si les parties ont elles-mêmes signé le résumé, mais elle souligne par ailleurs que cette clause semble contraire aux règles du COAMF en la matière. Malgré ce dernier constat, la décision retient qu’il s’agit d’un contrat opposable aux deux parties en l’instance et applique son contenu en conséquence. De même, dans l’affaire H.L. c. H.L.[68], les parties signent le résumé des ententes. Les motifs ne précisent toutefois pas si les ex-conjoints procèdent ainsi à la demande du médiateur ou de leur propre chef. Le juge conclut au caractère contractuel du résumé des ententes issues de la médiation et lui attribue des effets juridiques. Enfin, il faut noter que, dans l’affaire Droit de la famille — 061388[69], les ex-conjoints signent le résumé des ententes puis, devant le tribunal, l’ancienne conjointe décide de contester le partage du patrimoine familial prévu par celui-ci. Le juge oppose que cet accord constitue un contrat et qu’en conséquence il lie les parties. Selon ces jugements, le résumé des ententes est donc assimilé dans certaines circonstances à un contrat, contrairement aux affirmations de Tétrault et du CCH.

L’étude de la jurisprudence en la matière révèle également que certains juristes médiateurs omettent de formuler les compromis de leurs clients dans un résumé des ententes[70]. Ces professionnels préfèrent libeller les arrangements directement dans une convention pour homologation par une juge. Pourtant, ces documents s’adressent habituellement à des auditoires distincts. Alors que le résumé des ententes se soucie d’employer un vocabulaire aisément compréhensible pour les conjoints, la convention intéresse davantage la magistrate et, en conséquence, comporte des termes juridiques dont les parties ne saisissent pas nécessairement toute la portée. La jurisprudence, placée devant cette pratique, rend dans plusieurs cas l’entente des conjoints exécutoire[71]. La difficulté de cette approche réside dans le fait que le résumé des ententes invite précisément les ex-conjoints à consulter un expert juridique indépendant. Au moment de procéder à la rédaction du résumé des ententes, la ou le juriste joue un rôle de médiateur et non de conseillère juridique ou de conseiller juridique. Par contre, lorsque le juriste « médiateur » consigne directement une entente aux fins d’homologation, il troque le couvre-chef de médiateur pour celui de professionnel du droit alors qu’il ne doit pourtant pas jouer ce rôle. Dans ce cas, il conforte les parties dans leur impression qu’elles ont conclu une entente mutuellement satisfaisante au regard de leurs droits, sans pour autant leur offrir l’avantage d’un avis juridique indépendant. En conséquence, cette pratique rend difficilement contestable la « convention » des parties puisqu’elle pourra alors leur être opposée comme générant des effets juridiques.

En somme, le résumé des ententes, qui inclut l’avertissement prescrit par le COAMF et dont le médiateur demeure l’unique signataire, apparaît sans caractère ni valeur proprement juridique. Dans ce cas, cet écrit bénéficie dès lors de la protection du sceau de la confidentialité. Par opposition, la situation juridique du résumé des ententes signé par les parties souffre en revanche d’ambiguïté puisque des juges affirment qu’il lie les parties, surtout dans l’éventualité où un début d’exécution de l’entente a déjà eu lieu. Cette situation ne paraît pas inhabituelle étant donné que plusieurs individus désirent attribuer un caractère officiel à l’entente en la signant. Partant, ils peuvent reproduire le résumé en calquant les mises en garde du médiateur ou en les omettant. Pour contrer cette pratique aux retombées potentiellement préjudiciables aux ex-conjoints, certains médiateurs refusent de donner une copie électronique du résumé des ententes à leurs clients. Comme nous venons de le démontrer, le résumé des ententes dupliqué et signé par les parties, s’il ne comporte plus l’avertissement du médiateur, peut produire des effets juridiques. Dès lors, puisqu’aucune trace de la médiation ne demeure, le texte est alors assimilé à une convention entre les parties et non plus à un document protégé par le processus de médiation.

Ainsi, le fait que le résumé des ententes se transforme en convention dans certaines circonstances nous amène à nous pencher sur une autre problématique : quel est l’effet juridique des conventions entre conjoints ? L’état actuel du droit à ce sujet ne peut être aisément déterminé, puisqu’il a vu et voit encore éclore plusieurs controverses. Avant d’aborder les aspects plus spécifiques des ententes comme les aspects patrimoniaux et alimentaires, nous ferons une analyse du contrat de transaction en matière familiale qui permettra de mieux saisir une des sources de ces différends.

2.2 Le contrat de transaction en droit de la famille

Un contrat de transaction, au sens du droit civil, intervient lorsque deux parties « préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l’exécution d’un jugement [par une entente à l’amiable], au moyen de concessions ou de réserves réciproques[72] ». En corrélation avec le libellé inclusif de l’article 2631 C.c.Q., les ententes de séparation entrent habituellement dans cette définition. Toute transaction bénéficie de l’indivisibilité de son objet. Le législateur y associe cette caractéristique puisqu’il conçoit la transaction comme le fruit de concessions réciproques indissociables[73]. Il ajoute également qu’il ne peut être transigé sur l’état et la capacité des personnes de même que quant aux questions qui intéressent l’ordre public[74].

Pour que l’exécution forcée d’un contrat de transaction se réalise, il doit être homologué par le tribunal compétent[75]. La juge appelée à statuer sur une telle demande s’assure uniquement du consentement des parties et du respect de l’ordre public avant de rendre exécutoire l’engagement. Elle ne peut se livrer à un calcul d’opportunité de celle-ci ou à une analyse d’équité[76]. Dans tous les cas, la magistrate ne peut modifier l’acte soumis et seul le refus d’homologuer s’offre à elle[77].

En droit de la famille, deux facettes du cadre juridique du contrat de transaction posent problème : l’impossibilité de transiger sur les questions d’ordre public et l’indivisibilité de l’objet de l’entente. L’interdiction de transiger concernant l’ordre public oblige à s’interroger sur chaque aspect de la transaction pour en connaître les conséquences juridiques. Les exemples du partage du patrimoine familial et de la pension accordée à un conjoint le démontrent éloquemment[78].

Une autre difficulté survient quant à l’indivisibilité de l’objet de toute transaction. Comment réagir si une entente issue de la médiation porte sur plusieurs éléments et qu’un seul d’entre eux concerne l’ordre public ? Cette interrogation se pose avec une acuité toute particulière au Québec où se pratique la médiation globale, car toutes les questions de la rupture sont traitées de manière concomitante et non séparément. L’entente définitive contient généralement tous les aspects traités dans leur globalité. De plus, comme dans la transaction, les objets soumis au processus de médiation se négocient les uns en relation avec les autres et donnent lieu à des tractations interdépendantes. En guise de réponse à cette réalité, le CCH suggère de diviser les ententes en matière familiale de façon à distinguer clairement les éléments qui touchent l’ordre public[79]. À notre avis, cette approche est irréaliste pour plusieurs raisons. Premièrement, la médiation offre précisément une méthode de négociation globale des éléments de la rupture conjugale les uns par rapport aux autres. Deuxièmement, les auteurs et la jurisprudence ne dégagent pas de consensus sur le caractère d’ordre public de plusieurs aspects des conventions. Les couples qui se séparent et les médiateurs qui rédigent les ententes subissent alors un climat d’insécurité juridique si l’homologation n’intervient pas. Enfin, suivant les aspects dont traite la convention, un des ex-conjoints peut faire volte-face et s’opposer à l’homologation après avoir réalisé que l’entente ne l’avantage pas.

