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Introduction

Étudier les pratiques de gestion des directions d’écoles pour soutenir la mise en oeuvre des cycles d’apprentissage dans les écoles primaires du Québec, oblige à faire face à quelques problèmes. D’abord, nous devons lever l’ambiguïté et l’imprécision des demandes ministérielles formulées aux directions d’écoles en ce qui a trait à la mise en oeuvre des cycles d’apprentissage dans les écoles et la difficulté concomitante, pour les directions, de soutenir cette mise en oeuvre. Ensuite, il faut signaler l’absence de données sur la mise en oeuvre effective des cycles d’apprentissage dans les écoles. Enfin, nous notons l’absence de définition opérationnelle des cycles d’apprentissage et de là, l’impossibilité de les mesurer.

Nous avons donc amorcé des travaux destinés à préciser et à rendre opérationnel le concept de cycle d’apprentissage. Le présent article porte sur la première étape de ces travaux : nous avons effectué une recension des écrits sur le sujet. Pour ce faire, nous avons interrogé les bases de données ERIC et FRANCIS, et nous avons aussi interrogé Internet à partir du moteur de recherche GOOGLE. Nous avons également consulté le catalogue ATRIUM et les catalogues de bibliothèques européennes. Les mots-clés que nous avons utilisés sont les suivants : cycle, cycle d’apprentissage, cycle pédagogique, cycle scolaire, pédagogie par cycle, organisation scolaire, formation des groupes, enseignement individualisé, learning cycle, school organisation, group formation,individualized instruction.

Nous présentons ici la problématique qui nous a guidé, suivie des précisions que nous avons apportées au concept de cycle d’apprentissage.

Le contexte de la réforme de l’éducation

Un peu partout dans le monde, les gouvernements ont entrepris des réformes de leurs systèmes d’éducation, et le Québec n’échappe pas à ce courant. En effet, le système scolaire québécois est en grande transformation. Depuis 1997, des changements de divers ordres se manifestent tels que des modifications à la Loi sur l’instruction publique, une décentralisation des pouvoirs et des responsabilités de la commission scolaire vers l’école, un pouvoir de décision accru des parents, une fusion et une réorganisation des commissions scolaires, des maternelles cinq ans qui sont passées du demi-temps au plein temps, une réforme des programmes de formation des maîtres, une réforme du curriculum au primaire et au secondaire, notamment la publication du Programme de formation de l’école québécoise (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001) refondu selon une logique de développement des compétences et des changements au régime pédagogique, et enfin, une organisation de l’école en cycles d’apprentissage. C’est ce qu’il est convenu d’appeler la réforme de l’éducation.

Ces changements sont le fruit de nombreuses années de travaux en éducation. Au cours des années 1980, des réflexions importantes sur l’éducation s’amorcent au Québec, et ces réflexions aboutissent aux États généraux sur l’Éducation (Ministère de l’Éducation du Québec, 1996). Au terme de ses travaux, la Commission des États généraux sur l’Éducation propose dix chantiers prioritaires pour rénover le système d’éducation québécois.

C’est dans la foulée de ces États généraux, et en lien avec l’un de ces chantiers que la Ministre de l’Éducation de l’époque publie un énoncé de politique éducative, L’école, tout un programme (Ministère de l’Éducation du Québec, 1997). Cet énoncé de politique s’attaque au chantier de la réforme du curriculum et consacre le virage que le Ministère entend faire prendre à l’école primaire et secondaire, au Québec. Il s’agit de passer de l’accès à l’éducation du plus grand nombre d’élèves, au succès du plus grand nombre.

L’énoncé de politique décrit, entre autres, les changements à apporter au curriculum, les dispositifs à ajuster dans l’environnement éducatif et les changements à apporter aux contenus de formation, à l’organisation de l’enseignement et aux programmes d’études. Il porte nommément sur l’organisation de l’école. En effet, il décrète l’organisation de l’école en cycles d’apprentissage. Ainsi, depuis 1997, les écoles primaires du Québec doivent présenter une organisation en trois cycles d’apprentissage d’une durée de deux ans chacun. Auparavant, l’école était organisée en années scolaires, elles-mêmes regroupées en cycles d’enseignement de trois ans.

L’énoncé de politique insiste pour que l’organisation scolaire soit mise au service des élèves et décrit les fonctions que devra remplir l’organisation par cycles d’apprentissage (Ministère de l’Éducation du Québec, 1997, p. 20) :

  1. faire en sorte que l’enseignement s’étende sur des étapes plus conformes à la psychologie de l’enfant et aux grandes périodes de son développement ;

  2. permettre que l’évaluation et l’intervention pour aider l’élève s’effectuent plus tôt et soient plus continues ; remplacer le redoublement qui fige l’élève dans un sentiment d’échec sans pour autant résoudre le problème ;

  3. favoriser la prise en charge de l’enseignement aux élèves d’un cycle par une équipe stable d’enseignantes et d’enseignants pendant toute la durée du cycle.

