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Un thème commun nous réunit : celui de la contractualisation des ruptures familiales. La référence à la technique contractuelle est communément retenue[1]. Cependant, elle ne nous semble pas appropriée, même si, effectivement, la volonté des époux, des partenaires ou des concubins est appelée à jouer un rôle de plus en plus important dans le règlement de leurs ruptures[2]. Bien qu’ils soient qualifiés de contractuels, les accords liés à la séparation, qu’ils concernent les relations des adultes entre eux ou avec leurs enfants, ne fonctionnent pas comme des contrats. Ils témoignent d’un mouvement général de recul de l’ordre public familial au profit d’une conception de la famille plus individualiste et plus volontaire. Plus largement, on assiste à un recours banalisé à la « contractualisation » d’actes juridiques unilatéraux de droit public ou de droit privé[3] dans lesquels le contrat est utilisé « non pas dans sa fonction d’échange mais dans celle d’édiction de normes[4] ». Aussi, l’expression « contractualisation des ruptures » n’est retenue dans la présente étude que par commodité de langage et non parce qu’elle rend parfaitement compte du phénomène étudié. C’est pourquoi il nous semble indispensable de souligner, préalablement, ce qui distingue tant dans leur formation (1) que dans leur exécution (2) les accords liés à la séparation de ceux qui sont réellement contractuels.

1 La formation des accords de rupture à l’épreuve des règles du contrat

Le droit français propose trois formes de vie en couple : le mariage, le pacte civil de solidarité (PACS) et le concubinage.

Le mariage est traité dans le Code civil comme un contrat[5] en raison du rôle fondamental que la volonté joue dans sa formation. Intrinsèquement, il est institution. Par ce terme, il faut entendre que, si la volonté des époux est indispensable, elle n’a aucune prise sur le statut d’époux fixé par des règles légales impératives et les candidats au mariage doivent le prendre en bloc sans en rien modifier. Il en est de même pour la rupture du mariage du vivant des époux qui ne peut être obtenue que par la voie judiciaire, même si à l’époque contemporaine l’époux qui veut le divorce l’obtient obligatoirement. Les époux qui se séparent peuvent choisir entre quatre causes de divorce. Il existe trois divorces contentieux dont les conséquences sont tranchées par le juge : le divorce accepté, le divorce pour altération définitive du lien conjugal ou le divorce pour faute. Dans ces divorces, les époux peuvent toujours soumettre à l’homologation du juge des accords ponctuels, par exemple sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale ou sur le sort d’un bien déterminé. La quatrième cause de divorce est celle du divorce par consentement mutuel : elle participe de la manière la plus éclatante à la contractualisation de la rupture. Les époux décident d’un commun accord du principe de la rupture et de l’aménagement de ses conséquences sous le contrôle du juge. Ainsi, en matière de divorce, à défaut d’accord, il y a toujours une solution judiciaire. L’accord ne supprime ni la présence obligatoire d’au moins un avocat ni celle du juge aux affaires familiales, auxquelles il faut ajouter, dès qu’il y a des biens immobiliers, un notaire chargé de procéder à la liquidation du régime matrimonial.

De son côté, le PACS est un contrat, qualification incontestable qu’impose la définition qu’en donne l’article 515-1 du Code civil. Les partenaires procèdent eux-mêmes à la liquidation des droits et obligations qu’ils ont prévus dans leur convention initiale ou modificatrice. Cette liquidation est facilitée par le fait qu’il n’y a pas d’équivalent du régime matrimonial : depuis la loi du 23 juin 2006[6], chaque partenaire conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens, et reste responsable de ses dettes. La différence entre l’institution et le contrat est ici fondamentale : le mariage interdit aux époux de se mettre d’accord en dehors d’une procédure de divorce sur un éventuel partage des richesses communes[7]. Au contraire du mariage, dans le PACS les partenaires peuvent non seulement prévoir valablement les conséquences de la rupture, mais encore ils doivent en principe le faire. En outre, leur accord ne porte que sur les conséquences de la rupture, non sur son principe. Celle-ci n’est pas nécessairement consensuelle et peut être imposée de manière unilatérale. Enfin, les partenaires doivent régler seuls leurs différends, sans juge ni avocat.