À l’instar du CCH, Tétrault élabore une réflexion sur l’indivisibilité de la transaction. Il affirme que la convention peut être divisible s’il existe une cause de nullité d’une clause dont l’annulation ne met pas en péril la viabilité et l’intégrité de la convention[80]. Ce critère permet difficilement de prévoir la réaction d’une juge appelée à se prononcer sur le sujet. Pourtant, le Code civildu Québec précise nommément l’indivisibilité de la transaction en énonçant à l’alinéa 2 de l’article 2631 qu’elle « est indivisible quant à son objet ». Tétrault ajoute que le terme « transaction » devrait uniquement être employé lorsque la convention règle toutes les questions pertinentes dans le cas du litige[81]. Il admet malgré tout, avec réserve, que dans certains cas une partie peut s’ingénier à convaincre le tribunal qu’un accord partiel constitue une transaction s’il ne traite pas de l’ordre public[82]. Nous y reviendrons plus loin. Pour l’heure, il suffit de mentionner qu’en matière familiale les aspects qui se rapportent aux enfants relèvent de l’ordre public. Les hésitations de Tétrault en ce qui a trait à la transaction en matière familiale reflètent des tendances jurisprudentielles éparses. De leur côté, Pineau et Pratte, tout comme Castelli et Goubau, n’abordent pas la question de la transaction.

L’interdiction de transiger en matière d’ordre public amène à s’interroger sur la qualification que les auteurs attribuent aux différents aspects des conventions en matière familiale. En effet, si l’objet intéresse l’ordre public, les parties peuvent alors tenter de faire marche arrière en convainquant la juge qu’elle peut se prononcer indépendamment de leur entente. Évidemment, pour procéder ainsi encore faut-il savoir si un sujet relève de l’ordre public. Cette question comporte sa part d’incertitude dans maints contextes. Pour cette raison, nous aborderons dans les prochaines sections l’ordre public et les effets juridiques attribuables aux ententes touchant tous les aspects de la rupture conjugale. Les éléments traités concernent le partage des biens (2.3), les contributions financières entre conjoints (2.4) et pour les enfants (2.5) ainsi que le plan d’action parentale (2.6).

2.3 Le partage des biens

Les auteurs adhèrent à la règle générale selon laquelle les conventions relatives aux biens peuvent faire l’objet d’une transaction puisqu’elles ne touchent pas à l’ordre public[83]. Toutefois, ils notent par la même occasion l’existence d’exceptions controversées. Nous examinerons ce sujet au regard des désaccords en la matière tout en gardant à l’esprit les aspects habituellement traités dans le résumé des ententes, soit le patrimoine familial (2.3.1), la prestation compensatoire (2.3.2) et la liquidation des régimes matrimoniaux (2.3.3).

2.3.1 Le patrimoine familial

Les conjoints peuvent convenir entre eux des modalités du partage du patrimoine familial[84]. La position des auteurs sur la légalité des transactions concernant la distribution égale du patrimoine familial entre les époux ou les conjoints unis civilement n’apparaît pas controversée. Par contre, l’analyse par ceux-ci des cas de la renonciation totale ou partielle au patrimoine familial laisse transparaître des divergences d’opinions[85].

Sur cette dernière question, le CCH soutient que « la renonciation au partage du patrimoine familial doit être entérinée par le tribunal » et peut seulement être annulée pour une cause de nullité des contrats[86]. Cette position s’appuie principalement sur l’affaire Droit de la famille — 2452[87] dans laquelle la Cour d’appel statue unanimement en faveur de la possibilité de renoncer conventionnellement au patrimoine familial[88]. Pour ce faire, la Cour exige des conjoints qu’ils y renoncent dans le contexte d’une instance en divorce ou en vue de telles procédures. Dans cette dernière éventualité, leur geste doit s’inscrire dans l’optique de procédures futures : il faut se mettre à la place des parties et déterminer concrètement ce qu’elles pensaient. Le CCH se montre en faveur de cette interprétation[89] en insistant sur l’impossibilité d’une renonciation à l’avance aux droits dans le patrimoine familial[90]. Néanmoins, une autre section de l’ouvrage reproche à cette décision d’avoir orienté son raisonnement autour de l’article 423 C.c.Q[91]. Les auteurs expliquent que cet article ne doit pas être employé dans une situation factuelle analogue à celle du jugement puisqu’il traite notamment des renonciations par acte notarié, alors que le cas en l’espèce ne s’apparentait pas à cette éventualité. À la lumière de cette réflexion, la position du CCH qui s’appuie sur ce jugement s’en trouve affaiblie.

Pineau et Pratte concluent également à la possibilité de renoncer par convention au patrimoine familial avant jugement. Pourtant, ils recourent à un raisonnement juridique différent. Suivant ceux-ci, la renonciation au patrimoine familial par acte notarié en minute devient praticable uniquement à l’ouverture du droit au partage, c’est-à-dire au décès ou au jugement de divorce, de séparation de corps ou de nullité du mariage[92]. Toutefois, ils notent que, si les époux veulent renoncer plus tôt au partage du patrimoine familial, soit dans le contexte d’une instance en divorce, ils peuvent le faire à l’aide d’une simple convention. Selon leur interprétation, la renonciation par acte notarié peut donc seulement intervenir plus tard que ce que permet la renonciation par convention. Dans ce dernier cas, la magistrate doit contrôler le caractère libre et éclairé de la renonciation. Suivant cette analyse, la juge doit également vérifier les causes d’annulation de la convention[93]. Les deux auteurs concluent leur raisonnement en avançant que les juges devraient hésiter à donner leur aval à une entente si l’intérêt d’un des époux apparaît sérieusement compromis[94].

L’opinion de Tétrault diverge des deux précédentes puisqu’il conclut à l’impossibilité de renoncer au partage du patrimoine avant que la juge entérine la convention[95]. Cette opinion, qui se fonde sur celle du juge Sénécal exprimée dans l’affaire A.P. c. L.C.[96], suggère qu’une partie qui renonce au patrimoine familial peut retirer sa renonciation tant que la magistrate n’a pas statué définitivement sur la question. Selon cette théorie, il n’est alors pas possible de transiger quant à une renonciation, même partielle, au patrimoine familial[97]. Tétrault refuse donc d’appliquer le jugement postérieur de la Cour d’appel dans l’affaire Droit de la famille — 2452[98] qui interprète cette question dans le sens du CCH ainsi que de Pineau et Pratte[99]. Cependant, l’opinion de Tétrault n’isole pas ce dernier puisque Castelli et Goubau y adhèrent[100].