L’idée d’organiser l’école en cycles d’apprentissage plutôt qu’en années scolaires n’est pas nouvelle et n’est pas propre au Québec. En effet, plusieurs pays occidentaux ont choisi et choisissent encore d’organiser leurs écoles en cycles d’apprentissage (Abrantes, 2004 ; Bugnon et Sottini, 2003 ; Lessard, Archambault, Lalancette et Mainville, 2000 ; Maison des Trois Espaces, 1993 ; Perraudeau, 1999 ; Perrenoud, 2002 ; Pirard, 2000). Par exemple, en France, le gouvernement décrète l’organisation de la scolarité en cycles dès 1989 (Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, 1991), alors que la Belgique, les cantons de la Suisse romande et le Portugal la promulguent à la fin des années 1990. Par ailleurs, l’organisation par cycles d’apprentissage n’est pas sans rappeler celle des écoles sans degrés, aux États-Unis, en Australie et dans certaines provinces canadiennes (Ball, 2000 ; Gaustad, 1992 ; Goodlad, 1963 ; Stone, 1998). En effet, l’organisation par cycles d’apprentissage et les écoles sans degrés prônent toutes deux l’abolition de l’année scolaire comme critère d’évaluation du regroupement des élèves et de leur réussite.

Au Québec, le choix gouvernemental est clair : l’énoncé de politique formule des demandes de changement aux écoles. Cependant, même si l’organisation par cycles d’apprentissage tend à se répandre et à se mettre en place, s’organiser en cycles d’apprentissage demeure un défi pour les écoles primaires.

La problématique des cycles d’apprentissage

Bien que l’organisation par cycles d’apprentissage soit décrétée par le gouvernement, la volonté exprimée par le ministère de l’Éducation est que les acteurs à la base puissent construire ce changement à partir de leurs compétences et des contingences de leurs milieux. Cette volonté rejoint d’ailleurs le point de vue de plusieurs observateurs du changement (Fullan, 2003 ; Savoie-Zajc, 1993 ; Spillane, Reiser et Reimer, 2002). Pour eux, les acteurs premiers reconstruisent le sens des changements qui leur sont présentés dans les politiques. Pour le MÉLS, voir le changement comme une reconstruction des changements demandés suppose alors que les injonctions à changer ne peuvent pas être précises ; bref, qu’elles ne peuvent aller jusqu’à dire aux acteurs comment effectuer le changement (Carbonneau et Legendre, 2002 ; Gagnon, 1999). En effet, pour que les acteurs du terrain puissent s’approprier la réforme en l’adaptant à leur milieu, ils doivent avoir un espace et une certaine autonomie pour le faire. On incite à transformer des aspects de la vie de l’école et on fonde beaucoup d’espoir sur les transformations suivantes : le développement des compétences, la différenciation pédagogique, le travail d’équipe des enseignants (Lafortune, 2004a), l’organisation par cycles d’apprentissage (Perrenoud, 2002). Cependant, bien que les demandes de changement ne puissent être très précises, on sait encore peu en quoi consistent ces aspects (ils sont nouveaux).

Ainsi, malgré cette position claire sur l’organisation de l’école, les modalités de la mise en oeuvre des cycles d’apprentissage demeurent souples et imprécises. L’organisation de l’école en cycles d’apprentissage est un de ces changements à propos desquels directions d’écoles comme enseignants émettent d’ailleurs des réserves. Ainsi :

Les participants reconnaissent des vertus à la nouvelle organisation en cycles d’enseignement, mais émettent également plusieurs réserves à ce sujet et, fait significatif, ces réserves sont plus élevées (et deviennent souvent des désaccords) chez les premiers concernés, soit le PE (Personnel enseignant).

Deniger et Kamanzi, 2004, p. 73

De leur côté, Brassard, Corriveau, Fortin, Gélinas, Savoie-Zajc, Héon et De Saedeler (2001) ont aussi trouvé que les directions d’écoles étaient généralement d’accord avec les divers aspects de la réforme québécoise, et en particulier avec l’organisation de l’école en cycles, mais qu’elles manifestaient certaines réserves quant à leur capacité de la mettre en oeuvre, compte tenu des ambiguïtés qui subsistaient.

En outre, les travaux que nous menons depuis quelques années avec une association professionnelle de directions d’écoles (ACSQ) et avec les directions d’écoles de différentes commissions scolaires (Archambault et Richer, 2005), et qui portent spécifiquement sur l’organisation par cycles d’apprentissage, nous incitent aussi à croire que le concept demeure ambigu et, par conséquent, difficile à implanter et à étudier.

On peut certainement vouloir que les injonctions de changement ne soient pas trop précises, afin que les intervenants scolaires puissent les reconstruire selon leurs compétences et les caractéristiques de leur milieu. Cependant, il importe aussi de clarifier les réalités que recouvre le concept de cycles d’apprentissage ainsi que ses modalités de mise en oeuvre, surtout si on veut parvenir à en évaluer le degré de mise en oeuvre, les moyens pris pour les mettre en oeuvre ainsi que leurs effets. Fait à noter, bien que les cycles d’apprentissage suscitent l’intérêt de plusieurs systèmes d’éducation, peu de recherches ont à ce jour évalué l’un ou l’autre des aspects des cycles d’apprentissage : quel est leur effet sur l’apprentissage des élève sur l’exercice du travail enseignant et sur les modes de gestion à adopter ? En quoi constituent-ils un mode d’organisation plus efficace que le mode d’organisation traditionnelle de l’école, en années ? Comment ces cycles d’apprentissage sont-ils mis en place dans les écoles ? Quels rôles doivent jouer les enseignants, les directions d’établissement, les autres professionnels, les parents, les élèves, dans leur mise en place ? Les cycles sont-ils réellement mis en place dans les écoles ? Il apparaît difficile de répondre à plusieurs de ces questions, puisque le concept même de cycles d’apprentissage n’a pas été défini.

