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Introduction

L’intérêt pour l’interdisciplinarité ne cesse de prendre de l’ampleur depuis une vingtaine d’années. Il s’agit notamment de réfléchir à ce qui constitue l’inter, de repérer ce qui compose l’espace dans lequel se produit la rencontre des disciplines. Ce locus de l’interdisciplinarité peut se concevoir comme découlant des nécessités d’une intervention concrète dans le monde, comme le fait d’une métathéorie englobante, comme le reflet de la complexité des objets (Bonnet, 2005 ; Hamel, 1995), voire comme l’effet d’une méthodologie transversale à un groupe de disciplines (Hamel, 1995). Le présent article rend compte d’une étude portant sur ce dernier locus de l’inter. Nous avons ainsi étudié la forme que prend l’une des activités fondatrices de l’activité scientifique, soit la recension des écrits, pour deux disciplines à la fois proches et distinctes, en l’occurrence le travail social et les sciences infirmières. Resweber (2000) estime que l’étude de l’homologie des formes entre deux phénomènes, ici deux pratiques méthodologiques, permet de mieux penser l’objet complexe que constitue l’interdisciplinarité. Par effet de miroir, une telle comparaison permet de réfléchir à la construction même de la disciplinarité en travail social.

Interdisciplinarité, méthode et recensions des écrits

L’espace de dispersion des conceptions de l’interdisciplinarité se déploie sur deux axes, l’un épistémologique, l’autre praxéologique (Mathurin, 1995). Autour du premier axe se trouve une profonde remise en cause du positivisme scientifique fondé sur le projet de découpage du monde en objets insécables, projet duquel découlent autant de spécialités disciplinaires qu’il en fallait pour réduire ainsi la complexité. En réponse à cette posture, l’interdisciplinarité se propose de (re)prendre en considération la complexité perdue des phénomènes. Dans cette perspective, la rencontre des disciplines peut s’élaborer autour d’une métathéorie, laquelle permettrait de relier les diverses théories substantives à un objet particulier. Par rapport au second axe, l’interdisciplinarité se conçoit comme une transformation de diverses pratiques (Bibeau, 1991) entre acteurs coactifs autour de problèmes réels (Klein, 1996 ; Lenoir, Rey et Fazenda, 2001). La complexité de ces problèmes s’explique précisément par la différence épistémologique entre un objet réduit abstrait dans l’in vitro et un problème concret, forcément global, faisant l’objet d’une intervention dans l’in vivo. Le travail coactif qu’appelle la condition in vivo a pour effets inattendus (Faure, 1992) une transformation des représentations du monde favorisant l’émergence d’un interlangage (Apostel, 1972 ; Couturier, 2006) et l’élaboration de façons de faire communes aux acteurs affairés à résoudre le problème en question. Ces façons de faire partagées se sédimentent en méthodologie interdisciplinaire. Gusdorf (1988) en appelle même à l’élaboration d’une méthode unifiée pour appréhender l’unité de l’humain ainsi recomposée.

La recension des écrits constitue une activité méthodologique fondatrice de tout processus de recherche (Patton, 2002). Elle assure « the cumulative nature of science, trustworthy accounts of past research [which] are a necessary condition for orderly knowledge building » (Cooper, 1998 : 1). Ce principe constitutif de la science, énonçant le caractère global et cumulé du savoir, pousse le chercheur à tenir compte des savoirs en périphérie de son champ disciplinaire pour ouvrir ses horizons (Deslauriers et Kérisit, 1997). Au moins sous cet aspect, la pratique de recension des écrits est au coeur des pratiques scientifiques interdisciplinaires.

En raison de son caractère fondateur de l’activité scientifique, la recension des écrits devrait s’appuyer sur un cahier des charges[1] pour garantir sa scientificité. Greenhalgh et al. (2005) relèvent cependant une grande variabilité d’approches dans la manière de réaliser une recension des écrits. À propos de leur propre thème de recherche, soit l’innovation, ces auteurs ont donc observé que les chercheurs affiliés à différentes traditions épistémologiques « had conceptualised, explained and investigated diffusion of innovations differently and had used different criteria for judging the quality of empirical work » (2005 : 417). En réponse à cette trop grande diversité, ils proposent d’élaborer une méthode, la « meta-narrative review », essentielle pour produire des synthèses de savoirs provenant de sources hétérogènes. Quoi qu’il en soit de ce projet unificateur, la variabilité des règles en présence, lesquelles ont certes leurs vertus, leurs conditions, leurs potentialités et leurs limites, offre, selon nous, un terrain propice à l’exploration des métissages méthodologiques et, donc, à l’interdisciplinarité.