Le conjoint qui renonce peut ainsi se trouver dans une situation juridique délicate selon l’interprétation retenue. En effet, le CCH de même que Pineau et Pratte concluent à la validité de la renonciation conventionnelle, alors que Tétrault ainsi que Castelli et Goubau ont un avis contraire. Un autre élément vient d’ailleurs complexifier ces cheminements juridiques labyrinthiques. Une disposition dont le CCH de même que Pineau et Pratte omettent de traiter mérite d’être mentionnée. En matière de renonciation au régime de retraite, l’article 31.1 du Règlement de procédure en matière familiale[101] offre une protection supplémentaire à la partie qui renonce au patrimoine familial, et ce, en exigeant ceci[102] :

La partie qui renonce au partage de droits accumulés durant le mariage ou l’union civile au titre d’un régime de retraite ou au partage de gains inscrits au nom d’un conjoint en application de la Loi sur le régime de rentes du Québec, (L.R.Q., c. R-9) ou de régime équivalent doit confirmer connaître l’importance de la valeur partageable et la possibilité d’en savoir le montant exact.

La partie qui renonce au régime de retraite doit conséquemment non seulement affirmer connaître l’importance de la valeur partageable, mais elle doit aussi attester détenir la possibilité d’en savoir le montant exact. Cet article n’impose toutefois pas à l’individu qui renonce d’indiquer la somme en jeu. En l’absence des mentions requises par cet article dans l’accord, celui-ci devient-il inopérant ? Bien que Tétrault fasse référence à cette disposition à plusieurs reprises[103], il n’offre pas de réponse précise à cet égard. Ainsi, les conséquences d’une telle omission demeurent obscures.

Étant donné les controverses en matière d’ententes concernant le patrimoine familial, les conjoints doivent faire preuve de vigilance si, dans le contexte d’une entente issue de la médiation familiale, ils renoncent partiellement ou totalement au partage. Selon une interprétation, la renonciation devient définitive, à moins d’une preuve que le consentement n’a pas été donné librement en toute connaissance de cause[104]. Toutefois, une autre hypothèse suggère que le tribunal admette la renonciation comme nulle de nullité absolue en cas de révocation unilatérale de celle-ci[105]. La coexistence de ces deux visions prive les ex-conjoints et le médiateur de la connaissance du traitement que le système judiciaire réserve à leur entente. Le partage du patrimoine familial ne fait pas figure d’exception en ce qui concerne le manque de limpidité du droit applicable : en effet, la situation de la prestation compensatoire n’apparaît guère plus claire.

2.3.2 La prestation compensatoire

Dans un article paru en 1997, la juge Ginette Piché déclare qu’une entente sur la prestation compensatoire s’avère toujours révisable[106]. Plus hésitant, le CCH suggère que la prestation compensatoire relève « peut-être » de l’ordre public et qu’une entente en la matière lie « peut-être » les parties[107]. Malgré cette formulation, une autre section de l’ouvrage affirme qu’il s’agit d’un mécanisme d’ordre public dont l’ouverture du droit doit nécessairement précéder la renonciation[108]. Selon le CCH, l’ouverture du droit à l’abandon de la prestation compensatoire correspond au moment de la séparation de corps, du divorce, de la nullité du mariage, du décès ou de la fin de la collaboration[109]. Ce n’est que lorsque l’un de ces évènements se produit qu’un des conjoints peut validement renoncer à la prestation compensatoire par contrat. En ce qui concerne la fixation d’un montant tenant lieu de prestation compensatoire, le CCH énonce comme règle générale qu’elle « a certaines caractéristiques d’ordre public et semble devoir être soumise à l’examen du tribunal[110] ». Selon la section de l’ouvrage consultée, le lecteur se trouve ainsi devant deux perspectives différentes du problème.

Castelli et Goubau, quant à eux, placent la prestation compensatoire dans la catégorie des mécanismes qui relèvent de l’ordre public[111]. Leur raisonnement s’appuie sur le fait que la section sur ce sujet se situe dans le chapitre sur les effets du mariage, partie à valeur impérative en vertu de l’article 391 C.c.Q.[112]. Selon cette logique, ces auteurs postulent que la convention sur la question intervenue avant le prononcé du divorce ou de la séparation de corps doit être entérinée par le tribunal. Par ailleurs, en cas de décès, une entente sur la question équivaudrait à une transaction[113].

Pineau et Pratte distinguent deux hypothèses en ce qui concerne la renonciation : celle d’une abdication anticipée au privilège d’une prestation compensatoire pendant le mariage — illégale — et celle d’une entente d’abandon du droit une fois réalisées les conditions nécessaires à son exigibilité[114]. Dans ce second cas de figure, ces auteurs précisent qu’un engagement portant strictement sur la prestation compensatoire lie le tribunal[115]. Toutefois, ils ajoutent que, si cette renonciation accompagne une entente des parties sur la pension alimentaire entre les conjoints, la juge ne peut être liée par la convention des parties. La logique de Pineau et Pratte se fonde sur le caractère d’ordre public qu’ils attribuent à la pension alimentaire entre conjoints et sur le fait que la magistrate doit, pour évaluer la pension, considérer les accords entre les époux[116]. La présence d’un arrangement en matière alimentaire entre les conjoints irradierait alors l’ensemble de l’entente. Outre l’aspect de la renonciation, ces auteurs terminent leur raisonnement en spécifiant qu’une entente fixant la valeur d’une prestation compensatoire et ne s’intéressant pas à la question alimentaire se voit dans plusieurs cas qualifiée de transaction par la jurisprudence[117]. Conséquemment, les ex-conjoints qui décident d’un montant tenant lieu de prestation compensatoire doivent agir en exerçant une grande vigilance.

Pour Pineau et Pratte, la prestation compensatoire ne se rattache donc pas à l’ordre public, mais elle peut être révisée en présence d’accords en matière d’aliments entre conjoints.

De même, Tétrault affirme que la prestation compensatoire ne relève pas de l’ordre public[118]. Elle peut ainsi, selon son analyse, faire l’objet d’une transaction. Il ne distingue pas la situation de la renonciation de celle de la détermination par les parties d’une somme comme prestation compensatoire. En conséquence, Tétrault rejoint Pineau et Pratte ainsi que les auteurs qui suggèrent que la fixation d’un montant d’une prestation compensatoire lie le tribunal[119].

2.3.3 La liquidation des régimes matrimoniaux

La dissolution de la société d’acquêts ou de la communauté de biens fournit une fois de plus l’occasion aux conjoints de négocier les modalités du partage de certains de leurs biens[120]. À ce titre, quelle est la valeur d’une entente traitant du partage des biens visés par ces régimes matrimoniaux ? Il faut alors distinguer deux hypothèses : celle de la renonciation au partage et celle du règlement des modalités de répartition du patrimoine.