Nous avons donc entrepris de faire une recension des écrits sur le sujet afin de préciser le concept et de pouvoir éventuellement le rendre opérationnel. L’interrogation des bases de données nous a permis d’accéder à plusieurs écrits sur le sujet, en grande majorité des textes d’ordre conceptuel, des textes d’opinion ou des textes légaux. Nous n’avons trouvé qu’une seule recherche portant spécifiquement sur les cycles d’apprentissage et dont le but était d’élaborer un outil pour en favoriser la mise en place (Rey, Khan, Ivanova, Robin et Van Campenhoudt, 2003). Une autre recherche portait sur la formation et le fonctionnement des équipes cycles d’enseignants (Lafortune, 2004a ; 2004b).

Dans ce qui suit, nous allons d’abord examiner ce que les auteurs des écrits disent des cycles d’apprentissage et leurs différentes définitions de ce concept. Ensuite, nous dégagerons les orientations que donnent les auteurs aux cycles d’apprentissage et décrirons les réalités auxquelles ils font référence. Nous nous attarderons ainsi aux trois composantes des cycles d’apprentissage que la recension nous a permis de mettre en évidence : la composante pédagogique, la composante organisationnelle et la composante professionnelle. Cette base nous permettra d’étudier la mise en place des cycles d’apprentissage, d’en apprécier la portée et, ultimement, l’efficacité, en ce qui a trait à l’apprentissage des élèves.

Les définitions données par les chercheurs aux cycles d’apprentissage

Perrenoud est probablement l’auteur le plus prolifique sur les cycles d’apprentissage. Pour lui, les cycles d’apprentissage sont :

[…] de nouveaux « espaces-temps de formation », censés favoriser une plus grande égalité devant l’école à travers :

  • une pédagogie différenciée, fondée sur une évaluation formative ;

  • des parcours de formation diversifiés.

2002, p. 35

Le même auteur considère les cycles d’apprentissage comme une nouveauté en ce qu’ils remplacent la structure actuelle de fonctionnement basée sur les années scolaires. En effet, les cycles d’apprentissage ont une dimension temporelle : ils reposent sur plus d’une année scolaire, s’appliquent souvent au primaire et au secondaire (à tout le moins jusqu’à la neuvième année d’école) et leur durée peut varier d’un système d’éducation à l’autre, et à l’intérieur même des systèmes d’éducation (par exemple, au primaire : deux ans au Québec ; deux et trois ans en France ; deux et trois ans dans les classes multiâge, aux États-Unis ; trois ans en Belgique ; quatre ans à Genève ; quatre ans, deux ans et trois ans au Portugal ; quatre et cinq ans en Suède). En fait, la durée a peu d’importance. Ce qui compte avant tout, c’est de rompre avec le découpage des apprentissages sur une base annuelle (Tardif, 2000).

Ainsi, Tardif (2000) considère les cycles d’apprentissage comme une rupture avec le passé. En effet, bien que les cycles d’enseignement existent depuis longtemps dans les écoles du Québec, ceux-ci correspondaient toutefois à une logique différente de celle des cycles d’apprentissage, car il s’agissait essentiellement d’une structure administrative prenant en compte l’organisation du travail du personnel enseignant, mais sans aucun rapport avec la dynamique de l’apprentissage des élèves. D’ailleurs, selon lui, ces cycles ne pouvaient avoir de sens pour les élèves.

Tardif conçoit aussi que passer des années scolaires aux cycles d’apprentissage représente bien plus qu’un changement de structures. Ce changement est une conséquence nécessaire de l’application de l’approche par compétences. En effet,

[…] dans le cadre de programmes d’études axés prioritairement sur le développement de compétences, les années scolaires correspondent à une organisation qui ne permet pas de rencontrer, sur le plan des apprentissages, les exigences du développement de compétences.

2000, p. 18

Pour souligner que le cycle d’apprentissage n’est pas que la simple juxtaposition d’années scolaires, il le décrit ainsi :

[…] un cycle d’apprentissage constitue une étape unifiée dans le parcours scolaire de l’élève, cette étape n’est pas divisible en années et elle contient des objectifs d’apprentissage définis d’une manière spécifique en rapport avec la fin du cycle concerné.

p. 18

Tardif a aussi effectué des travaux avec un groupe de travail des commissions scolaires de la région Laval-Laurentides-Lanaudière (Comité régional de recherche-action sur l’organisation pédagogique des cycles d’apprentissage, 2002). Ce groupe de travail a formulé la définition suivante des cycles d’apprentissage :

[…] une structuration pluriannuelle du parcours scolaire des élèves qui met l’apprentissage au centre de toute action pédagogique et didactique et qui exige, de la part des enseignants, une gestion collégiale et différenciée des situations d’apprentissage, des situations d’évaluation et du regroupement des élèves.

p. 9

Non seulement les cycles ne constituent pas une juxtaposition d’années scolaires, mais ils deviennent un outil pour l’action pédagogique, susceptible de favoriser l’apprentissage des élèves.

Lafortune (2004a), de son côté, a mis sur pied une recherche-formation-intervention avec une trentaine d’enseignants et d’accompagnateurs oeuvrant dans neuf écoles primaires québécoises. Cette recherche a vu le jour à la suite d’une réflexion des équipes-écoles sur le concept de cycle d’apprentissage et sur la nécessité, pour les enseignantes de ces écoles, de se regrouper en équipes cycles pour développer ensemble des moyens de mettre en place de véritables cycles d’apprentissage.

Dans le cadre de ces travaux, la chercheuse a utilisé une approche socioconstructiviste avec ces divers intervenants, pour les amener à élaborer une définition du cycle d’apprentissage. Elle constate que plusieurs définitions du cycle d’apprentissage convergent, mais elle note cependant une difficulté dans la définition du concept même de cycle d’apprentissage : Aucune ne relève directement le lien entre le cycle d’apprentissage et le travail des équipes responsables de son organisation (2004a, p. 52).