Méthodologie de l’étude : « sur-analyse » des recensions et description morphologique

Cette recherche visait à faire état des conceptions disciplinaires en travail social et en sciences infirmières de l’activité fondamentale en recherche qu’est la recension des écrits. Le choix de ces deux groupes professionnels se justifiait par le fait qu’ils ont un certain nombre de caractéristiques communes au plan sociologique (par exemple, une formation déjà très interdisciplinaire) et une histoire en partie commune, tout en étant différentes au plan épistémologique.

Bien entendu, il ne s’agissait pas de réaliser une méta-analyse des résultats de recherche, laquelle s’exécute à partir d’une analyse quantitative des résultats (Rosenthal, 1991). Ce ne sont donc pas les résultats qui nous intéressaient, mais bien les formes et stratégies narratives employées dans le cadre de ces recensions d’écrits. Nous avons qualifié cette activité de « sur-analyse », au sens d’une étude en surplomb. Pour ce faire, nous avons analysé la forme narrative de 100 recensions des écrits, dont la moitié issue du travail social. Cette étude de la forme narrative a été inspirée de l’analyse morphologique de contenu (Krippendorf, 1980) et de l’activité de classement des relations conceptuelles présentée par Rosenthal (1991). Plus précisément, nous avons eu recours à la recension intégrée et théorique des écrits (Cooper, 1998), avec comme catégories d’analyse les paramètres de la mise en forme plutôt que leurs contenus. Pour ce faire, nous avons élaboré et prétesté une grille d’extraction de données à partir de quatre paramètres morphologiques.

  1. Comment se formule l’objet sur le plan de la mise en problème et du découpage du réel.

  2. Comment s’élabore le projet de connaissance aux plans de la méthode, des rapports aux théories de référence et de l’énonciation de la légitimité sociale, etc.

  3. Comment se présentent les résultats aux plans épistémologique, des retombées de formation ou d’application, des pistes de recherche entrevues au terme de l’exercice, etc.

  4. Comment se construit la stratégie de diffusion des connaissances aux plans des lectorats visés, des modalités de présentation des produits de recherche, etc.

Le corpus a été constitué à partir de deux critères d’inclusion. Il devait d’abord s’agir d’articles scientifiques de langue anglaise ou française[2] provenant du travail social ou des sciences infirmières, puis de textes ayant explicitement comme principal objectif de recenser des écrits. Pour ce dernier critère, le titre, le résumé ou les mots clés devaient avoir l’une ou l’autre des acceptions du concept de recension des écrits. La constitution du corpus a été réalisée à partir de deux banques de données propres à chacune des disciplines, soit CINHAL (sciences infirmières) et Social Work Abstracts (travail social). Dans CINHAL, 1352 résultats ont été obtenus pour le mot clé « literature review ». Nous avons par la suite réduit ce nombre à 652, puis à 128 en sélectionnant le type d’article sous la rubrique « review articles » et en croisant les critères. Nous avons retenu les 50 résultats les plus récents, lesquels se distribuaient sur moins de trois ans. Dans Social Work Abstracts, nous avons procédé de la même manière sans toutefois avoir eu besoin de circonscrire davantage les résultats. De fait, pour les mêmes mots clés qu’en sciences infirmières, 63 articles se dispersant sur une période de 13 ans ont été recensés. Comment expliquer une telle différence entre les deux groupes professionnels ? Nous formulons l’hypothèse que cela peut s’expliquer non seulement par la disproportion numérique des deux disciplines, mais aussi par la façon dont le travail social conçoit et opère les recensions d’écrits. Au sein de cette discipline, il appert que cette activité fondatrice en recherche n’ait pas le statut de communication scientifique de plein droit et qu’elle représente plutôt une sorte de préambule à une activité de recherche plus fondamentale. Ainsi, elle se retrouve dans les articles et rapports de recherche pour introduire le texte, mais elle ne fait que très peu l’objet d’une production narrative autonome, comme l’illustrent nos résultats.

