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À l’aube du XXIe siècle, le Québec compte toujours une proportion d’Anglo-Québécois[1]. Moins nombreux que les allophones du Québec depuis 1996, ils ne forment plus que le dixième de la population. Plus précisément, le recensement de 2001 en dénombre 8,3 % lorsque la langue maternelle est prise en compte comparativement à 10,5 % en ce qui a trait à la langue le plus souvent parlée à la maison (Statistique Canada, 2002). De la Conquête britannique de 1759 à aujourd’hui, les anglophones du Québec sont passés d’une conscience d’appartenir à une majorité à une conscience d’appartenir à une minorité (Stein, 1982). Détenant auparavant les rênes du pouvoir et formant jusqu’au quart de la population à une certaine époque, ce groupe constitue plus que jamais une minorité linguistique au sein d’une autre minorité linguistique – les francophones en Amérique du Nord.

À partir des années 1970, décennie mouvementée sur le plan politique, la diminution démographique du groupe anglophone au Québec s’explique principalement par la migration à l’extérieur de la province. Ainsi, les rares études scientifiques s’intéressant au Québec anglais ont porté sur les facteurs de migration vers les autres provinces canadiennes ou vers d’autres pays. Or, il est pertinent de s’intéresser à un autre aspect des comportements migratoires des Anglo-Québécois : la rétention. En effet, n’est-il pas aussi important de connaître les mobiles poussant certains anglophones à rester au Québec ? Cet article a donc comme objectif de mieux connaître le phénomène de la rétention chez les Anglos du Québec.

Afin de répondre à ce questionnement, des données qualitatives recueillies auprès de deux générations de la ville de Québec seront comparées (Magnan, 2005). L’approche comparative adoptée tente de mettre en lumière ce qui distingue les jeunes adultes anglophones de leurs prédécesseurs sur le plan des décisions migratoires. Avant de présenter les résultats de recherche, nous exposerons une brève mise en contexte, une présentation du terrain de recherche (c’est-à-dire la communauté anglophone de Québec) ainsi que la méthodologie utilisée.

Jusqu’aux années 1970, la migration des Anglo-Québécois fut contrebalancée par la venue d’anglophones au Québec, par la croissance naturelle du groupe anglophone ainsi que par la transmission de l’anglais comme langue maternelle aux enfants dont les parents ne parlaient pas l’anglais au départ (Rudin, 1986). Vers la fin des années 1970, cependant, le Québec anglais a subi un déclin démographique important, s’expliquant principalement par l’émigration interprovinciale (Marmen et Corbeil, 1999). Les études antérieures ont donc surtout traité des facteurs de migration interprovinciale et ce, selon plusieurs approches. L’approche linguistique et culturelle prévaut dans la littérature. Ainsi, les chercheurs émettent l’hypothèse que les trajectoires migratoires des anglophones s’expliquent par le fait que ceux-ci constituent un groupe linguistique et culturel distinct. De son côté, l’approche politico-légale analyse les parcours migratoires des Anglo-Québécois à l’aide des différents événements survenus au Québec, tant sur le plan politique que législatif. Quant à l’approche économique, elle tente d’expliquer l’exode des Anglo-Québécois par le contexte économique, les perspectives d’emploi et « l’avancement économique[2] » prévalant dans d’autres provinces canadiennes et d’autres pays.

Les différents facteurs d’émigration à l’extérieur de la province s’appliquent-ils à la rétention ? Les travaux antérieurs s’étant principalement penchés sur le cas des Anglo-Montréalais, il est intéressant de répondre à la question suivante : qu’en est-il des anglophones qui décident de rester dans la ville de Québec ? Il est en effet pertinent de saisir la réalité du Québec anglais à l’extérieur de la région montréalaise, région impliquant un contexte multiculturel bien différent de celui de Québec.

De la Conquête britannique de 1759 à la fin du XIXe siècle, la population de langue anglaise de Québec occupe une place importante sur les plans démographique, économique, politique et militaire. Néanmoins, vers la fin du XIXe siècle, le déclin économique de la ville pousse les anglophones à migrer, si bien qu’en 1901 ils ne constituent plus que 7 % de la population. Québec devient alors une ville homogène sur le plan linguistique, ville désormais dirigée par l’élite canadienne-française. La communauté anglophone subit une décroissance démographique se poursuivant au XXe siècle[3]. Entre 1996 et 2001, on assiste à une perte se chiffrant à 9 745 personnes de langue maternelle anglaise (Jedwab, 2004, p. 10) ; une baisse démographique due principalement à une migration intraprovinciale et interprovinciale ainsi qu’à une baisse de la fécondité. Si l’on considère la première langue officielle parlée, 7 850 anglophones sont recensés dans la Communauté urbaine de Québec ; ceux-ci forment donc 1,6 % de la population totale (Marois et Gagnon, 2004). Par contre, si l’on tient compte de la langue maternelle, 7 260 des résidents de Québec sont anglophones (ce qui constitue 1,4 % de la population de Québec) (Statistique Canada, 2001).

