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Le poète Jean Royer, auteur de plusieurs entretiens avec des écrivains – entretiens qu’il sait mener habilement en s’effaçant – a beaucoup croisé Gaston Miron. Outre le fait qu’une grande amitié les a unis, leurs activités éditoriales ont souvent coïncidé. C’est ainsi que Royer a eu l’occasion de suivre le poète de L’Homme rapaillé autant à Montréal qu’en France. Le poète et journaliste Royer a écrit pas moins d’une trentaine de textes sur Miron : son petit livre, format poche, s’inspire notamment de ce que l’on pourrait appeler sept circonstances dans la vie de Gaston Miron, publications ou nombreux prix littéraires reçus.

Le lecteur peut d’abord prendre connaissance d’une substantielle première partie, intitulée « Le poète et le militant », dans laquelle le préfacier Sylvestre Clancier, président de l’association des amis de Gaston Miron, voit « la plus sensible, la plus juste et la plus empathique » des études sur l’auteur qu’il lui a été donné de lire. Royer y fait ressortir l’homme et le poète aux prises avec son destin, celui qu’étonne d’abord la dualité des sociétés de son village natal, Sainte-Agathe-des-Monts, pendant la période estivale, la même dualité qu’il retrouvera à longueur d’année dans le Montréal de sa première jeunesse. Y est montré le poète qui lutte contre son irréalité et celle des siens, qui fait corps avec elle jusqu’aux frontières de la folie, qui se découvre poète sans vouloir le devenir, à cause de la tâche primordiale de la décolonisation des siens à faire. Et Royer de citer Miron, qui dit ne pas faire une poésie militante, mais « une poésie qui était en lutte contre elle-même » dont témoignent d’ailleurs ses lettres au poète Claude Haeffely (À bout portant,Leméac, 1989). C’est également l’objet de son poème-essai, « Notes sur le non-poème et le poème », une clé essentielle pour la compréhension de l’oeuvre mironnienne.

La deuxième partie du livre, « Entretiens », suit Miron en quelques circonstances de sa vie, un Miron tout à la fois le poète, l’éditeur, le lauréat de prix prestigieux, le conférencier, l’âme du groupe de l’Hexagone (1953), l’historien de la poésie québécoise, l’intellectuel tel qu’il se voit. Ce Miron-là avance en réfléchissant, haranguant son public qui peut n’être qu’un interlocuteur, voire le passant de la rue, réfléchit aussi en avançant dans l’aventure de sa vie, une vie tout emmêlée à la condition d’infériorité historique des siens tout autant qu’à celle de l’humanité totale où l’anthropoète « monte la garde du monde ». En fait, l’auteur Royer produit sept petits chapitres à partir d’entretiens déjà réalisés antérieurement, y reformulant la pensée de Miron et y allant de quelques citations. Le plus ancien de ces entretiens porte sur le poids de la création (1970), cela coïncidant avec la parution, faite par des amis, de L’Homme rapaillé. Ainsi de suite : y sont traités, en autant de courts textes, les thèmes de l’identité, de la littérature en liberté, du rôle fondateur de la culture par la poésie, de la poésie de l’intime par rapport à la poésie personnelle (un peu obscur), de la souveraineté du poète qui écrit une langue dans la langue (discours du Prix David) et fait la promotion des écrivains québécois, ce dernier texte étant inspiré d’une entrevue de 1990.

Bref, un livre qui permet de refaire le parcours poétique et idéologique de Gaston Miron, un poète militant qui finit par se réconcilier avec lui-même dans l’avancée des siens. On peut seulement regretter que ce petit livre à la couverture agréable (Miron à Aix-en-Provence en 1983) soit un peu étriqué : peu de marge, petits caractères typographiques, papier commun, une présentation qui contraste avec un beau texte tout autant qu’elle n’honore pas la mémoire de l’éditeur qui a fait tellement de beaux livres pour les autres !