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Les agresseurs sexuels, tant agresseurs de victimes adultes que d’agresseurs d’enfants, ont en général une carrière criminelle qui ne se limite pas aux délits sexuels (Broadhurst & Maller, 1992 ; Hanson, Scott, & Steffy, 1995). Un faisceau de travaux descriptifs, taxinomiques et pronostiques suggère que parmi les délinquants sexuels, les agresseurs de victimes adultes se caractérisent par un nombre plus élevé de délits violents (Rada, 1978 ; Groth, 1979 ; Malamuth, 1986 ; Lowenstein, 1989 ; Prentky & Knight, 1991). Ce même groupe présente un intérêt particulier dans la mesure où il se caractérise par des taux élevés de récidive violente et sexuelle (Harris et al.,1993 ; Quinsey et al., 1995). Les agresseurs d’enfants présentent un degré de spécialisation plus élevé (Boutin, 1999) en commettant plus de délits sexuels. Ils sont en général moins violents, commettent moins de délits non sexuels ainsi que de délits contre la propriété (Soothill, Francis, Sanderson, & Ackerley, 2000). Par ailleurs, ces agresseurs d’enfants sont en général plus âgés (Pham, Debruyne, & Kinappe, 1999 ; Soothill et al., 2000 ).

En Belgique francophone, Pham, Debruyne, et Kinappe (1999) ont comparé les comportements antisociaux de 51 agresseurs de victimes adultes, 46 agresseurs de mineurs extrafamiliaux et 41 agresseurs de mineurs intrafamiliaux incarcérés dans sept prisons belges. Leurs résultats indiquent que les agresseurs de victimes adultes commettent davantage de délits antisociaux que les agresseurs d’enfants extrafamiliaux et intrafamiliaux. En effet, les agresseurs de victimes adultes ont commis un plus grand nombre de délits dont des délits violents (homicide/tentative d’homicide, coups et blessures). Ces mêmes agresseurs sont en moyenne plus jeunes. Par contre, le nombre total de délits non violents (délits de vol et d’escroquerie) ne différait pas entre les trois groupes. Par ailleurs, les agresseurs d’enfants intrafamiliaux et extrafamiliaux ne se différenciaient pas au niveau du nombre total de délits, du nombre de délits violents ainsi que du nombre de délits non violents. Toutefois, les agresseurs d’enfants extrafamiliaux ont agressé davantage des victimes de sexe masculin. Par ailleurs, le niveau de condamnation ne différait pas significativement entre les trois groupes. Toutefois, l’ensemble de ces comparaisons se limitait aux agresseurs sexuels incarcérés (Pham et al., 1999). Dès lors, la présente étude se propose de comparer les différents groupes d'agresseurs sexuels internés dans le cadre de la loi de « Défense Sociale ».

1. Méthodologie

1.1. Participants

La population d’étude se compose de 88 agresseurs sexuels internés en Défense Sociale en Belgique. Ces participants ont été expertisés comme « incapables du contrôle de leurs actes » (Loi de Défense Sociale, 1964). Ils ne sont donc pas condamnés mais internés pour une durée indéterminée dans un établissement psychiatrique sécurisé et y bénéficient de soins. Ces agresseurs sexuels, ayant commis tout acte de pénétration, de quelque nature que ce soit et par quelque moyen que ce soit, ou tout acte d’attouchement ou d’exhibitionnisme à l’encontre d’une personne, ont été répartis en quatre groupes : (1) 29 agresseurs de victime(s) adulte(s) (victime de 14 ans ou plus, qu’elle soit un homme ou une femme sans lien de parenté) ; (2) 36 agresseurs d’enfants (victime de moins de 14 ans qu’elle soit un garçon ou une fille sans lien de parenté) ; et (3) 23 agresseurs mixtes, de victimes majeures et mineures (victime de 14 ans ou plus et d’un enfant de moins de 14 ans sans lien de parenté).