Autre forme de vie en couple, le concubinage est une situation de fait qui ne procède que du « vivre ensemble ». Dans ce contexte d’entière liberté, les accords sont rares, et il n’existe le plus souvent aucun aménagement particulier de la rupture : les concubins se quittent comme ils ont vécu, sans faire intervenir le droit. Ils n’ont à se mettre d’accord sur rien, ni sur la rupture ni sur leurs biens, puisqu’il n’y a en principe que des biens propres. Il n’y a pas lieu à liquidation et les concubins qui se séparent ne se doivent rien. Cependant, sur un point précis, en particulier pour l’apurement de leurs relations économiques, ils peuvent toujours se mettre d’accord.

Compte tenu du cadre juridique des ruptures de couple, il convient d’opposer le divorce, situation institutionnelle, au PACS et au concubinage qui procèdent plus ou moins du contrat. Cette opposition met en évidence que la volonté de ne plus être époux doit présenter les caractères de la volonté contractuelle. Cependant, cette exigence ne débouche pas sur la protection qui en résulte habituellement pour les contractants (1.1). Au contraire, la volonté de ne plus vivre ensemble des partenaires et des concubins, parce qu’elle est avant tout l’expression d’une liberté, n’est pas traitée comme une volonté contractuelle bien que le contexte dans lequel elle s’exerce soit celui du contrat (1.2).

1.1 La volonté de ne plus être époux

Les conditions exigées de la volonté contractuelle sont imposées aux accords de divorce (1.1.1). Toutefois, il s’agit moins de protéger les époux divorçant que d’assurer la sécurité du divorce (1.1.2).

1.1.1 La volonté des époux divorçant semble présenter les qualités d’une volonté contractuelle

Le mariage émancipe de plein droit[8]. Aussi, les époux qui divorcent sont, quel que soit leur âge, capables. La question de la capacité ne se pose donc pas. Leur volonté ne doit pas être altérée par un trouble mental. Si un des époux se trouve placé sous un des régimes de protection des majeurs (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice), aucune demande en divorce par consentement mutuel ou en divorce accepté ne peut être présentée[9]. Le divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal et le divorce pour faute sont seuls possibles. Dans ce cas, le majeur en tutelle est représenté par son tuteur et celui qui est placé sous curatelle agit avec l’assistance de son curateur. La sauvegarde de justice interdit toute procédure tant que n’a pas été organisée une tutelle ou une curatelle. Ainsi, l’insanité d’un époux, qu’il soit demandeur ou défendeur, est prise en considération. Cependant, elle n’est abordée que par référence à l’ouverture d’un régime de protection. Au-delà, l’insanité d’un époux est ignorée dans la procédure de divorce : rien n’interdit à un époux non placé sous un régime de protection, qu’il soit dépressif ou qu’il souffre d’une altération de volonté, de signer des accords de rupture que le juge peut homologuer.

La volonté contractuelle doit être libre et éclairée, ce qui suppose un consentement donné en connaissance de cause[10]. Toutefois, cette exigence, mise en oeuvre dans le divorce, est appréciée d’une manière plus théorique que réaliste. D’une manière générale, quand un époux souhaite divorcer, il n’éprouve pas nécessairement le besoin d’informer son conjoint de sa situation sentimentale ou de ses perspectives professionnelles. Dans le divorce par consentement mutuel, le juge aux affaires familiales doit éprouver que la volonté de chaque époux présente les qualités requises[11]. Cependant, ce dernier se contente le plus souvent de l’affirmation faite par chaque époux qu’il est d’accord sur le principe de la séparation[12]. En ce qui concerne le divorce accepté que le législateur a également voulu favoriser, la loi du 26 mai 2004[13] a modifié la procédure des divorces contentieux en imposant que la requête en divorce ne contienne pas les motifs du divorce[14]. En outre, l’acceptation du principe du divorce n’est pas susceptible de rétractation, même par la voie de l’appel[15]. Ainsi, l’époux défendeur non seulement ignore les « armes » dont le demandeur entend éventuellement faire usage contre lui, mais encore il est invité à accepter le principe d’un divorce dont il ignore les conséquences puisqu’elles seront fixées ultérieurement par le juge. Incontestablement, le défendeur qui accepte le principe de ce divorce n’exprime pas un consentement éclairé sur ce qu’implique son accord sur le plan tant personnel que patrimonial. Si, en apparence, les accords de divorce reposent sur la volonté, cette dernière, finalement, n’a pas besoin de présenter les qualités de la volonté en oeuvre dans le contrat.

