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À la suite de divers travaux effectués sur les questions identitaires, André Magord, directeur de l’Institut d’études acadiennes et québécoises à l’Université de Poitiers, avance cette fois une réflexion sur les possibilités d’adaptation et d’innovation des Acadiens du Nouveau-Brunswick afin de maintenir leur identité dans un contexte de mondialisation. La série d’articles regroupés dans cet ouvrage a initialement été présentée lors du colloque annuel de l’Association française d’études canadiennes de 2004 tenu à Poitiers.

La préface d’Herménégilde Chiasson situe bien la problématique de la question identitaire dans cette Acadie contemporaine qui n’est plus une société traditionaliste et rurale comme elle a longtemps été décrite. Pourtant, l’Acadie est toujours attachée à son territoire, à sa langue et à son histoire, un fait qui peut sembler, pour certains, difficilement conciliable avec les importants changements socioéconomiques auxquels elle a dû et doit encore s’ajuster. Comment l’Acadie réussira-t-elle à s’adapter aux changements structurels amenés par la mondialisation qui « bouleverse toutes les données identitaires » ? C’est la question que pose André Magord dans cet ouvrage. Afin de situer sa réflexion, il présente dans l’introduction sa lecture des changements auxquels les Acadiens ont dû faire face jusqu’à aujourd’hui. Pour lui, là où le bât blesse, c’est la propagation relativement récente du modèle de société de consommation, car un groupe minoritaire en subirait davantage les effets d’homogénéisation. Il n’y aurait plus qu’au niveau local que « l’expérience d’une démarche authentique reste possible ».

Pour tenter d’articuler cette réflexion, les articles sont regroupés en trois sections. La première prolonge l’introduction en offrant une perspective historique et la deuxième porte sur le thème de l’éducation qui, en milieu minoritaire, est sans aucun doute perçue comme l’un des plus importants enjeux de la culture et de l’identité. En troisième lieu, est présentée une série d’études effectuées à l’échelon local et touchant divers thèmes. Malheureusement, comme c’est trop souvent le cas dans la publication d’actes de colloques, le fil conducteur est difficilement repérable. Somme toute, puisque l’ouvrage est multidisciplinaire, le lecteur y trouvera tout de même plusieurs articles amenant une contribution intéressante à des domaines spécifiques.

Dans une perspective sociohistorique, les deux textes d’introduction contribuent à fournir le recul et la mise en contexte nécessaires à la compréhension des changements sociaux en Acadie. En premier lieu, le débat qu’entretiennent depuis maintenant plusieurs années Magord et Thériault, qui oppose une conception de l’Acadie diasporique à celle d’une Acadie sociétale, se poursuit avec l’article de Joseph Yvon Thériault qui avance une typologie originale du rapport entre l’identité et le territoire en Acadie. À la suite de cette lecture, le territoire, malgré l’absence de frontières définies, apparaît bel et bien comme l’enjeu de la « permanence d’une identité collective ». Néanmoins, pour Thériault, l’Acadie contemporaine se révèle comme un amalgame de « pratiques individualisées et localisées », ce qu’il appelle « l’Acadie glocalisée ». L’analyse du mouvement étudiant des années 1960 de Joël Belliveau constitue également une intéressante contribution à l’étude de la société acadienne. Sa recherche en archives aide à identifier d’une manière un peu plus précise le changement de paradigme relatif aux idées politiques en Acadie qui a eu lieu à cette époque.

