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Moncton-rue Dufferin  27 septembre 2002

Suite à la décision de déposer mes papiers aux Archives de la Bibliothèque nationale du Canada au cours de l’an 2002, j’ai dû « déterrer » cette masse de paperasse en vue d’y mettre un peu d’ordre. Que d’émotion [sic], que de surprises d’ouvrir des chemises, des cahiers, datant des années 1970, et rédigés alors que j’habitais la rue Dufferin. Presque chaque feuille éveillait une mémoire du temps d’écriture. En lisant ces esquisses, ces bribes, ces tentatives de poèmes, de textes divers, je comprends aujourd’hui que je faisais mes gammes, ou comme dirait l’autre : que je me faisais les dents.

Évidemment ce qui me manquait d’académisme et de savoir faire était compensé par un culot affranchi. Étant un pur produit des années 60, tant par la culture musicale et littéraire américaine, que par les turbulences qui secouaient une certaine partie de la jeunesse acadienne, je voulais témoigner de cet état de chose. Et pourtant, je voulais aussi faire des poèmes, « quelque chose de beau » comme le disait si justement Guy Arsenault. Je méditais sur des citations qui réconciliaient un peu les deux, par exemple : « la poésie n’est pas que belle, elle doit être rebelle »[1]

Moncton 5 décembre 1999

Au fil des ans et en dévorant tous les livres qui me tombaient sous la main, j’en suis arrivé à une appréciation plus claire de ce que constituait l’écriture. Il m’était loisible d’explorer ce que je vivais par le truchement du langage, de le réorganiser et d’en arriver à donner une forme concrète à l’anarchie de mon existence.[2]

Ceux qui l’ont côtoyé savent que Gérald Leblanc accumulait et conservait une quantité astronomique de livres et une masse imposante de « paperasse ». L’état des lieux de ses appartements successifs en témoignait, paraît-il. Lorsque je l’ai approché au Salon du livre d’Edmundston, en avril 2002, dans le but de l’inviter à confier ses archives à la Bibliothèque nationale du Canada [3], Gérald Leblanc prétendait n’avoir pas beaucoup d’archives intéressantes à léguer à la postérité outre ses manuscrits, quelques pièces de correspondance et peut-être son journal intime, d’autant plus, disait-il, que ses papiers étaient conservés dans un fouillis indescriptible.

Il m’a d’abord fallu le convaincre du potentiel de recherche que recelaient certains documents qu’il jugeait sans intérêt, comme ses agendas, ses carnets de notes, ses multiples projets narratifs, plans et brouillons, puis le persuader de la valeur des feuillets épars sur lesquels il inscrivait des bribes d’idées, des amorces de textes à venir, des listes de noms d’écrivains ou de musiciens. Ensuite, il m’a été facile de lui démontrer la valeur de témoignage accrue que possède un ensemble de documents conservés dans l’ordre où ils ont été créés et accumulés, utilisés et réutilisés par un écrivain, et aisé de le persuader de l’importance de conserver cet ordre original, ou ce désordre original qui, dans son cas, faisait partie du processus de création et qui allait témoigner de son rapport à la vie, à l’écrit, à l’écriture. Une fois décidé à se départir de ses archives, opération qui heureusement coïncidait avec un nouveau déménagement, Leblanc entreprit de rassembler ses papiers, d’y mettre tout de même « un peu d’ordre » et surtout d’identifier ses dossiers. En « déterrant » les archives qu’il allait nous confier dans un premier versement, il a aussi identifié et mis de côté plusieurs ensembles de documents dont il n’était pas prêt à se départir dans l’immédiat, soit par attachement, soit parce que ces documents étaient toujours nécessaires à son travail d’écriture.

Lors de cet exercice, Leblanc a systématiquement donné des titres à chacune des chemises et des enveloppes regroupant ses documents. Il a même parfois pris soin d’y ajouter quelques notes explicatives comme le nom de famille des correspondants dont les lettres étaient signées de leur seul prénom, ou le lieu et la saison d’écriture des textes ainsi réunis. La façon dont il a consigné ces renseignements dans le coin supérieur droit des enveloppes ou des chemises, toujours avec la même encre et avec son écriture des années 2002-2003, indique qu’il s’agissait d’une opération faite après coup, à l’intention de la postérité, et non d’une opération de classement ou d’identification des dossiers effectuée au fil des années. Aussi, plusieurs dossiers comportaient deux titres, l’un des années 2002-2003 et l’autre de l’époque de la création des documents. Une grande partie des documents datant d’avant les années 2000 et retrouvés à son appartement suite à son décès étaient déjà identifiés de la sorte, ce qui révèle son intention de les confier à Bibliothèque et Archives Canada dans un second versement qui aurait eu lieu en 2012 tel que nous en avions convenu.