1.1.2 Le contrôle judiciaire rend l’accord des époux incontestable

Normalement, si une des qualités attendues de la volonté fait défaut, le contrat est remis en cause. Il peut être annulé pour insanité ou vice du consentement ou encore donner lieu à rescision pour lésion. Rien de tel en matière de divorce. L’objectif n’est pas de protéger l’époux divorçant dont la volonté n’était pas éclairée ou était touchée par un vice ou un trouble mental en remettant en cause la dissolution du mariage. Il s’agit, au contraire, grâce à l’intervention obligatoire du juge du divorce, de la rendre inattaquable.

Le contrôle judiciaire rend le divorce doublement incontestable. D’une part, il empêche toute rétractation du consentement sur le principe même de la séparation, qu’il s’agisse du divorce par consentement mutuel ou du divorce accepté. D’autre part, la remise en cause des accords conclus relativement à la rupture est interdite en raison de leur homologation judiciaire qui leur donne la même force exécutoire qu’une décision de justice[16]. Ainsi, il est impossible de remettre en cause les accords conclus en invoquant la lésion ou les vices du consentement. Selon la Cour de cassation, l’homologation d’une convention de divorce par consentement mutuel est indissociable du prononcé du divorce : dès lors, les accords homologués ne peuvent pas faire l’objet d’une action en rescision pour lésion[17] ou être remis en cause pour erreur[18]. Ils ne peuvent être attaqués qu’au moyen des voies de recours de droit commun, soit l’appel (lorsqu’il est possible), le pourvoi en cassation ou le recours en révision[19].

Obligatoire, l’intervention du juge est également justifiée parce que les accords liés au divorce — qu’il s’agisse du divorce par consentement mutuel ou de l’homologation d’un accord ponctuel dans les autres causes de divorce — portent sur des questions qui relèvent de l’ordre public. Or nul ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public[20]. Ainsi, le contrôle du juge rappelle que la volonté individuelle est impuissante sur les questions traitées qui, par leur nature, échappent au contrat. Les individus ne peuvent pas disposer librement de la dissolution du mariage, des modalités d’exercice de l’autorité parentale ou de l’obligation d’entretien. Cependant, nous ne pouvons que souligner que la validation judiciaire quasi systématique des accords finit par édulcorer totalement ce principe. En réalité, les époux disposent aujourd’hui si librement de l’ordre public familial que son existence en est oubliée[21].

1.2 La volonté de ne plus vivre ensemble

Que les accords soient conclus au moment de la rupture d’un PACS ou d’un concubinage, il s’agit a priori d’une démarche contractuelle. Néanmoins, le contexte de ces conventions (1.2.2) affaiblit considérablement cet aspect contractuel et la protection qui est habituellement accordée aux contractants (1.2.1).

1.2.1 La volonté de ne plus vivre ensemble n’est pas traitée comme une volonté contractuelle

En ce qui concerne la capacité, les mineurs ne peuvent pas conclure un PACS, et cette interdiction ne souffre aucune exception, ce qui écarte l’idée d’une rupture de PACS par des mineurs. En revanche, il n’est nullement interdit à des mineurs de vivre en concubinage et donc de se séparer et de conclure un accord pour aménager les conséquences de cette rupture. De même, le mineur qui devient parent n’accède pas à la capacité juridique pour autant. Néanmoins, en qualité de parent, il exerce l’autorité parentale et l’administration légale sur son propre enfant, bien qu’il demeure lui-même sous l’administration légale de ses père et mère. Dès lors, il peut conclure un accord au moment de la rupture sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Quelle est la validité de tels accords ? Conclu par un mineur incapable, toute convention est nulle, sauf s’il est admis qu’elle présente en l’espèce un caractère personnel tel qu’elle exclut la notion même de représentation. Cette analyse est retenue et justifie qu’un mineur procède valablement à la reconnaissance de son enfant ou consente seul à son adoption. Elle permet de comprendre que l’action en établissement de la filiation à l’égard de l’autre parent lui soit confiée[22]. Ainsi, l’objet éminemment personnel des accords liés à une rupture de couple peut expliquer qu’il n’est pas tenu compte de la minorité de celui qui les souscrit. Toutefois, la question de la capacité du mineur est totalement ignorée par les auteurs qui se penchent sur la contractualisation des rapports familiaux.

La loi du 15 novembre 1999[23] avait expressément prévu à l’article 506-1 du Code civil que les majeurs sous tutelle ne pouvaient pas conclure un PACS. Cependant, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection des majeurs[24] ouvre le PACS à la personne sous tutelle avec le consentement du conseil de famille ou du juge des tutelles. La personne sous tutelle pourra également rompre le PACS sans l’assistance de son tuteur, même si ce dernier pourra, de son côté, autorisé par le conseil de famille ou le juge des tutelles, mettre fin au PACS. En revanche, la loi ne prévoit aucune disposition particulière au regard de la curatelle ou de la sauvegarde de justice d’un partenaire. La personne protégée qui relève de ces deux régimes peut donc valablement rompre un PACS ou en subir la rupture et signer des conventions qui en règlent les conséquences patrimoniales, ce qui renvoie à la question plus générale de l’insanité au moment de la formation de la convention.

