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Le contenu de l’ouvrage Politique internationale et défense au Canada et au Québec n’est pas entièrement original; il est en fait la traduction française d’un ouvrage rédigé par Kim Richard Nossal et plusieurs fois réédité. Cet ouvrage propose cependant une mise à jour du contenu et une adaptation des références et des informations au lectorat québécois. Les auteurs cherchent ainsi à compenser le manque d’ouvrages de langue française visant à expliquer de façon systématique les grandes orientations de la politique internationale et de la défense canadienne. Le sujet est divisé en trois grandes parties distinctes : la première partie est consacrée à l’approfondissement du cadre d’analyse et se concentre sur l’étude du contexte et des déterminants internes et externes, alors que la seconde est plutôt historico-descriptive et traite des acteurs et des processus. La troisième section traite d’une question reliée, soit l’étude des répercussions du fédéralisme sur la politique étrangère et le développement de voies internationales subétatiques, en particulier de la paradiplomatie identitaire québécoise. Ainsi, l’ouvrage situe son objet d’étude à la jonction de trois sphères : internationale, nationale et gouvernementale. S’il concentre l’analyse sur l’acteur étatique, une limite commandée par la délimitation du sujet, l’ouvrage « ouvre la boîte noire de l’État » et dissèque les composantes de la politique étrangère. Sur le plan théorique, les auteurs ne se restreignent pas à un cadre conceptuel étroit, mais puisent à diverses sources théoriques, en particulier libérale et réaliste, tout en prenant en considération les variables identitaires et de culture politique. Par conséquent, la perspective de l’ouvrage dans son ensemble est « à la frontière entre deux modes d’analyse, […] l’explication […] et l’interprétation […] », et prend en considération à la fois les facteurs matériels et les facteurs idéels. Cette relative « liberté théorique » autorise une exploration approfondie des constantes et des changements de la politique canadienne depuis la fondation du pays.

La première partie de l’ouvrage se penche sur les facteurs n’offrant que peu de prise aux gouvernements, mais qui influencent considérablement le processus de prise de décision, en l’occurrence les déterminants liés à la géographie, à la structure économique, à la dynamique internationale ainsi qu’aux moyens et aux ressources nationales. Ainsi, si le contexte international s’est transformé considérablement depuis 1867 et que des personnages aux idées contrastantes ont occupé le poste de premier ministre, le « poids de l’histoire et de l’identité » a limité considérablement leur marge de manoeuvre, d’où notamment les continuités importantes quant à la relation « teintée d’ambivalence » du Canada avec son partenaire privilégié (le Royaume-Uni, puis les États-Unis), le manque de volonté canadienne à investir des sommes importantes dans l’appareil de défense et la préoccupation du pays par rapport au commerce international. Ces éléments structurent donc les objectifs de politique étrangère et agissent sur les stratégies visant à les atteindre, mais ils n’expliquent pas la capacité du gouvernement en place à atteindre ses buts. L’ouvrage propose une nouvelle manière d’évaluer l’influence canadienne dans le monde qui met l’accent sur le caractère relationnel de la puissance. S’il existe diverses façons d’exercer la puissance (persuasion, incitations, coercition, sanctions, recours à la force), l’éventail des possibilités à la disposition du gouvernement canadien est restreint considérablement « par le manque de moyens, le manque de volonté, l’identité du principal partenaire du Canada (les États-Unis), ainsi que la nature des objectifs internationaux » poursuivis par le pays. Par conséquent, c’est par la persuasion que l’influence canadienne s’est exercée dans le monde, d’où l’importance accrue d’un service extérieur qualifié. Le troisième chapitre explore les déterminants internes de la politique étrangère ; il cherche plus spécifiquement à comprendre « l’impact des interactions et luttes d’intérêts entre les acteurs sociaux sur le processus et le contexte décisionnels » en dressant un portrait des intérêts des groupes intéressés (ethniques, économiques, pacifistes, etc.) en la matière. Bien que la participation de la société civile semble avoir été accrue grâce à la « démocratisation de la politique étrangère », son influence demeure relativement marginale dans le processus de décision, notamment en raison de l’absence d’intérêt de l’électorat pour les questions internationales. Elle agit pourtant sur les paramètres de l’environnement de la prise de décision en soutenant des « idées dominantes » qui délimitent l’éventail des orientations définies comme inacceptables. Au Canada, quatre systèmes d’idées, en l’occurrence l’impérialisme, l’isolationnisme, l’internationalisme et, dans une moindre mesure, le continentalisme, ont ainsi coexisté et structuré le paysage politique canadien.

La seconde partie est consacrée à l’étude de la dynamique de l’appareil gouvernemental ; elle passe en revue les principaux acteurs qui participent à la prise de décision et en soupèse l’influence relative sur la prise de décision et la mise en oeuvre des politiques. Elle explore successivement les « contraintes exercées sur les institutions politiques » par le premier ministre (qui est clairement prééminent étant donné son pouvoir de nomination des membres du Cabinet, son autorité sur la détermination des grandes priorités du gouvernement et son rôle dans la diplomatie au sommet), mais aussi celui du Cabinet, des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, et, enfin, de l’appareil bureaucratique et du Parlement. La dernière partie de l’ouvrage porte sur l’impact du système politique fédéral et sur la contribution des provinces, en particulier le Québec. Elle traite généralement des questions de souveraineté et de fédéralisme, et s’attarde sur les problèmes particuliers de coordination et sur la sous-institutionnalisation de la politique internationale à « niveaux multiples » au Canada qui laisse les relations entre paliers gouvernementaux à la merci des fluctuations politiques et fait place à un « prolongement international des conflits internes ».

L’ouvrage de Nossal, Roussel et Paquin satisfera sans aucun doute les enseignants francophones de la politique internationale et de défense canadienne ; il propose un soutien solide à l’élaboration des contenus et un matériel scolaire de très grande qualité (chacun des douze chapitres pouvant être utilisé séparément). Il représente certainement l’idéal de ce que devrait être un manuel de base ; il offre à la fois des explications simples et claires, sans pourtant trop simplifier, tout en faisant une utilisation très judicieuse des théories des relations internationales et en ayant une profondeur historique remarquable. Il convient aussi de souligner la qualité de la traduction française, qui ajoute considérablement au plaisir de la lecture. S’il peut paraître illégitime de reprocher aux auteurs d’un ouvrage si riche et volumineux d’avoir exclu certains sujets, il aurait tout de même été intéressant de mieux comprendre l’importance pour le Canada de certaines organisations internationales, en particulier l’onu.