L’instrument de recherche donnant accès à ses archives reproduit les titres donnés par Leblanc à ses dossiers. Il avait aussi dressé une liste sommaire du contenu des boîtes de documents, qu’il allait nous confier, liste qui a permis d’établir certaines séries de dossiers à l’origine du classement définitif de son fonds d’archives. Afin de faciliter le repérage des documents, nous avons établi les autres séries en fonction des différents champs d’activités et des différents genres littéraires auxquels il s’adonnait. Ainsi, le premier versement du fonds Gérald Leblanc, dont le classement et la description ont été complétés en 2004, est constitué des onze séries suivantes dont la portée et le contenu seront résumés ci-après :

  • Correspondance, 1967-1999;

  • Journal et documents de voyage, 1971-1999;

  • Carnets, cahiers et agendas, [vers 1973]-1999;

  • Poésie, 1972-2002;

  • Chansons, 1977-1994;

  • Romans, nouvelles, contes et récits, 1960-1997;

  • Théâtre, télévision, cinéma, 1974-1999;

  • Textes de performances, lectures de poésie, spectacles, [1975]-1997;

  • Essais, articles et autres écrits, 1971-1994;

  • Traduction, [1984?]-1991;

  • Photographies, 1970-2001[4].

Ce premier versement, dont l’étendue linéaire est de 3,25 mètres de documents, est surtout constitué de documents olographes et de dactylogrammes comportant plusieurs ajouts, substitutions, corrections, ratures et réécritures. On y trouve aussi quelques tapuscrits légèrement annotés (sorties d’ordinateur), près de 200 photographies, plusieurs dessins et quelques collages. Les documents retenus pour un second versement, dont l’acquisition et le traitement sont en voie d’être complétés, couvrent près de 2 mètres linéaires de documents dont la moitié est constituée de correspondance personnelle et autres écrits intimes comme la suite de son journal ou comme les écrits rassemblés dans les dossiers intitulés « Rêves », « Récits autobiographiques » ou « Notes autobiographiques ».

Certains documents du fonds resteront fermés à la consultation jusqu’en 2045, sauf avec la permission écrite des ayants droit de Gérald Leblanc. C’est le cas du journal intime et de quelques lettres personnelles.

Figure

Documents d’archives du fonds Gérald Leblanc reproduits avec l’aimable autorisation de Paul Bourque, ayant droit.

Bibliothèque et Archives Canada, Fonds Gérald Leblanc. LMS-0254 2003-05 et 2005-06.

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La série Correspondance

La série correspondance, la plus volumineuse du fonds, s’étend de 1967 à 2005 et compte un millier de lettres personnelles de différentes figures de la communauté culturelle acadienne dont, entre autres, Guy Arsenault, Paul Arsenault, Paul Bourque, Régis Brun, Herménégilde Chiasson, Clarence Comeau, Laurent Comeau, France Daigle, Rose Després, Louis Landry, Raymond Guy LeBlanc, Antonine Maillet, Rino Morin Rossignol, Jean-Philippe Raîche, Marie-Jo Thério, Serge Patrice Thibodeau, Roger Vautour, Tristan Wolski. On y trouve aussi des lettres de Claude Beausoleil, Marie-Claire Blais, Nicole Brossard, Karim Choukri, Jean-Paul Daoust, Denise Desautels, John Jear, Jean Larose, Zachary Richard et Yolande Villemaire. La série rassemble également un certain nombre de copies ou de brouillons de lettres expédiées par Gérald Leblanc à ses correspondants. Plusieurs lettres sont accompagnées de poèmes manuscrits ou dactylographiés, pour la plupart inédits, envoyés à Gérald par amitié ou pour lui demander conseils ou avis et ce, bien avant qu’il ne devienne directeur littéraire de la maison d’édition Perce-Neige.

En plus de rendre compte de la vie intime et quotidienne de certains correspondants, dont Gérald Leblanc lui-même, plusieurs lettres traitent du rapport à l’écriture et des activités professionnelles de ceux-ci. Ces correspondances témoignent, entre autres, de l’apport de plusieurs poètes, écrivains, artistes visuels et musiciens à l’Acadie moderne. En outre, les quelques pièces de correspondance professionnelle avec l’Université de Moncton, les Éditions Perce-Neige, les Écrits des Forges, L’Acadie Nouvelle et avec un certain nombre de revues de poésie, rendent compte du dynamisme de celles-ci, de bon nombre de projets de publications conjointes entre des maisons d’éditions d’Acadie et du Québec, et de la perception de la littérature acadienne par différents milieux culturels.