D’ailleurs, l’équipe de recherche-formation-intervention a produit, à partir de travaux de recherche documentaire et de réflexion, une définition de travail du cycle d’apprentissage, qui se lit comme suit :

Un cycle d’apprentissage est une structure pluriannuelle souple qui vise le développement continu de compétences chez les élèves d’âges et de cheminements différents. Le cycle se termine par un bilan des apprentissages et des compétences développées par chacun des élèves.

Lafortune, 2004a, p. 55

Les travaux de Perraudeau (1999) se rattachent directement aux changements institués par le ministère français de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports (1991). Pour ce chercheur, le cycle rend possible une progression souple des apprentissages, à la place des cloisonnements et des ruptures :

Le concept de cycle porte en lui l’idée d’une succession dans un ordre déterminé et cohérent, […] d’une évolution articulée dans une structure d’ensemble. Il s’oppose à un fonctionnement basé sur la fragmentation et le morcellement.

1999, p. 37

En termes pédagogiques, il définit le cycle comme un regroupement d’apprenants répondant à des attentes et des besoins intellectuels communs (p. 157). En ce sens, il repose plutôt sur le développement de l’élève que sur le critère de l’âge.

Comme Tardif (2000) et Perrenoud (2002), Perraudeau soutient que le concept de cycle d’apprentissage apporte du nouveau à l’éducation :

L’innovation la plus forte touche aux adaptations structurelles. En remettant en cause, pour la première fois dans l’histoire de l’Éducation nationale, la succession des classes selon un découpage annuel systématique, basé sur la maturation, le législateur admet que le maturationnisme en vigueur devient caduc. Le constructivisme est reconnu comme principe théorique pédagogique.

1999, p. 116

Pour sa part, en ce qui a trait aux cycles d’apprentissage, en Belgique, Pirard (2000) considère les cycles comme un outil au service de l’apprentissage des élèves et souligne que leur mise en place constitue un bouleversement :

L’organisation de l’école en cycles ne permet plus de considérer l’année scolaire comme un élément structurel de l’organisation scolaire. Désormais, c’est le cycle qui constitue la plus petite unité pédagogique du continuum pédagogique. Ce bouleversement représente bien plus qu’une simple réforme de structure : c’est un moyen mis en place pour rendre optimale la possibilité qu’aura l’élève de développer des compétences.

p. IV

Selon Perrenoud, plusieurs pédagogues, un peu partout dans le monde, se sont déjà montrés conscients de l’absurdité de découper des apprentissages fondamentaux en d’aussi brèves étapes (2002, p. 1). C’est en partie pour cette raison que les cycles sont apparus. D’une durée plus longue, ils permettent, rappelons-le, d’éviter le morcellement de l’apprentissage. Perraudeau (1999) retrace aussi l’origine des cycles dans l’abolition du cloisonnement des élèves en unités annuelles.

Dans les faits, outre cette rupture structurelle avec les années scolaires, le cycle d’apprentissage n’est rien en soi : ce n’est qu’une structure, une coquille vide. Le cycle d’apprentissage ne possède pas de vertus propres : tout dépend de ce qu’on y met (Perrenoud, 1998). Tout dépend des intentions qu’on poursuit et des moyens qu’on met en oeuvre. Comme le souligne Perraudeau (1999), le cycle d’apprentissage devrait permettre, à tout le moins, d’éviter de baliser le processus d’apprentissage d’obstacles inutiles. Cependant, cela ne suffit pas. Introduire le fonctionnement par cycles d’apprentissage dans une école n’a de sens que si l’intention qui le porte est claire : lutter contre l’échec scolaire et favoriser la réussite de tous les élèves (Perraudeau, 1999 ; Perrenoud, 2002). En fait, si on veut que les changements proposés en éducation aient un réel effet sur ce qui se passe dans la classe et permettent aux élèves de mieux apprendre, le cycle d’apprentissage doit être un outil au service de l’apprentissage. Pirard (2000) va dans le même sens : plus qu’une simple réforme de structure, le cycle d’apprentissage lui apparaît comme un moyen important mis en place pour favoriser l’apprentissage des élèves. C’est un outil au service du projet démocratique de faire réussir tous les élèves.

Perrenoud (1997) soutient aussi que la mise en place des cycles constitue plus qu’une réforme de structure. Il distingue trois types de réformes. Les réformes du premier type qui ne s’attaquent qu’aux structures des organisations scolaires, alors que les réformes du second type portent sur les programmes scolaires. Les réformes de troisième type vont plus loin en s’attaquant ouvertement à ce que vivent les élèves et les enseignants au jour le jour, donc au rapport pédagogique, aux pratiques et aux cultures professionnelles. Voici comment Perrenoud l’exprime :

Ne nous y trompons pas. L’introduction des cycles d’apprentissage est une réforme du troisième type, quand bien même elle se présente en surface comme une réforme de structure et de curriculum. C’est en fin de compte les pratiques professionnelles, le travail des enseignants, qu’il s’agit de transformer. Les valeurs, les attitudes, les représentations, les connaissances, les compétences, l’identité et les projets des uns et des autres sont donc décisifs.