Or la question de l’insanité en matière de conventions liées au PACS ou à la rupture d’un concubinage n’a pas donné lieu à la moindre jurisprudence publiée ni à la moindre étude doctrinale. La question de l’annulation de ces conventions en ayant recours à l’article 489 du Code civil, ou à l’action en réduction pour excès ou en rescision pour lésion après l’ouverture d’une sauvegarde de justice ou d’une curatelle sur le fondement de l’article 491-2 du Code civil n’est jamais posée alors même que certaines situations relèvent logiquement du contrat.

Quant à la volonté des partenaires et des concubins au moment de la rupture, est-elle effectivement plus éclairée que celle des époux qui divorcent ? Comme pour la capacité et l’insanité, nous ne pouvons qu’observer que la question du consentement éclairé n’est pas davantage abordée et que la jurisprudence n’en offre aucune illustration. Au moment de l’enregistrement du PACS, le rôle du greffier en chef du tribunal d’instance est très limité : il enregistre la déclaration faite par les partenaires. S’il s’assure de l’existence de la convention, il n’en vérifie pas le contenu. Il n’intervient pas pour apprécier la volonté qui sous-tend cette déclaration. Il n’en a pas les moyens, et ce n’est pas son rôle. Les dispositions qui organisent le PACS sont curieusement muettes sur les vices du consentement.

Ainsi, dans le concubinage comme dans le PACS, les accords de couple qui relèvent du contrat ne sont pas protégés par les règles contractuelles.

1.2.2 La volonté de ne plus vivre ensemble est exclusivement traitée comme l’exercice d’une liberté

Dans le concubinage comme dans le PACS, les accords de rupture procèdent de l’exercice d’une double liberté : la liberté sexuelle et la liberté d’avoir une vie privée et familiale[25]. L’article 515-1 du Code civil est très net sur ce point : « le pacte civil de solidarité est un contrat conclu par deux personnes […] pour organiser leur vie commune ». Le respect de la vie familiale résultant d’un PACS conclu entre un Français et un étranger l’emporte ainsi sur la situation irrégulière de ce dernier sur le territoire français[26]. Le désir d’une vie commune ou celui d’y mettre fin occulte totalement la technique utilisée. Il serait inacceptable, en effet, d’imposer à un mineur de continuer à vivre avec un concubin dont il ne veut plus au motif qu’il n’a pas une capacité juridique suffisante pour régler contractuellement les conséquences de la rupture. Il est en outre significatif d’observer que, si la loi est muette sur les vices du consentement dans le contexte du PACS, elle interdit à peine de nullité sa conclusion entre personnes qui sont dans un rapport familial prohibant l’exercice de leur liberté sexuelle. Il ne peut être souscrit de PACS entre parents en ligne directe, quel que soit le degré de parenté, ou en ligne collatérale jusqu’au troisième degré inclus.

L’exercice de ces libertés est la cause des conventions de rupture. Cette considération l’emporte incontestablement sur l’aspect contractuel, simple outil juridique au service d’une liberté, celle de ne plus vivre en couple. Les exigences du premier semblent difficilement cumulables avec les impératifs de la seconde. Néanmoins, les partenaires et les concubins sont privés d’une protection utile dès lors que les qualités de leur consentement sont indifférentes. Il n’est donc pas interdit au plus fort de dicter sa loi. L’équilibre attendu normalement du contrat fait ainsi souvent défaut au moment de la rupture.

2 L’exécution des accords de rupture à l’épreuve des principes contractuels

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites », précise l’article 1134 du Code civil. Le contrat devient donc la loi des parties contractantes et emprunte à celle-ci sa force obligatoire. La loi édicte toutefois des bornes à la volonté des contractants et ne reconnaît en principe de force obligatoire qu’aux conventions qui les respectent.

Ce principe se décline en deux règles fondamentales au regard de l’exécution du contrat. Les parties, tenues de respecter la loi, sont tenues de la même manière de respecter les stipulations contractuelles ; l’article 1134 précise, en effet, que les conventions doivent être exécutées de bonne foi et qu’elles ne peuvent être révoquées que d’un commun accord. En outre, c’est au juge, habituellement chargé de faire respecter la loi, de garantir le respect par les parties des termes du contrat ; il ne peut en modifier le contenu : les termes de l’accord librement convenus entre les parties sont présumés conformes à l’équité ; seules les parties peuvent les modifier d’un commun accord.