Lorsque la sélection se fait par la langue le plus souvent parlée à la maison, on constate que 0,4 % de la population de Québec répond « anglais », alors que 3,6 % de la population donne comme réponse « anglais et français » (Statistique Canada, 2001). Ce phénomène linguistique s’explique entre autres par le nombre élevé d’unions entre francophones et anglophones, unions contribuant à transformer la communauté anglophone. Concernant la langue utilisée au travail, environ deux anglophones sur trois à Québec travaillent majoritairement en français (Jedwab, 2004, p. 5). En fait, dans la région de Québec, 90 % des anglophones peuvent mener une conversation en français comparativement à 60 % pour le Québec anglais dans son ensemble (Marois et Gagnon, 2004).

La diminution démographique du groupe anglophone de Québec se répercute sur sa structure d’âge alors que son âge médian (44 ans) excède celui de la population régionale totale (Jedwab, 2004, p. 11). Les anglophones de la ville de Québec sont également dispersés sur le territoire (Schmitz, 1997). Ainsi, ce sont plus de 50 organismes offrant des services en anglais qui assurent une certaine cohésion de la communauté.

Dans les régions Québec/Chaudière-Appalaches, les anglophones ayant atteint l’âge adulte sont plus scolarisés que leurs homologues francophones (Marois et Gagnon, 2004). Il existe peu de différences entre les deux groupes linguistiques quant au type d’emploi occupé et au taux d’activité. Sur le plan du revenu, cependant, les personnes de langue maternelle anglaise à Québec reçoivent un salaire supérieur à celui des francophones ; il est toutefois important de mentionner que le taux de chômage des anglophones est plus élevé que la moyenne régionale (Jedwab, 2004, p. 19).

En somme, la communauté anglophone, à l’aube du XXIe siècle, se fond de plus en plus dans la majorité francophone : pour la plupart bilingues, les anglophones de Québec parlent français à la maison et au travail dans une proportion importante, se marient fréquemment à un(e) partenaire francophone et sont dispersés sur le territoire. La communauté anglophone de Québec étant maintenant décrite, passons à la méthodologie utilisée pour étudier le phénomène de la rétention.

L’étude de la rétention des anglophones

Dans le cadre de cette recherche, le terme rétention renvoie à la rétention dans la province de Québec ; en effet, c’est le phénomène inverse, la migration interprovinciale, qui se trouve au coeur des préoccupations de la communauté anglophone du Québec et, qui plus est, a fortement marqué son imaginaire (Radice, 2000). Chez les Anglo-Québécois, c’est donc la migration interprovinciale et non la migration interrégionale (déplacements d’une région à une autre du Québec qui caractérisent davantage la majorité francophone[4]) qui correspond à un déplacement massif. Nous avons ainsi tenté de déterminer les motifs poussant certains anglophones à rester ou à revenir dans la province. Le terme non-migrant est donc utilisé ici afin de désigner les anglophones n’ayant jamais quitté la province alors que le terme migrant de retour qualifie ceux ayant quitté le Québec pour y revenir par la suite. Il est intéressant d’observer que même si les questions posées aux répondants faisaient référence à la rétention à l’intérieur du Québec, ceux-ci ont souvent répondu en termes d’attachement au territoire local ; il en ressort un fort sentiment d’identification à la ville de Québec chez les deux générations interrogées.

L’étude de la rétention chez les anglophones de la ville de Québec se fait ici selon une approche qualitative, approche quasi inexistante dans la littérature académique portant sur les Anglo-Québécois. De plus, de façon générale, l’étude des migrations se base sur la presse écrite, les discours des politiciens, les statistiques des recensements et les portraits économiques régionaux ; cette recherche permet plutôt aux non-migrants et aux migrants de retour d’expliquer eux-mêmes leurs décisions migratoires. Des entrevues (semi-dirigées individuelles) aident à mieux comprendre le sens que les individus donnent à leurs décisions migratoires ; elles apportent une compréhension approfondie du phénomène à l’étude. Cette méthode permet également une analyse du parcours biographique des individus interrogés, et des événements importants de la vie ayant pu générer des décisions migratoires.

Cette étude s’appuie sur des entretiens auprès de deux générations anglophones de la ville de Québec sélectionnées selon l’année de naissance ; des anglophones nés entre 1950 et 1960 et des anglophones nés entre 1970 et 1980 constituent donc le corpus de cette recherche. Cette comparaison des générations permet de constater si les motifs de rétention diffèrent selon l’âge. Dans une optique de sociologie de la jeunesse, il est pertinent de comparer les jeunes à leurs aînés afin de constater si leurs comportements marquent ou non des transformations et si oui, lesquelles ; en effet, les jeunes sont porteurs de l’avenir de leur communauté et il est en ce sens crucial d’observer (ou non) l’émergence de nouvelles tendances au sein de ce groupe. Trop peu de recherches sur la jeunesse optent pour cette approche générationnelle.

Il existe plusieurs façons de définir les groupes linguistiques. Les principales variables utilisées par les chercheurs pour caractériser les Anglo-Québécois sont la langue maternelle, la langue la plus souvent utilisée à la maison et la première langue officielle parlée. Cette étude s’appuie sur la langue que le répondant parle le plus souvent à la maison ; en effet, certains chercheurs sont d’avis que cette façon de mesurer le groupe anglo-québécois reflète davantage la réalité, puisqu’elle mesure le comportement linguistique actuel des recensés, la langue maternelle reflétant plutôt le passé (Termote, 2002). Notons que les anglophones interrogés ont été socialisés en anglais durant leur enfance ; ils sont soit nés au Québec ou s’y sont établis avant l’âge adulte.