Pour ce qui est de la renonciation, Pineau et Pratte affirment que « chacun des époux ou l’un d’eux a le droit de renoncer au partage des acquêts de l’autre[121] », sans ajouter d’explications supplémentaires. Or, même si ce droit existe, comment s’exerce-t-il et à quel moment peut-il valablement intervenir ? La juge possède-t-elle un pouvoir discrétionnaire pour le contrôler ? Le CCH et Tétrault s’intéressent davantage à ces enjeux.

Pour le CCH, les régimes matrimoniaux concernent l’ordre public[122], ce qui laisse croire qu’envisager une transaction en la matière relève de l’illusoire. D’ailleurs, les auteurs du CCH soulignent que la renonciation à la société d’acquêts ou à la communauté de biens nécessite soit l’approbation du tribunal qui en donne acte par jugement, soit la rédaction d’un acte notarié en minute après le prononcé de la séparation ou du divorce[123]. Tétrault opine dans le même sens[124]. Toutefois, il fait montre d’une plus grande précision lorsqu’il traite de l’ordre public puisqu’il indique que seul le droit d’option au partage s’en trouve affecté[125]. Sans aborder le sujet sous l’angle de l’ordre public, Castelli et Goubau précisent néanmoins que les époux ne peuvent exercer leur droit d’option préalablement à la dissolution du mariage[126].

Les accords qui décident des modalités du partage des régimes matrimoniaux ne jouissent pas d’un statut aussi cristallin. Tout d’abord, il faut noter que Pineau et Pratte se désintéressent de la contractualisation du partage. Au reste, le CCH, bien qu’il associe ce sujet à l’ordre public, soutient la légalité d’une transaction sur le partage, s’il y a lieu. En principe, « les parties sont alors liées par leur entente[127] ». Pour sa part, Tétrault présente une position plus nuancée. De son point de vue, l’entente demeure conditionnelle au prononcé du jugement de divorce et à l’acceptation du partage des acquêts. Dans ce cas, Tétrault affirme qu’elle devra être respectée[128]. Néanmoins, son raisonnement laisse place au doute : est-ce une transaction ? La juge peut-elle réviser l’entente ? Étant donné que l’argumentation de Tétrault se rapporte à l’ordre public, nous devons conclure qu’il s’agit, pour lui, d’une transaction dont le caractère exécutoire dépend d’une acceptation du partage et du prononcé du divorce. Enfin, Castelli et Goubau affirment que le juge peut intervenir même en cas d’entente puisque, pour ces auteurs, les conventions de partage antérieures au divorce ne peuvent avoir qu’une valeur indicative des modalités du partage[129].

Ce tour d’horizon termine nos observations relatives aux aspects patrimoniaux des conventions. Dans bien des cas, les auteurs ne développent pas une vision similaire, ce qui contribue à alimenter le climat d’incertitude qui plane sur la valeur juridique des résumés des ententes et des accords qui s’en inspirent. Par ailleurs, les conditions propices à un consensus n’apparaissent pas plus favorables à l’égard des obligations alimentaires entre époux où se côtoient des opinions multiples.

2.4 Les obligations alimentaires à l’égard d’un époux

Les auteurs considèrent que la question des obligations alimentaires entre époux ne peut constituer l’objet d’une transaction puisqu’elle touche à l’ordre public[130]. Ceux-ci s’accordent également pour désigner l’affaire Miglin[131] de la Cour suprême comme la décision clé en ce qui concerne la valeur des ententes en la matière. Comme notre étude s’intéresse précisément à la valeur juridique du résumé des ententes, nous n’effectuerons pas une analyse détaillée de ce jugement[132]. Nous voulons plutôt d’abord concentrer nos efforts sur un élément de cet arrêt qui influe fréquemment sur le poids que donnent les tribunaux au résumé des ententes, soit l’exigence de recourir à une conseillère juridique indépendante ou à un conseiller juridique indépendant pour que l’accord lie les parties (2.4.1). Ensuite, nous répertorierons les commentaires des auteurs sur la démarche préconisée dans l’affaire Miglin et nous aborderons les visions contrastantes des auteurs eu égard à l’influence de cette décision sur les jugements postérieurs (2.4.2).

2.4.1 Le procureur indépendant et la signature

L’affaire Miglin apparaît comme une décision incontournable en matière d’obligations alimentaires entre époux. Dans cette affaire, la Cour exige notamment de la partie qui conteste une entente en matière alimentaire de prouver sa vulnérabilité au moment de la signature. Le recours à une conseillère juridique indépendante ou à un conseiller juridique indépendant constitue un des éléments qui permettent d’évaluer cette vulnérabilité. Sur cette question, le CCH, auquel Castelli et Goubau renvoient relativement à cet aspect[133], affirme que le recours à une juriste indépendante ou à un juriste indépendant peut souvent neutraliser la vulnérabilité d’une partie à une convention, ce qui anéantit alors la possibilité de remettre en cause leurs arrangements[134]. Toutefois, même en l’absence d’une consultation d’une juriste indépendante ou d’un juriste indépendant, l’entente produit parfois des effets juridiques. Pour tirer cette conclusion, les auteurs rapportent notamment une décision de la Cour d’appel du Québec qui traite, entre autres, du sujet suivant : le consentement d’une partie se révèle-t-il vicié par l’absence de consultation auprès d’une conseillère juridique indépendante ou d’un conseiller juridique indépendant[135] ? Le tribunal, appliquant les principes de l’affaire Miglin, conclut à la validité du consentement, car la partie soulevant ce vice jouissait de l’occasion de consulter un avocat distinct sans s’en prévaloir. Dans cette affaire, il faut noter que l’épouse disposait alors de tout le temps nécessaire pour engager une conseillère juridique indépendante ou un conseiller juridique indépendant tout en ne faisant pas l’objet de pressions indues de son ex-époux. Dans une autre décision relevée par le CCH à l’appui de sa position, le juge reconnaît que la partie qui conteste l’entente n’a pas bénéficié des conseils d’une juriste indépendante ou d’un juriste indépendant puisqu’elle faisait confiance au conseiller juridique de son ancien conjoint[136]. Néanmoins, le juge refuse de délier les parties de cet engagement en invoquant le caractère non lésionnaire de l’entente. Le magistrat justifie son choix en spécifiant que, dans les cas où un vice de consentement nuit à l’entente, celle-ci doit également présenter un aspect lésionnaire pour être remise en cause.

