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L’industrie de la construction a souvent été décrite à travers ses particularismes quant à son organisation industrielle, la spécificité de sa main-d’oeuvre, la nature de la production ou encore son système de relations industrielles (Leclerc et Sexton, 1983 ; Hébert, 1992 ; Bosch et Philips, 2003 ; Weil, 2005). Une des particularités importantes est l’instabilité d’emploi et la forte mobilité des travailleurs qui en résulte. Ainsi, Weil (2005 : 449) rappelle dans quels termes John T. Dunlop faisait état dans son célèbre ouvrage Industrial Relations System ([1958] 1993) des effets inhérents à l’activité de l’industrie sur la mobilité de la main-d’oeuvre : « These conditions place a great premium on a flexible and skilled work force, on continuously matching jobs and available men, on shifting the work force around among different contractors, and on uniterrupted operations » (1993 : 258). Dans les faits, cette flexibilité de la main-d’oeuvre s’observe à travers une mobilité des travailleurs dans l’industrie pratiquement deux fois plus élevée que dans l’ensemble de l’économie, si on retient comme indicateur de la mobilité les cessations d’emploi dites permanentes au cours d’une année, tel que le fait Statistique Canada (Morissette, 2004). On ne sait pas toutefois précisément si la mobilité élevée de la main-d’oeuvre dans la construction se traduit par des départs de l’industrie qui se démarquent des autres secteurs d’activité économique ou si elle traduit surtout une circulation de la main-d’oeuvre entre les employeurs du secteur suivant le phénomène de « continuous matching » dont parle Dunlop. Cette question est pourtant particulièrement pertinente compte tenu de la régulation sectorielle du marché du travail qui lui est spécifique au Québec. En effet, cette régulation sectorielle est compatible avec une mobilité des travailleurs d’un employeur à un autre au sein du secteur et vise à en limiter les inconvénients. Toutefois, lorsque la main-d’oeuvre quitte le secteur, cela représente une perte en capital humain pour l’industrie et impose un renouvellement constant de sa main-d’oeuvre qui serait alors plus significatif et possiblement plus coûteux que dans les autres secteurs d’activité économique. Cette question est encore plus importante dans un contexte de marché du travail dynamique marqué par une activité soutenue depuis quelques années qui ramène à l’avant-scène la nécessité de disposer d’une main-d’oeuvre adéquate tant quantitativement que qualitativement dans ce secteur.

Ainsi, considérant les impacts possibles sur la main-d’oeuvre, les employeurs et l’industrie en général, il importe de s’intéresser au phénomène, de le mesurer et de tenter d’en évaluer les causes et les effets. C’est ce que nous visons dans ce texte en cherchant particulièrement à comprendre si l’industrie de la construction représente véritablement un cas d’exception en ce qui a trait à la mobilité de sa main-d’oeuvre. Pour ce faire, nous nous attardons plus particulièrement au cas du Québec sur la base de données originales comparatives avec le Canada. Les principaux résultats de notre recherche indiquent que la mobilité des travailleurs de la construction vers d’autres secteurs au Québec est un phénomène réel et non négligeable bien que parmi les plus faibles eu égard aux autres provinces. Qui plus est, cette mobilité de la main-d’oeuvre vers d’autres secteurs d’activité économique se situe dans les mêmes proportions que celle de la moyenne des industries. Aussi, nos données quant à cette mobilité correspondent à certains facteurs explicatifs relevés dans la littérature pour expliquer la mobilité de la main-d’oeuvre en général tel que l’âge et le niveau de revenu[1]. À notre avis, la régulation sectorielle mise en place au Québec dans cette industrie contribue certes à atténuer les départs de la main-d’oeuvre vers d’autres secteurs tout en soutenant la main-d’oeuvre et les employeurs face à une mobilité, au sein même de l’industrie, qui demeure toujours élevée en vertu de la nature intrinsèque de ses activités.

La mesure de la mobilité de la main-d’oeuvre au Canada et le cas spécifique de l’industrie de la construction

Statistique Canada produit périodiquement des données sur la mobilité de la main-d’oeuvre à partir des démissions, des mises à pied[2] (temporaires ou permanentes) et des autres formes de cessations ou de suspensions d’emploi (cas de grève ou lock-out, retour aux études, maladie, maternité, retraite, etc.) dans l’économie canadienne. Le concept de cessation d’emploi permanente utilisée (par rapport à cessation temporaire) est le fait de quitter volontairement ou non son emploi dans une année donnée et ne pas y retourner durant cette année, ni au cours de l’année suivante (Morissette, 2004 : 6–7). Par exemple, Dupuy et al. (1998) ont étudié la période 1978 à 1995 pour tous les secteurs d’activité économique au Canada. On y constate que la mobilité de la main-d’oeuvre a oscillé entre 19 % et 23 % de l’emploi total entre 1978 et 1995. Morissette (2004) a étudié les tendances plus récentes, soit la fin des années 90. Ses travaux indiquent notamment qu’au cours de la deuxième moitié des années 90, on a connu une légère baisse du taux global de cessations d’emploi permanentes (18,7 % de 1995 à 1999). Sur la période 1989–1999, l’auteur mentionne que le taux de démission (départs volontaires) au Canada a fléchi, passant de 9,2 % à 7,3 %. Bref, bon an mal an, la mobilité générale de la main-d’oeuvre sur le marché du travail canadien tourne autour de 20 %.

Dans le cas de la construction, les données de Dupuy et al. (1998) révèlent une mobilité globale qui se situait plutôt entre 34 % et 40 % chez les travailleurs oeuvrant au sein des entrepreneurs de construction spécialisés et entre 39 % et 47 % chez les entrepreneurs généraux en construction. Toutefois, en ce qui a trait au taux de démission seulement, celui-ci était en moyenne de l’ordre de 4,4 % chez les travailleurs à l’emploi des entrepreneurs spécialisés et 7,1 % chez les travailleurs à l’emploi des entrepreneurs généraux en construction[3], comparativement à un taux moyen de 7,2 % pour l’ensemble des secteurs d’activité au Canada. Bref, la mobilité beaucoup plus élevée que connaissent les travailleurs de la construction par rapport à la moyenne est redevable aux mises à pied et non pas à des départs volontaires, ces derniers étant en fait même inférieurs à la moyenne. Leurs travaux ne présentaient pas les résultats par province pour la construction seulement, ce secteur étant agrégé avec les industries du secteur primaire. Bien que les travaux de Morissette (2004) ne permettent pas de voir de résultats spécifiques à l’industrie de la construction considérée isolément (les données étant agrégées avec le secteur primaire), on observe que la construction et le secteur primaire ont un taux de démission inférieur à l’ensemble de l’économie mais un taux de mises à pied nettement supérieur (pratiquement quatre fois plus élevé) vers la fin des années 90 comme dans les années antérieures. Ces travaux de Dupuy et al. (1998) et de Morissette (2004) s’inscrivent dans des travaux similaires portant sur la stabilité ou la mobilité des travailleurs en emploi faits à Statistique Canada qui relèvent sensiblement les mêmes constats au fil des ans (Picot et Heisz, 2000 ; Picot, Heisz et Nakamura, 2001 ; Morissette, Picot et Pyper, 1992 ; Lemaître, Picot et Murray, 1992).