Le principe de la force obligatoire des conventions, ainsi sommairement rappelé, est par ailleurs complété par celui de l’effet relatif des conventions posé à l’article 1165 du Code civil qui limite l’effet normatif du contrat aux rapports entre les parties.

Les conventions conclues à l’occasion de la rupture du couple ne méritent donc la qualification de contrat qui leur est communément donnée qu’à la condition de respecter ces deux principes fondamentaux du droit des obligations. Ainsi devraient-elles revêtir à l’égard de leurs auteurs la même force obligatoire qu’un contrat et « tenir lieu de loi » aux membres du couple (2.1). De même, la portée des engagements pris au terme de ces conventions ne devrait pas excéder le cercle formé par les parties contractantes et ne pas toucher les tiers, ce qui laisse entière la question de la place de l’enfant (2.2).

2.1 La force obligatoire de la convention de rupture

Incontestablement, les accords conclus pour régler les conséquences patrimoniales de la rupture, dans la mesure où ils sont homologués, s’imposent aux deux membres du couple[27] : ils sont et demeurent la loi des parties. Une fois valablement conclus, ils doivent recevoir application et ne sont plus susceptibles de modification. Le juge, chargé de les faire respecter, peut être saisi au cas de refus de l’une des parties d’exécuter ses engagements, ainsi qu’il le serait au cas de non-respect d’une obligation légale, sans disposer du pouvoir d’en modifier les termes. Certes le juge peut-il être saisi en vue de modifier les modalités de paiement de la prestation compensatoire, mais c’est à la condition qu’un changement important survienne dans la situation du débiteur[28]. Par ailleurs, il ne saurait en modifier le montant : le rôle du juge se borne ici à permettre l’exécution de l’obligation souscrite par le débiteur sans en modifier la teneur. S’agissant en revanche des conventions qui aménagent les effets de la rupture à l’égard des enfants, les règles régissant leur exécution diffèrent et la transposition des principes posés à l’article 1134 se révèle plus délicate.

Ces conventions ont pour objet de fixer les modalités d’exercice de l’autorité parentale ainsi que la contribution à l’entretien de l’enfant, à compter de la rupture jusqu’à l’extinction de ces obligations — soit en principe à la majorité de l’enfant même si la contribution à son entretien peut être prorogée au-delà. Il s’agit donc de conventions à exécution successive[29]. Celles-ci sont soumises à un régime particulier, bien qu’elles revêtent la même force obligatoire que celles dont l’exécution est instantanée[30] : elles tiennent lieu de loi aux parties qui doivent avoir anticipé les évolutions susceptibles d’intervenir et d’influer sur l’équilibre du contrat au cours de son exécution. C’est du moins ainsi qu’est justifiée l’impossibilité pour le juge de modifier le contenu du contrat, et ce, alors même que son exécution serait devenue au fil du temps désastreuse pour l’une des parties[31].

Cependant, transposer ces règles aux conventions régissant les effets de la rupture à l’égard des enfants est impossible. Cela impliquerait que, au jour de leur rupture, les parents prévoient l’évolution des besoins et des souhaits de leur enfant ainsi que les changements susceptibles de se produire dans leur propre vie professionnelle et personnelle ! L’autorité parentale, pouvoir de fait exercé sur l’enfant, ne saurait être mise en oeuvre de manière identique quel que soit l’âge de l’enfant. La loi elle-même le précise désormais — les parents exercent cette autorité en associant l’enfant aux décisions qui le concernent en fonction de son âge et de son degré de maturité[32]. Par ailleurs, la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant varie en fonction des ressources — par nature variables — de chaque parent et des besoins de l’enfant, eux-mêmes évolutifs[33].