L’intérêt des décisions mentionnées plus haut réside dans le fait qu’elles mettent en évidence le piège pour une partie de signer le résumé des ententes. Pour cette raison, le médiateur doit systématiquement procéder à la mise en garde des parties contre la signature de ce document préalablement à la consultation d’un expert juridique indépendant. Le conjoint qui ignore cet avertissement peut se voir opposer un résumé des ententes aux effets juridiques dans deux cas. Dans le premier cas, le processus de médiation effectué sous l’égide d’une ou d’un juriste conduit directement à une convention juridique pour homologation plutôt qu’à un résumé des ententes. Dans le second cas, les parents souhaitent donner un caractère plus officiel à leur entente et la reproduisent en y apposant leur signature. Rappelons qu’une pratique, dont nous avons déjà fait état, existe selon laquelle certains juristes médiateurs procèdent immédiatement à la rédaction d’une convention plutôt qu’à un résumé des ententes. Dès lors, les parties qui omettent de consulter un autre juriste avant de signer ce document risquent de ne plus pouvoir demander l’invalidation de l’accord. Suivant cette interprétation, le statut juridique d’une entente conclue sous la direction d’un juriste médiateur bénéficie alors d’une valeur juridique contraignante, moins susceptible de contestation devant les tribunaux.

Tétrault traite également de la question du recours à une juriste indépendante ou à un juriste indépendant. Néanmoins, il voit la source de cette obligation dans la trilogie Pelech[137] de la Cour suprême plutôt que dans l’affaire Miglin[138]. Il appuie son argumentation sur un jugement dont les faits ne touchent pas une matière alimentaire, mais où la situation présentée précédemment s’est produite : une avocate médiatrice complète son mandat en obtenant la signature des conjoints à une convention après leur avoir expliqué l’importance d’aller consulter un expert distinct. Les conjoints signent, contrairement à la recommandation de l’avocate quant à la pertinence d’une consultation juridique indépendante, et la femme regrette postérieurement son choix. Le juge considère que la conjointe qui demande maintenant l’annulation de l’arrangement sans avoir suivi les indications de la médiatrice a exercé sa liberté de ne pas consulter une juriste indépendante ou un juriste indépendant et qu’elle doit en assumer les conséquences[139]. Selon le juge, « Madame a droit de consentir à ce qui ne paraît pas être équitable[140]. » Dans son nouvel ouvrage, Tétrault propose d’ailleurs au médiateur qui réalise qu’une partie planifie de renoncer à ses droits sans obtenir d’avis juridique de retirer cet aspect du processus de médiation ou d’y mettre fin[141]. De surcroît, Tétrault généralise l’exigence de la consultation d’une procureure indépendante ou d’un procureur indépendant à toutes les conventions en matière matrimoniale qui touchent aux mesures accessoires au divorce[142], contrairement au CCH qui spécifie clairement que l’affaire Miglin ne s’applique qu’aux ententes portant sur les aliments entre conjoints[143]. Les visions des auteurs quant à la portée de l’affaire Miglin divergent donc de façon significative.

Pineau et Pratte ne traitent pas directement de la question de la conseillère juridique indépendante ou du conseiller juridique indépendant. Ils notent cependant que l’affaire Miglin exige un consentement à l’entente exempt de vice. Concernant cette exigence, ils souscrivent d’ailleurs à un jugement qui postule que « [l’]aide professionnelle donnée aux parties vient souvent à bout d’un déséquilibre systémique entre les parties[144] ». Cette question ne les intéresse pas davantage. Ils abordent d’ailleurs cet aspect dans la section consacrée aux aliments, ce qui laisse croire qu’ils n’appliquent pas cet impératif aux accords concernant d’autres éléments de la rupture conjugale, contrairement à la position de Tétrault. Étant donné l’absence de détails supplémentaires, la valeur juridique du résumé des ententes signé par les parties au regard de cette contrainte paraît nébuleuse chez ces auteurs.

2.4.2 L’influence de l’affaire Miglin sur la jurisprudence postérieure

Le CCH, Tétrault, Pineau et Pratte ainsi que Castelli et Goubau expliquent tous le raisonnement juridique développé dans l’affaire Miglin au regard de leur propre interprétation[145]. Contrairement aux trois autres ouvrages, celui de Castelli et Goubau n’élabore pas d’opinion critique sur cet arrêt. Notre intention n’est pas ici d’entrer dans les détails des étapes à suivre selon la Cour suprême dans cet arrêt. Par contre, il nous paraît pertinent de faire état des critiques de la doctrine à l’égard de la démarche établie par les juges majoritaires.

Pour le CCH, les juges présentent une approche difficile à mettre en pratique[146]. Ils soulignent que le principal risque de dérapage au moment de l’utilisation de ce test, trop complexe et parfois contradictoire de leur point de vue, réside dans l’octroi d’une très grande discrétion judiciaire aux décideurs devant trancher de telles matières[147]. Cette extension de la discrétion judiciaire s’effectue d’ailleurs proportionnellement à une diminution de la prévisibilité des décisions pour les parties quant à des arrangements qui traitent déjà de sujets très émotifs[148]. Il en découle une substantielle incertitude juridique.

Pineau et Pratte ajoutent que le processus d’analyse de l’affaire Miglin comporte trop de lourdeur, de complexité et de flou, ce qui permet ultimement à la discrétion judiciaire de gagner en envergure[149]. Tout en se prononçant contre des normes trop complexes, ces auteurs concluent que ce pouvoir discrétionnaire s’avère nécessaire à la suite de « sept arrêts interminables de la Cour suprême du Canada, après la “trilogie”[150] ». Ils estiment que « les législations qui se veulent savantes et dont l’application se veut marquée au sceau de la science exacte ne peuvent aboutir qu’à des solutions déraisonnables[151] ».

Pour sa part, Tétrault ne s’arroge aucune des critiques des autres auteurs. Son approche se concentre ainsi davantage sur l’explication minutieuse de chacun des critères plutôt que sur des commentaires généraux. Il émet toutefois son point de vue quant à l’impact de l’affaire Miglin sur la jurisprudence postérieure relativement à la valeur des engagements entre époux. Pour cet auteur, l’affaire Hartshorne[152] de la Cour suprême, dont les faits sont survenus après l’affaire Miglin, milite à son tour pour une plus grande déférence des tribunaux à l’égard des ententes[153]. Il explique sa conclusion en mentionnant que l’affaire Hartshorne troque les exigences d’équité de l’affaire Miglin en faveur d’une plus vaste autonomie des parties. Le CCH se rallie également à cette opinion puisque, selon ce recueil, la jurisprudence qui a suivi l’affaire Miglin paraît rendre plus difficile la remise en cause d’une convention qui comporte une renonciation en matière alimentaire[154].

Cependant, Pineau et Pratte avancent une interprétation diamétralement opposée. Pour ces auteurs, la mise à l’écart des ententes par les juges du Québec s’avère fréquente malgré l’affaire Miglin[155]. Selon eux, les magistrates québécoises écartent souvent les arrangements en appliquant les exceptions prévues par l’affaire Miglin qui concernent le caractère exceptionnel de la situation et le changement imprévisible[156].

L’affaire Miglin se trouve donc interprétée différemment par les auteurs non seulement en ce qui concerne les critères applicables, mais également quant à ses effets sur la jurisprudence actuelle. Alors que Tétrault et le CCH affirment que la jurisprudence actuelle respecte plus les ententes, Pineau et Pratte développent un raisonnement à l’effet contraire. En bref, à propos des obligations alimentaires à l’égard des époux, la situation est plutôt sinueuse. La conjoncture semble toutefois plus limpide dans le cas des obligations alimentaires en faveur des enfants.

