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Parue originalement l’année du 350e anniversaire de la fondation de Montréal, cette synthèse a fait l’objet de révisions mineures mais surtout, d’une large mise à jour. Le dernier chapitre de l’édition originale consacré à l’évolution montréalaise de 1960 à 1992 a été remplacé par trois nouvelles sections qui se terminent avec la réélection de Gérald Tremblay à la mairie. Les événements récents ayant affecté la métropole tels que la saga des fusions municipales y sont traités avec efficacité, sobriété et justesse. Ces dernières pages sont donc à l’image de cette synthèse qui se distingue par sa grande qualité tant en ce qui concerne les informations présentées que le style dans lequel elles sont transmises. Ce résultat n’est pas étonnant puisque Paul-André Linteau a consacré la majeure partie de sa carrière universitaire à l’étude de la région montréalaise. Fort de ses connaissances exhaustives sur l’histoire de Montréal, il fait un portrait élégant, accessible et fascinant de l’évolution de cette ville.

Dans les quatre premiers chapitres, l’auteur traite de l’occupation amérindienne de l’île avant l’arrivée des Européens pour ensuite s’intéresser aux conditions d’établissement des premiers colons et des développements de Montréal en Nouvelle-France. Linteau décrit d’abord le déploiement de l’Empire colonial français tant en ce qui concerne les efforts missionnaires et la traite des fourrures que les conflits armés qui le caractérisent jusqu’à la conquête de la colonie par la Grande-Bretagne. Il aborde ensuite le développement de l’île de Montréal à proprement parler durant cette période. L’auteur traite à la fois des institutions civiles et religieuses qui la parsèment, de l’évolution de sa topographie, de son environnement bâti ainsi que des conditions de vie de ses habitants qui travaillent dans l’artisanat, le commerce et l’agriculture. Les conséquences de la cession de la Nouvelle-France sur la société montréalaise sont abordées dans le chapitre 5. Linteau y décrit les bouleversements socioéconomiques qu’elle entraîne tels que l’arrivée des marchands britanniques qui investissent plusieurs secteurs d’activité, notamment celui de la fourrure comme en témoigne la création de la Compagnie du Nord-Ouest en 1779.

La période 1800-1914, théâtre des phases successives d’industrialisation de la ville et de l’arrivée massive d’immigrants d’origine irlandaise puis d’autres pays d’Europe continentale, est l’objet des chapitres 6, 7 et 8. L’économie montréalaise se diversifie au début du XIXe siècle tout en approvisionnant un monde agricole en pleine expansion qui s’étend jusqu’au Haut-Canada (Ontario). Grâce aux améliorations importantes de l’infrastructure de transports et un large bassin de main-d’oeuvre, Montréal profite de son avantage géographique pour s’industrialiser à la fois dans des secteurs dits légers (chaussure, vêtements, etc.) et lourds (aciers, matériel ferroviaire, etc.). C’est à cette époque que Montréal s’impose comme métropole du Canada. En plus d’exposer l’impact de ces transformations sur la géographie de l’île, l’auteur dépeint efficacement les conditions de vie affligeantes des ouvriers non qualifiés auxquelles s’oppose l’opulence des habitants du Golden Square Mile. Aux disparités socioéconomiques s’ajoute un clivage ethnique qui se manifeste par l’existence concurrente de deux réseaux distincts d’institutions culturelles et religieuses, francophone et anglophone. Toutefois, les fléaux tels que les épidémies et les incendies touchent toutes les couches de la population. Linteau décrit d’ailleurs avec brio les difficiles débuts du gouvernement municipal et les affrontements entre les politiciens « réformistes » anglophones et leurs adversaires « populistes » francophones.

Les chapitres 9 et 10 traitent de l’impact des deux conflits mondiaux sur l’évolution de la ville, des tensions socioethniques qu’elles engendrent ainsi que des crises économiques houleuses qui secouent les entreprises et les travailleurs de Montréal dans les années 1920 et 1930. Malgré une certaine amélioration des conditions de vie au cours de la décennie, la Crise de 1929 plonge Montréal dans un gouffre dont elle ne sortira que grâce à la Deuxième Guerre mondiale. L’administration municipale se révèle incapable de relever les défis socioéconomiques du moment. La nature de sa représentation politique sera largement modifiée après une série de mises en tutelle par le gouvernement provincial. L’auteur synthétise d’ailleurs fort habilement les multiples réformes, fusions et affrontements politiques de cette période.

Linteau dépeint avec la même compétence et efficacité la période de prospérité de l’après-guerre ainsi que le bouillonnement culturel, politique et économique qui apparaît à Montréal, et dans le Québec tout entier, durant cette période. Le lecteur trouve donc dans cet ouvrage une synthèse fort utile des principaux événements et phénomènes qui ont affecté la région montréalaise, de l’avènement de l’ère Drapeau et la montée de la ferveur nationaliste chez les Québécois francophones jusqu’aux réorganisations économiques, politiques et démographiques des dernières années.

Évidemment, comme pour toute synthèse de la sorte, certaines des interprétations présentées dans cet ouvrage pourraient être débattues. Ainsi, plusieurs historiens considèrent aujourd’hui que « l’affaire du Long Sault » fut plus un affrontement où Mohawks et Onondagas tentèrent de capturer Annaotaha et ses guerriers hurons plutôt qu’une « expédition d’envergure contre la Nouvelle-France » contrecarrée par une troupe menée par Dollard Des Ormeaux (p. 28). Par ailleurs, il est étonnant que dans sa section consacrée au renouveau culturel des années 1960, Linteau ne cite que l’apport d’intellectuels et d’artistes francophones, négligeant de mentionner la contribution anglo-montréalaise d’auteurs et compositeurs tels que Mordecai Richler et Leonard Cohen, pour n’en nommer que deux. Il faut toutefois insister sur le fait que le tour de force de synthétiser l’histoire de la région montréalaise en 181 pages excuse largement les quelques omissions de Linteau qui sont d’ailleurs une question d’opinions. À ce sujet, l’auteur suggère à la fin de l’ouvrage une série de lectures fort pertinentes qui permettent de poursuivre la réflexion. Cette brève introduction se révèle donc une ressource essentielle pour toute personne s’intéressant à l’histoire de Montréal mais également du Québec et de l’Amérique du Nord. Abordant à la fois les thèmes politiques, économiques, sociaux, géographiques et urbanistiques, cette synthèse permet au grand public de comprendre avec aisance l’évolution de la région montréalaise. De fait, les historiens du Québec trouveront eux aussi profit à sa lecture puisqu’elle fournit des renseignements précis et variés qu’ils pourraient ignorer, le recenseur peut lui-même en témoigner.