La démarche d’analyse des entrevues s’est concrétisée en une analyse de contenu (permettant de codifier, à l’aide du logiciel Nvivo, les extraits transcrits selon une méthode à la fois inductive et déductive) ainsi qu’en une analyse typologique comparative qui a permis l’émergence de types de motifs de rétention chez les deux générations anglophones étudiées. L’objectif de la méthode typologique était de dégager des tendances, des processus, voire une vision plus synthétique des données. Un individu ne correspondait donc jamais entièrement à un type en particulier, et pouvait, au contraire, s’inscrire au sein de plusieurs types.

Au total, le corpus comprend 18 informateurs dont 9 nés entre 1950 et 1960 et 9 entre 1970 et 1980. Les entrevues se sont déroulées à l’automne 2004. La recherche d’informateurs s’est effectuée à l’aide de trois méthodes d’échantillonnage non probabilistes : par choix raisonné, par boule de neige et par volontaires. Les répondants sont très scolarisés, ayant tous effectué des études postsecondaires. Cette concentration peut s’expliquer par les facteurs suivants : la scolarisation élevée des anglophones de Québec comparativement à leurs homologues francophones et l’utilisation de la méthode d’échantillonnage par boule de neige. Les résultats de recherche présentés ici ne concernent donc que des anglophones ayant poursuivi des études postsecondaires.

Quels sont les parcours migratoires des anglophones interrogés ? Parmi la génération née entre 1950 et 1960, quatre répondants ont toujours demeuré dans la province de Québec. Cinq répondants ont donc quitté le Québec (pour y revenir par la suite) soit pour effectuer des études universitaires, soit pour trouver un travail après avoir terminé leurs études. En ce qui a trait à la migration interrégionale, trois répondants sur neuf ont migré ou ont vécu dans une autre région du Québec pour ensuite venir vivre dans la ville de Québec.

Parmi la génération née entre 1970 et 1980, sept répondants n’ont jamais quitté la province de Québec pour s’établir ailleurs. Ainsi, seuls deux répondants ont déjà quitté le Québec soit pour une autre province canadienne ou pour un autre pays. Sur le plan de la migration interrégionale, six répondants sur neuf ont migré ou ont vécu dans une autre région du Québec pour ensuite venir vivre dans la ville de Québec. On compte ainsi plus de migrants de retour (c’est-à-dire ceux qui ont quitté le Québec pour une première fois et qui y sont revenus) chez la génération plus âgée et plus de migrants interrégionaux chez la nouvelle génération.

Pour une typologie des non-migrants et des migrants de retour

Qu’est-ce qui retient les anglophones que nous avons interrogés au Québec ? Sous forme d’analyse typologique, cette section présente les facteurs de rétention mentionnés par les répondants lors des entrevues. Plusieurs raisons expliquent pourquoi ces Anglos décident de demeurer au Québec ; cependant, la création de catégories de non-migrants ou de migrants de retour a permis de mieux faire ressortir les différences entre les générations. Des dissemblances générationnelles au plan de l’attachement identitaire ont notamment un impact sur les motifs de rétention déterminant chaque génération.

Avant de présenter les types repérés, voici comment nous les avons construits : d’abord, nous avons effectué une analyse globalisante faisant appel à des fiches synthèses pour chaque informateur. Cette façon de procéder permet de situer les données qualitatives recueillies au sein de l’univers identitaire et migratoire de chaque individu interrogé. Tenir compte du contexte qui entoure les témoignages signifie effectuer une analyse interne des discours et se révèle primordiale dans l’exploitation des méthodes qualitatives de recherche. Les fiches synthèses se sont articulées selon des mots-clés déductifs et inductifs. Ont suivi des classifications transversales inductives afin d’identifier les types de facteurs de migration, l’objectif principal étant d’explorer les différences et les ressemblances entre les deux générations étudiées.

La construction de types a ainsi permis d’identifier des manières typiques de prendre la décision de rester au Québec. Pour ce faire, l’application de la méthode des « tas » (Schnapper, 1999) a servi à regrouper les témoignages semblables autour d’une catégorie type qui ne se veut pas le reflet parfait des témoignages individuels. Les types construits regroupaient tous les témoignages, chaque cas correspondant néanmoins aux catégories à des degrés divers.

La génération née entre 1950 et 1960

Parmi la génération plus âgée, trois types de non-migrants ou de migrants de retour se dégagent : les nostalgiques de Québec, les enracinés à Québec et les migrants ancrés au Québec. La description de chacun d’entre eux se fera à partir des cas se rapprochant le plus des types. On verra que chez cette génération le sentiment d’appartenance à l’histoire de la ville de Québec et à la culture francophone québécoise joue un rôle décisif dans la décision de rester au Québec.

Les nostalgiques de Québec

Nés à Québec, les nostalgiques de Québec ont migré hors du Québec pour ensuite décider de revenir vivre dans leur ville natale ; retour dû principalement à leur identification à leurs racines familiales, à l’histoire de leurs ancêtres anglophones de la ville de Québec. Ils ne pensent pas quitter Québec dans l’avenir.

Stephen[5] constitue un bel exemple de cet idéal-type. Malgré ses multiples migrations, il indique avoir toujours gardé un lien avec la ville de Québec :

(traduction) à chaque fois que j’avais des vacances, je revenais toujours à Québec… alors j’ai toujours maintenu mes relations ici.