Les données recueillies ont été agrégées puis modélisées de façon à élucider ce qui distingue ou relie les deux disciplines à l’étude, et donc les points de passage interdisciplinaires.

Un espace de différences

À l’instar de l’étude de Greenhaglh et al. (2005), nous avons pu noter quelques différences quant aux façons de conduire une recension des écrits jusqu’à sa publication. En travail social, la recension des écrits sert davantage à la problématisation d’une question de recherche ou d’une question sociale, alors qu’en sciences infirmières, elle concerne des problématiques plus étroites et répond au besoin de cumuler des connaissances sur un thème très circonscrit, souvent clinique. Pour le travail social, les formes sont diverses et les stratégies méthodologiques, la plupart du temps, implicites. Il semble donc que, dans cette discipline, la recension des écrits ne constitue pas une opération de recherche à très forte prescription. En d’autres termes, contrairement aux sciences infirmières, le travail social puiserait dans un bassin d’écrits utiles à sa problématisation et ne ferait que rarement la sommation exhaustive et méthodique des savoirs sur un objet donné. En sciences infirmières, nous faisons par contre face à des textes pour lesquels on peut facilement repérer le cahier des charges ; en fait, la structure narrative indique par elle-même aux lecteurs le cahier des charges suivi.

En ce qui a trait à la construction du projet de connaissance, de façon tendancielle, le travail social emprunte aux écrits pour diverses fins et ne vise que rarement l’unique sommation des savoirs préexistants. Pour cette discipline, la recension des écrits est donc souvent multifinalisée. Elle peut servir autant à problématiser une question, à soutenir un point de vue, à faire état des débats, à relever des lacunes dans l’intervention ou des carences de savoir qu’à expliciter la filiation théorique d’une recherche. De façon générale, il est moins question de chercher à élucider des carences épistémiques à combler que de démontrer l’éclatement des sens. La publication d’une recension des écrits constitue alors une preuve de la complexité et de l’irréductibilité des phénomènes à une seule théorie.

A contrario, pour les sciences infirmières, la tendance est plutôt à la cumulation des savoirs et à l’unification du langage, et ce, tant pour la recherche que pour la pratique. Ainsi, le travail de sommation des savoirs prépare la formulation de protocoles d’intervention clinique. Il s’agit donc de découvrir par l’agrégation de résultats et d’en inférer le vrai, notamment dans le but de produire des guides de pratique prescriptifs. Au plan scientifique, la recension des écrits vise donc moins la conception ou la problématisation d’une question que la démonstration, par une logique cumulative, de l’état des savoirs autour d’une thématique donnée. La recension des écrits pour ce groupe professionnel apparaît donc plutôt monofinalisée, avec une intention soit clinique, soit scientifique.

Quant aux résultats de recherche, plusieurs différences sont également observables entre les deux disciplines. En travail social, la production du savoir s’élabore sous l’angle d’un pluralisme épistémologique, lequel soutient que la seule agrégation des résultats ne peut permettre la saisie de toute la complexité des phénomènes. Ainsi, plusieurs types de savoirs sont convoqués dans le travail de présentation des résultats. Par exemple, une analyse de cas peut être citée par le rédacteur de la recension des écrits dans le but de soutenir, contredire ou nuancer les points de vue prévalant dans les écrits recensés.

En sciences infirmières, toujours de façon tendancielle, les résultats se construisent explicitement selon des principes plus positivistes. Ici, la recension des écrits ne prend pas la forme d’une dissertation maîtrisée comme en travail social, mais bien d’une structure de preuve, souvent appuyée par la quantification des données traitées. La recension se présente alors comme une méta-analyse des résultats de recherche, au sens de Rosenthal (1991). Ici, la recension des écrits agrège des résultats au lieu de cartographier le champ de dispersion des concepts, comme c’est souvent le cas en travail social. La recension des écrits est ainsi proche au plan méthodologique du travail d’agrégation des données probantes (Couturier et Carrier, 2004).