La mesure de la mobilité s’exprimant ainsi par rapport à la rupture du lien d’emploi avec un employeur donné, elle ne permet pas nécessairement de bien capter la réalité d’une industrie comportant les caractéristiques de la construction puisque les données de Statistique Canada n’indiquent pas si les travailleurs se retrouvent en emploi (du moins pour ceux qui demeurent actif sur le marché du travail) dans le même secteur ou dans un autre secteur. Pour une industrie dont le marché du travail est plutôt régulé sur une base sectorielle, la mobilité des travailleurs au sein même de l’industrie ou secteur n’a pas la même signification que les départs permanents de l’industrie[4].

En fait, on peut penser que la mobilité apparente plus élevée de la main-d’oeuvre dans la construction ne fait que traduire certaines règles internes à l’industrie ou encore certaines des caractéristiques de l’activité de production comme telle, ce que suggérait par exemple Jenness dès les années 70 au Canada (Jenness, 1975). Sur le plan des règles, l’industrie québécoise représente effectivement un cas particulier, eu égard aux autres secteurs d’activité économique, que nous qualifierons de régulation sectorielle du marché du travail. En vertu de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction (Loi R–20) et du rôle central de la Commission de la construction du Québec dans la gestion de la main-d’oeuvre et des avantages sociaux, le marché du travail y est organisé selon une logique et des règles sectorielles et cette régulation soutient, pour ainsi dire, la mobilité de la main-d’oeuvre au sein de l’industrie. Par exemple, même si un travailleur change d’employeur dans l’industrie, ses avantages sociaux (vacances, retraite, assurances, etc.) continuent de se cumuler au niveau de l’industrie par le biais d’une gestion centralisée à la Commission de la construction et il conserve le même accès aux activités de perfectionnement gérées elles aussi au niveau de l’industrie (Charest et Dubeau, 2003). Cette explication possible de la mobilité élevée de la main-d’oeuvre relevant de la présence de règles et institutions particulières est sans doute toutefois insuffisante dans la mesure où, dans les autres provinces on ne retrouve pas une régulation sectorielle identique bien que des règles spécifiques à cette industrie y soient aussi présentes (CCQ, 2006).

Par ailleurs, on sait que l’industrie se caractérise par une activité de production sensible aux fluctuations saisonnières et économiques. Qui plus est, la nature même de l’activité productive, marquée par un début et une fin prévisible du travail sur un chantier quel qu’il soit, conduit forcément à un redéploiement continuel de la main-d’oeuvre au sein du secteur. Cette activité sur un chantier donné est elle-même faite d’une succession d’opérations effectuées par des corps de métiers distincts qui connaîtront tour à tour une entrée et une sortie dans un chantier pour se diriger vers un autre. Tant les embauches que les mises à pied périodiques sont donc parties intégrantes de la dynamique du marché du travail dans cette industrie y compris sur une base annuelle, considérant ces distinctions fondamentales en regard, par exemple, du secteur manufacturier. À prime abord, qu’on y retrouve donc un taux de cessation d’emploi permanente fort élevé ne devrait guère surprendre. Ce qui importe donc davantage ici c’est d’arriver à distinguer entre la mobilité élevée des travailleurs telle qu’exprimée dans les données de Statistique Canada et la mobilité qui prend la forme de départs vers d’autres secteurs d’activité, traduisant alors des pertes en capital humain pour le secteur. En d’autres termes, au-delà de la mobilité élevée de la main-d’oeuvre révélée par la mesure des cessations d’emploi au cours d’une année, la mobilité vers d’autres secteurs d’activité est-elle si importante dans le secteur de la construction ? Une littérature plus générale sur le phénomène de la mobilité et quelques études plus spécifiques sur la construction nous fournissent des pistes explicatives en regard de cette mobilité, pistes que nous comparerons avec les données originales provenant du Fichier de données longitudinales sur la main-d’oeuvre de Statistique Canada.

Les facteurs explicatifs de la mobilité de la main-d’oeuvre

La littérature traitant du marché du travail en général

Dans les années 60, George Stigler proposait une explication du phénomène de la mobilité de la main-d’oeuvre sur le marché du travail par le fait que tant les travailleurs que les employeurs sont à la recherche de la meilleure adéquation possible entre leurs besoins et ce qu’offre le marché, dans un contexte où toute l’information ne peut être acquise a priori (Stigler, 1962). En effet, comme l’information est imparfaite sur le marché et que tous ne peuvent connaître l’ensemble des conditions d’emploi, d’une part, les qualités et la productivité de la main-d’oeuvre, d’autre part, avant d’en avoir fait l’expérimentation, il en résulte un nécessaire processus de mobilité sur le marché que l’on pourrait décrire par l’idée du « continuous matching » de Dunlop. Au-delà de cette explication générale proposée par Stigler, d’autres ont par la suite cherché à mieux comprendre les différentes formes de mobilité et à identifier les divers facteurs explicatifs d’ordre économique ou non économique (voir par exemple Jovanovic, 1979 ; Cappelli et Neumark, 2001 ; Price, 2001 ; Carnicer et al., 2004). Mentionnons toutefois que peu de travaux ont porté sur la mobilité interindustrielle (ou aux déplacements vers d’autres secteurs) et que ce qui s’en approche le plus dans la littérature est la mobilité occupationnelle puisque celle-ci peut correspondre à un changement de secteur d’activité. Nous nous limitons ainsi essentiellement à ces travaux qui nous semblent plus pertinents au phénomène ici considéré.

Cherchant à distinguer entre la mobilité occupationnelle et industrielle[5] aux États-Unis Parrado et Wolff (1999), sur la base de données provenant du Panel Study of Income Dynamics pour les années 1968 à 1992, arrivent notamment à la conclusion suivante en comparant deux périodes de leurs données (soit 1971–80 et 1981–92) : la mobilité occupationnelle et la mobilité industrielle (intersectorielle) répondent aux mêmes facteurs. Ainsi, les travailleurs plus jeunes ont une mobilité occupationnelle et sectorielle plus grande que les plus âgés conformément à d’autres travaux sur le sujet. La mobilité s’accompagne d’une amélioration du revenu des travailleurs bien que les travailleurs qui ont une rémunération plus élevée aient tendance à moins quitter leur occupation et leur secteur. Les travailleurs plus instruits auraient quant à eux une mobilité occupationnelle et sectorielle plus élevée, contrairement à d’autres travaux. Cela s’explique selon les auteurs par le fait que leurs possibilités de mobilité s’améliorent du fait justement de leur investissement en capital humain.