La correspondance échangée de façon soutenue de 1967 à 2003 entre Gérald Leblanc et son cousin Joseph Olivier Roy, successivement domicilié à Leominster au Massachusetts, à Springfield au Vermont, puis à Nashville au Tennessee, forme l’un des ensembles les plus intéressants du fonds. Cette correspondance, souvent bihebdomadaire durant les années 60 et 70, constitue une sorte de chronique politique, culturelle et sociale de l’Acadie, mais aussi une chronique de la recherche spirituelle, des états d’âme, des aventures, des amours, des lectures et des travaux d’écriture des deux hommes. L’ensemble est des plus complets car, en plus d’avoir gardé toutes les lettres de Joseph Olivier Roy, Gérald Leblanc avait conservé bon nombre de brouillons ou de photocopies de ses propres lettres. Fait assez rare, ses lettres originales lui ont été rendues à la mort de Roy et se retrouvent donc dans le fonds. Cette correspondance « américaine » élargit considérablement la portée et le contenu de la série Correspondance. On y retrouve un Gérald Leblanc soucieux de faire découvrir la vie culturelle de l’Amérique française à son cousin du sud, soucieux de bien l’informer de ce qui s’y passe sur le plan de la création artistique, musicale et littéraire. Cette correspondance reflète les interrogations et les profonds bouleversements sociaux et politiques, de même que l’évolution des sociétés acadienne et québécoise modernes.

Si la volumineuse correspondance de Leblanc témoigne de l’étendue de son réseau d’amis, de l’estime qu’on lui prodiguait, de sa contribution au développement des littératures acadienne et francophones d’Amérique et de son implication dans la sphère culturelle et sociale acadienne, la façon dont il avait regroupé les missives de ses correspondants est également porteuse de sens. Elle est non seulement révélatrice de sa personnalité, de l’importance qu’il accordait respectivement à ses relations et à ses activités, mais aussi de l’entrelacement inextricable de sa vie et de son oeuvre. Leblanc conservait sa correspondance selon six agencements distincts qui révèlent différents rapports aux missives expédiées ou reçues, différentes facettes de son travail et de sa vie. Il est intéressant de constater qu’à la réception de ses cartons à Bibliothèque et Archives Canada, plusieurs ensembles de lettres étaient rassemblés selon le nom des correspondants au moyen d’une bande élastique éventée ou d’une chemise usée datant de l’époque de leur rédaction. Autrement dit, Leblanc les avait déjà classées ainsi au fil des ans, bien avant « d’y mettre un peu d’ordre » en vue de les céder aux archives. Toutefois, la majorité de ses lettres personnelles sont classées par petites tranches chronologiques de deux ou trois ans, tous expéditeurs confondus. Ce classement chronologique permet de suivre le déroulement des relations dans leur simultanéité et d’en déceler les influences éventuelles dans la vie et l’oeuvre de Leblanc.

D’autres chemises rassemblent de la correspondance variée, tant professionnelle que personnelle, classée par larges tranches chronologiques, tandis qu’un certain nombre de lettres, le plus souvent liées à des événements artistiques et littéraires, ont été retrouvées éparpillées ici et là entre les dossiers. De plus, les dossiers des séries Poésie, Textes de performances, Essais, articles et autres écrits, et ceux de la série Traduction, renferment tous un bon nombre de lettres. Finalement, quelques lettres personnelles sont classées avec copie de ses propres missives selon le nom des villes où il a séjourné durant de courtes périodes de sa vie (Montréal, Vancouver, New York), séjours qui lui ont inspiré des articles de revue, des suites de poèmes, ou d’autres écrits que l’on retrouve parfois entremêlés à ces correspondances.

La série Journal et documents de voyage et la série Carnets, cahiers et agendas

À côté de la correspondance, il y a le journal intime tenu par Gérald Leblanc du 31 décembre 1971 au 2 mars 2005 et qui s’étend sur 48 cahiers. Son journal est d’abord le reflet de sa vie quotidienne : chronique de ses allées et venues dans les rues et les lieux de Moncton, récit de ses sorties, de ses rencontres, de ses soirées au bar étudiant le Kacho. Leblanc y fait aussi le récit de ses rêves, il y note ses états d’âme, de coeur, de corps et d’esprit. Il y parle de ses amitiés et de ses inimitiés, des livres et des musiques qui le nourrissent, de paradis artificiels, de fêtes, de soirées et de spectacles de poésie auxquels il a assisté ou participé, bref il y fait le compte rendu tant des événements que des petits détails de la vie.