S’agissant des retombées théoriques, en termes de formation ou d’application, de pistes de recherche ou de réflexion, la recension des écrits en travail social invite souvent le lectorat à se tourner vers la réflexion critique en ce qui concerne des approches cliniques, des paradigmes, des stratégies et des programmes de prévention et d’intervention clinique. Elle est donc moins une proposition de « protocolarisation » (Nélisse, 1996) d’une pratique qu’une contribution au débat.

Du côté des sciences infirmières, les retombées de l’exercice sont souvent avancées sous forme de guides prescriptifs à l’usage des praticiens. Par exemple, les recensions des écrits peuvent concerner de nouvelles médications ou de nouveaux outils qui exigent de faire la somme des savoirs pour guider la pratique vers une plus grande efficacité. Les retombées sont également présentées comme l’identification de connaissances manquantes, avec la proposition de pistes de recherche pour combler ce manque.

Quelques points de passage

Au sein des deux disciplines, nous avons remarqué une même volonté de critiquer les écrits recensés. La méthodologie des études est particulièrement questionnée, par exemple lorsqu’il est question d’un échantillonnage trop petit. De plus, les deux groupes disciplinaires partagent le même point de vue quant à la nécessité d’inscrire davantage les recherches dans l’empirie. Mais cette convergence en ce qui concerne les grands principes de recherche s’estompe au moment où les disciplines énoncent les solutions pour remédier aux carences méthodologiques observées. De fait, le travail social souligne la nécessité de mieux fonder empiriquement les recherches, de varier les échantillonnages et d’accroître la variabilité des méthodes afin de saisir la complexité. En sciences infirmières, la solution réside plutôt du côté d’une plus grande positivité scientifique par la maîtrise longitudinale des données, le contrôle plus serré de l’échantillonnage et l’unification méthodologique.

Quant aux stratégies de diffusion des connaissances (destinataires, présentation des résultats, etc.), les deux disciplines s’adressent autant au milieu de la recherche qu’à celui de la pratique. Toutefois, les recensions des écrits en travail social sont souvent présentées comme des outils réflexifs pour la discipline, alors qu’en sciences infirmières ils tendent plutôt à faire valoir le caractère scientifique de la discipline. En travail social, le principal destinataire est d’abord le champ disciplinaire dans son ensemble, tandis qu’en sciences infirmières le premier lecteur prend plutôt la figure d’un clinicien spécialiste ou d’un chercheur spécialisé.

Il y a donc convergence entre les deux disciplines quant à l’emploi de la recension des écrits pour « faire la discipline », pour unifier le groupe professionnel (Lenoir et Sauvé, 1998), mais selon deux valences de la disciplinarité bien distinctes. Cette intention de « discipliner » le discours signifie pour le travail social de soutenir sa légitimité en rappelant sans cesse sa pertinence sociale, ses objets propres et ses missions. Ici, la pluralité des savoirs n’est pas une carence, mais bien la preuve de la complexité du champ social et, par conséquent, de la pertinence de la discipline. En sciences infirmières, la recension des écrits permet surtout d’unifier les lexiques et, donc, les représentations du monde. Voici schématiquement les deux formes narratives observées.

Figure 1

Forme narrative principale en sciences infirmières

Forme narrative principale en sciences infirmières

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Figure 2

Forme narrative principale en travail social

Forme narrative principale en travail social

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Recension d’écrits et recension des écrits

Que se dégage-t-il au terme de cette étude sur les recensions des écrits publiées ? D’abord, il semble qu’en travail social la recension des écrits soit avant tout une recension d’écrits, avec un pronom indéfini, c’est-à-dire que le principe scientifique qui guide l’action du chercheur n’est pas l’exhaustivité mais bien l’utilité problématique. En ce sens, la recension d’écrits ne semble pas avoir le statut d’activité de recherche complète en elle-même, mais bien celui d’un outil qu’on emploie à multiples fins et qu’on réalise selon diverses façons de faire. Ainsi, le statut épistémologique de la cumulativité des savoirs distingue de façon tendancielle les deux groupes disciplinaires.