McConnell et Brue (1995 : 255) indiquent pour leur part qu’à chaque année environ un travailleur sur dix aux États-Unis change d’occupation. Cette mobilité s’explique en particulier par l’âge, l’investissement du travailleur en capital humain et les aspects monétaires reliés à l’emploi[6]. Ainsi, le maintien dans la même occupation est d’une durée moyenne de seulement deux ans chez les 16–24 ans aux États-Unis alors qu’à l’opposé, chez les 55–64 ans, elle est de 17 ans. Par ailleurs, en général, une baisse de la mobilité occupationnelle est observée au fur et à mesure que le niveau d’études atteint par le travailleur (ou son degré de spécialisation) augmente. Cela s’explique théoriquement par le fait que le travailleur a d’abord davantage choisi sa carrière en décidant d’y étudier et aussi par le fait qu’il cherchera à rentabiliser son investissement en capital humain en demeurant dans le profil professionnel qu’il a choisi. A contrario, celui qui a peu d’études ou de spécialisation, supporte un coût moins important s’il décide de changer de métier ou de carrière. Enfin, plus le salaire et les divers avantages sociaux reliés à un emploi seront élevés et jugés satisfaisants par le travailleur, plus la stabilité occupationnelle sera élevée.

Pour étudier la mobilité occupationnelle, Markey et Parks II (1989) ont pour leur part utilisé les données de l’enquête sur la population active aux États-Unis de 1987. Ils révèlent d’abord que la mobilité occupationnelle des travailleurs est majoritairement un choix volontaire de ces derniers. En fait, près de 90 % des travailleurs ayant changé d’occupation l’avaient fait suite à un départ volontaire de leur emploi et un peu plus de 10 % seulement l’avaient fait suite à une mise à pied. Par ailleurs, la mobilité occupationnelle était relativement stable sur une longue période puisque depuis le milieu des années 60 jusqu’en 1987, celle-ci oscillait légèrement autour de 10 % annuellement de l’ensemble des emplois. Parmi les facteurs mentionnés par les répondants, le facteur le plus déterminant pour expliquer leur mobilité était la recherche d’un meilleur salaire ou de meilleures conditions de travail (53 % des répondants) et en fait, 70 % des travailleurs ayant quitté leur occupation avaient obtenu une meilleure rémunération dans leur nouvelle occupation. Une différence marquante était relevée toutefois avec ceux qui avaient changé d’occupation suite à la perte de leur emploi (départ involontaire) puisque les deux tiers de ceux-ci se retrouvaient dans un emploi moins payant et seulement 16 % dans un emploi plus rémunérateur. On observait à cet égard un déplacement marqué des travailleurs du secteur manufacturier et de la construction vers le secteur des services (par exemple dans le commerce de détail). Farber (2003) est arrivé dans ses travaux au même genre de résultats quant à la détérioration des gains suite à un changement d’emploi chez les travailleurs ayant subi une mise à pied.

La mobilité est aussi constatée dans cette étude de Markey et Parks II comme un phénomène des jeunes puisque celle-ci chute radicalement après l’âge de 25 ans (elle était à près de 13 % chez les 16–24 ans contre 6,6 % chez les 25–34 ans et moins de 2 % chez les plus de 45 ans). Ces auteurs arrivent aussi au constat que les travailleurs peu instruits et sans formation particulière avaient une mobilité plus faible alors que les travailleurs avec une formation plus élevée avaient une mobilité occupationnelle plus grande. L’explication suggérée mais non vérifiée par les auteurs est que les premiers ont peu de possibilités d’avoir un nouvel emploi dans une nouvelle occupation qui améliorera vraiment leur sort alors que les plus instruits ont cette possibilité. Toutefois, il est vraisemblable que les plus instruits changeront davantage d’occupation si leur formation scolaire est plus générale que spécifique et spécialisée. Cette explication théorique vient possiblement réconcilier les résultats en apparence contradictoires avec d’autres travaux.

Mentionnons que certains travaux s’adressant plus généralement à la mobilité de la main-d’oeuvre ont aussi mis en relief le fait que la stabilité en emploi des travailleurs était positivement corrélée avec la durée d’occupation de l’emploi initial au moment d’entrer sur le marché du travail (Heisz, 2002 ; Farber, 2003). Plus cette durée d’occupation est longue, plus la mobilité du travailleur aura tendance à diminuer et inversement, plus cette durée sera courte, plus la mobilité du travailleur augmentera dans le temps. Ces faits peuvent permettre de comprendre que, par exemple, ce ne sont pas tous les jeunes qui ont une plus grande instabilité (ou mobilité) en emploi mais davantage ceux qui se retrouvent à l’origine dans des emplois de courte durée (ce qui peut être aussi corrélé avec une faible scolarité ou spécialisation).

Meisenheimer II et Ilg (2000) se sont intéressés pour leur part aux facteurs qui amènent des travailleurs à rechercher un nouvel emploi (dans la même occupation ou non) pendant qu’ils sont encore en emploi. S’appuyant sur les données de l’enquête sur la population active aux États-Unis, ils révèlent que chez la main-d’oeuvre enquêtée en 1999, 4,5 % de toutes les personnes en emploi admettaient être en recherche d’un autre emploi. Comme dans les autres travaux, on indiquait que les moins de 25 ans étaient davantage propices à rechercher un nouvel emploi, de même que ceux qui avaient de faibles avantages sociaux (en particulier en termes d’assurance santé et de régime de retraite). Il en était de même des travailleurs avec un niveau de scolarité élevé. Par ailleurs, les travailleurs ayant de l’ancienneté dans leur emploi étaient beaucoup moins enclins à chercher un nouveau travail. Quant au lien entre le niveau de salaire et la mobilité, ils arrivent à des conclusions plutôt mitigées. Les travailleurs à bas salaires n’ont pas forcément une propension plus grande à la recherche d’emploi, ce qui peut s’expliquer selon les chercheurs par les possibilités limitées d’amélioration qui s’offrent à ces travailleurs faiblement scolarisés en général. En ce sens, leur explication rejoint partiellement celle liée au faible capital humain évoqué par les auteurs précédents.

La littérature traitant de l’industrie de la construction

Dans les années 60 et 70, certains travaux évoquaient déjà une forte mobilité de la main-d’oeuvre dans le secteur de la construction. Jenness (1975 : 50) faisait état par exemple des travaux de Vanderkamp (1973) qui avait démontré, sur la base des données de l’assurance-chômage au Canada en 1966 et 1967, que pratiquement 30 % des travailleurs de la construction quittaient annuellement l’industrie pour travailler dans d’autres secteurs. De même, il relatait des travaux du département du travail américain qui indiquaient que les travailleurs de la construction avaient une mobilité interindustrielle deux fois plus élevée que ceux du secteur manufacturier au début des années 70 (Jenness, 1975 : 49). S’appuyant sur des données de 1968 à 1971 au Canada faisant état de travailleurs de la construction fréquentant des cours de formation et visant à quitter le secteur, il concluait que : « Ceci montre peut-être le caractère inévitable de l’échange de main-d’oeuvre entre ce secteur et les autres, et aussi l’importance du secteur de la construction comme situation temporaire pour les jeunes gens, de régions rurales ou autres, en quête de meilleurs salaires que ceux que leur offrent d’autres secteurs du marché du travail » (Jenness, 1975 : 41). Mentionnons également que l’Office de la construction du Québec observait qu’au début des années 70, quelque 25 % des travailleurs de la construction quittaient annuellement ce secteur d’activité (cité dans Leclerc et Sexton, 1983 : 16).