La série d’articles regroupés sous le thème de l’éducation est précédée d’une éclairante réflexion sur le concept d’innovation effectuée par Gilles Ferréol. On y trouve ensuite trois textes des chercheurs Réal Allard, Kenneth Deveau et Rodrigue Landry. Le premier met en relation le concept de vitalité ethnolinguistique et le développement d’appartenances et de comportements langagiers en situation minoritaire. Les auteurs soutiennent que plus la vitalité ethnolinguistique est faible, plus il est probable que l’apprentissage de l’anglais donne lieu à une diminution des compétences en français. Le deuxième texte présente un modèle théorique voulant illustrer les différents facteurs influant sur la vitalité des communautés ethnolinguistiques minoritaires. Cet article a entre autres comme visée d’inspirer un possible « plan global de revitalisation ethnolinguistique ». Enfin, dans le troisième texte, le groupe de chercheurs utilise la théorie de l’autodétermination pour étudier les motivations quant à l’apprentissage et l’utilisation du français et de l’anglais chez les élèves de trois régions de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick. Dans le texte qui suit, Greg Allain relate la mise en place des centres scolaires-communautaires. On y aborde bien la thématique d’innovation sociale, car ces centres, qui ont pris naissance dans des communautés acadiennes urbaines du Nouveau-Brunswick, se sont présentés comme une réponse à la difficulté d’obtenir des écoles de langue française dans de nombreuses autres communautés au Canada. Catalina Ferrer, pour sa part, présente l’élaboration d’un programme « d’Éducation à la citoyenneté démocratique dans une perspective planétaire » à l’Université de Moncton qui permettrait aux futurs enseignants acadiens de s’ouvrir sur le monde.

La troisième section de l’ouvrage, présenté par Omer Chouinard, est consacrée à des recherches appliquées portant sur l’adaptation à des changements d’ordre structurel, c’est-à-dire à des « changements provenant de l’extérieur, dans des milieux minoritaires ». Omer Chouinard, Kenel Délusca, Murielle Tramblay et Jean-Paul Vanderlinden entament ce dernier chapitre avec une recherche portant sur les perceptions et les mesures d’adaptation à l’élévation du niveau de la mer dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Ensuite, Jean-Paul Vanderlinden et Omer Chouinard analysent quelques projets de recherche-action rattachés au programme de Maîtrise en études de l’environnement de l’Université de Moncton afin d’illustrer le rôle que peuvent jouer les universités au service des communautés dans une perspective d’innovation sociale. Jean-Paul Vanderlinden, Omer Chouinard, Rachel Friolet et Mathieu Audet effectuent ensuite une analyse de la difficile mise en place d’un modèle de gestion intégrée des zones côtières au bureau régional de Pêche et Océans Canada. André Langlois et Anne Gilbert ont pour leur part élaboré une typologie démographique des communautés acadiennes basées sur un nouvel indicateur de la taille des communautés francophones en milieu minoritaire, ainsi que la répartition géographique de ces divers types de communautés. En s’intéressant à l’économie sociale, Marie-Thérèse Séguin, Guylaine Poissant, Éric Forgues et Guy Robinson parlent des femmes qui oeuvrent au sein d’entreprises du domaine de la santé et du bien-être des comtés de Westmorland et de Kent au Nouveau-Brunswick. Enfin, Normand Labrie dresse un portrait de l’adaptation linguistique des travailleurs d’un centre d’appel de la région de Moncton. L’étude de cas dévoile que les employés doivent constamment changer de registre linguistique et de langue selon leur interlocuteur, que ce soit des collègues ou des clients. Pour Labrie, le bilinguisme dans ce type d’entreprise est clairement considéré par l’employeur comme « une qualité innée et non pas comme une expertise professionnelle ».

Si les thèmes de l’adaptation et de l’innovation s’avéraient de prime abord une piste fort intéressante pour poser la question de la permanence de l’identité et de la culture, il est dommage que, dans plusieurs textes, il soit difficile de retrouver cette trame. Toute culture comportant des éléments de continuité et de changements, on s’attendrait à ce que ceux-ci soient mis en relief, analysés et expliqués dans un colloque portant sur le thème de l’innovation et de l’adaptation. Par ailleurs, le lecteur qui cherchera à mieux connaître, voire à mieux circonscrire la société acadienne en sortira perplexe, car beaucoup d’articles présentés dans cet ouvrage ne traitent pas spécifiquement d’une réalité proprement acadienne. Le choix de l’Acadie du Nouveau-Brunswick était pourtant judicieux pour aborder ces questions. Car cette petite société minoritaire, malgré l’absence du contrôle d’un État et d’un territoire institutionnalisé, a tant bien que mal réussi à mettre en place des mécanismes qui permettent à la culture et à l’identité de se renouveler.