2.5 Les obligations alimentaires à l’égard des enfants

La détermination conventionnelle de la pension alimentaire pour enfants ne soulève pas chez les auteurs de controverses analogues à celles que nous avons mises en évidence précédemment[157]. En fait, la jurisprudence et la doctrine s’accordent pour souligner le caractère d’ordre public de cette obligation qui ne peut, en conséquence, faire l’objet d’une transaction entre les parties[158]. Puisque nous nous intéressons ici à la valeur juridique du résumé des ententes, le besoin de tracer un portrait détaillé des règles applicables en matière d’aliments pour enfants ne paraît pas essentiel. Un rapide tour d’horizon permettra cependant de saisir le poids relatif des ententes qui traitent de la question.

Les obligations alimentaires à l’égard des enfants prennent source dans plusieurs textes législatifs. Le Code civil du Québec régit le recours alimentaire d’un enfant à condition que la filiation soit établie[159]. Toutefois, aux dispositions du Code civil s’ajoutent les règles de la Loi sur le divorce en matière de divorce[160]. En cas d’incompatibilité entre les deux textes, la Loi sur le divorce jouit d’une préséance[161]. Le raisonnement juridique qui sous-tend les principes mis en oeuvre par ces lois se fonde dans les deux cas sur une évaluation des besoins et des facultés des parties[162]. De plus, le Code civil du Québec, à l’instar de la Loi sur le divorce, prévoit le recours à des lignes directrices en ce qui concerne les enfants mineurs pour procéder à cette évaluation[163].

2.5.1 Le statut in loco parentis

Outre les fondements du raisonnement juridique en matière de pension alimentaire pour enfant, un autre aspect qui touche aux obligations alimentaires mérite d’être abordé puisqu’il concerne directement les ententes pouvant intervenir entre conjoints tout en étant controversé en jurisprudence. Il s’agit de la notion d’obligation alimentaire découlant d’une relation in loco parentis — quand un adulte sans lien de filiation se comporte envers un enfant comme un parent, par exemple dans les cas de familles recomposées. Alors que la Loi sur le divorce reconnaît les relations in loco parentis en matière alimentaire, le Code civil du Québec demeure muet à ce sujet[164]. Est-il alors possible de prévoir dans une entente une obligation in loco parentis ? Le CCH s’intéresse au sujet et souligne qu’un jugement de la Cour d’appel admet la possibilité de créer contractuellement une obligation alimentaire in loco parentis dans le contexte de l’application du Code civil du Québec[165]. Tétrault se prononce également en faveur de cette hypothèse[166].

À l’inverse, le CCH s’interroge à savoir si une entente peut venir mettre fin à un statut in loco parentis[167]. Les auteurs de ce recueil s’opposent à cette dernière éventualité en rappelant que l’enfant demeure le titulaire du droit aux aliments auquel les parents ne peuvent en aucun cas renoncer[168]. Seulement, ils reconnaissent tout de même que la jurisprudence à ce sujet se révèle contradictoire. Pour le moment, l’état du droit n’apparaît donc pas fixé. Par ailleurs, Tétrault ne se prononce pas sur cette question. Enfin, Castelli et Goubau, tout comme Pineau et Pratte, n’abordent aucun des enjeux relatifs à la contractualisation du statut in loco parentis.

2.5.2 La justification des dérogations au barème

Comme nous l’avons précédemment énoncé, l’obligation alimentaire à l’égard des enfants s’évalue en mettant en relief les besoins de ceux-ci et les revenus des parents. À cet effet, l’article 587.1 du Code civil du Québec crée une présomption simple que la contribution alimentaire parentale de base établie conformément aux règles de fixation des pensions alimentaires pour enfants correspond aux besoins de l’enfant et aux facultés des parents. La Loi sur le divorce maintient que le montant calculé selon les lignes directrices s’applique lorsqu’un tribunal rend une ordonnance en matière alimentaire pour enfants. Ainsi, bien que les deux textes octroient aux lignes directrices le statut de norme générale, ils énoncent du même coup que les conjoints peuvent librement convenir de sommes différentes[169]. Seulement, dans tous les cas, les ex-conjoints devront alors « énoncer avec précision les motifs de cet écart » et joindre une description de leur situation financière à la convention déposée[170]. De surcroît, la juge qui accepte de déroger aux barèmes doit systématiquement motiver sa décision[171]. Dans ses motifs, la magistrate doit apprécier le caractère raisonnable du quantum fixé par les parties. Cette évaluation consiste notamment à comparer le montant des tables à celui qui a été établi par les conjoints[172].

Ces exigences permettent de garantir que les enfants visés par des accords judiciarisés jouissent de sommes équitables et essentielles pour assurer leur bien-être. Les juges ne scrutent toutefois pas systématiquement toutes les ententes soumises pour homologation. Ainsi, lorsque les deux conjoints s’accordent pour demander l’homologation de l’entente, la greffière spéciale ou le greffier spécial tranche généralement, à moins que les parties recherchent un jugement de divorce[173]. En théorie, le greffier spécial doit déférer cette demande à une juge ou au tribunal s’il estime que l’entente des parties ne préserve pas suffisamment l’intérêt des enfants ou que le consentement de celles-ci a été donné sous la contrainte[174]. Il peut donc, pour évaluer l’entente ou le consentement des parties, convoquer et entendre celles-ci, même séparément, en présence de leurs procureurs le cas échéant[175]. Cette hypothèse nous semble toutefois irréaliste : comment est-ce possible pour la greffière spéciale ou le greffier spécial de mettre en doute le consentement à une entente déposée par les deux parties à moins d’y trouver un contenu manifestement inique ? Une rapide vérification auprès de certains greffiers spéciaux confirme que c’est là une pratique peu courante. De plus, le protocole établi par certains greffiers spéciaux consiste à refuser l’homologation dans les seuls cas où les montants des pensions alimentaires pour enfants ne correspondent pas au minimum prévu par les lignes directrices. Dans cette hypothèse, ils défèrent l’entente à une juge[176]. Par ailleurs, d’autres greffiers spéciaux acceptent d’homologuer les ententes qui dérogent aux barèmes si les ex-conjoints y énoncent une justification. Dans tous ces cas, puisque le greffier spécial s’arrête alors principalement à la pension alimentaire pour enfants, un danger existe quant au traitement réservé aux aspects « résiduaires » des accords sur lesquels il n’exerce aucun contrôle de la légalité. Les parties peuvent donc tout prévoir, ce qui inclut, par exemple, une renonciation irrévocable à voir ses enfants ou des obligations issues de croyances et de pratiques religieuses qui contreviennent à l’état du droit québécois. Cette liberté contractuelle nous apparaît très risquée pour les conjoints et leurs enfants. Une réflexion sur le rôle des greffiers et des juges s’impose pour assurer un contrôle de l’ensemble du contenu des ententes avant l’homologation, contrairement à l’examen fragmentaire qui constitue la pratique courante.