Dans les travaux récents portant sur l’industrie de la construction, l’ouvrage édité par Bosch et Philips (2003) analyse le fonctionnement du marché du travail dans l’industrie de la construction dans neuf pays industrialisés. Globalement, on peut dire qu’il se dégage trois conclusions des travaux qui y sont présentés. D’abord, la mobilité des travailleurs vers l’extérieur du secteur de la construction est une caractéristique de l’industrie dans tous les pays étudiés. Cette mobilité est redevable à la nature même de cette industrie, soit le caractère souvent temporaire de l’emploi, la nature cyclique de l’industrie et les fluctuations saisonnières. On observe notamment que la mobilité prend la forme de travailleurs d’autres secteurs qui viennent vers la construction en période de fortes activités et qui retournent vers leur secteur d’origine lors de la baisse des activités dans la construction.

La deuxième conclusion est que le phénomène des départs de l’industrie est surtout le fait des travailleurs plus jeunes et non spécialisés, souvent sans formation particulière et donc sans métier. Plusieurs sont attirés par les offres d’emploi en période de forte activité de l’industrie et par des salaires horaires plus élevés que ce que d’autres secteurs offrent à des travailleurs sans formation, mais ils réalisent souvent rapidement que le secteur de la construction ne répond pas à leurs attentes (instabilité, conditions de travail, risques d’accident) et quittent le secteur. Enfin, la troisième conclusion est que plus le secteur de la construction tend à améliorer la situation des travailleurs sur le plan des salaires, de la stabilité en emploi, des avantages sociaux, des conditions de travail, etc., plus la capacité de rétention de la main-d’oeuvre est grande. À l’inverse, plus on dérégule le secteur en précarisant les conditions salariales et d’emploi, plus on contribue à la mobilité vers l’extérieur de l’industrie. Cela est d’ailleurs convergent avec l’explication voulant que les travailleurs se déplacent sur le marché du travail pour améliorer leur sécurité économique et vont tendre à fuir les emplois qui offrent de moins bonnes conditions. Le risque d’accident dans l’industrie de la construction ne fait qu’ajouter une difficulté particulière à cet égard lorsqu’en plus les conditions salariales et d’emploi y sont précaires.

Bien qu’indirectement relié à la problématique des départs de l’industrie, mentionnons les travaux de Bilginsoy (2003) qui s’est intéressé spécifiquement à la poursuite et à l’abandon des apprentis dans les régimes d’apprentissage de l’industrie de la construction aux États-Unis, ce qui peut être un facteur contribuant à expliquer les départs (ou non) de l’industrie. Constatant que les apprentis inscrits dans des régimes gérés conjointement par les syndicats et les employeurs complètent leur apprentissage dans une proportion pratiquement deux fois supérieure à ceux qui suivent un apprentissage géré uniquement par l’employeur, l’auteur suggère d’abord une hypothèse générale du phénomène de la poursuite ou non de l’apprentissage. Selon Bilginsoy : « Incoming apprentices are more likely to quit if they are not properly informed, selected, or matched with the occupation, or if they are dissatisfied with the quality or quantity of skills delivered by the program » (2003 : 64). Puis, il suggère à cet effet que les programmes d’apprentissage gérés conjointement par les parties réussiraient mieux à retenir les apprentis parce que les conventions collectives, les employeurs et les syndicats opèrent en tant qu’institution pour réunir et disséminer l’information pertinente auprès des apprentis, ce que les employeurs isolés seraient moins aptes à faire. Néanmoins, ces explications vont au-delà de ses données et il conclut à l’absence d’études récentes portant sur les raisons qui amènent les apprentis à compléter ou non leur apprentissage.

Au Canada, l’étude de Lin et Pyper (1997) portant sur les mouvements de la main-d’oeuvre en Ontario est intéressante par rapport à la problématique ici explorée. Travaillant à partir du fichier de données longitudinales sur la main-d’oeuvre de Statistique Canada que nous décrirons à la prochaine section, les auteurs ont cherché à tracer le portrait de la mobilité[7] des travailleurs ontariens de 25 à 49 ans au cours de la période 1978–1993, dont ceux ayant changé de secteur d’activité. Ainsi, ils observent que le phénomène des démissions est surtout le fait des plus jeunes travailleurs et le fait des travailleurs étant à l’emploi de petites entreprises. Quant au taux global de départ de la main-d’oeuvre, soit tous les travailleurs ayant quitté leur emploi de façon définitive, volontairement ou non, les chercheurs ont observé qu’au cours de la période de 1978–1993, ce taux oscillait légèrement autour de 20 % par année pour l’ensemble des industries en Ontario alors qu’il était plutôt de l’ordre de 36 % en moyenne par année dans le secteur de la construction. Rappelons toutefois qu’il s’agit des départs de la main-d’oeuvre par rapport à un employeur donné dans le secteur et que cela ne signifie pas que les travailleurs aient quitté le secteur. À cet effet, ils observaient pour l’ensemble des secteurs que les travailleurs ontariens qui quittent volontairement ou non leur emploi au cours d’une année demeuraient dans 44 % des cas dans le même secteur alors que 56 % changeaient de secteur. Cette mobilité interindustrielle augmentait davantage lorsque le travailleur changeait en plus de province (passant alors à 62 %). C’est à partir de la même source de données (le fichier de données longitudinales sur la main-d’oeuvre) que nous allons étudier dans la prochaine section le cas du Québec en le comparant aux autres provinces et à d’autres secteurs d’activité.

L’analyse des données issues du Fichier de données longitudinales sur la main-d’oeuvre de Statistique Canada

De manière à pouvoir analyser le plus précisément possible le phénomène de la mobilité dans l’industrie de la construction, nous avons choisi de recourir à des données spéciales produites par Statistique Canada sur la base du Fichier de données longitudinales sur la main-d’oeuvre (FDLMO), soit le même fichier qu’ont utilisé Lin et Pyper (1997), Dupuy et al. (1998) ou Morissette (2004). Les prochaines sections font état de ces données particulières et permettront de répondre à un certain nombre de questions sur les départs de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction, tant au Québec qu’ailleurs au Canada.

La source des données utilisées

Les données produites par Statistique Canada sur la mobilité de la main-d’oeuvre et particulièrement sur les départs permanents de certains travailleurs par rapport à un employeur donné proviennent d’un fichier spécialement conçu à cet effet : le Fichier de données longitudinales sur la main-d’oeuvre (FDLMO). Ce fichier est un échantillon représentant 10 % des travailleurs canadiens qui distingue entre les raisons d’une cessation d’emploi, en tenant compte de certaines caractéristiques des travailleurs ou du marché du travail[8].

