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International Organizations and Democracy est un ouvrage d’une originalité incontestable dans la littérature relative à la démocratie dans les organisations internationales. Très souvent, ce sujet est en effet abordé soit sous l’angle de la démocratie internationale en termes de faible représentativité mondiale des organisations internationales, soit sous l’angle de la diffusion de la démocratie par les organisations internationales. C’est une approche externe qui, dans le premier cas, privilégie le rapport d’identification de tous les États ou de tous les peuples aux organisations internationales, et dans le second cas, focalise l’attention sur les organisations internationales comme vecteurs de socialisation et de construction démocratiques. Cette approche a été souvent en résonance avec, d’une part, les revendications de démocratisation des organisations internationales formulées par les États du tiers-monde et les mouvements altermondialistes, et d’autre part, le rôle joué en matière de démocratisation des États par des organisations internationales telles que l’Union européenne, l’Organisation internationale de la francophonie et le Commonwealth. L’approche que propose et met en oeuvre Thomas Zweifel dans son livre est celle de la pertinence de la problématique démocratique pour les organisations internationales à travers la prise en charge de la représentation des intérêts et des aspirations des peuples d’un point de vue interne. Il ne s’agit plus de mettre en exergue, d’un point de vue externe, le manque de démocratie des organisations internationales analysées par rapport à la diversité du monde, mais plutôt d’analyser, d’un point de vue interne, les organisations internationales en elles-mêmes à travers leur capacité à prendre en considération la multiplicité des intérêts.

L’ouvrage de Zweifel est composé de dix chapitres visant à montrer comment les institutions internationales, dont l’activité affecte nos vies, sont gouvernées par des règles démocratiques formelles ou informelles. Deux chapitres sont au coeur de l’élaboration théorique et conceptuelle. Le chapitre 1 est fondamental en ce sens qu’il porte sur l’élaboration de la notion de démocratie transnationale, c’est-à-dire dans les institutions internationales. Ici, le concept de démocratie est opérationnalisé pour intégrer l’absence d’élections et s’appuyer davantage sur l’externalisation, la délégation et le contrôle. En d’autres termes, par-delà les querelles entre réalistes, institutionnalistes et constructivistes, il faut prendre acte de l’existence des institutions internationales et de leur spécificité pour redéfinir la démocratie. La démocratie n’ayant de sens que par rapport à un contexte, le contexte des institutions internationales abrite la démocratie transnationale. Celle-ci repose sur sept dimensions : la nomination des dirigeants, la participation (des organisations non gouvernementales, par exemple, à la prise des décisions), la transparence (des processus de prise de décision), la motivation (des décisions prises), la remise en cause de ces dernières par un contrepouvoir, le monitoring et l’indépendance. Quant au chapitre 2, il présente l’évolution historique des normes et organes internationaux à l’oeuvre dans la démocratie transnationale, une évolution marquée par la mise en cause de la souveraineté des États et par l’affirmation des acteurs non étatiques, ainsi que l’autonomisation des organisations internationales dans le cadre de leur personnalité juridique et l’émancipation internationale des individus. Le sens de l’histoire est donc celui du renforcement du droit international et des organisations internationales.

Les concepts développés dans les deux premiers chapitres sont illustrés et défendus dans les chapitres suivants. Ce sont des chapitres d’application dans lesquels les six éléments constitutifs de la démocratie transnationale (nomination, participation, transparence, motivation, remise en cause, monitoring et indépendance) sont mobilisés pour rendre compte successivement des Nations Unies, de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, de l’Organisation mondiale du commerce, de l’Union européenne, de l’Union africaine, de l’Alliance de libre-échange nord américain, de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et de l’asean. L’évaluation de la dynamique des organisations internationales à partir des critères ci-dessus indiqués conduit à distinguer l’Union européenne et la Cour pénale internationale comme étant les seules organisations véritablement démocratiques, les autres organisations internationales l’étant moins.

Alors que l’ouvrage a comme point de départ la démocratie dans les organisations internationales, il a comme point d’arrivée la citoyenneté globale comme condition de la démocratie transnationale. La démocratie transnationale ne se limite pas à la qualité du fonctionnement des organisations internationales, elle intègre aussi l’apparition de normes et standards globaux et la mobilisation des individus comme acteurs du changement.

Dans l’ensemble, l’ouvrage de Zweifel apporte une contribution théorique et empirique originale en matière d’étude des organisations internationales à partir de l’opérationnalisation du concept de démocratie dans le milieu international. Il est fondé sur une synthèse dynamique des disciplines du droit international et des relations internationales, de la théorie démocratique et de la théorie institutionnelle. L’idéalisme qui sous-tend la démonstration de Zweifel présente néanmoins un défaut, celui de l’absence d’analyse des rapports de forces en (dé)faveur de la démocratie transnationale.