2.6 Le plan d’action parentale

Le plan d’action parentale traite de la garde des enfants. Toutefois, celle-ci ne peut être considérée isolément puisque la vie des enfants ne se résume pas strictement à leur lieu de résidence. En effet, le quotidien de ces derniers suppose notamment l’aménagement de situations particulières telles que le suivi scolaire, les rendez-vous médicaux, les transports vers leurs milieux de vie respectifs et pour les loisirs, etc. Le parent gardien doit alors prendre une série de décisions qui mettent en cause beaucoup plus que le logement. Ainsi défini, le plan d’action parentale touche donc non seulement la garde au sens strict, mais aussi la contractualisation de l’autorité parentale[177].

L’unanimité des auteurs à l’égard de la question de la garde ne saurait soulever un doute. Ceux-ci désignent cet aspect comme révisable en tout temps[178]. Il ne peut constituer l’objet d’une transaction entre les parties et la magistrate dispose de latitude pour en modifier les modalités. Malgré le caractère analogue des principes à appliquer, les sources législatives qui appuient l’analyse varient en fonction de la situation juridique des ex-conjoints. Ainsi, tant en matière de divorce qu’en cas de dissolution de l’union civile, de séparation de corps, de nullité de mariage et de séparation de conjoints de fait, le critère de l’intérêt de l’enfant constitue la base du raisonnement des juges[179]. Tous les auteurs élaborent une série d’éléments à considérer pour évaluer l’intérêt de l’enfant[180] . Toutefois, seuls Castelli et Goubau signalent les arrangements conclus par les parties sous ce chef[181]. Ils précisent que la Loi sur le divorce encourage la conclusion de tels arrangements sans en faire un critère de manière expresse[182]. Par ailleurs, ils notent qu’en cas d’entente sur la question le tribunal se limite à en contrôler l’équité[183]. Par contre, l’expérience démontre qu’en pratique les contingences et les conditions de travail des parents dictent le contenu de l’entente et en assurent la viabilité et le caractère réaliste.

Outre la garde à strictement parler, qu’advient-il lorsque les parents prévoient l’habilitation de l’un pour prendre certaines décisions qui entament l’autorité parentale de l’autre ? La question de la garde implique nécessairement le pouvoir d’effectuer certains choix qui relèvent habituellement des deux parents. Une fois de plus, il n’apparaît pas que les parents disposent de la prérogative de contractualiser cet élément pour parer à un conflit éventuel devant les tribunaux. En effet, le critère de l’intérêt de l’enfant permet toujours à ces derniers d’intervenir[184].

Malgré les remarques précédentes, la situation juridique du plan d’action parentale paraît ténébreuse puisqu’aucun des auteurs ne traite de front à la fois des ententes qui concernent la garde des enfants et de l’autorité parentale. Ces deux éléments demeurent étudiés séparément plutôt que d’être abordés concomitamment comme objets indissociables[185]. La division que les auteurs opèrent se révèle artificielle dans un contexte de séparation, car dans la réalité les parents qui négocient le plan d’action parentale s’interrogent sur les besoins et les intérêts de leurs enfants dans l’ensemble et assument entièrement l’autorité parentale à leur égard, qu’ils profitent ou non de leur présence physique. L’appellation « plan d’action parentale[186] » employée dans le processus de médiation familiale a précisément pour objet d’éviter de réduire les rapports familiaux à la notion de « garde[187] ». Cette expression veut au contraire refléter le vécu de parents qui exercent leur rôle globalement malgré la séparation corporelle. Cette dissociation arbitraire imposée par les catégories traditionnelles des traités consacrés au droit de la famille démontre une fois de plus le caractère théorique de l’analyse juridique des rapports familiaux et de la globalité du résumé des ententes issues de la médiation familiale.

D’ailleurs, cette tendance à isoler les deux éléments provoque dans la jurisprudence un certain embarras au moment de l’attribution de la garde exclusive à l’une des parties. La controverse concerne l’effet de l’octroi de cette garde sur l’autorité parentale : le parent non-gardien conserve-t-il le pouvoir de prendre les décisions relatives à l’enfant ? Dans l’affirmative, de quelles décisions s’agit-il ? Alors que pour Tétrault ainsi que Pineau et Pratte la situation jurisprudentielle actuelle fluctue encore, le CCH considère que le parent non-gardien préserve l’intégralité de son autorité parentale[188]. Pour leur part, Castelli et Goubau traitent en détail de cette controverse et se rallient au courant selon lequel le parent non-gardien peut participer à toutes les décisions importantes à l’égard de l’enfant[189]. Bien que cette controverse ne concerne pas directement les ententes entre conjoints, elle illustre bien les conséquences qui peuvent découler du traitement isolé de la garde et de l’autorité parentale. En pratique, les conjoints abordent de concert ces éléments dans la grande majorité des cas.

En somme, le résumé des ententes concerne le partage des biens, les responsabilités financières entre conjoints et pour les enfants sans oublier le plan d’action parentale. L’analyse du statut juridique de ces éléments examinés séparément par les familialistes produit une image tronquée des impacts de la rupture conjugale puisque, dans la réalité, tous ces aspects interviennent de manière simultanée et interdépendante. De plus, cette fragmentation inventée par la doctrine conduit à des controverses juridiques difficiles à appréhender et qui suscitent le flottement du droit. Nous verrons, en conclusion, l’écart entre, d’une part, la fiction juridique des catégories doctrinales qui prennent l’allure d’un morcèlement et, d’autre part, la pratique concrète du processus de médiation qui repose sur une perspective globale de la séparation de couples dans un souci de réalisme.

Conclusion

En matière familiale, le processus de médiation représente une amélioration notoire par rapport aux recours aux avocats et aux juges qui opèrent dans un système juridique antagoniste et contradictoire susceptible d’envenimer la crise. Les liens parentaux survivant à l’échec de la vie conjugale, la nouvelle parentalité s’exercera plus facilement à la suite d’une gestion des conflits de couple fondée sur la négociation et sur les échanges autour d’arrangements réalistes et viables pour tous les membres des différentes permutations familiales. Dans ce contexte, la médiation se révèle un mécanisme de résolution de conflit approprié puisqu’elle fait la promotion de la communication et a pour but de maintenir une relation fonctionnelle entre les parents séparés. Le problème que soulève notre étude réside dans le fait que le droit a omis de s’adapter à la nouvelle réalité sociale que représente le succès de la médiation familiale interdisciplinaire.