Ce fichier offre donc plusieurs possibilités d’analyse notamment du fait de sa taille importante qui permet d’avoir des données désagrégées par secteur et par province qui demeurent significatives. Pour les fins de la mesure de la mobilité de la main-d’oeuvre d’un secteur vers d’autres secteurs d’activité, il est également possible de recourir à ce fichier en identifiant le secteur de destination (ou dans certains cas le retrait du marché du travail) des travailleurs ayant quitté (volontairement ou non) un secteur donné d’emploi l’année précédente. À l’instar de la définition retenue par Statistique Canada, on parlera d’un départ permanent du secteur lorsque le travailleur ne revient pas chez un employeur du secteur d’origine ni dans l’année du départ, ni dans l’année suivante. Par ailleurs, par secteur de la construction, Statistique Canada retient toutes les activités relatives à l’industrie de la construction suivant la Classification type des industries 1980 et ce, pour toutes les catégories de main-d’oeuvre salariée. Il s’agit des industries des constructeurs, promoteurs et entrepreneurs généraux ; des industries de la construction lourde et industrielle (travaux de génie) ; des industries des entrepreneurs spécialisés et enfin, des industries des services relatifs à la construction. (Statistique Canada. Classification type des industries - Établissements (CTI-É) 1980) Mentionnons qu’il s’agit d’une définition différente et plus englobante que celle retenue au Québec dans la loi R–20 qui correspond à la main-d’oeuvre assujettie à la loi, excluant ainsi certains travailleurs que l’on retrouve dans la définition de la classification type des industries.

Les données obtenues portent sur la période 1996–2000 permettant ainsi d’établir : les pourcentages de départs permanents de l’industrie de la construction au Québec, en Ontario, au Nouveau-Brunswick, en Alberta, en Colombie-Britannique et pour l’ensemble du Canada, de même que certaines caractéristiques des travailleurs dans les secteurs en question (âge, sexe et salaire). De manière à simplifier la présentation des résultats, nous nous limiterons dans les prochaines sections aux données relatives aux années 1999 et 2000, compte tenu que l’analyse des années antérieures (1996–1998) ne révèle pas de changements significatifs dans les données.

La mobilité de la main-d’oeuvre : ceux qui restent dans l’industrie et ceux qui la quittent

En premier lieu, nous avons voulu établir l’importance des départs de l’industrie, ce que l’on retrouve au tableau 1. On y indique le nombre de salariés quittant l’industrie en 1999 (et qui n’y sont pas revenus en 2000) et le pourcentage que ceux-ci représentent par rapport à l’ensemble des emplois salariés dans le secteur de la construction lors de l’année des départs. Les données révèlent ainsi que :

  • 22,7 % des salariés de l’industrie au Québec ont quitté l’industrie en 1999 sans y revenir ni durant l’année, ni au cours de l’année suivante.

  • Ce pourcentage de départs est un des moins élevés au Canada. L’Ontario a un taux de départ légèrement plus faible mais les autres provinces et l’ensemble du Canada ont des taux plus élevés que le Québec, dont le Nouveau-Brunswick avec un pourcentage de départs atteignant pratiquement un tiers des salariés. La situation de l’Ontario peut possiblement s’expliquer par la taille de son industrie (la stabilité de la main-d’oeuvre pouvant être facilitée dans un marché du travail plus vaste) et par la vigueur de ses activités au cours de la période étudiée. Ces explications demeurent toutefois hypothétiques à ce stade-ci.

  • Nous avons pu vérifier que ces taux sont relativement stables sur la période 1996–1999. En moyenne, ce taux de départs a été de 22,1 % pour le Québec et de 24,8 % pour le Canada.

Pailleurs, on peut comparer ces départs permanents de l’industrie avec le taux de cessations d’emplois permanentes dans le secteur. En effet, nous avons vu que la nature des travaux réalisés dans l’industrie lui confère un taux de cessations d’emplois permanentes beaucoup plus élevé que pour l’ensemble de l’économie, soit pratiquement le double du taux moyen observé pour l’ensemble des secteurs (voir les données précédemment mentionnées à partir de Lin et Pyper, 1997 et Dupuy et al., 1998). Pour le cas du Québec, on peut estimer ce taux global de cessations permanentes en 1999 à 39,6 %, soit 59 883 cessations permanentes dans le secteur de la construction sur un total d’emplois de 151 090. On peut ainsi observer que le taux de départs permanents de l’industrie mentionné au tableau 1 est substantiellement inférieur (22,7 %) au taux de cessations permanentes dans le secteur (39,6 %). Autrement dit, bien que plusieurs travailleurs soient en situation de cessation permanente d’emploi dans la construction au cours d’une année, près de la moitié d’entre eux (plus précisément 42,7 %) vont demeurer tout de même dans l’industrie en se retrouvant chez un autre employeur.

Tableau 1

Nombre et pourcentage de salariés ayant quitté l’industrie de la construction en 1999 (départs permanents) et emploi salarié total de l’industrie en 1999

Province

Nombre de salariés ayant quitté l’industrie en 1999

En pourcentage de l’emploi salarié total du secteur

Emploi salarié total du secteur en 1999

Québec

34 297

22,7

151 090

Nouveau‑Brunswick

6 931

32,0

21 670

Ontario

49 137

19,7

248 910

Alberta

32 528

29,6

109 900

Colombie‑Britannique

23 555

27,5

85 810

Ensemble du Canada

174 379

24,5

711 190

Source des données : FDLMO, Statistique Canada, compilation spéciale.

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Néanmoins, c’est un peu plus de la moitié de la main-d’oeuvre ayant eu une cessation d’emploi permanente durant une année qui a tendance à quitter l’industrie de la construction. Bien qu’élevé et constituant une perte de main-d’oeuvre pour l’industrie, soulignons que ce taux ne s’écarte pas du résultat estimé par Lin et Pyper (1997) pour l’ensemble de l’économie ontarienne. En effet, rappelons qu’ils ont établi que pour l’ensemble des secteurs d’activité économique en Ontario, la proportion de travailleurs qui se retrouvaient dans le même secteur d’activité économique après le départ permanent (volontaire ou non) d’un emploi donné se situait à 44 % par rapport à 56 % qui changeaient de secteur d’activité. La correspondance avec les taux que nous avons établis pour l’industrie de la construction au Québec (respectivement 42,7 % et 57,3 %) laisse croire que toutes choses égales par ailleurs, la proportion des travailleurs qui quittent l’industrie de la construction au Québec après une cessation d’emploi permanente (volontaire ou non) ne serait pas différente de celle dans les autres secteurs. Ce qui demeure plus élevé toutefois, c’est le taux global de cessation d’emploi permanente dans l’industrie tel que mentionné précédemment à partir des travaux recensés.

Qui sont les salariés qui quittent l’industrie de la construction ?