Ayant étudié dans une autre province canadienne lorsqu’il était jeune adulte, voici comment il explique son retour à Québec :

(traduction) [cette autre province canadienne] était une société très récente… peu populeuse à ce moment-là en 1976… c’était alors une société très rudimentaire, récente, agricole, assez simple, etc. … et vous aviez le sentiment que ces gens étaient riches… mais cela ne se traduisait pas en un fort sentiment de qui ils étaient… à l’opposé, si on pense à Québec, c’est vraiment différent parce que c’est très ancien… une société établie depuis beaucoup plus longtemps ayant alors un sentiment identitaire plus fort… et pour moi, au sein de ma famille nous sommes à Québec… depuis le début du XIXe siècle et nous avons toujours eu une forte identité de qui nous étions et où se trouve notre place.

Doté d’une conscience historique développée, l’appartenance à ses ancêtres anglophones semble au coeur de son identité :

(traduction) J’aime beaucoup l’histoire alors je connais bien l’histoire de la ville de Québec, je suis donc attentif à l’ensemble de l’histoire… mais je m’identifie personnellement à l’histoire de ma famille, c’est une partie très importante de mon identité.

Susan, qui connaît un itinéraire migratoire diversifié, a elle aussi toujours maintenu un lien avec sa ville natale ; elle y est toujours revenue de façon régulière. Lors d’une étape charnière de sa vie, elle choisit de s’établir pour de bon à Québec, un endroit où elle se sent chez elle :

(traduction) quand je suis venue ici… j’ai senti que je revenais chez moi. C’est l’histoire, en partie, vous savez. Comme je l’ai dit, de marcher dans la ville et de sentir que… de savoir que mes ancêtres ont vécu dans ces maisons. Les histoires qui ont fait partie de mon enfance se sont passées ici….

Attachée à l’histoire de ses ancêtres, elle l’est aussi à la communauté anglophone de Québec :

(traduction) vous savez, le fait que les gens de [cette communauté] connaissaient mes grands-parents… cela est significatif aussi vous savez. Je ne suis pas seulement moi comme individu, mais plutôt moi avec tous les liens que j’entretiens, avec mon histoire et mes ancêtres aussi.

Bien ancrée à Québec, elle pense y rester de façon permanente :

Je resterai ici pour toujours, jusqu’à ma mort, dans la même maison que j’habite présentement.

Ainsi, l’attachement à l’histoire de ses ancêtres anglophones de la ville de Québec a conduit ce type de migrant de retour à revenir vivre dans sa ville natale ; il a développé un sentiment d’appartenance à un héritage culturel distinct et une vision historique du monde ; il place ses racines familiales au coeur de son identité, qui se forge dans le passé.

Les enracinés à Québec

Les enracinés à Québec n’ont jamais quitté la ville et ne souhaitent pas non plus la quitter dans l’avenir. Rien ne les motive à partir ; ils n’ont jamais ressenti le besoin de migrer alors que rester allait de soi. À Québec, ils possèdent un réseau, un bon emploi et sont bien intégrés. Cette décision de rester les a néanmoins confrontés à la dualité, aux conflits entre les deux cultures linguistiques ; ils s’y sont cependant acclimatés en adoptant une attitude inclusive, en tentant d’unir et de concilier les deux solitudes.

Ann est restée à Québec en raison d’un concours de circonstances. Les diverses étapes de sa vie ne l’ont jamais conduite à partir, puisque rien ne l’obligeait ou ne la motivait à migrer :

De un, j’aime beaucoup ma famille, j’ai beaucoup de plaisir avec eux, donc c’est une motivation pour rester. J’ai des frères et on a bien du plaisir quand on est ensemble, donc c’était une motivation pour moi de rester proche. Aussi, sur le point de vue de la carrière, je travaille [dans un domaine X] et j’étais connue à Québec. Et je me suis fait rapidement une très très bonne réputation à Québec. Donc m’en aller ailleurs c’était une réputation à refaire. J’aurais pu le faire… mais j’avais une qualité de vie ici à Québec qui était intéressante aussi. Et ensuite, c’est le cercle d’amis… si je m’en vais ailleurs je recommence tout ça… j’avais beaucoup de plaisir ici et j’avais encore beaucoup de défis à relever.

En fait, aucune raison ne la poussait à partir : « J’ai jamais eu le… sentiment que je devais m’expatrier ou que pour me réaliser je devais aller ailleurs parce que je pouvais avoir tout ça ici ». Partie intégrante d’une minorité anglophone au sein d’une majorité francophone, sa décision de rester à Québec l’a néanmoins confrontée aux deux mondes linguistiques qui s’opposaient : « ça a été l’histoire de ma vie d’être entre ces deux mondes. D’avoir des amis francophones et des amis anglophones et de ne jamais pouvoir les rassembler… chacun pensait que l’autre l’opprimait… pour moi c’était une dualité constante ». Son désir de réconcilier les deux parties était persistant.