1.2. Variables

Les variables concernent l’âge des agresseurs sexuels au moment de l’évaluation, l’âge au moment du dernier délit sexuel (cette variable n’étant pas influencée par la durée de l’internement du patient), les caractéristiques délictueuses, ainsi que les caractéristiques relatives aux victimes. Les caractéristiques délictueuses des agresseurs sexuels se rapportent aux délits sexuels et non sexuels commis. Les délits sexuels concernent : 1) le viol, entendu comme étant toute pénétration vaginale, anale ou pratique de fellation ; 2) le délit d’attentat à la pudeur, c’est-à-dire tout acte d’attouchement ; et 3) le délit d’outrage public aux moeurs, c’est-à-dire tout acte d’exhibitionnisme. Les délits sexuels ont été répartis en délits sexuels violents (commis avec violence ou menaces) et en délits sexuels non violents (commis sans violence ni menace). Les délits non sexuels concernent 1) le vol ; 2) les coups et blessures ; 3) l’homicide ou la tentative d’homicide ; et 4) l’escroquerie (fraude, escroquerie, faux et usage de faux, contrefaçon). Les délits non sexuels ont été également répartis en délits non sexuels violents (vol avec violence, coups et blessures, et homicide ou tentative d’homicide) et en délits non sexuels non violents (vol sans violence et escroquerie). L’ensemble des délits a été regroupé en un nombre total de délits (délits sexuels et délits non sexuels commis), en un nombre total de délits violents (délits sexuels violents et délits non sexuels violents) et en un nombre total de délits non violents (délits sexuels non violents et délits non sexuels non violents). La durée d’emprisonnement ou d’internement antérieur a été considérée pour chaque délit, tant sexuel que non sexuel. Finalement, les données victimologiques se rapportent au nombre total de victimes d’agression sexuelle. Celles-ci se répartissent en victimes de sexe masculin et en victimes de sexe féminin, qu'elles soient âgées de 14 ans ou plus, ou de moins de 14 ans.

Ces variables ont été recueillies à partir d’informations démographiques et délictueuses contenues dans des dossiers individuels lesquels ont été anonymisés en vue du traitement de données statistiques.

1.3. Analyse des résultats

Les groupes ont été comparés à l’aide du test ANOVA à un facteur en ce qui concerne les variables âge. Le test non paramétrique de Kruskal-Wallis a été utilisé afin d’analyser les variables délictueuses, ainsi que les variables relatives aux caractéristiques des victimes. En effet, ces variables ne respectaient pas les conditions de la loi normale, ni de l’homogénéité des variances, et ce malgrè les transformations statistiques d’usage. Les comparaisons deux à deux, à la suite de resultats significatifs au test non paramétrique de Kruskal-Wallis, ont été réalisées à l’aide du test de Mann-Whitney. Les seuils de signification ont été divisés par deux, afin d’obtenir un seuil unilatéral pour chaque variable.

2. Résultats

Tableau 1

Résultats relatifs à l’âge, aux durées d’internement et de condamnation

Résultats relatifs à l’âge, aux durées d’internement et de condamnation

1 M = Moyenne

2 SD = Ecart Type ou déviation standard

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Les agresseurs sexuels de cette étude ne se différencient pas quant à l’âge actuel. Par contre, les groupes se différencient concernant l’âge au moment des derniers faits sexuels, au niveau de la durée d’internement, de la durée d’emprisonnement ou de condamnation tant pour des délits sexuels antérieurs que des délits non sexuels. Les agresseurs d’adultes étaient plus jeunes que les agresseurs mixtes au moment de leur dernier délit sexuel (.05). Les agresseurs d’adultes étaient internés depuis moins longtemps et présentaient une durée plus longue d’emprisonnement/internement pour des délits non sexuels antérieurs par rapport aux agresseurs d’enfants (.01 et .03) et aux agresseurs mixtes (.04 et 02). Ces agresseurs d’adultes présentaient une plus faible durée d’emprisonnement/internement antérieur pour des délits sexuels par rapport aux agresseurs d’enfants (.00) et aux agresseurs mixtes (.00).

Tableau 2

Résultats relatifs aux caractéristiques délictueuses

Résultats relatifs aux caractéristiques délictueuses

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Le nombre et le type de délits commis varient très significativement entre les groupes. Comparés aux agresseurs sexuels mixtes, les agresseurs de victimes adultes et les agresseurs d’enfants commettent moins de délits, tout type de délit confondu, (.00 et 02), moins de délits sexuels avec violence ou menaces (.00 et .00) tels que des faits de viol (.00 et .00). Une tendance similaire est observée pour les faits d’escroquerie ou de fraude (.01 et .03).