Les données du FDLMO nous permettent aussi d’établir le profil des travailleurs qui quittent l’industrie selon l’âge des personnes, leur niveau de revenu et leur sexe. Le tableau 2 présente les résultats pour l’industrie de la construction au Québec, au Canada et dans les autres provinces sélectionnées. On peut y constater les aspects suivants :

  • Les salariés ayant quitté l’industrie sont en moyenne plus jeunes de deux à trois ans que l’ensemble des salariés de l’industrie. Au Québec, l’écart est de 3,2 années. Si l’on considère que dans les départs il y a une plus forte proportion de travailleurs plus âgés (départs pour la retraite) que dans l’ensemble des salariés, on peut même dire que les salariés qui quittent pour aller travailler dans un autre secteur sont probablement plus jeunes de cinq à six ans[9] par rapport à ceux qui composent l’ensemble des salariés pour une année donnée. Bien qu’il ne s’agisse pas de la même base de données que celle que nous avons utilisée, des estimations produites par la Commission de la construction du Québec sur des cohortes de travailleurs entrés dans l’industrie en 1999 et en 2000 révèlent que le taux de départ de l’industrie était pratiquement deux fois plus élevé chez les jeunes (apprentis) non diplômés d’une école de métiers que chez ceux qui étaient diplômés (CCQ, 2005b). En lien avec nos données et avec la littérature, nous suggérons comme explication que le phénomène de la mobilité serait ici davantage associé au fait d’être à la fois plus jeune et sans qualifications pertinentes à l’industrie.

  • La proportion des hommes qui quittent l’industrie correspond sensiblement à la proportion de ceux-ci dans l’ensemble des salariés.

  • Les gains annuels[10] des salariés qui quittent l’industrie sont nettement inférieurs aux gains annuels de l’ensemble des salariés de l’industrie, oscillant entre 32 % et 40 % de ces derniers. Pour le Québec, ces gains se situent à 32 % (un tiers du niveau de revenu de l’ensemble des salariés de l’industrie). Ce faible niveau de revenu des salariés ayant quitté peut s’expliquer en partie par des gens qui n’ont été présents que quelques mois seulement dans l’industrie avant leur départ de celle-ci.

  • Le profil des provinces est assez semblable en regard des caractéristiques de la main-d’oeuvre salariée ayant quitté le secteur par rapport à l’ensemble des salariés du secteur (âge, sexe et gains).

Tableau 2

Caractéristiques des salariés ayant quitté l’industrie de la construction en 1999 (départs permanents) et de l’ensemble des salariés de l’industrie en 1999

 

Salariés ayant quitté l’industrie en 1999

Ensemble des salariés de l’industrie, 1999

Province

Âge

Sexe(hommes en % du total)

Gains annuels(en $)

Gains annuels en % de ceux de tous les salariés de l’industrie

Âge

Sexe (hommes en % du total)

Gains annuels(en $)

Québec

35,8

84 %

9 504

32,0 %

39,0

83 %

29 685

Nouveau-Brunswick

35,1

87 %

9 000

39,9 %

38,7

92 %

22 575

Ontario

34,0

86 %

11 635

35,4 %

37,4

84 %

32 868

Alberta

32,7

86 %

11 003

39,1 %

35,3

87 %

28 142

Colombie-Britannique

34,9

84 %

9 944

39,0 %

37,0

87 %

25 515

Ensemble du Canada

34,4

86 %

10 521

35,9 %

37,4

86 %

29 305

Source des données : FDLMO, Statistique Canada, compilation spéciale.

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Où vont les salariés qui quittent l’industrie de la construction ?

On peut aussi considérer le phénomène des départs de l’industrie sous l’angle de la destination des salariés ayant quitté. D’une part, cela peut nous indiquer la proportion de ces départs qui est attribuable à un retrait (temporaire ou définitif) du marché du travail et, d’autre part, cela révèle les secteurs que choisissent les salariés qui quittent l’industrie de la construction. Les données du FDLMO nous permettent de tracer ce portrait, ce que nous faisons ici pour le Québec. De plus, cette source de données nous permet d’établir le salaire moyen que les travailleurs ont obtenu dans leur nouveau secteur de travail dans l’année suivant leur départ. Ainsi, on peut juger du choix à caractère économique que ces travailleurs ont pu faire en regard du salaire moyen qu’ils recevaient dans l’industrie de la construction lors de leur année de départ de cette industrie. Les tableaux 3 et 4 nous présentent respectivement ces données. Comme on peut le constater au tableau 3 :

  • Entre un cinquième et un quart des travailleurs qui ont quitté l’industrie se sont retirés du marché du travail pour diverses raisons (ex. : maladie ou accident, formation, retraite, etc.). Au Québec, il s’agit de 22,4 % des travailleurs.

  • Parmi ceux qui sont demeurés sur le marché du travail, le secteur manufacturier constitue le principal choix d’emploi soit pour 22,1 % d’entre eux au Québec. Dans l’industrie manufacturière, les industries du bois et les industries de la fabrication des produits métalliques constituent les principaux choix des travailleurs à l’exception de l’Ontario et de l’Alberta où les industries du matériel de transport constituent le deuxième secteur d’attraction devant les industries du bois.

  • Les industries des communications et autres services publics et les industries des intermédiaires financiers et des assurances (secteurs dont nous avons agrégé les données) attirent pratiquement un travailleur sur huit qui a quitté l’industrie de la construction au Québec (12,4 %). Bien que nous n’ayons pas les détails par sous-secteurs, on peut penser que c’est principalement dans les industries de l’énergie électrique, de la distribution de gaz et de la distribution d’eau que se retrouvent les travailleurs ayant quitté l’industrie de la construction et peut-être dans les industries des services immobiliers (exploitants de bâtiments résidentiels ou non résidentiels et de logements), considérant les possibilités d’y mettre à profit des compétences semblables à celles utilisées dans le secteur de la construction.

  • Les industries du commerce de gros (dont une des composantes est le commerce des métaux, articles de quincaillerie, matériel de plomberie, de chauffage et de construction), du commerce de détail (dont les quincailleries et les grandes surfaces de matériaux de construction/rénovation/décoration), les industries du transport et de l’entreposage, les industries des services gouvernementaux et les autres industries de services (dont les services de location de machines et matériel, les services de réparation et les services relatifs aux bâtiments et habitations) attirent chacune environ les mêmes proportions de salariés ayant quitté l’industrie au Québec soit environ un sur 15, ou un peu plus du tiers des salariés lorsque l’on regroupe tous ces secteurs de destination.

  • Les industries primaires (probablement davantage les exploitations forestières et les mines pour le cas du Québec) et les industries de l’hébergement et de la restauration accueillent pour leur part un peu moins d’un salarié sur 20 ayant quitté l’industrie de la construction au Québec.

  • On remarque certaines variations entre les provinces mais en gros le profil de distribution selon les secteurs se ressemble d’un cas à l’autre.

Tableau 3

Répartition des salariés ayant quitté l’industrie de la construction en 1999 (départs permanents) selon les principaux secteurs de destination en 2000

Secteurs d’activité économique

Répartition en 2000 des salariés ayant quitté l’industrie de la construction en 1999 (%)

(CTI – 1980)

Qué.

N-B.

Ont.

Alb.

C.-B.