Rester à Québec aussi allait de soi pour Emma. Les événements de la vie ne l’ont jamais poussée à migrer : « je suis née ici, j’ai épousé un Québécois puis on a fondé une famille… on a tous les deux des belles carrières puis on aime beaucoup la qualité de la vie à Québec… alors finalement on n’est pas partis… je suppose qu’on aurait pu partir si on avait eu une occasion spéciale de travail… finalement la vie passe puis on est toujours ici puis on est bien ici puis on ne sent pas le besoin d’aller ailleurs ». Elle ressent elle aussi les conflits entre les « deux solitudes ». Elle n’apprécie pas la discorde entre différents groupes et a plutôt développé une vision du monde inclusive : « D’ailleurs moi je ne suis vraiment pas une agiteuse de drapeaux. J’aime pas beaucoup la Saint-Jean puis j’aime pas la fête du Canada non plus. Moi j’ai toujours trouvé que le nationalisme… Ça a tellement divisé les gens… je me considère citoyenne du monde, ouverte… ».

Ce type de non-migrant est donc resté à Québec par un concours de circonstances ; au cours de sa vie, aucun élément ne l’a incité à partir. Il est bien intégré sur tous les plans : familial, professionnel, etc. Membre d’une minorité linguistique, il a dû, néanmoins, s’adapter à une dualité constante, et a ainsi développé une vision inclusive du monde.

Les migrants ancrés au Québec

Les migrants ancrés au Québec ont migré soit d’une région à l’autre du Québec ou d’une province à l’autre du Canada avant de s’établir dans la ville de Québec. Ils y possèdent un réseau et un emploi, et apprécient vivre au sein de la culture francophone. Maintenant bien ancrés au Québec, ils ne ressentent pas le besoin de partir.

L’exemple de Johana est caractéristique de cette catégorie. Jeune adulte, elle migre dans une autre province canadienne pour ses d’études. Quelques années plus tard, elle décide de revenir au Québec :

(traduction) Nous sommes choyés ici au Québec… on a en quelque sorte deux cultures et [dans cette autre province] c’était… vraiment différent, c’était l’industrie touristique à cet endroit, principalement, une communauté agricole… vous savez nous avons une bonne culture ici, un héritage… les deux premières années que j’y étais j’ai aimé mon expérience, mais je ne pensais pas que cet endroit était pour moi à long terme.

Elle ne pouvait pas se passer de la culture francophone dans laquelle elle avait grandi :

(traduction) Je ne sais pas, juste les traditions ici… là-bas c’est une culture différente. Sur un mode très lent. Ici c’est un peu plus rapide. J’ai eu de la difficulté à m’adapter à cette différence vous savez. Là-bas tout était remis à plus tard « ah demain, demain, demain ».

Après toutes ces années passées au Québec, elle y est maintenant bien ancrée :

(traduction) Je pense qu’une fois que je me suis adaptée, j’ai en quelque sorte fait mon nid, planté mes racines pour ainsi dire… Je ne pense pas que j’aimerais faire mes valises et quitter demain matin et tout recommencer ailleurs.

Il était évident pour Danielle qu’elle resterait au Québec, où elle se sent vraiment dans son élément :

(traduction) C’est chez moi… il y a cette joie de vivre, une certaine culture à Québec qu’on ne retrouve nulle part ailleurs… en tant qu’anglophone, tu es plongé dans la culture francophone et on ne retrouve pas ça partout… c’est vraiment une culture qui est assez unique… je pense à la musique, aux théâtres, je pense… nos restaurants, notre façon de prendre un repas au restaurant et d’apprécier la vie… non, je ne pense pas que je pourrais vivre sans ce milieu de vie.

Même si elle adore voyager, il est clair pour elle qu’elle ne quittera jamais le Québec :

(traduction) les gens m’ont demandé « Quand tu vas prendre ta retraite ? », j’ai dit « Non »… je n’ai aucune intention de déménager. Je vais rester ici jusqu’à ma mort.

Allan, pour sa part, a quitté le Québec au début de sa vie adulte pour une autre province canadienne. Après une année, cependant, il souhaitait fortement revenir au Québec :

(traduction) à la première occasion, je suis revenu parce que j’ai réalisé… c’est très différent [dans cette province] même si on pouvait penser qu’à l’époque être anglophone au Québec signifiait avoir beaucoup en commun avec les anglophones de l’extérieur du Québec. Mais, à mon sens, je me suis toujours senti plus chez moi au Québec qu’à l’extérieur.

Ce qui lui a manqué le plus, pendant cette année-là, c’est la culture francophone du Québec :

(traduction) Ce qui m’a manqué, c’est la diversité. Ironiquement, le caractère francophone de Québec… bien que je sois anglophone ma mère est francophone… mon père était anglophone, mais je veux dire la plupart de nos traditions et cultures sont francophones. Vous savez pour nous aller au réveillon… alors même si je suis un individu de langue anglaise, ayant l’anglais comme langue maternelle, j’ai une culture francophone.

Le type de migrant de retour a donc d’abord migré à l’intérieur du Québec ou du Canada pour ensuite s’établir de façon définitive dans la ville de Québec. Bien intégré, ce qui attire le plus cet anglophone au Québec c’est la culture francophone. Il a développé une vision francophile du monde qui contribue à définir son identité et à le garder sur le territoire québécois.