C’est pourquoi le législateur a expressément écarté le principe de l’immutabilité, propre au droit des obligations, du régime applicable aux conventions conclues entre parents : l’article 373-2-13 du Code civil précise que les dispositions contenues dans la convention homologuée, comme par ailleurs les décisions prises par le juge, relatives à l’exercice de l’autorité parentale peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par celui-ci ; il peut être saisi soit par le ou les parents, soit par le ministère public à l’effet de statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale ou sur la contribution à l’entretien de l’enfant, comme le précise l’article 373-2-8 du Code civil. La loi offre ainsi — prioritairement mais non exclusivement[34] — aux parents la possibilité de saisir le juge lorsqu’ils estiment nécessaire d’adapter les dispositions de la convention : conversion d’un exercice conjoint de l’autorité parentale en un exercice unilatéral, modification de la résidence de l’enfant ou augmentation du montant de la pension alimentaire versée au bénéfice de l’enfant. Pour que la convention conclue initialement entre les parents demeure inchangée au cours de son exécution, il serait nécessaire que la situation objective des parties et de l’enfant soit elle-même invariable. De surcroît, la fixité de la convention dépend de la persistance de l’accord entre les parents eux-mêmes : si un désaccord survient, le recours au juge devient nécessaire ! En dépit de la qualification conventionnelle retenue désormais par la loi[35], l’exécution de ces accords de rupture est régie par des principes inverses de ceux qui sont habituellement applicables en matière conventionnelle : ainsi le droit des obligations prévoit-il que la survenance d’un désaccord entre les contractants en cours d’exécution se résout par le recours au juge chargé de contraindre au respect du contrat sans pouvoir en principe l’amender, seules les parties au contrat disposant de cette possibilité. À l’inverse, s’agissant des conventions de rupture, les parents se voient refuser cette possibilité : ils ne peuvent, de leur propre initiative et indépendamment de l’intervention du juge, modifier la convention initialement conclue. La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler avec force : « la convention homologuée a la même force exécutoire qu’une décision de justice […] sauf décision judiciaire en ce qui concerne les mesures pouvant faire l’objet d’une demande de modification, elle ne peut être modifiée que par une nouvelle convention soumise à homologation[36] ». La saisine du juge est non seulement permise par la loi, mais elle constitue le passage obligé, la condition sine qua non, pour modifier les engagements initiaux.

Les principes régissant l’exécution du contrat ne sont donc pas transposables aux conventions de rupture. Le motif en réside dans l’attendu précité de la Cour de cassation : « la convention homologuée a la même force exécutoire qu’une décision de justice ». L’homologation confère à la convention une force dont elle ne disposerait pas en son absence[37] ; à défaut, l’accord de volonté n’a pas « droit de cité » dans les rapports familiaux empreints d’ordre public. Les parents peuvent, bien sûr, modifier d’un commun accord, sans intervention du juge, les termes des conventions qu’ils n’ont pas soumis à homologation, mais rien ne leur permettra d’en exiger l’exécution : leur portée, leur validité même dépend de la seule bonne volonté des parents et le moindre désaccord réduit cette convention à néant. Dans ces hypothèses, seul le recours au juge permet d’imposer une solution aux deux parents.

Ainsi, la convention de rupture, lorsqu’elle tente d’en régler les conséquences dans les rapports parents-enfants, est revêtue d’une force obligatoire bien singulière : le moindre désaccord, la moindre anicroche, impose le recours au juge. Celui-ci substitue alors sa propre règle à celle que les parents avaient cru pouvoir choisir[38]. Dès lors, le rôle de l’autorité judiciaire ne se limite pas à garantir l’exécution du contrat ! Ce sont autant d’indices qu’il ne s’agit point ici de contrat. Le refus de cette assimilation est étayé par l’analyse des effets de ces conventions à l’égard des tiers.

2.2 L’effet de la convention de rupture à l’égard des tiers

Selon l’article 1165 du Code civil, « [l]es conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 ». Habituellement désignée comme l’effet relatif des conventions, la règle posée par ce texte fait du contrat un monde en apparence clos dont la portée est limitée aux seules parties. Ainsi, l’obligation issue de la convention ne lie que les parties qui ont consenti au contrat et ne crée ni droits ni obligations à la charge des tiers. Néanmoins, la convention fait naître d’autres effets qui n’impliquent aucune prestation déterminée et qui ont vocation à se produire au-delà du cercle des contractants : ils sont dits opposables aux tiers. En effet, que seraient le droit de propriété et les droits réels d’un acquéreur que seul le vendeur devrait respecter ? L’opposabilité vient dès lors quelque peu atténuer le caractère péremptoire de la règle énoncée à l’article 1165.

Ces principes paraissent transposables aux conventions conclues entre les parents : seuls ces derniers s’engagent, et ce sont les seuls à souscrire des obligations ; les conventions homologuées sont opposables aux tiers — les administrations, les membres de la famille, le personnel scolaire — qui sont tenus de respecter les engagements qui en sont issus. Cependant, derrière cette apparente simplicité se cache une importante difficulté : quelle est donc, dans cet ensemble de rapports juridiques, la position de l’enfant ?