1997, p. 162-163

Cette position de Perrenoud, de même que les définitions des cycles d’apprentissage que nous avons citées précédemment, invitent à dépasser le seul aspect structurel et mettent en relief leur aspect temporel. En effet, Perrenoud (2002) définit le cycle comme un espace-temps de formation ; Perraudeau (1999) le présente comme une succession dans un ordre déterminé et cohérent, succession qui s’oppose au morcellement et au critère de l’âge ; Pirard (2000) voit dans le cycle la plus petite unité pédagogique du continuum pédagogique ; Tardif (2000) considère les cycles comme une étape unifiée dans le parcours scolaire de l’élève, alors que son groupe de travail (Comité régional de recherche-action sur l’organisation pédagogique des cycles d’apprentissage, 2002) en fait une structuration pluriannuelle du parcours scolaire ; enfin, Lafortune (2004a) et son groupe de travail envisagent les cycles comme une structure pluriannuelle souple. En somme, l’organisation des cycles devrait permettre de créer une unité de temps souple pour structurer les parcours des élèves. Mais, une question se pose : Quelles composantes des cycles doit-on mettre en place pour arriver à créer cette unité de temps souple ?

Les trois composantes des cycles d’apprentissage

L’examen des écrits des chercheurs qui se sont penchés sur le cycle d’apprentissage (entre autres, Perraudeau, 1998 ; Perrenoud, 2000 ; Tardif, 1999) nous permet de mettre en relief le fait que ce concept a nécessairement une composante pédagogique. Cette composante se rattache, selon nous, à l’impossibilité, maintenant reconnue, de créer des groupes d’élèves qui soient homogènes, et à la nécessité qui en découle, de différencier la pédagogie et les apprentissages. L’organisation par cycles a aussi une composante organisationnelle qui a surtout trait aux modes de formation des groupes d’élèves (autrement dit, enseignement en années, bouclage, multiâge, décloisonnement), ainsi qu’une composante professionnelle ayant rapport à la collaboration, au travail collectif des enseignants et à la prise en charge collégiale des élèves.

La composante pédagogique

Pour Perrenoud, les cycles doivent nécessairement avoir une composante pédagogique, par la transformation des pratiques pédagogiques et par la mise en place d’une pédagogie différenciée, fondée sur une évaluation formative (2002, p. 35). Cette organisation par cycles d’apprentissage permettra en outre de tenir compte du temps nécessaire au développement des compétences. Perrenoud (2002) y associe aussi une pédagogie différenciée, fondée sur une évaluation formative. De plus, il soutient que l’apparition des cycles est en partie due à la volonté de ne plus morceler[1] les apprentissages, les étapes dans lesquelles les apprentissages fondamentaux étaient découpés étant trop brèves. Enfin, il effectue une mise en garde : la mise en place des cycles sans changement pédagogique peut être néfaste :

Créer des cycles sans rien changer dans les fonctionnements pédagogiques et didactiques, dans l’évaluation, dans la conception des objectifs, dans la coopération entre enseignants, peut aggraver les inégalités, en raison même de l’éloignement des échéances.

Perrenoud, 2002, p. 17

C’est pourquoi il place les cycles au centre de son propos en les reliant toujours à d’autres éléments essentiels du système comme le curriculum, l’évaluation, l’organisation du travail, les dispositifs de différenciation, les approches didactiques, la coopération professionnelle, les projets d’établissement et le développement professionnel des enseignants.

Tardif (2000) met également en relief la composante pédagogique (développement de compétences, objectifs de fin de cycle) des cycles d’apprentissage. Les cycles d’apprentissage deviennent même nécessaires lorsqu’on adopte une logique du développement des compétences, comme on l’a fait dans le Programme de formation de l’école québécoise (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001). Pour ce chercheur aussi, les cycles sont au service du développement des compétences. Par ailleurs, ce sont les exigences développementales de chacune des compétences rattachées à ce cycle qui devraient en déterminer la durée (Tardif, 1999). Il précise en outre que l’étape que constitue un cycle doit contenir des objectifs d’apprentissage reliés à la fin du cycle. Avec son équipe de travail (Comité régional de recherche-action sur l’organisation pédagogique des cycles d’apprentissage, 2002), Tardif place clairement l’apprentissage au centre de toute action pédagogique, et les cycles comme outil structurel de cette action.

Enfin, Perrenoud et Tardif insistent tous deux pour placer le développement des compétences au centre de cette composante pédagogique. En fait, développer et surtout observer le développement de compétences ne peut se faire que sur une période de temps plus longue que l’année scolaire. C’est là un des arguments pour que les cycles soient pluriannuels : avoir assez de temps pour pouvoir observer le développement des compétences.

Comme les autres, Perraudeau (1999) identifie clairement l’aspect pédagogique des cycles : ces derniers n’existent pas sans la différenciation pédagogique, un second aspect pédagogique également nommé par Perrenoud et par plusieurs autres. En fait, il considère les cycles comme une réponse organisationnelle, structurelle, à la nécessité de différencier la pédagogie, elle-même issue du constat de l’impossibilité de l’homogénéité des groupes d’élèves (p. 1), position assez semblable à celle de Tardif et de son équipe de travail (Comité régional de recherche-action sur l’organisation pédagogique des cycles d’apprentissage, 2002), ainsi que celle de Perrenoud (2002).

De son côté, Pirard (2000) soutient que sans des transformations et des adaptations aux pratiques pédagogiques quotidiennes, les cycles ne sont rien, puisqu’ils se limitent à reproduire les façons de faire du passé et à sanctionner en fin de cycle plutôt qu’en fin d’année (p. VIII). Elle insiste donc, elle aussi, sur l’aspect pédagogique des cycles, en ce qu’ils constitueraient un espace susceptible de favoriser la différenciation des apprentissages.