La génération née entre 1970 et 1980

Parmi la nouvelle génération, l’analyse typologique a également permis d’identifier trois types de non-migrants ou de migrants de retour : les réseautés, les amoureux de Québec et les Québécois dans l’âme. Encore une fois, des cas se rapprochant le plus des types créés serviront à la description de ces catégories (catégories étant étroitement liées au sentiment identitaire – les motifs de rétention des jeunes étant influencés par leur identité). On verra notamment que le sentiment d’appartenance à Québec et au Québec ainsi que le bilinguisme caractérisant davantage la nouvelle génération jouent un rôle décisif dans leur décision de rester.

Les réseautés

Les répondants qui s’inscrivent dans ce type demeurent au Québec en majeure partie en raison de la présence de leur réseau ou parce qu’ils y occupent un bon emploi ; ils quitteraient peut-être la province pour des raisons liées à leur travail ou au contexte politique du Québec.

Jenny est le parfait exemple de cet idéal-type. Partie du Québec à 17 ans pour étudier en Ontario, elle y revient faute d’avoir trouvé un emploi : « je me suis pas trouvé un emploi dans mon [domaine]… j’aurais voulu rester à Toronto, mais là ma mère a me disait ‘Ben là t’sais y faut que tu te trouves un emploi… je peux pas tout le temps te faire vivre’… j’avais redécidé de retourner, ma mère m’avait trouvé un emploi [au Québec] ». Ce qui la retient dans la province aujourd’hui, ce sont les postes que son mari et elle ont obtenus ainsi que le coût de la vie moins élevé que dans les autres provinces. Son emploi mis à part, elle ne semble pas avoir d’attaches au Québec : « si vous me dites ok demain on déménage en Ontario ça me dérangerait pas non plus… je ne suis pas quelqu’un qui m’attache… si y [son mari] aurait comme la chance de s’améliorer dans son emploi ben je déménagerais…».

Ce sont la présence d’un réseau et l’obtention d’un emploi qui gardent Andrea au Québec :

(traduction) pourquoi n’ai-je pas déménagé ? Je ne sais pas ma famille est ici, mes frères, mes soeurs et ma mère… et je ne sais pas au fil de mon enfance je me suis fait des amis alors il y a une forme d’attachement qui me garde ici. Si je change de province je ne vais plus les avoir proches de moi… et aussi mon travail. J’y suis embauchée depuis l’âge de 21 ans alors.

Son mari francophone est bien ancré au Québec :

(traduction) Je ne peux pas l’obliger à me suivre, il faudrait que je me sépare si je voulais quitter la province. Il ne parle pas l’anglais alors.

Même attachée à son réseau et à son emploi, elle indique néanmoins qu’elle migrerait si le Québec se séparait du Canada :

(traduction) Si le Québec se séparait du Canada, j’y penserais. Je ne resterais pas ici. Ils vont carrément couper l’anglais de la province. Je suis sûre de ça.

Ce type ne semble donc pas attaché à la société qui l’entoure, mais plutôt à des facteurs liés à sa vie personnelle tels que la présence d’un réseau et l’obtention d’un emploi. Si les circonstances se présentaient, il quitterait la province sans trop de difficultés en ce qui a trait à l’insertion professionnelle :

(traduction) Je pourrais facilement travailler pour [ma compagnie] dans une autre province. Son bilinguisme lui procure une mobilité accrue.

Peu attaché à son lieu d’habitation, il a développé une vision pragmatique du monde où le choix de son lieu de résidence se base sur des critères utilitaires et où son bilinguisme représente un avantage lui permettant d’être plus compétitif sur le marché du travail :

(traduction) nous sommes bilingues… je pense que de plus en plus les gens… réalisent que nous constituons un atout si nous sommes utilisés correctement. Alors c’est une des raisons qui m’a poussé à rester… parce que je me suis dit qu’en tant que personne bilingue je serais un atout pour la ville de Québec.

Les amoureux de Québec

Les anglophones appartenant à cette catégorie demeurent au Québec parce qu’ils s’identifient fortement à leur localité. Y possédant un réseau, ils y ressentent aussi le sentiment d’être chez soi ; ils apprécient la culture de la ville et sa qualité de vie et ne pensent pas quitter Québec dans l’avenir.

Kirsten illustre bien ce type de non-migrant. Au début de sa carrière professionnelle, elle a dû, contre son gré, quitter la ville de Québec afin de trouver un emploi ; elle y est cependant revenue dès qu’elle l’a pu :

(traduction) J’avais la nostalgie [de la ville de Québec], le mal du pays si on peut dire parce que… nous revenions souvent durant les fins de semaine… et nous restions avec mes parents qui vivent encore en [ville]… et vous savez notre enfant restait avec ses grands-parents et nous allions marcher sur Saint-Jean, sur l’avenue Cartier et jusqu’au Vieux-Québec… parfois il y avait un spectacle au Grand Théâtre ou autre chose… vous savez nous aimions tout simplement le sentiment d’être dans la ville de Québec… être capables de faire tout à pied, le caractère cosmopolite. Vous savez Québec n’est pas comme une grosse ville, ce n’est pas Montréal et Montréal est vraiment une ville stressante. Québec est une ville calme où vous avez encore accès à la culture. Québec est assez progressiste…

Bien ancrée dans sa localité, y ayant planté ses racines, elle ne souhaite plus en partir.