L’enfant n’est pas partie à la convention : son consentement n’a pas à être recueilli ni constaté dans la convention ; tout au plus son avis lui est-il demandé, sans que les parents ou le juge soient tenus de le respecter.

L’enfant n’étant pas partie à la convention, doit-il pour autant être qualifié de tiers ? Cette qualification est loin d’être satisfaisante : l’enfant est intéressé par les engagements de ses parents et par le succès de l’accord. La validité même de ces conventions dépend de leur conformité à son intérêt ; c’est au regard de ce critère que la qualité de l’accord sera évaluée par le juge. Il est donc impossible de le considérer comme parfaitement extérieur au contrat.

À vrai dire, l’enfant est dans une situation intermédiaire, entre les parties liées par les effets obligatoires du contrat et les tiers simplement tenus d’en respecter les effets. Le droit des obligations, pour sa part, ménage une position particulière à cette catégorie de personnes qui gravitent autour des contractants[39], notamment aux créanciers. Leur situation est proche de celle qu’occupe l’enfant au regard de la convention de rupture : celui-ci n’est-il pas créancier d’aliments ? N’attend-il pas de ses parents une protection dans sa santé, sa sécurité et sa moralité, dans le respect dû à sa personne ? Cependant, là encore, la qualification ne saurait correspondre à la situation née du rapport de parenté : l’enfant n’est pas un simple créancier de ses parents et il ne dispose pas des actions spécifiques — action oblique et action paulienne — reconnues au créancier en vue de garantir l’exécution par son débiteur de ses obligations ! L’enfant ne saurait être considéré ni comme un tiers à la convention ni comme un simple créancier ; il est tout à la fois la cause et l’objet, l’alpha et l’oméga, des engagements souscrits par les parents.

Les principes du droit des obligations en ce qu’ils distinguent les parties et les tiers sont inadaptés au cadre familial. La convention de rupture, pas plus qu’elle ne présente la même force obligatoire qu’un contrat de droit commun, ne peut voir ses effets limités aux parties stricto sensu : la relativité des conventions est un concept difficilement adaptable aux relations familiales ! Étudier ces conventions de rupture à travers le prisme du droit des contrats renvoie une vision déformée de la réalité. La raison en est simple : en dépit des termes employés, il ne s’agit ni de contrat ni de convention. Cela se vérifie par ailleurs au regard des règles régissant l’inexécution des conventions.

3 L’inexécution des conventions de rupture ou l’inadéquation de la qualification conventionnelle…

Les conventions de rupture constatent les engagements simultanés des deux parents : certains pourraient y voir dès lors une convention du type synallagmatique, qualification retenue au cas d’interdépendance des obligations réciproques des contractants. Toutefois, cette qualification est inapplicable aux accords de rupture tant les conséquences qui en découlent au cas d’inexécution sont inconcevables dans les rapports parents-enfants.

Au cas d’inexécution d’un contrat synallagmatique, les obligations des parties étant interdépendantes, l’une d’elles peut suspendre l’exécution de son obligation tant que son partenaire n’exécute pas lui-même l’obligation à laquelle il est tenu. Celui qui invoque cette exception d’inexécution[40] le fait alors de sa propre initiative sans décision préalable du juge ; son cocontractant peut alors saisir le juge pour faire constater que l’exception d’inexécution lui a été opposée à tort. La transposition de ce mécanisme de « justice privée » aux conventions réglant les rapports avec l’enfant conduirait à autoriser l’un des parents à se soustraire à ses engagements à l’égard de l’enfant au prétexte que l’autre se refuse à respecter ses engagements — et refuser par exemple que son enfant rende visite à l’autre sous prétexte que ce dernier n’a pas payé la pension alimentaire ! Quel que soit le désaccord et les torts de l’autre parent, il ne saurait être question de permettre aux parents de se faire justice eux-mêmes. Le recours au juge apparaît alors indispensable et justifié par son rôle de garant de l’intérêt de l’enfant et du respect des droits et obligations des parents.

