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La fondation de l’Association des études sur la radio-télévision canadienne (AERTC) en 1978 et la création, trois ans plus tard, du Concordia Centre for Broadcasting Studies par Howard Finck, sont en grande partie à l’origine du développement des recherches sur la radio. La diffusion des travaux fut assurée de 1993 à 2004 par la revue Fréquence/Frequency qu’a fondée et dirigée pendant ces dix années Pierre Pagé, alors professeur associé à l’UQÀM et membre-fondateur de l’AERTC. Que de chemin parcouru par ce chercheur depuis la parution chez Fides en 1975 de son premier ouvrage, Répertoire des oeuvres de la littérature radiophonique 1930-1970, suivi, l’année suivante, d’une première analyse de contenu, publiée conjointement avec Renée Legris (qui se spécialisera par la suite sur les écrivains radiophoniques) : Le comique et l’humour à la radio québécoise : aperçus historiques et textes choisis, 1930-1970.

Pierre Pagé a publié en effet, à partir de 1993, une dizaine d’articles sur le développement de la radio au Québec dont on retrouve une première synthèse dans le présent volume, illustré de 18 pages de photographies qui donnent vie aux personnages principaux. Une bibliographie, une chronologie détaillée et un index complètent la présentation. Si les ouvrages de référence de Michael Nolan (1989), Mary Vipond (1992 et 1994), Marc Raboy (1996) et Alain Canuel (2002) analysent davantage les décisions politiques entourant la création d’une radio d’État et les réactions épidermiques de la radio privée, selon des périodes définies, le travail de Pierre Pagé a le mérite d’explorer en profondeur et de manière thématique l’ensemble du phénomène radiophonique au Québec.

Dans son avant-propos, l’auteur précise d’abord les limites de cette étude. Ainsi, seule la région de Montréal sera retenue, et seront exclues de cette histoire la radio anglophone, les émissions de variétés, la publicité, les émissions enfantines et la radio scolaire. Il explique brièvement, avant d’entrer dans le vif du sujet, comment s’est effectué le passage d’une radio culturelle (publique et privée) au service du public durant cinquante ans (1930-1980) à une radio (et télévision) purement commerciale relevant désormais, depuis 1980, des critères de l’industrie et de la rentabilité. Commence alors le récit de l’aventure radiophonique québécoise.

Divisée en cinq parties, l’étude présente d’abord un survol de l’histoire des technologies qui ont permis l’avènement de ce nouveau média. L’auteur souligne l’importance des chercheurs de l’Université Laval dans les premières expériences de la TSF ainsi que la présence de pionniers de la recherche à Nicolet et à Saint-Hyacinthe. Il mentionne que les éléments de base de la TSF étaient enseignés dans les académies scientifiques et commerciales, rappelant au passage que, dans les années vingt, outre les vingt collèges classiques existant au Québec qui recevaient environ 8 000 élèves, il y avait, ce qu’on oublie trop souvent, plus de 200 académies offrant l’équivalent d’un cours secondaire avancé à plus de 60 000 élèves. On y apprend aussi que durant les sept premières années (1922-1929), différents postes se partageaient une seule longueur d’ondes, 411 mètres, et que la programmation était bilingue. Et pourtant, on persiste à dire que le poste CKAC a été la première station francophone… Bien que l’auteur n’y fasse aucune allusion, cette partie consacrée au bilinguisme de la station (pages 220-235) nous semble vouloir réfuter certains arguments de Michel Filion qui défendait dans Radiodiffusion et société distincte : des origines de la radio jusqu’à la Révolution tranquille au Québec (Laval, Méridien, 1994) la thèse selon laquelle l’unilinguisme francophone de cette station l’aurait protégée de l’américanisation.

Dans les chapitres suivants, l’auteur aborde le sujet de manière chronologique et thématique, consacrant des analyses substantielles aux quatre secteurs privilégiés par la radio : l’information, l’éducation, la musique et le théâtre. Selon l’angle chronologique, l’auteur donne un poids relativement plus important aux événements de la station CKAC pour la période située avant 1950, période à laquelle il a consacré la majeure partie de ses recherches, alors que l’analyse des années subséquentes cible principalement les activités de la Société Radio-Canada et collige avant tout des données recueillies dans l’hebdomadaire La Semaine à Radio-Canada. L’angle thématique accorde, quant à lui, au chapitre sur l’histoire des services de l’information et du reportage un espace substantiel couvrant la période de 1922 à 2000 (140 pages), alors que la mission éducative de la radio pour la même période vient en second (104 pages), réservant à la musique (60 pages) et au théâtre (46 pages) quelques rappels de faits et de noms importants.