Par contre, par rapport aux agresseurs d’enfants, les agresseurs de victimes majeures et les mixtes commettent plus de délits non sexuels (.00 et .00), de délits non sexuels non violents (03 et .02) tels que des vols (.01 et .03), de délits violents (.02 et .00) et plus particulièrement de délits violents non sexuels (.00 et .00) comme des faits de coups et blessures (.01 et .01).

Finalement, comparés aux agresseurs d’adultes, les agresseurs d’enfants et les agresseurs sexuels mixtes commettent plus de délits non violents (.03 et .00), de délits sexuels violents et non violents (.00 et .00), ainsi que plus de délits sexuels non violents (.00 et .00) tels que des faits d’attentat à la pudeur (.00 et .00) ou d’exhibitionnisme (.01 et .05).

Tableau 3

Résultats relatifs aux caractéristiques des victimes

Résultats relatifs aux caractéristiques des victimes

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Les agresseurs d’adultes agressent en moyenne significativement moins de victimes que les agresseurs d’enfants (.03) et les agresseurs mixtes (.00). On relève chez ces agresseurs d’adultes, un nombre plus réduit de victimes de sexe masculin (.00 et .00). Par contre, on relève chez les agresseurs d’enfants un nombre moins élevé de victimes de sexe féminin par rapport aux agresseurs d’aultes (.00) ainsi qu’aux agresseurs mixtes (.00).

3. Discussion

A notre connaissance, cette étude est la première à analyser les caractéristiques délictueuses des agresseurs sexuels internés en Défense Sociale en Belgique. Il s’agissait de situer ces caractéristiques chez les agresseurs sexuels internés par rapport aux données carcérales belges (Pham et al., 1999) et à la littérature internationale.

La comparaison de l’âge des patients lors de leur dernier délit sexuel révèle que les agresseurs sexuels d’adultes sont plus jeunes que les agresseurs sexuels mixtes. Ce résultat est partiellement soutenu au sein de la littérature (Soothill et al., 2000 ; Pham et al., 1999) , qui s’est jusqu’ici peu focalisée sur les agresseurs sexuels mixtes.

La durée d’internement actuel des agresseurs sexuels d’adultes est plus brève que celle des agresseurs d’enfants et des agresseurs sexuels mixtes. La durée d’emprisonnement/internement antérieure à l’internement actuel concernant tout délit à caractère sexuel est la plus brève chez les agresseurs d’adultes. Cette même durée concernant les délits non sexuels est plus brève chez les agresseurs d’enfants. Toutefois, au Canada, Earls et collaborateurs (2003) ont mis en évidence des durées d’incarcération plus longues chez les agresseurs sexuels d’adultes par rapport aux agresseurs sexuels d’enfants.

Les agresseurs mixtes commettent un nombre plus élevé de délits par rapport aux agresseurs d’adultes et aux agresseurs d’enfants. Les agresseurs mixtes commettent davantage de délits sexuels avec violence. Les agresseurs d’enfants commettent moins de délits non sexuels, moins de délits non sexuels non violents (exemple : faits de vol) et moins de délits violents et de délits violents non sexuels (coups et blessures). Ces données soutiennent aussi que les agresseurs d’adultes commettent plus souvent des délits violents que les agresseurs d’enfants (Boutin, 1999 ; Proulx & Ouimet, 1995). Ces données sont aussi congruentes avec la notion que les agresseurs d’enfants manifestent moins souvent une violence surajoutée au délit sexuel même (Proulx & Ouimet, 1995).

Les caractéristiques relatives aux victimes suggèrent que les agresseurs d’adultes agressent moins de victimes en général et moins de victimes du sexe masculin en particulier. Ce résultat va de sens avec des données antérieures (Pham et al., 1999 ; Earl et al., 2003). Les agresseurs d’enfants quant à eux agressent moins de victimes de sexe féminin.

En résumé, les agresseurs mixtes commettent plus de délits en général ainsi que de délits violents en particulier, les agresseurs d’enfants commettent moins de délits non sexuels et de délits non sexuels violents, tandis que les agresseurs d’adultes commettent moins de délits non violents ou de délits sexuels non violents. Dans l’avenir, il paraît intéressant de comparer ces trois groupes d’agresseurs internés à la lueur des facteurs statiques et dynamiques de risque de récidive relatifs à l’antisocialité et la déviance sexuelle décrits au sein de la littérature (Doren, 2004).