Corps de l’article

L’ouvrage porte sur les dix années de Jean Chrétien au poste de premier ministre du Canada, de 1993 à 2003. Il est divisé en quatorze chapitres qui suivent à peu près un ordre chronologique. Il y a d’abord les premiers jours de Chrétien au poste de premier ministre, la lutte contre le déficit et la dette, les amitiés américaines et la crise dans l’industrie de la pêche qui a opposé le Canada et l’Espagne. Viennent ensuite deux chapitres qui rappellent la crise constitutionnelle du début des années 1990 et le débat autour de la clarté référendaire. Les trois chapitres suivants sont consacrés à des questions de sécurité, à des histoires de golfeurs et aux élections fédérales de 1997. Un autre concerne les rapports de l’auteur avec la reine d’Angleterre et avec des femmes qui ont occupé des postes importants au Canada, sans oublier la plus admirable de toutes aux yeux de Jean Chrétien, son épouse Aline. Un long chapitre intitulé « Complots et rebondissements » fait état des politiques du gouvernement libéral en matière d’éducation et de recherche, de santé, d’infrastructures et se termine sur les élections de 2000. Les chapitres 12 et 13 portent surtout sur la politique extérieure, alors que le dernier chapitre raconte les événements qui se sont déroulés de l’élection de 2000 à la fin de l’année 2003, moment où Jean Chrétien quitte le poste de premier ministre du Canada.

Tout au long de l’ouvrage, il est souvent question de l’entourage de Chrétien, de ses ministres, des premiers ministres et des autres politiciens provinciaux, de ses adversaires sur la scène fédérale, mais aussi des chefs d’État ou de gouvernement qu’il a eu l’occasion de rencontrer au Canada ou ailleurs dans le monde. La plupart d’entre eux sont jugés de façon favorable, dont tout particulièrement Bill Clinton, Tony Blair, Boris Eltsine, et même George W. Bush, à certains égards. Les relations avec Jacques Chirac ont été tendues dans le contexte du référendum québécois de 1995, mais elles se sont améliorées ensuite. Pour ce qui est des premiers ministres et des autres politiciens provinciaux, il est surtout question de ceux du Québec. Aucun d’entre eux ne semble avoir été particulièrement apprécié par Jean Chrétien, qu’ils soient péquistes ou libéraux. Au moment du référendum de 1995 au Québec les relations avec Jean Charest, alors chef du Parti progressiste-conservateur, et avec Daniel Johnson, chef du Parti libéral du Québec, n’apparaissent pas très cordiales. C’est cependant envers Paul Martin que Jean Chrétien entretient le plus de rancunes. Elles deviennent particulièrement vives à partir du moment où Martin manifeste son empressement à devenir chef du Parti libéral et premier ministre du Canada.

Le livre brosse un autoportrait de ce que l’auteur estime être ses principales qualités : le pragmatisme, le sens de l’ordre, la connaissance des dossiers, l’efficacité à diriger les réunions du conseil des ministres, mais aussi l’aptitude à déclencher les élections au moment propice et à les gagner. Il faut dire que Chrétien a profité d’une conjoncture économique favorable et de conjonctures politiques encore plus favorables, qui vont des erreurs de Kim Campbell aux élections de 1993, à la division entre les réformistes et les progressistes-conservateurs aux élections de 1997 et de 2000. Toujours majoritaire en sièges obtenus, il ne l’a jamais été, et de loin, en votes recueillis.

L’auteur reconnaît quelques erreurs, dont celle d’avoir décidé de fermer le Collège militaire de Saint-Jean, en 1994, et surtout, celle de n’avoir pas été assez clair sur ses intentions de se retirer de la politique, une fois cette décision prise, ce qui a donné l’impression qu’il voulait s’accrocher au pouvoir.

Dans l’affaire de l’auberge de Grand-Mère, Jean Chrétien répète qu’il n’a fait que jouer son rôle de député de Shawinigan, et dans l’affaire du programme des commandites, il répète que le dérapage est dû surtout à quelques individus qui n’étaient pas d’allégeance libérale. Il néglige de dire que ce programme, qui visait après le référendum québécois de 1995 à mieux faire connaître la présence du gouvernement fédéral au Québec, a créé un contexte tel que, pour des libéraux fédéraux, la fin justifiait les moyens, dont ceux qui ont été pris pour financer le parti par des voies détournées. Il aurait été opportun qu’à titre de chef du Parti libéral fédéral, le premier ministre du Canada s’inquiète davantage des dérives qui étaient ainsi mises en place.