Quant à Lisa, qui se compare à ses camarades du secondaire, elle fait la réflexion suivante :

(traduction) pour mes amis du secondaire l’attitude était « Je veux juste quitter… Québec, c’est trop petit. Je suis une minorité. Je veux voir le monde »… Je n’ai jamais eu ce sentiment. Je pense que Québec est une ville extraordinaire, la qualité de vie est incroyable, c’est une petite ville qui offre… un aspect culturel. Il n’y a pas de crimes… alors je n’ai jamais senti que je voulais m’en aller, jamais.

À Québec, elle se sent chez elle :

(traduction) J’ai un sentiment d’appartenance, d’identification, de familiarité. Je connais la ville sur le bout des doigts.

Son attachement à sa ville est plus significatif pour elle que son identité linguistique :

(traduction) Si vous m’aviez dit « vous ne pourrez plus jamais parler l’anglais de votre vie excepté lorsque vous enseignez » je crois que je serais capable de l’accepter. Ce serait différent, mais ce ne serait pas « Oh mon Dieu »… mais si vous m’aviez dit « vous n’habiterez plus jamais la ville de Québec de votre vie » ça serait… voyez-vous c’est ça la différence. Je pense qu’habiter à un endroit en particulier est beaucoup plus significatif que la langue que vous parlez.

Lisa souhaite ne jamais quitter la ville.

Il ressort que l’amour que ce type éprouve pour la ville de Québec l’incite à y demeurer. À Québec, il se sent chez lui :

(traduction) c’est bien d’aller [à Montréal] mais c’est bien d’y revenir et de réaliser « oh je suis bien ».

Ayant développé une vision locale du monde, il place son appartenance au territoire local au coeur de son sentiment identitaire ; bien que bilingue, l’espace tangible qu’il côtoie au quotidien se veut davantage significatif pour lui que les deux cultures linguistiques auxquelles il appartient. Son affirmation identitaire semble prendre place dans son espace local, espace qu’il a choisi comme lieu de résidence.

Les Québécois dans l’âme

Ces jeunes adultes demeurent principalement au Québec parce qu’ils s’identifient fortement à la société québécoise et à ses valeurs. Y possédant emploi et réseau, tous les éléments sont présents pour les inciter à vivre dans la société à laquelle ils s’identifient.

Jordan représente l’exemple type de cette catégorie. Ayant quitté la province de Québec pendant plusieurs années, il y revient parce qu’il s’identifie à la société québécoise :

(traduction) Et ensuite je suis allé à McGill… parce que… l’identité culturelle de ma famille avait toujours été liée au fait d’être Canadien et liée au fait d’être du Québec… ceci a beaucoup contribué à mon retour au Québec… je revenais au Canada, mais je voulais aussi revenir pour voir le Québec, parce que mon identité familiale était associée au fait d’être originaire du Québec.

Son attachement au Québec semble profond :

(traduction) être Canadien vient avec… c’est un titre légal… c’est une citoyenneté officielle tandis qu’être Québécois… c’est plus informel, plus émotionnel vous savez.

Québec est pour lui l’endroit où il se sent le mieux :

(traduction) je me sens chez moi… quand je suis ailleurs, je me sens moins dans mon élément… [ailleurs] les choses ne sont pas ce qu’elles devraient être… et quand je suis ici les choses sont comme elles doivent être.

Son identité au Québec se manifeste aussi par un amour des valeurs véhiculées par la société québécoise :

(traduction) J’aime le Québec tout simplement… c’est une société au sein de laquelle il est agréable de vivre… juste le fait que j’aie été capable de ne pas trop débourser pour l’université, que la garderie de ma fille est si peu dispendieuse… et le monde anglophone semble adopter des idéologies et des modes passagères beaucoup plus facilement que le monde francophone… si ça n’avait pas été des 25 % de Canadiens qui sont Québécois… on serait en Irak en ce moment, vous savez, on aurait des dettes comme les Américains et les Anglais, on ferait tous les comportements stupides qu’ils font… je trouve qu’il y a un certain degré de réflexion avant d’agir qui manque au monde anglophone.

Tant et aussi longtemps qu’il y occupera un emploi, il souhaite demeurer dans cette société qu’il chérit.

Dylan réagit de la façon suivante aux départs massifs des anglophones à l’extérieur de la province :

(traduction) Je suppose qu’on a des sentiments ambivalents à propos de ça parce que vous voyez des personnes partir et il y a la grande question « qu’adviendra-t-il de la société québécoise ? Qu’arrivera-t-il aux droits individuels versus les droits collectifs, et toutes ces choses ? » Mais au bout du compte, j’ai toujours considéré Québec comme mon chez-moi alors.

Il indique qu’il est resté au Québec parce qu’il s’y identifie :

(traduction) Je m’identifie au Québec, Québec est un bel endroit où vivre et la qualité de vie… et je trouve qu’en général les Québécois francophones et anglophones ont des valeurs libérales, bien plus qu’en Ontario.

Il est donc attaché aux valeurs de la société québécoise et déclare qu’il n’aimerait pas vivre ailleurs :

(traduction) Je ne pense pas que j’apprécierais vivre en Ontario ou à un autre endroit parce que… vous réalisez cela quand vous quittez… J’aime Québec parce que c’est majoritairement francophone.

Il se sent différent des autres Canadiens, parce qu’il réside au Québec :

(traduction) en fait il y a une différence entre les anglophones du Québec et les anglophones du reste du Canada… une évidemment a trait au langage. On ne va pas à une machine ATM, on va au guichet… j’aime ça… Je trouve que dans le reste du Canada ils ont un sens de l’humour similaire à celui des Américains… les Québécois anglophones sont différents… on a, je suppose, un sens de l’humour qui est ironique.