Pourtant, par-delà les divergences épistémologiques apparentes, nous avons relevé le fait que chacun des groupes professionnels réfléchit à ses propres limites méthodologiques et appelle la posture de l’autre groupe comme possible dépassement de ses propres limites. Ainsi, nombre de recensions d’écrits en travail social invitent à maîtriser davantage les données, en réponse notamment à la difficulté de leur généralisation. Pour les infirmières, le dépassement consiste à accéder aux divers sens pour mieux reconnaître la complexité des phénomènes, notamment en rappelant la nécessité d’aller vérifier la signifiance empirique des résultats agrégés par leurs recensions d’écrits. Cet appel du point de vue de l’Autre conforte les travaux de Grennhalgh et al. (2005) qui observèrent des petites révolutions scientifiques là où les chercheurs ont abandonné leur paradigme prévalant en introduisant « a new set of concepts, theories and empirical methods » (2005 : 417) au-delà des évidences narratives et épistémologiques du groupe disciplinaire. Cet énoncé fait apparaître le potentiel d’un inter-disciplinaire et révèle un passage ou un espace de transactions possibles entre les deux groupes professionnels.

Conclusion : discipline et scientificité en travail social

Nous voulions par cette étude comparer les différentes modalités disciplinaires de l’activité fondamentale en recherche qu’est la recension des écrits. Plus exactement, notre intention était d’étudier les démarches au sein des deux groupes professionnels en titre afin de repérer les complémentarités possibles. Or, nous avons observé de prime abord que les divergences dépassent en plus grand nombre les convergences. Faut-il pour autant renoncer à toute velléité interdisciplinaire ? En fait, nous croyons avoir élucidé deux passages méthodologiques entre ces deux mondes disciplinaires.

Le premier concerne la nécessité pour chacun de se savoir participer d’un champ scientifique à plusieurs plans. Autrement dit, quelle que soit la posture épistémologique des recensions des écrits, il apparaît une forme subtile d’interdisciplinarité à travers cette intention commune de saisir la complexité des phénomènes. Mais, plus important encore, nous avons été surpris par l’analyse des limites des recensions des écrits telles qu’elles ont été formulées par les chercheurs. Par un reflet en miroir, chaque groupe appelle au désenclavement de ses méthodes respectives. Ce désir de l’autre, comme horizon de dépassement de soi, est sans conteste l’une des principales conditions du développement de l’interdisciplinarité (Couturier, Gagnon, Carrier, 2005), et peut, de surcroît, être une occasion pour le travail social de mieux défendre sa légitimité dans le champ de la recherche. Cela appelle également à instaurer dès les formations initiales des espaces de formation, non pas à l’interdisciplinarité, ce qui existe déjà, mais bien des espaces interdisciplinaires en formation permettant aux membres des deux groupes de se côtoyer et d’exposer la valeur respective de leurs méthodes de travail en posant la complexité de l’intervention auprès d’un usager comme principe fédérateur (D’Amour et Oandasan, 2004).

Si nous avons illustré comment l’effet miroir constitue une condition favorable à une pratique interdisciplinaire, une question importante pour le travail social demeure : une recension d’écrits, est-ce encore une recension des écrits ? L’ancrage constructiviste de la discipline autorise-t-il à faire l’économie de l’effort de cumulativité ? Et cette même posture libère-t-elle le travail social de l’exigence scientifique de respecter le cahier des charges de la recension des écrits ? Nous pensons que les principes méthodologiques exposés par Bourdieu (1980), que sont par exemple l’explicitation théorique ou la réflexivité, permettraient ici de concilier le nécessaire principe de scientificité et celui de la diversité épistémologique. En fait, la diversité n’est pas en cause ici, mais bien la pratique d’occultation des règles constituant les cahiers des charges découlant des diverses postures épistémologiques. Enfin, nous savons empiriquement qu’il existe en travail social des recensions d’écrits systématiques, mais qui font peu souvent l’objet de publications, du moins dans les banques de données reconnues. Au plan d’une sociologie de la science, ce processus d’invisibilisation des recensions des écrits en travail social serait fort intéressant à étudier et permettrait de mieux comprendre comment se constitue la discipline du travail social. Il appert néanmoins que la discipline en travail social se constitue moins comme un groupe homogène que comme un champ disciplinaire, où la diversité des points de vue n’est pas carence temporaire mais bien structure fondamentale de ce qui fait discipline. En ce sens, le travail social apparaît moins discipliné que d’autres groupes, ce qui, en contexte de valorisation de la complexité, apparaît comme un atout certain.