Plusieurs pages des cahiers contiennent des réflexions sur son rapport à l’écriture, sur l’énergie créatrice, sur la politique, l’actualité, la musique, le cinéma, la culture, la contre-culture. La visée de son journal dépasse le cercle strictement personnel et le récit de soi, car la relation de ses faits et gestes constitue un véritable carnet de bord de la vie du milieu littéraire et culturel de Moncton. Faisant le lien entre la quête d’identité personnelle et la quête d’identité acadienne, son journal acquiert une dimension et une valeur historique.

Moins personnel que son journal, ses cahiers de notes, carnets et agendas comptent une trentaine de pièces couvrant les années 1997 à 2005. On y trouve des listes de choses à faire, de disques à acheter, de films à voir, de livres à lire, de lettres à écrire, et plusieurs notes concernant ses activités d’animateur de la vie culturelle acadienne et de directeur littéraire des Éditions Perce-Neige. Les documents de cette série rendent aussi compte de sa participation à plusieurs événements littéraires au Canada et à l’étranger.

Enfin, plusieurs feuillets épars « enterrés » entre les dossiers d’autres séries viendront compléter cet ensemble d’écritures intimes et se révéleront un matériau fascinant pour les études sur le genre autobiographique, sur la mise en scène du soi, de même que pour les travaux portant sur l’histoire de la correspondance et autres champs d’études littéraires, anthropologiques et historiques.

Les séries Correspondance et Journal pourraient se révéler des sources inestimables pour les recherches sur l’histoire culturelle acadienne, sur les réseaux de sociabilité et peut être aussi sur le rôle de soutien et de formation que jouent les correspondances dans l’émergence des écrivains de la modernité acadienne. Elles constituent assurément un corpus de choix pour les différents champs d’études sur la culture gaie, que ce soit pour des travaux sur la vie des homosexuels de sa génération ou sur l’histoire de l’écriture homosexuelle.

La série Poésie

Les documents réunis dans cette série couvrent un peu plus d’un mètre linéaire et mettent en lumière les processus qui ont mené à l’émergence de l’oeuvre poétique de Gérald Leblanc. Ils illustrent l’évolution de son travail d’écriture au fil des transformations sociales, politiques et culturelles de la société acadienne depuis le début des années 70. Les nombreuses notes et citations consignées dans chacun des dossiers rendent compte des lectures, des musiques, des villes, des artistes visuels, des écrivains et des événements qui ont influencé son écriture.

Un grand nombre de dossiers contiennent ce que Leblanc qualifie lui-même de bribes, de fragments, de griffonnages. Une étude du contenu de ces dossiers permettrait de retracer les cheminements du « griffonnage » à la forme définitive du poème et de mettre à jour les mécanismes de production de son oeuvre poétique. Ces documents se révéleront aussi intéressants lorsque examinés en parallèle avec certains dossiers de la série Correspondance et des séries Journal et Carnets qui renferment des fragments des mêmes poèmes.

La série Poésie réunit non seulement les manuscrits de tous les recueils publiés par Leblanc, mais aussi une cinquantaine de dossiers contenant des poèmes inédits du début des années 70, dossiers portant des titres comme « Tentative de construction d’un recueil de poèmes » ou « Griffonnages sur Beechwood Terrace » ou « Gribouillage chez Duane » ou encore « Poèmes pour vivre icitte : Recueil de poèmes dédiés à Raymond Leblanc pi Guy Arsenault / à Roger Vautour pi Yvon Gallant » et dont Leblanc indique qu’il s’agit d’une des premières tentatives de construction d’un recueil de poèmes. Plusieurs de ces dossiers contiennent des poèmes d’amis dont Guy Arsenault, Émilien Basque, Ulysse Landry et Raymond Guy LeBlanc.

Enfin, le second versement du fonds regroupe près de 50 cm d’états manuscrits de poèmes de toutes les époques dont, entre autres, une suite de poèmes intitulée « Les complaintes revisitées » (printemps 2004) et une autre suite intitulée « Textes été 2004 », toutes deux imprimées à l’ordinateur et conservées dans une reliure à attaches. Il comprend aussi plusieurs dossiers de notes éparses, de fragments de poèmes ou de « riffs » comme Leblanc se plaisait à les appeler, à l’image des motifs qui reviennent régulièrement dans la musique rock.

