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En lisant « Osons imaginer : de la folie à la fierté », le livre de Nérée St-Amand et d’Eugène LeBlanc qui vient d’être publié, j’ai conclu que c’est un pouvoir fou qui se trouve dans les mains de ceux qui ont eu un jour des troubles mentaux et qui en ont été marqués.

J’ai découvert en lisant ce livre une source de libération et d’espoir pour tous ceux qui ont des troubles mentaux et qui se sentent incompris par un système qui les étouffe. C’est une bouffée d’air frais pour ceux qui cherchent à percer l’emprise exercée par le monde médical sur les déséquilibres d’ordre émotif.

Les témoignages émouvants d’un homme, Stephen Inness, et d’une femme, Mary Pengilly, internés au 19e siècle, à l’asile de St-Jean, N.-B., nous transportent dans l’univers psychiatrique d’autrefois. Les auteurs ont tenu à leur rendre hommage en reconstituant leur vie, leurs souffrances, leurs rêves, leurs révoltes et leurs luttes. Ces personnes avaient la volonté de survivre, et gardaient espoir de s’en sortir, dans un monde qui les engouffrait. Plusieurs survivants se reconnaissent en elles et souhaitent poursuivre leur lutte. Le livre fait état d’un cri du coeur qui cherche à se faire entendre.

Les auteurs expliquent brillamment quel est l’état de la psychiatrie du point de vue de ceux à qui les services sont destinés. En fournissant des données historiques sur l’évolution de la psychiatrie au cours des derniers 150 ans, en procédant par la voie de sondages et d’entrevues, puis en recueillant de nombreux témoignages de personnes psychiatrisées, ils brossent un portrait fidèle et vivant de la façon dont la psychiatrie est perçue par les survivants.

Les auteurs nous invitent à adopter un nouvel état d’esprit en ce qui concerne ceux qui sont éprouvés émotivement. Le système psychiatrique a longuement eu la chance de faire ses preuves, mais du point de vue de ceux qui en ont été traités, ils ont été malmenés, même abusés. Ils se considèrent victimes d’un système contrôlant et souvent inhumain qui les dénuait de leur dignité. S’ils ont survécu, c’est grâce à leur esprit combatif, leur force de résister et leur lutte contre l’oppression.

Des approches différentes

Il n’y a pas si longtemps, on croyait que l’asile devait être loin du domicile des gens. Les droits de visite étaient limités et les traitements étaient prodigués par des étrangers. On croyait aussi qu’il fallait faire travailler les psychiatrisés, soi-disant parce que cela contribuerait à changer leur état d’esprit tout en aidant au financement de l’établissement.

Pendant ce temps, le système formel se glorifiait de ses accomplissements, les qualifiant de véritables exploits. La psychiatrie se targuait d’être l’experte en matière de santé mentale, mais les auteurs démontrent, preuves en main, qu’elle a commis des abus sordides depuis 150 ans. On n’enferme plus les patients dans des cages et on ne leur fait plus subir de sévices comme l’étirement des bras dans le but de les punir, mais on les bourre de médicaments plutôt que de les encager.

L’approche des psychiatrisés, quant à elle, est ancrée sur un modèle de débrouillardise/ autonomie. Ils reprochent à la psychiatrie d’être cantonnée dans un modèle de maladie/ dépendance. Les documents tirés des archives démontrent clairement que pendant longtemps, on a traité les citoyens éprouvés émotivement comme des animaux. Les survivants forcent le système établi à refaire ses devoirs et dans ce sens, ils secouent la cage du statu quo.

Une énergie libératrice

En lisant le livre, on découvre des gens passionnément sincères, des personnes à la recherche de liberté qui veulent se libérer d’un système qui les écrase et qui ne les comprend pas. Ils qualifient d’échec le système que l’on a institué pour les desservir. Ce sont des citoyens engagés qui ont décidé de remettre la psychiatrie à sa place et de reprendre leur vie en main. Ils veulent influencer eux-mêmes le cours de leur vie. Finie l’ère des compromis! Ils regardent du côté des pratiques alternatives et réclament plus de ressources à leur disposition. Ils veulent des mécanismes pour les protéger de situations de violence et d’abus, tant en établissement que dans la communauté. La soumission au contrôle des professionnels cède désormais le pas à la contestation. Il est permis d’espérer que de nouvelles politiques et pratiques répondant mieux aux besoins des gens verront le jour au sein du système de santé mentale.

Les auteurs préconisent l’adoption d’une approche radicale où on s’éloigne des institutions et des valeurs traditionnelles pour s’orienter plutôt vers un nouveau modèle d’intervention. Dans cette optique, l’indépendance prédomine sur l’interdépendance. L’objectif des psychiatrisés est de se sentir mieux et devenir de véritables citoyens et la réponse, affirment-ils, se trouve à l’extérieur du système psychiatrique.

Le mouvement des survivants, axé sur l’entraide et non la psychiatrie, fait doucement son apparition, mais il y a encore beaucoup à faire pour passer d’une société où l’on pense qu’il faut prendre en charge ceux qui ont des problèmes émotifs à une société où l’on les traiterait comme des citoyens capables de faire des choix.

Une prise de conscience politique

Les militants au sein des survivants continuent de faire croître le mouvement de libération et d’innover. Ils sont indépendants, respectables et engagés. Ils n’abandonnent pas, ne capitulent jamais. Ils osent penser en dehors des normes. Ils ont assez de détermination pour vouloir reprendre leur vie en main. Ils croient que l’écriture et les paroles venant du coeur peuvent être des leviers de changement formidables. Le mouvement des survivants est né d’une insatisfaction croissante face au système de soins, mais aussi des contradictions qui sautent aux yeux, de professionnels qui ont osé dénoncer des aberrations et l’influence des médias sur l’opinion publique.

Le terme « survivant » est en soi indicateur d’une nouvelle conscience politique. Il exprime une analyse politique, une distance critique et une victoire de la part de ceux qui ont résisté au rouleau compresseur.

La revue « Our Voice/Notre Voix » a réussi depuis 1987 à forcer le débat concernant les services offerts aux citoyens en difficulté. Il encourage, par le récit, les personnes éprouvées à faire part de l’oppression qu’elles subissent.

Les survivants savent bien qu’il n’est pas réaliste d’espérer un jour éliminer les problèmes de santé mentale, mais il est possible d’imaginer un univers différent, d’où le titre du livre qui invite à oser imaginer et réaliser ses rêves. Pour cela, il faut changer les perceptions, les attitudes et les structures. Il faut mettre fin aussi à l’arrogance et au contrôle des professionnels et les rendre plus sensibles à l’égard de la souffrance des gens.

Les auteurs invitent le gouvernement à adopter en matière de santé mentale une politique globale et cohérente qui tiendrait compte non seulement des problèmes de santé mentale, mais aussi des questions de logement, de revenu, de scolarité, d’emploi et d’intégration communautaire qui sont bien souvent des facteurs contributifs.

Le livre, qui compte environ 300 pages, se vend 25 $ l’unité. On peut se le procurer en consultant le site : www.ourvoice-notrevoix.com.