À défaut de pouvoir recourir à l’exception d’inexécution, le contractant victime du défaut d’exécution a le choix entre poursuivre l’exécution forcée et demander la résiliation du contrat[41], mais quelle que soit l’option choisie, le recours au juge s’impose[42] : la résiliation en ce qu’elle aboutit à l’anéantissement du contrat est une mesure grave et implique nécessairement le recours au juge ; de même, l’exécution forcée nécessitera le concours du juge pour obtenir celui de la force publique. Le défaut d’exécution de la convention de rupture par l’un ou l’autre des parents conduira de la même manière à la saisine du juge : en vue d’une exécution forcée, il pourra apporter le soutien de la force publique à la victime, en ordonnant, par exemple, le retour de l’enfant auprès du parent chez qui l’enfant réside. Cependant, l’inexécution révélant bien souvent la survenance d’un désaccord, le juge substituera à la solution négociée sa propre décision. Ainsi, au cas de défaut de paiement de la pension alimentaire, le juge saisi peut ordonner l’exécution forcée des engagements pris par le parent débiteur ou bien modifier les termes de la convention et, notamment, le montant ou les modalités de la contribution à l’entretien. Cependant, il ne s’agit pas en ce cas d’une simple résiliation judiciaire de la convention pour inexécution : en effet, la résiliation de la convention est une solution inadaptée, car elle conduirait à la rupture des relations entre les deux parents. Or dans notre domaine, le « vide » est exclu ! Le juge ne peut se satisfaire de constater le défaut d’exécution, il doit en outre y remédier et non pas, comme le droit des obligations l’envisage, par une simple allocation de dommages-intérêts[43]. Son inexécution rend l’accord initial caduc ; il doit impérativement être remplacé par une décision garantissant les droits de l’enfant.

Le fait que la résolution pour inexécution, l’exception d’inexécution ou encore la simple allocation de dommages-intérêts ne sont pas transposables au cas d’inexécution de conventions de rupture confirme qu’il ne s’agit pas ici de conventions synallagmatiques : les obligations de l’un des parents, même si elles peuvent paraître dépendre de celles de l’autre, ne sont en rien réciproques, caractère pourtant essentiel dans ce type de convention selon l’article 1102 du Code civil[44]. Le parent ne s’engage pas envers l’autre à verser une pension alimentaire ou à respecter son droit d’hébergement ; leur engagement n’est nullement réciproque mais orienté vers la satisfaction des besoins de l’enfant, « créancier » unique et privilégié. Le père et la mère sont débiteurs, de par la loi, de manière solidaire à son égard.

La contractualisation des ruptures de couple ne met pas en scène deux contractants égaux, concluant pour la satisfaction de chacun un accord synallagmatique dont les qualités et l’exécution sont garanties par la loi. Le verni contractualiste qui recouvre désormais la dissolution judiciaire du mariage, du PACS ou du concubinage, par l’éclat qui lui est prêté, masque une profonde évolution : celle du passage d’un gouvernement de la famille par la loi à un gouvernement de la famille par les hommes[45]. Le gouvernement par la loi non seulement n’interdit pas, mais encore il laisse s’exprimer la volonté individuelle :

[Cependant] la soumission de tous à des lois générales et abstraites est la condition de la liberté reconnue à chacun. Cette structure implique la mise en scène d’un Tiers garant des lois, qui transcende la volonté et les intérêts des individus. Elle rend possible l’articulation de deux plans distincts : celui des règles dont l’objet échappe au calcul d’utilité individuelle, qui relèvent de la délibération et du domaine de la Loi ; et celui des règles dont l’objet relève de calculs d’utilité individuelle, qui relèvent de la négociation et du domaine du contrat[46].

Dans le système de gouvernement par les hommes, sont privilégiés les liens de dépendance et la loyauté qui est supposée en résulter : « C’est l’inscription dans des liens personnels, et non la soumission à une même loi impersonnelle, qui définit la condition juridique des hommes, aussi bien dans leurs rapports mutuels que dans les rapports avec les choses. La figure du Tiers garant ne disparaît pas, mais c’est un garant des liens et non plus un garant des lois[47]. » Ainsi, la contractualisation ne fait pas disparaître le juge. Toutefois, son rôle n’est plus de dire le droit de la séparation. Il consiste à garantir, souvent par sa seule présence, que les époux, les concubins ou les parents se comportent conformément au rôle que la société attend de chacun ; conformément aux attentes qu’implique le lien qui le rattache à l’autre. La distinction du contrat et de la loi devient non perceptible : les situations légales, celles d’époux et celles de parents sont traitées au même niveau que celles, contractuelles, des partenaires. Surtout, ce nouveau système de gouvernement de la famille « mêle nécessairement le domaine du calculable et de l’incalculable[48] ». L’enfant et le sort du logement familial font partie de la même négociation. La contractualisation de la rupture de couple implique ainsi que ni les règles du contrat ni celles qui sont liées au statut des intéressés ne sont respectées.