Gather Thurler (2000 ; 2005) signale la nécessité de différencier la pédagogie sans toutefois décrire ce que cela suppose. La formation qui permettra aux enseignants d’y parvenir devra cependant se faire en équipe de cycle (Gather Thurler, 2000). C’est ce qu’appuient les travaux de Lafortune (2004a ; 2004b), dans lesquels justement la composante pédagogique se démarque aussi. En effet, pour parvenir à mettre en place un cycle d’apprentissage, le développement professionnel des enseignants et des autres professionnels oeuvrant dans et avec les équipes cycles, porte explicitement sur les conceptions de l’apprentissage et sur les pratiques pédagogiques mises en place par les enseignants. Plusieurs des outils développés par Lafortune et ses collaborateurs s’y rapportent directement : les enseignants travaillent en collaboration afin d’enrichir leurs conceptions de l’apprentissage et d’améliorer leurs pratiques pédagogiques ; et cela afin de favoriser le développement de compétences chez les élèves (Lafortune, 2004b).

Tout comme Perrenoud et Tardif, Lafortune (2004a) associe les cycles au développement de compétences. En plus des objectifs de fin de cycles proposés par Tardif (2000), elle souligne la nécessité d’établir un bilan des apprentissages en fin de cycle.

L’apprentissage au centre des actions pédagogiques et didactiques, la différenciation de la pédagogie et des apprentissages, l’évaluation formative, le développement de compétences, les objectifs de fin de cycle et le bilan de fin de cycle, tels sont les éléments qui ressortent des écrits consultés et qui constituent, en fait, la composante pédagogique. Ils nécessiteraient d’être opérationnalisés.

La composante organisationnelle

Rompre avec le fonctionnement traditionnel en années implique des modifications importantes à l’organisation de l’école. Si les années ne comptent plus, quelle sera la durée des cycles ? Comment déterminera-t-on cette durée ? Comment formera-t-on les groupes d’élèves, surtout lorsqu’on veut prendre en compte les divers éléments de la composante pédagogique ? Quelle sera la durée de vie des cycles ? Dans ses nombreux écrits sur le sujet, Perrenoud ne précise pas les formes que peuvent prendre les cycles. Il croit cependant que cette organisation devrait favoriser la continuité :

Si l’on confie un cycle d’apprentissage à une véritable équipe, ces discontinuités et ces incohérences devraient s’amenuiser, les élèves devraient passer quelques années avec des règles du jeu et des styles pédagogiques relativement stables, mettant leurs énergies à apprendre plutôt qu’à s’adapter, d’année en année, aux particularités changeantes et contradictoires des enseignants.

2002, p. 11-12

Cette citation donne un avant-goût des transformations professionnelles qui seront aussi requises et que nous aborderons plus loin. Pour ce qui est de l’organisation, Perrenoud (2002) évoque certains modes de formation des groupes d’élèves (ex. : suivre les élèves deux ans ou davantage, classes multiâges, gestion coopérative d’un cycle, etc.), sans toutefois les préciser. Il voit également l’introduction des cycles d’apprentissage comme une aide aux systèmes éducatifs contemporains, […] en train de prendre quelque distance avec la classe comme mode prédominant de groupement des élèves […] (2002, p. 175).

Pirard (2000) décrit diverses formules d’organisation en cycles : l’accompagnement des élèves à l’intérieur d’un cycle (looping ou bouclage), le multiâge ou l’enseignement par années, ainsi que le regroupement souple d’élèves. Elle ajoute que chaque école choisit la façon d’agir qui lui convient le mieux. Cependant, cette chercheuse met en garde les écoles contre le fait de considérer le cycle comme le seul mode de regroupement des élèves :

Attention ! L’organisation de l’école en cycles et la mise en oeuvre de pédagogies différenciées ne peuvent en aucun cas servir de prétexte à la mise en place de groupes de niveaux permanents. Ces groupes se situent à l’exact opposé de l’esprit de la réforme. Ils témoignent de la difficulté, voire du refus, de gérer l’hétérogénéité des classes et constituent un détournement pur et simple des objectifs de l’école de la réussite.

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Déjà Perraudeau (1999) et Collignon (1997) présentaient les mêmes formules que celles décrites par Pirard (2000) et proposées dans la réforme française (Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, 1991) : une répartition des élèves selon les âges (enseignement en années), un maître responsable d’une cohorte d’enfants (looping ou bouclage), une classe à plusieurs cours (multiâge) et des décloisonnements. Ici aussi, le choix appartient à l’établissement, et doit être validé dans un projet d’école.

Par ailleurs, de nouvelles formes organisationnelles apparaissent pour regrouper les élèves (Tardif, 1999). Étant donné que les cycles ne constituent pas une simple juxtaposition d’années scolaires et ne sont pas divisibles en années, l’auteur fait référence à des modes de regroupements d’élèves comme le looping (bouclage[2]) et le multiyear teaching (multiâge) des États-Uniens (Tardif, 1999, p. 151). Le Comité régional de recherche-action sur l’organisation pédagogique des cycles d’apprentissage (2002) va dans le même sens, en utilisant le vocable structuration pluriannuelle pour mettre en évidence la composante organisationnelle des cycles d’apprentissage. On y fait aussi référence aux modes de regroupement des élèves.

En évoquant une structure souple ainsi que des élèves d’âges et de cheminements différents, la définition des cycles d’apprentissage donnée par Lafortune et son équipe (2004a) renvoie à la composante organisationnelle des cycles d’apprentissage. Cependant, leurs travaux ne précisent pas les formes organisationnelles que prendra le travail par cycles (Lafortune, 2004a ; 2004b).