Canada

Industries primaires (agricoles, pêche et piégeage, exploitation forestière, mines)

4,7

9,2

2,6

2,8

6,3

4,1

Industries manufacturières, dont :

22,1

19,1

20,4

15,7

14,8

18,1

– Industries du bois

3,2

2,9

2,0

1,5

3,7

2,3

– Industries de la fabrication des produits métalliques

3,5

4,2

4,4

4,2

2,8

3,7

– Industries des produits électriques et électroniques

1,4

0,2

1,1

0,6

0,5

0,8

– Industries des produits minéraux non métalliques

2,2

0,2

1,9

1,0

0,8

1,4

– Industries du matériel de transport

1,3

1,1

2,2

2,7

1,7

1,7

Industries du transport et de l’entreposage

6,3

5,1

4,6

5,4

5,1

5,4

Industries du commerce de gros

7,5

4,5

7,0

6,3

5,9

6,4

Industries du commerce de détail

6,3

6,4

7,8

5,8

6,7

6,6

Industries des communications et autres services publics ; Industries des intermédiaires financiers et des assurances

12,4

17,1

15,1

14,3

12,9

13,7

Industries des services gouvernementaux (dont éducation, santé et services sociaux)

7,2

10,5

5,7

6,1

6,8

7,1

Industries de l’hébergement et de la restauration

4,0

3,8

3,6

4,4

5,3

4,1

Autres industries de services

6,8

7,7

6,4

6,6

7,4

6,8

Sans revenu de travail (dont retour aux études, maladie ou accident, maternité, retraite, etc.)

22,4

17,1

25,2

19,0

26,1

23,0

* Le total peut différer de 100 % parce que certains travailleurs n’ont pu être classés ou suite à des arrondissements.

Source des données : FDLMO, Statistique Canada, compilation spéciale.

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Quant au tableau 4, il nous permet de voir que :

  • Le salaire annuel[11] moyen obtenu par les salariés qui se sont retrouvés un emploi dans l’année qui suit leur départ de l’industrie de la construction au Québec varie fortement selon le secteur de destination. Celui-ci va de 13 474 $ dans les industries de l’hébergement et de la restauration à 28 427 $ dans les autres industries de services. Le secteur manufacturier où se destine un peu plus du cinquième des salariés ayant quitté la construction permet à ces salariés d’atteindre un salaire annuel moyen de 25 245 $.

  • Certes, en comparant ces niveaux de salaire avec le salaire annuel moyen obtenu par les travailleurs ayant quitté l’industrie de la construction lors de leur année de départ (soit 9 504 $), il faut garder à l’esprit que cette moyenne peut être affectée à la baisse par des travailleurs ayant eu une courte période de travail dans l’industrie. Sous réserve de ces périodes de travail possiblement variées, pour un travailleur donné, entre deux années et deux industries distinctes, on peut néanmoins constater au tableau 4 des écarts de gains annuels moyens importants. Même dans les secteurs moins rémunérateurs comme l’hébergement et la restauration ou le commerce de détail, les gains annuels augmentent de pratiquement 50 %. Quant au secteur manufacturier, le salaire annuel moyen atteint représente 2,66 fois le salaire annuel moyen des travailleurs ayant quitté la construction l’année auparavant (l’année de leur départ). Il faut souligner toutefois qu’un peu plus du cinquième des travailleurs ayant quitté l’industrie n’ont pas de revenu d’emploi durant l’année suivante.

Discussion sur les résultats

Le roulement de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction mesuré selon le critère des cessations d’emploi dites permanentes est particulièrement élevé comparativement à la moyenne des secteurs d’activité économique mais il se décompose en deux mouvements aux incidences distinctes pour l’industrie et la main-d’oeuvre. D’après les données présentées dans cet article, quelque quatre travailleurs sur dix ont une cessation d’emploi permanente au cours d’une année dans l’industrie de la construction. De ce nombre, un peu moins de la moitié des travailleurs (43 %) demeurent au sein de l’industrie (du moins dans l’année suivante) en se retrouvant chez un autre employeur. Il s’agit d’une dynamique du marché du travail et de l’activité de production dans cette industrie qui a été constatée à l’échelle canadienne mais aussi dans plusieurs autres pays (Jenness, 1975 ; Leclerc et Sexton, 1983 ; Lin et Pyper, 1997 ; Dunlop, 1958 ; Bosch et Philips, 2003). Par ailleurs, un peu plus de la moitié des travailleurs ayant eu une cessation d’emploi permanente (57 %) dans l’industrie de la construction au Québec ne sont plus dans ce secteur l’année suivante, ce qui se comparerait à la moyenne observée de l’ensemble des secteurs selon Lin et Pyper (1997) qui ont travaillé sur le cas de l’Ontario. Toutefois, ramené à l’ensemble de la main-d’oeuvre en emploi dans l’industrie de la construction, on peut dire que c’est un peu plus d’un travailleur sur cinq qui quitte annuellement la construction comme secteur d’activité. Si certains d’entre eux se retirent du marché du travail (entre 17 % et 25 % des départs dits permanents selon les provinces), il reste que plusieurs iront travailler dans un autre secteur, ce qui pose la nécessité de recruter sans cesse de nouveaux salariés dans l’industrie pour répondre aux besoins des entreprises surtout en période de forte activité comme celle connue depuis le début 2000. Que savons-nous de plus sur ces travailleurs maintenant ?

Tableau 4

Salaire annuel moyen obtenu en 2000 par les salariés ayant quitté l’industrie de la construction en 1999 selon les principaux secteurs de destination, Québec

 

Salaire annuel moyen obtenu en 2000 par les salariés ayant quitté l’industrie de la construction en 1999, Québec*

Secteurs d’activité économique

(CTI – 1980)

En $

En % du salaire annuel moyen obtenu en 1999 dans la construction par les salariés ayant quitté l’industrie (9 504 $)

Industries primaires (agricoles, pêche et piégeage, exploitation forestière, mines)

20 471

215,4 %

Industries manufacturières

25 245

265,6 %

Industries du transport et de l’entreposage

21 730

228,6 %

Industries du commerce de gros

25 423

267,5 %

Industries du commerce de détail

15 041

158,3 %

Industries des communications et autres services publics ; Industries des intermédiaires financiers et des assurances

22 810

240,0%

Industries des services gouvernementaux (dont éducation, santé et services sociaux)

17 069

179,6 %

Industries de l’hébergement et de la restauration

13 474

141,8 %

Autres industries de services

28 427

299,1 %

* Rappelons que suivant le tableau 3, on compte 22,4 % des travailleurs qui ont quitté l’industrie qui n’ont aucun revenu d’emploi l’année suivante.

Source des données : FDLMO, Statistique Canada, compilation spéciale.