La série Chansons

Cette série de dossiers contient différents états d’écriture de paroles de chansons écrites pour ses amis; elle nous renseigne surtout sur la collaboration de Leblanc avec le groupe folk rock 1755 dont il était le parolier attitré. Certains documents du premier versement de ses archives témoignent du début de sa complicité avec Marie-Jo Thério : le second versement en contient un plus grand nombre encore. La série recèle aussi des documents relatifs à un projet de pièce radiophonique sur l’écrivain et sénateur Pascal Poirier, et toujours un bon nombre de poèmes intercalés entre les feuillets des textes de chansons. Les cloisons entre les différentes activités d’écriture de Leblanc n’étant pas étanches, il n’est pas surprenant de trouver aussi des textes de chansons dans certains dossiers des séries Poésie, Textes de performances, lectures de poésie, spectacles et Théâtre, télévision, cinéma.

La série Romans, nouvelles, contes et récits

Cette série rassemble des projets narratifs et de nombreux états d’écriture du roman Moncton mantra s’échelonnant sur plus de dix ans. On y trouve aussi d’autres textes de fiction, contes et nouvelles, et des ébauches de récits plus ou moins autobiographiques dont certains seront retravaillés et intégrés au roman.

Des milliers de pages manuscrites, des états dactylographiés et un certain nombre de tapuscrits témoignent de l’énorme travail de transformations et de réécriture qui a finalement abouti à la publication de Moncton antra. Successivement indispensables, abandonnées, puis réutilisées en vue d’autres récits ou d’autres projets de romans, ces pages témoignent des différentes configurations narratives expérimentées par Leblanc et mettent à jour les dispositifs de son travail d’écrivain.

Les documents retrouvés à son domicile révèlent que Leblanc avait entrepris d’écrire un second roman. Il avait même rangé les feuillets tapuscrits de différentes versions des premiers chapitres de ce roman dans des reliures à attaches. L’une de ces versions porte le titre « Atlantide ». Dans son dernier projet de roman, « La mémoire reconquise », son intention était « d’élargir la toile de fond de Moncton Mantra pour englober trois générations d’Acadiens […] trois personnages nés entre 1930 et 1980, et de retracer leur évolution parallèlement à l’évolution de la société acadienne. L’exil, l’enracinement et l’éclatement [allaient] constituer les trames narratives de l’intrigue, mais le fil conducteur en sera[it] la langue. »[5]

Par ailleurs, ses archives renferment plusieurs états partiels de récits autobiographiques que sa mort a laissés en suspens. Ainsi, Leblanc avait en chantier un récit portant sur Bouctouche, récit dans lequel il entendait se pencher sur l’influence de ce lieu dans son devenir d’écrivain et « renouer avec les commencements de [s]a langue, la tradition orale, les complaintes, l’enfance dans un milieu qui a[vait] façonné [s]a rythmique, [s]on vocabulaire, [s]a vision du monde. Bref [un récit dans lequel il entreprend] l’écriture d’une cartographie acoustique inscrite dans l’exploration des origines. »[6]

La série Théâtre, télévision, cinéma

Les dossiers de cette série couvrent les années 1974 à 1999 et rassemblent des notes préparatoires, les ébauches de deux pièces de théâtre et d’un monologue intitulé « Alfred », et tous les états d’écriture des trois pièces suivantes : « Sus la job avec Alyre », « Et moi? », « Les sentiers de l’espoir ». La série contient également les textes de trois pièces radiophoniques : « Taxi », « Renaud et Luc », « Maisons à vendre ». On y trouve aussi des documents concernant une émission de télévision sur le groupe 1755, des documents portant sur un projet de film fixe de l’Office national du film sur Pascal Poirier et pour lequel Leblanc était recherchiste et rédacteur; et des documents relatifs à un film sur le parc Kouchibouguac.