Gather Thurler (2005) reconnaît les changements structurels apportés par les cycles d’apprentissage. Pour elle, le passage de la classe aux groupes flexibles constitue l’une des transformations importantes de l’organisation et de la planification du travail. Elle demeure cependant imprécise quant aux formes organisationnelles que prendront les cycles d’apprentissage. Tout au plus mentionne-t-elle l’arrivée d’une large gamme de modalités organisationnelles. Néanmoins, la grille horaire de l’école constitue, selon elle, une des modalités organisationnelles à assouplir en priorité.

L’importance de la composante organisationnelle des cycles d’apprentissage est reconnue de tous, même si bien peu l’ont cernée. On s’entend cependant pour dire que les cycles d’apprentissage se mettront en place dans une organisation scolaire plus souple, où l’année scolaire ne sera plus la seule référence. Ces aspects organisationnels comprennent essentiellement les regroupements des élèves et les modes de formation des groupes d’élèves, afin de favoriser un suivi de leur apprentissage. On parle par exemple de regrouper les élèves par âge, comme cela se fait actuellement ou encore de suivre les élèves deux ans ou plus, de créer des groupes multiâges et cela, afin de permettre un décloisonnement (Collignon, 1997 ; Perrenoud, 2002 ; Pirard, 2000 ; Tardif, 2000).

D’autres éléments de l’organisation en cycles d’apprentissage ont aussi été mis en évidence comme la durée des cycles (Perrenoud, 2002) et la grille horaire de l’école (Gather Thurler, 2005), mais sans que ces éléments aient été précisés. En fait, bien qu’il existe des propositions quant à la composante organisationnelle des cycles d’apprentissage, l’opérationnalisation de celle-ci reste à faire. Elle servirait à jeter des bases pour pouvoir étudier les modèles choisis par les écoles.

La composante professionnelle

Comme nous l’avons déjà vu dans certains extraits, les cycles d’apprentissage supposent un mode de travail collectif des enseignants, et c’est ce qui constitue l’essence de la composante professionnelle. En effet, l’étendue et la complexité de la tâche dévolue aux enseignants rendent nécessaires la collaboration et la mise en commun des compétences. Pour Lessard (2005), le travail collectif des enseignants est même désormais une norme québécoise, en voie de devenir une norme internationale.

Lafortune insiste d’ailleurs sur cette composante et associe nettement les cycles au travail d’équipe des enseignants. Elle en fait même une condition de la mise en oeuvre des cycles d’apprentissage. La recherche-formation-intervention qu’elle mène porte d’ailleurs principalement sur le travail en équipe-cycle. C’est là que cette recherche trouve clairement son ancrage :

[…] la conviction du milieu scolaire que le travail en équipe-cycle est essentiel à une implantation de cycles d’apprentissage dans les écoles et l’anticipation de difficultés à instaurer le travail en équipe-cycle entre collègues.

2004a, p. 10

Lafortune (2004a) oriente donc d’abord ses travaux sur la formation des équipes cycles, sur l’apprentissage de leur fonctionnement et sur le développement professionnel qui en résulte.

Perrenoud abonde dans le même sens. Il ne conçoit pas les cycles sans le travail d’équipe des enseignants :

Les vertus d’un cycle d’apprentissage pluriannuel ne se manifesteront donc que lorsqu’une équipe pédagogique aura dominé la complexité du système et les difficultés de la coopération professionnelle.

2002, p. 10

Il poursuit en écrivant : Il n’y aura de réelle rupture dans l’organisation du travail que si le système [scolaire] confie à une équipe pédagogique un plus vaste ensemble d’élèves (2002, p. 174).

Au Québec, sous l’impulsion de Tardif, le Comité régional de recherche-action sur l’organisation pédagogique des cycles d’apprentissage (2002) reconnaît aussi la composante professionnelle dans la gestion (qu’il veut collégiale) d’un ensemble d’aspects du cycle. Tardif met aussi en évidence la dimension collégiale de la prise en charge des élèves. Il identifie aussi les responsabilités associées à cette gestion collégiale du parcours des élèves en faisant ressortir l’aspect coopératif de telles responsabilités (Tardif, 2000).

De son côté, Gather Thurler (2000, 2005) met en lumière l’impact des cycles d’apprentissage sur le travail des enseignants. Elle insiste d’ailleurs pour lier les cycles au travail collectif des enseignants :

En associant les cycles d’apprentissage à une plus grande autonomie des équipes pédagogiques au regard de l’organisation du travail et du choix des méthodes pour amener les élèves à atteindre les objectifs visés, en contraignant ces équipes à répondre collectivement de l’efficacité de leur action, leurs défenseurs font le pari que ce mode d’organisation de l’école contribue à moyen ou à long terme à assurer une meilleure réussite des élèves.

Gather Thurler, 2000, p. 27

Non seulement fait-elle du travail d’équipe des enseignants une condition sine qua non de l’organisation par cycles d’apprentissage, mais elle souligne aussi la responsabilité collective de cette équipe d’enseignants à l’égard des élèves du cycle. Les cycles, selon elle, obligent les enseignants à assurer collectivement le développement des compétences définies dans les nouveaux programmes de formation (Gather Thurler, 2005).

Tardif, Perrenoud et Gather Thurler s’entendent donc pour cibler un des éléments du travail collectif : l’équipe enseignante prend en charge un groupe d’élèves et les enseignants qui la composent en sont coresponsables.