L’article 12 du modèle de contrat de médiation[190] proposé par le COAMF reflète l’ambivalence de la portée juridique du résumé des ententes. Rappelons que, cet article énonce ce qui suit :

Nous sommes informés que le résumé des ententes préparé à la fin de la médiation, le cas échéant, ne constituera ni un document légal, ni une entente exécutoire. Il servira aux conseillers juridiques qui seront retenus pour préparer les documents légaux appropriés. Nous sommes également informés que la signature du résumé des ententes produit des effets juridiques, même s’il n’a pas de force exécutoire, et qu’il est préférable d’obtenir un avis juridique indépendant[191].

Il est juste d’avancer que le résumé des ententes ne constitue « pas un document légal[192] ». Toutefois, contrairement à ce que laisse croire l’article 12, « la signature du résumé des ententes[193] » peut produire, plutôt que « produit[194] », des effets juridiques. Nous avions qualifié le statut du résumé des ententes d’ambigu. À la suite de notre analyse et en guise de conclusion, nous y ajoutons les adjectifs « indéterminé », « flou », « confus », voire « bancal ». De surcroît, il est plus qu’incertain qu’il n’ait « pas de force exécutoire[195] » et qu’il ne s’agisse pas d’une « entente exécutoire[196] ». Notre examen démontre que certains éléments du résumé sont susceptibles d’application puisque les auteurs offrent des interprétations contradictoires dont certaines conduisent à son caractère exécutoire. Dans d’autres situations, malgré l’absence d’homologation, les ex-conjoints exécutent le résumé des ententes dans leur maisonnée. Enfin, le comportement des parents transforme parfois le résumé des ententes en convention, ce qui dénature ainsi son essence et lui confère potentiellement des effets juridiques.

Malgré l’émergence et la popularité d’une démarche globale et interdisciplinaire dans les cas de séparation de couples, l’organisation classique des traités consacrés au droit de la famille présente une analyse morcelée des ententes qui distingue la détermination de la valeur juridique de chaque élément du résumé sans se questionner sur l’ensemble. Cette qualification tronquée par le droit se situe en porte-à-faux par rapport à la pratique préconisée par l’État et généralement suivie par un grand nombre de couples qui vivent une désunion. Or, les auteurs de doctrine en matière familiale ajoutent à ce décalage entre le droit et la pratique de la médiation familiale en s’interrogeant peu sur les conséquences juridiques de la conclusion de résumés des ententes qui traitent de tous les aspects d’une rupture conjugale, y compris les éléments concernant l’ordre public. Il en découle de la confusion et de l’imprévisibilité juridique. S’il se révèle difficile pour les juristes médiateurs de saisir la portée du résumé des ententes en droit, les réponses à ce questionnement sont inaccessibles, non seulement pour les praticiens des autres ordres professionnels, mais surtout pour les parents qui participent au processus de médiation.

L’effet cumulé des problèmes mis en relief dans notre étude conduit à la conclusion d’une contractualisation et d’une privatisation de la relation conjugale. Peu de résumés des ententes passent par la procédure de la judiciarisation. Dans d’autres cas, le procédé d’homologation de l’accord survient tardivement. Souvent, il s’ensuit que la médiation familiale constitue non seulement une des phases permettant la communication entre les ex-conjoints sur les conséquences de leur rupture conjugale, mais potentiellement l’unique étape de la détermination des impacts de leur séparation. Le rôle du médiateur se borne à la gestion du processus et se trouve réduit, par sa nature, à guider de façon impartiale les parents quant aux décisions à prendre concernant leur séparation. En conséquence, la médiation familiale conduit à des obligations déterminées puis choisies par les parents, généralement sans avis juridique indépendant ni vérification en droit par le système judiciaire. La teneur de l’entente issue de ce processus se négocie et s’applique trop souvent uniquement en privé. En effet, les ex-conjoints se révèlent maîtres du contenu de leurs ententes sous les yeux d’un droit confus. Or, la médiation familiale engendre des conséquences relationnelles et patrimoniales telles que le résumé des ententes qui en découle ne devrait pas demeurer sans surveillance juridique et judiciaire, même minimale.

Quelle solution convient-il d’offrir pour pallier l’incertitude soulevée par notre étude ? Il importe d’abord de reconnaître la nécessité d’adapter le droit à la nouvelle réalité sociale que représente l’utilisation généralisée de la médiation familiale. Notre analyse nous convainc que les institutions traditionnelles du droit, comme la transaction, lorsqu’elles sont examinées conjointement avec les catégorisations classiques du droit de la famille paraissent déficientes pour gérer les ententes conclues dans un processus de médiation familiale. De plus, la procédure actuelle d’homologation judiciaire se révèle trop onéreuse pour répondre aux besoins des couples éprouvés économiquement par la rupture. Elle est aussi trop rigide pour répondre aux changements dus à l’évolution des arrangements familiaux survenant au gré des besoins des enfants en croissance. Enfin, l’état actuel du statut juridique du résumé des ententes et du processus d’homologation conduit au non-exercice de droits de certains parents et même à la perte de droits par d’autres à cause de l’inaccessibilité de la procédure permettant sa validation juridique et son exécution.

La solution aux dilemmes soulevés dans notre étude doit avant tout être accessible financièrement et simple sur le plan procédural. Elle doit privilégier un système qui permet aux ententes d’être entérinées rapidement après avoir été conclues, mais également d’être modifiées régulièrement pour tenir compte des transformations dans la vie des familles. Elle doit améliorer la certitude juridique des résumés des ententes et faire l’objet d’un contrôle ou d’une validation par le droit.

La détermination d’une solution accessible et réaliste qui atteint ces objectifs nécessite une recherche approfondie des options adoptées dans d’autres contextes par l’entremise du droit comparé. La démarche consiste donc, dans un premier temps, à enquêter sur les approches privilégiées dans les provinces canadiennes hors Québec ainsi que dans d’autres pays pour inventorier les institutions qui gèrent le statut juridique des ententes en matière familiale. Dans un second temps, il importe de consulter des intervenants du domaine tels que des médiateurs, des juristes familialistes, des greffiers spéciaux, des juges, des juristes de l’État et des professionnels du Service de médiation familiale du Québec afin d’imaginer des solutions concrètes et réalistes dans ce contexte particulier.

Pour l’heure, un important fossé isole le droit du processus de la médiation familiale comme soutien à l’épreuve de la rupture conjugale. Cette constatation soulève plusieurs questions troublantes. Quelles contraintes limitent les ententes entre des parents qui se séparent ? Quelles normes empêchent la conclusion d’accords contraires au droit en vigueur ? Quelles garanties s’offrent aux ex-conjoints dans le cas de négociations entre partenaires inégaux ? Comment l’État et, plus précisément, le système judiciaire remplissent-ils leur fonction de garant de la primauté du droit, des règles d’ordre public et des droits de la personne ? Si notre étude soulève ces interrogations, elle invite également à la réforme afin d’apporter une plus grande certitude à la valeur juridique du résumé des ententes issu de la médiation familiale. Une telle réforme implique de porter une attention soutenue à la possibilité de rendre les accords des parents exécutoires de manière réaliste et accessible. En somme, il importe que le droit s’adapte à la pratique établie de la médiation familiale.