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D’abord, conformément à la plupart des travaux identifiés dans la littérature, les travailleurs qui quittent l’industrie sont plus jeunes si on se réfère à leur moyenne d’âge par rapport à l’ensemble des travailleurs de l’industrie. Qui plus est, nous pouvons aussi suggérer qu’ils sont davantage enclins à quitter l’industrie lorsqu’en plus d’être parmi les plus jeunes ils sont peu qualifiés sur le plan professionnel. Dans une telle éventualité, leur plus faible investissement en capital humain spécifique à la construction (non diplômé d’une école de métiers de la construction) peut avoir réduit leur employabilité dans l’industrie (heures travaillées annuellement) mais a par ailleurs pour effet de minimiser la perte associée à un changement d’industrie par rapport à ceux qui ont acquis une qualification pertinente avant d’entrer dans l’industrie. Toutefois, nos données ne sont qu’exploratoires à ce sujet bien que cette explication rejoigne celles d’autres travaux (McConnell et Brue, 1995 ; Bosch et Philips, 2003 ; Bilginsoy, 2003). Par ailleurs, nos données ne révèlent pas de différence entre les proportions relatives des hommes et des femmes qui quittent l’industrie par rapport à ceux qui y oeuvrent.

Sur le plan salarial, nos données suggèrent que les travailleurs qui quittent l’industrie ont eu une expérience de gains nettement inférieurs à ceux obtenus par la moyenne des travailleurs de l’industrie, soit de 32 % à 40 % de ces gains selon les provinces. Ces travailleurs qui quittent ont donc travaillé en moyenne de courtes périodes dans l’industrie, ce qui pourrait être corrélé d’ailleurs avec de plus faibles qualifications professionnelles ou le statut d’apprenti qui correspond tant à une moyenne d’âge plus jeune qu’à des heures travaillées plus faibles en général dans l’industrie. On peut aussi établir un lien ici avec les travaux de Heisz (2002) et Farber (2003) qui ont démontré que la mobilité était corrélée avec la durée du premier emploi. Plus celle-ci est élevée, plus la mobilité observée d’un travailleur donné sera faible et inversement. Nous ne pouvons dire aussi clairement avec nos données si la faible expérience de gains des travailleurs qui quittent la construction est le fruit d’un premier emploi dans la construction mais on observe une durée en emploi (mesurée par les gains annuels) fort courte chez ces travailleurs. Cela suggère qu’une faible expérience de travail (instabilité en emploi) les incite d’autant à aller voir ailleurs pour améliorer leur sécurité économique.

D’autre part, si on couple cette expérience de faibles gains dans la construction avec ceux obtenus l’année suivante par les travailleurs qui ont obtenu un emploi dans un autre secteur d’activité, on observe une hausse de 42 % à quelque 200 % par rapport aux gains réalisés dans la construction. À titre d’exemple, le secteur manufacturier où se retrouveront un peu plus d’un travailleur sur cinq ayant quitté la construction procure une amélioration du revenu annuel de 166 %. Ces résultats vont dans le sens de la littérature à l’effet, d’une part, que la mobilité est plus souvent corrélée avec de faibles gains initiaux des salariés et, d’autre part, en conséquence logique, la mobilité traduit chez le travailleur une recherche d’amélioration de sa situation économique. Par ailleurs, bien que nous n’ayons pas d’information spécifique sur la nouvelle occupation des travailleurs ayant changé de secteur d’activité (le fichier de données longitudinales sur la main-d’oeuvre ne permet pas cette identification), nous pouvons avancer l’hypothèse que le changement de secteur aura tendance à correspondre aussi à un changement occupationnel chez ces travailleurs. Cela peut-être soutenu tant par le fait que la plupart des métiers exercés dans la construction y sont très spécifiques et peu exportables comme tel vers d’autres secteurs, que par les secteurs de destination des travailleurs ayant quitté la construction qui ont souvent peu à voir avec cette dernière (ex. : transport, commerce, services publics et même les industries manufacturières).

En conclusion : le défi de concilier mobilité de la main-d’oeuvre et stabilité en emploi

Le double profil de la mobilité de la main-d’oeuvre dans la construction représente un défi permanent pour une industrie dont les caractéristiques de l’activité productive ont été maintes fois observées dans la littérature. Comment attirer et maintenir dans l’industrie une main-d’oeuvre qui aura bon an mal an le double des cessations d’emploi des autres secteurs ? Nos données suggèrent quelques pistes à ce sujet et au-delà de celles-ci, nous avançons une explication davantage tournée vers le type de régulation mise en place.

De nos données, il ressort une première conclusion relative aux conditions à mettre en place pour minimiser les départs permanents de l’industrie. Celles-ci devraient viser la meilleure assurance possible aux travailleurs recrutés d’obtenir un nombre d’heures de travail jugés satisfaisant, permettant un niveau de revenu qui soutient minimalement la comparaison avec d’autres secteurs. Nos données suggèrent en effet que les départs de l’industrie se retrouvent davantage chez les travailleurs plus jeunes qui auront connu une expérience de faibles gains. Certes, il ne s’agit pas de la seule explication et la recherche d’un emploi qui correspond mieux à ses attentes de toutes sortes fait partie de la dynamique intrinsèque de la mobilité sur le marché du travail comme la littérature l’indique. Néanmoins, et en dépit des particularismes de son activité productive, l’industrie de la construction peut sans doute arriver à minimiser les départs annuels, diminuant d’autant la tâche d’attirer en permanence de nouveaux travailleurs. À ce titre, il semble en particulier que le recrutement de travailleurs diplômés ait un effet favorable sur leur rétention par rapport aux travailleurs sans expérience, ni connaissance spécifique de l’industrie. D’autre part, les acteurs de l’industrie sont sans doute les mieux placés pour identifier les modalités organisationnelles favorisant le maintien en activité de la main-d’oeuvre sur une base annuelle, ce qui variera sans doute d’ailleurs avec le type de régulation de l’industrie mise en place.

Nos données révèlent que le Québec a un taux annuel de mobilité de sa main-d’oeuvre parmi les plus faibles au Canada (seule l’Ontario avait un taux plus bas durant la période étudiée) et nous suggérons ici que le type de régulation conjointe et sectorielle de son industrie est un élément explicatif possible de cette réalité. Tel qu’expliqué au début de cet article, la régulation sectorielle de la main-d’oeuvre et en particulier la gestion centralisée des avantages sociaux est une modalité organisationnelle qui permet d’atténuer certains désavantages de l’instabilité d’emploi pour les travailleurs. La capacité à offrir des avantages sociaux intéressants et compétitifs en regard des autres secteurs (régimes de retraite, d’assurance, cumul de temps interemployeurs pour les vacances, etc.) dans une industrie composée largement de très petits employeurs est sans doute un résultat inhérent à cette régulation sectorielle au Québec. Par surcroît, cela constitue probablement un facteur attractif, sinon de rétention pour la main-d’oeuvre. En d’autres termes, nous suggérons que ce modèle de régulation sectorielle permet une gestion de la main-d’oeuvre qui concilie les impératifs de mobilité élevée propre à ce secteur en même temps qu’il assure une certaine sécurité économique aux travailleurs. Si les acteurs de l’industrie arrivent à renforcer cette sécurité économique par le biais des heures travaillées et du revenu conséquent, on peut prévoir en vertu de nos résultats que la mobilité observée sous la forme des départs permanents de l’industrie en sera davantage réduite.