Perraudeau (1999) insiste aussi sur l’aspect professionnel en rapportant la mise en place de cycles trisannuels confiés à une équipe de maîtres. Pirard (2000) aussi considère la prise en charge collective des élèves comme essentielle : Dans les cycles d’apprentissage, la prise en charge des élèves devient collective, ce qui implique le partage des tâches et des responsabilités. Et rend donc la concertation indispensable (p. X).

Elle décrit aussi les changements que cela entraîne dans le métier d’enseignant qui, d’individuel, devient collectif. Elle fait en outre ressortir les conditions favorables au travail en équipe des enseignants.

Comme nous avons essayé de le faire ressortir, la composante professionnelle est une autre composante incontournable des cycles d’apprentissage. Elle souligne la nécessité du travail d’équipe et de la collaboration entre enseignants (Gather Thurler, 2000 ; Lafortune, 2004a), mais elle fait plus largement référence au travail collectif des enseignants dans l’école (Gather Thurler, 2005 ; Lessard, 2005) et à la collégialité dans le suivi d’un vaste ensemble d’élèves sur l’ensemble d’un cycle (Perrenoud, 2002 ; Tardif, 1999) ou à la prise en charge collective des élèves (Pirard, 2000). Lafortune (2004a) axe ses travaux sur l’équipe-cycle, indiquant clairement que le cycle et l’équipe sont indissociables. Ses travaux de recherche permettent d’ailleurs de voir en détail comment se construit une équipe-cycle.

En bref, la composante professionnelle est de première importance en ce qu’elle touche l’organisation même du travail enseignant, le faisant passer d’un travail individuel dans sa classe, à un travail en équipe, dans le contexte d’une responsabilité collective d’un grand groupe d’élèves.

L’impact des cycles d’apprentissage sur l’organisation du travail des élèves

Par ailleurs, Tardif (1999) fait ressortir un aspect des cycles qui n’est pas apparu jusqu’ici dans la documentation : leur impact sur l’organisation du travail des élèves. Bien que cette affirmation reste à explorer, on ne peut nier l’intérêt d’étudier cet impact. C’est pourquoi, sans en faire une composante des cycles, nous trouvons important de souligner cet aspect et considérons que la recherche sur les cycles d’apprentissage devra aussi en tenir compte.

Si les cycles d’apprentissage sont mis en place dans une logique du développement des compétences, les conditions dans lesquelles les élèves apprendront devraient être différentes.

Un autre changement majeur pour les élèves a trait au fait qu’ils doivent investir dans des projets à long terme, étant donné l’impossibilité de développer des compétences dans un cadre d’exercices morcelés ou de savoirs fragmentés.

Tardif, 1999, p. 154

Tardif adhère, lui aussi, à l’hypothèse selon laquelle scinder un contenu d’apprentissage en plus petites parties ne favorise pas l’apprentissage. Selon lui, les cycles d’apprentissage transformeront la façon de présenter les savoirs aux élèves. Il cite d’autres impacts des cycles d’apprentissage sur l’organisation du travail des élèves. Il note en particulier l’impact des changements des pratiques d’évaluation des enseignants sur les attitudes des élèves :

Enfin, la diminution de la fréquence des évaluations sommatives – formellement, elles devraient être concentrées à la fin d’un cycle – correspond à un changement remarquable étant donné les pressions qui entourent maintenant les évaluations de ce type dans l’école.

1999, p. 154

À notre avis, il est important d’étudier l’impact des cycles sur l’organisation du travail des élèves parce qu’il peut devenir un indice de la mise en place des cycles d’apprentissage. Cela pourrait être un indice de la composante pédagogique (changements dans les types et les formes des situations d’apprentissage présentées aux élèves), ou un indice de la composante organisationnelle (demeurer avec le même enseignant durant plus d’une année, faire partie d’un groupe multiâge), ou encore de la composante professionnelle (avoir l’occasion de travailler avec plusieurs enseignants, avoir plus d’un enseignant pour guider et pour aider l’élève).

Conclusion

L’examen des ouvrages et des travaux majeurs portant sur l’organisation par cycles d’apprentissage a permis de constater que les définitions données par les chercheurs convergent en ce qui a trait à l’aspect de l’unité de temps des cycles. Cependant, ces définitions manquent de précision et rendent plus difficile l’étude de la mise en place des cycles d’apprentissage dans les écoles ainsi que de leur impact sur la vie de l’école et sur l’apprentissage des élèves.

Nous avons tenté ici de préciser le concept de cycles d’apprentissage et il nous apparaît que, du point de vue des auteurs consultés, trois composantes incontournables les caractérisent : la composante pédagogique, la composante organisationnelle et la composante professionnelle. L’implantation des cycles dans les écoles devrait donc prendre en compte ces trois aspects, puisqu’ils sont considérés comme fondamentaux.

De même, il faudrait effectuer une étude sur l’implantation des cycles dans les écoles primaire du Québec, puisque cette implantation a débuté en 2000 et que les cycles d’apprentissage devraient théoriquement être mis en place, à l’heure actuelle. Cependant, comme nous ne pouvons pas considérer qu’ils sont déjà en place, il serait justifié de vérifier le degré d’implantation des cycles dans les écoles primaires.

Une telle étude pourrait aussi prendre en compte les trois composantes de l’organisation par cycles d’apprentissage. Pour y arriver, un effort d’opérationnalisation du concept devrait être entrepris, dans l’esprit des travaux de Lafortune (2004a), de Landry-Cuerrier (2004) et de Lessard (2005), pour ce qui est de la composante professionnelle, et dans la veine des travaux de Rey et collab. (2003) et des propositions avancées par Archambault et Richer (2007), en ce qui a trait aux composantes organisationnelles et pédagogiques.