Une excellente synthèse donc pour un lecteur qui cherche à établir un premier contact avec l’histoire radiophonique au Québec. Mais, pour quiconque souhaiterait approfondir les analyses de Pierre Pagé, la présentation des sources pose des problèmes importants.

Tout d’abord, tant dans l’avant-propos que dans l’introduction, l’auteur passe sous silence la méthodologie qu’il a utilisée, une information essentielle qui aurait permis au lecteur de suivre la démarche intellectuelle qui a nourri cette recherche. Pagé énumère les sources générales dont il s’est servi, mais aucune mention spécifique quant à la pertinence ou à la valeur singulière de l’une ou de l’autre ne retient l’attention : volumes, articles, souvenirs, centres d’archives (aucun fonds spécifique n’est mentionné), entrevues, sont ainsi présentées en vrac dans la bibliographie. À l’exception de la revue La Semaine à Radio-Canada (1950-1985), rien n’indique que l’auteur ait systématiquement répertorié les quotidiens de l’époque. Et pourtant, les références y font constamment allusion en cours de route. A-t-il dégagé des thématiques d’un inventaire préalablement construit à partir des grilles horaires publiées dans les journaux, ou a-t-il procédé à l’inverse, choisissant d’abord une thématique pour ensuite répertorier quelques informations dans les journaux ?

Autre problème : la présentation des références citées dans les notes de bas de page manque de rigueur et la lecture demeure parfois incompréhensible. Par exemple, la note 2 de la page 28 se lit ainsi : L’année 1922 est attestée par plusieurs sources, principalement les archives gouvernementales, et W. Hopkins, « History of Canadian Marconi » (Archives de Canadian Marconi, 1960, p. 19). Que dire alors de la précision des sources archivistiques ? On trouve des documents au Service des archives de l’UQTR, peut-on lire page 46, note 12. Sans parler bien sûr des nombreuses allusions à des fonds d’archives non localisés (Archives de la famille Dupont, page 79, note 21) ou tout simplement, passés sous silence. À titre d’exemple, le chapitre consacré à l’émission L’Heure provinciale (p. 213-217) omet de mentionner les archives consultées pour établir la liste des conférences, information qui ne peut être retracée qu’en consultant l’article original publié en 1995 auquel renvoie l’auteur. Et je ne parle pas du manque d’uniformisation dans la présentation qu’aurait dû exiger l’éditeur pour un livre aussi important sur le sujet.

Enfin, l’organisation de la présentation bibliographique est un irritant majeur pour qui souhaiterait prolonger sa réflexion ou simplement retracer un document. Le blâme s’adresse ici particulièrement aux évaluateurs du manuscrit et à l’éditeur qui, manifestement, n’ont pas fait leur travail. En plus de passer sous silence les fonds d’archives et les journaux consultés, l’auteur a compilé les sources secondaires de façon chronologique ! et sous 13 rubriques ! Je mets le lecteur au défi de retracer la référence exacte et l’année de la note 3 à la page 36. Et c’est sans parler de la moitié des références inscrites en note de bas de page qui n’ont pas été rapportées dans la bibliographie générale. Quand on sait l’utilité que revêt la bibliographie d’un ouvrage de synthèse aussi important pour les futurs chercheurs et le tremplin qu’elle représente pour la suite des recherches, on ne peut que déplorer cette présentation. Pourtant, les modèles ne manquaient pas…

Terminons tout de même sur une note positive. Ces problèmes évoqués ici ne préoccupent qu’une petite poignée de chercheurs. Le lecteur cultivé et intéressé par l’histoire radiophonique n’aura pas à se casser la tête sur la provenance des sources. Il trouvera dans ce livre une très belle histoire, bien racontée et détaillée, d’un aspect peu connu de la vie culturelle du Québec.