La série Textes de performances, lectures de poésie, spectacles et la série Essais, articles et autres écrits

Tout en nous rappelant le sens de l’humour et l’énergie festive qui caractérisaient Gérald Leblanc, ces deux séries de documents témoignent de son rôle d’animateur et de représentant de la culture acadienne moderne. Les dossiers de la première série rendent compte des célèbres nuits de la poésie auxquelles il avait participé ou qu’il avait organisées, et rappellent que Leblanc était aussi un poète de l’oralité qui, dans les années 70, montait sur scène pour dénoncer l’aliénation collective, le mépris et l’ordre établi. On y trouve plus de 16 cm de documents relatifs à plusieurs performances et lectures de poésie tenues à Moncton dans les années 80, ainsi que différentes versions des mises en scène et des textes écrits par Leblanc pour de grands événements dont le spectacle des Beaux Dimanches pour le 375e anniversaire de la fondation de l’Acadie, celui du 100e anniversaire du drapeau acadien, et celui de la production 100 pour 200 célébrant le 200e anniversaire du Nouveau-Brunswick.

D’autre part, les documents de la série Essais, articles et autres écrits rendent compte du fait que Leblanc était au coeur de toutes les polémiques ayant secoué la collectivité acadienne. Ils témoignent de son engagement pour la reconnaissance des artistes acadiens (écrivains, peintres et musiciens). Ils nous renseignent, entre autres, sur les mouve-ments socio-politiques de lutte pour le bilinguisme à Moncton et sur la résistance à la création du Parc national Kouchibouguac. On y trouve des textes inédits ou publiés dans les revues et dans les journaux : lettres au rédacteur de L’Évangéline, articles, recensions, chroniques littéraires.

Plusieurs dossiers de cette série renferment des notes, des commentaires et des réflexions sur la poésie et la vie littéraire acadienne, ses institutions et ses prix littéraires, et sur la situation de l’édition en Acadie. On y trouve aussi des documents rappelant les aventures revuistes des années 70, dont celles des revues Emma et L’Emoyre. Cette série contient notamment plusieurs versions de l’essai « Acadielove », texte dont on retrouve différents états d’écriture dans presque toutes les séries du fonds Gérald Leblanc. Enfin, certains dossiers renferment des écrits d’Herménégilde Chiasson, des documents concernant le colloque « Les cent lignes de notre américanité », et des documents relatifs au lancement des premiers titres de la maison d’édition Michel Henry éditeur.

Les documents du second versement qui se rattacheront à ces deux séries témoignent également du travail de critique de Leblanc, de son rôle de défenseur de la langue acadienne et des combats qu’il a menés pour que la littérature acadienne soit reconnue.

La série Traduction

Les textes de cette série intéresseront les chercheurs en traduction-traductologie, un champ de recherche en émergence. Ils contiennent des notes préparatoires et des versions préliminaires de la traduction du roman Ange Amazone de Yolande Villemaire, réalisée par Leblanc.

La série Photographies

Cette série contient 165 photographies accumulées par Leblanc au cours d’une trentaine d’années. Elle en comptera plus de 200 avec celles du second versement. Ces photographies témoignent entre autres des événements littéraires auxquels Leblanc a participé ici et à l’étranger. D’autres photographies le montrent dans les appartements qu’il a habités, chez des amis, au Kacho, et dans différents lieux de Moncton, New York et Paris. La série contient aussi des photographies d’artistes, de musiciens et d’écrivains de l’Acadie et d’ailleurs, dont Donald Alain, Guy Arsenault, Rita Barnes, Marie-Claire Blais, Claude Beausoleil, Régis Brun, Herménégilde Chiasson, Jean-Yves Collette, Clarence Comeau, Laurent Comeau, Rose-Marie Comeau, Rose Després, Stéphane Despatie, Carole Ehret, Jean-Paul Daoust, Brigitte Haentjens, Michel Henry, Roméo Savoie, et les membres du groupe 1755.

Figure

Gérald Leblanc dans les toilettes du Kacho, à l’Université de Moncton, en 1996. Photographie reproduite avec l’aimable autorisation de Julien Jaillet.

Bibliothèque et Archives Canada, Fonds Gérald Leblanc. LMS-0254 2003-05.

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Conclusion

L’acquisition du fonds Gérald Leblanc a permis d’enrichir le patrimoine littéraire des archives d’un poète de l’underground et de la contre-culture des années 70, personnage phare de l’affirmation d’une culture acadienne urbaine, excessive et contestataire. Ces archives permettront d’étudier non seulement le comment et le pourquoi de son écriture, mais aussi de retrouver un contexte et un état historique de la vie littéraire en Amérique française. Viendront, nous l’espérons, des chercheurs universitaires et autres qui, en exploitant le potentiel de recherche de ce fonds, prolongeront par leurs travaux la quête engagée par Gérald Leblanc et assureront l’épanouissement de son oeuvre :

« de nos mains naissent des livres

qui vont plus loin que nous[7] ».