Ce type demeure donc principalement au Québec parce qu’il s’y identifie et qu’il apprécie les valeurs véhiculées par la société québécoise. Le réseau et l’emploi sont des facteurs lui permettant d’y rester. Bilingue, il est non seulement attaché au groupe linguistique anglophone, mais aussi fortement attaché à la culture québécoise dans laquelle il est plongé :

(traduction) Je me définis comme un Québécois minoritaire, de la même façon que la Slovaquie a une population parlant le hongrois… je me perçois tout simplement de la même façon qu’un Québécois… je me perçois probablement de la même façon qu’un immigrant. Je ne suis pas originaire de la société, mais j’ai choisi cette société et par conséquent il s’agit de ma société.

S’identifiant aux deux cultures linguistiques du Québec, son attachement à la société québécoise contribue à l’ancrer dans la province ; une vision québécoise du monde le détermine.

À la lumière de cette analyse typologique, on peut donc assurer que dans l’ensemble, les anglophones des deux générations étudiées sont bien ancrés dans la ville de Québec et ont développé un attachement certain pour la localité dans laquelle ils résident. La thèse économique explique peu leur choix de demeurer au Québec ; les facteurs économiques, tels que l’obtention d’un emploi, semblent plutôt être des éléments secondaires leur permettant de résider là où ils le souhaitent. Malgré ces ressemblances, les types identifiés pour chaque génération diffèrent ; en effet, des dissemblances identitaires semblent avoir un impact sur les motifs de rétention déterminant chaque groupe étudié.

Chez la génération âgée, l’appartenance à l’histoire de la communauté anglaise de Québec semble en retenir certains. L’identité au passé, aux ancêtres anglophones, contribue à expliquer la raison pour laquelle certains anglophones restent au Québec. Les enracinés à Québec, pour leur part, ceux qui n’ont jamais remis en cause leur décision de rester, ont dû composer avec l’opposition entre l’identité anglophone et l’identité francophone, opposition entre le « nous » et le « vous » qui ne ressort pas chez la jeune génération ; ils ont développé avec les années une attitude inclusive face aux différents groupes ethniques et linguistiques. Puis, des répondants qui réclament une identité anglophone d’abord et avant tout ont indiqué que c’est l’amour qu’ils portent à la culture francophone du Québec qui les incite à rester. La génération plus âgée a développé plusieurs visions du monde : une vision historique, une vision inclusive et une vision francophile. Ces résultats de recherche nous mènent au questionnement identitaire suivant : la génération âgée se caractériserait-elle davantage par une appartenance à l’histoire de la communauté anglophone de Québec et par une identité anglophone se définissant principalement par son opposition à l’Autre francophone, un Autre qu’elle respecte toutefois et avec qui elle souhaite vivre ?

Le bilinguisme (ou biculturalisme) plus accru des jeunes adultes les pousse soit à rester dans la province pour des facteurs utilitaires, soit parce qu’ils s’identifient aux valeurs véhiculées par la société québécoise. L’appartenance à leur espace local, la ville de Québec, conduit également certains à demeurer au Québec. Cette nouvelle génération développe plusieurs visions du monde : pragmatique, québécoise et locale. Ces perspectives découlent-elles d’un nouveau sentiment identitaire caractérisant les nouvelles générations anglophones ? En effet, cette génération se définirait peut-être davantage par un mélange identitaire (c’est-à-dire des cultures francophone et anglophone), une appartenance au territoire local et une affirmation identitaire prenant place dans le temps présent.

L’objectif premier de cette recherche était de mieux comprendre ce qui retient certains anglophones de la ville de Québec dans la province. L’analyse des données nous a permis de réaliser que même si d’autres motifs expliquent la rétention des Anglos, il reste que l’identité ou l’attachement identitaire est au coeur de l’explication de cette non-migration (ou de cette migration de retour). Ainsi, il semble que l’approche linguistique et culturelle développée par les enquêtes précédentes sur l’exode de la province s’applique en partie au phénomène de la rétention des anglophones de Québec (Magnan, 2004).

Ces résultats de recherche nous mènent donc vers d’autres réflexions sociologiques qui portent plutôt sur les changements identitaires en cours dans la communauté anglophone du Québec et, plus particulièrement, sur l’identité des jeunes générations anglophones à l’aube du XXIe siècle. Peu d’études ont porté sur ces nouvelles dynamiques, qui gagneraient à être approfondies dans de futures recherches. Une transformation identitaire caractérise-t-elle réellement la communauté anglophone du Québec ? Cette question est pertinente non seulement pour l’avenir de la communauté anglophone du Québec, mais également pour la société québécoise dans son ensemble. Quelles sont les perceptions que les francophones ont aujourd’hui des anglophones ? Portent-elles toujours les traces d’un passé épineux où les deux solitudes s’opposent en bloc ? Quelle est la place que la société québécoise réserve aux anglophones décidés à rester ? Pourquoi le Québec accepterait-il plus facilement les Néo-Québécois que les anglophones du Québec, qui sont, selon les données présentées dans cet article, bien intégrés à la majorité francophone hors Montréal ?