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La vie, toute la vie est un coup monté.

Antonin Artaud

En décembre 1946, dans ses cahiers préparatoires à la conférence du Vieux-Colombier du 13 janvier 1947, Antonin Artaud écrit : « La vie, toute la vie est un coup monté[1] ». Dans cette phrase, Artaud sous-entend l’idée d’une puissance qui tient ma vie. C’est en un sens la Jemeinigkeit, la mienneté de la vie, pour reprendre un terme heideggérien, le fait que la vie est toujours ma vie ou ta vie, qui se trouve ici mise en question. La vie est un coup monté, c’est dire qu’elle fait l’objet d’un « montage » dont je suis — ou ne suis peut-être pas — l’artisan mais dont je représente certainement la principale victime. De prime abord, nous avons l’impression d’être là devant une vérité de grand paranoïaque, c’est-à-dire un délire — et pourtant, peut-être s’agit-il d’une vérité toute simple par laquelle le phénomène de la vie, la vie toujours mienne ou tienne, se donne à voir et à comprendre dans sa cohésion et son identité propre.

« La vie, toute la vie est un coup monté ». À partir de cette affirmation, deux questions : est un coup monté par qui ? Est un coup monté contre qui ? Et, interrogation préalable : de quelle vie, de quel phénomène, parle-t-on ici qui puissent faire l’objet d’un coup monté ? C’est à ces interrogations, qu’Artaud fait surgir avec toute la violence de sa prose poétique, que nous allons tenter dans ce texte de mesurer les tentatives, plus modérées, faites par Paul Ricoeur et Wilhelm Schapp de penser la vie non pas comme coup monté mais sous les guises de la mise en intrigue pour le premier et de l’empêtrement dans des histoires pour le second. Dans tous les cas, cela dit, il s’agira de dégager le rapport que chacun établit entre ipséité et langage par le biais, qui d’un récit, qui d’une histoire, qui d’un coup monté — ou encore, pour reprendre une notion plus fédératrice, par le biais d’un « montage narratif » de soi. C’est à dessein, ici, qu’au lieu des termes de récit et d’histoire utilisés par Ricoeur et Schapp, ou encore celui de « coup monté » lancé par Artaud, nous parlons plutôt de « montage narratif » de la vie. Ce terme de montage, tiré des arts cinématographiques, a l’avantage d’inclure des éléments non proprement narratifs dans la constitution langagière du soi : énoncés poétiques ou encore théoriques, normatifs et contra-factuels (que le soi s’approprie pour déterminer ce qu’il peut ou doit être). Mais quoi qu’il en soit, à ce stade, de l’envergure précise des possibilités sémantiques du terme, c’est en privilégiant cette notion de montage narratif de la vie que nous essaierons de circonscrire (en nous appuyant sur les thèses de Ricoeur, Schapp et Artaud) l’idée d’une « constitution performative du soi », c’est-à-dire l’idée d’un processus d’individuation fondé dans un événement de langage ou mieux, une performativité langagière[2]. À partir de là, nous en viendrons à déterminer les limites ou les contraintes qui affectent cette constitution performative de l’ipséité — nous renvoyant à l’idée de passivité.

I. Ricoeur : les limites de l’identité narrative

Chez Ricoeur, comme on sait, le montage narratif de la vie, constitutif de l’ipséité, prend la forme souple de ce qu’il nomme notre « identité narrative ». Cette notion, longuement mûrie dans son oeuvre, notamment à partir de Temps et récit, trouve son explicitation la plus étoffée dans Soi-même comme un autre. L’identité narrative permet à Ricoeur de relier deux types d’identité qui caractérisent selon lui la personne humaine : l’identité comme idem (ou mêmeté, le fait d’être identique, de ne pas changer dans le temps, d’être reconnaissable) et l’identité comme ipse (l’identité-ipséité, le maintien de soi par exemple dans la promesse à autrui, par laquelle je m’engage pour l’à-venir et m’avance sans le support de l’idem). C’est là, entre idem et ipse, que se déploie l’identité narrative, comme l’effectuation de la dialectique qui relie ces deux pôles. Avec cette notion, Ricoeur instille au coeur de l’ipséité l’instance critique du langage qui, depuis Nietzsche, a largement contribué à déstructurer ou à déconstruire les présupposés d’identité à soi qui traversent les diverses figures du sujet de Descartes à Husserl. Comme le suggère la notion même d’identité narrative, cette constitution langagière de l’ipséité a plus précisément lieu chez Ricoeur par le biais d’une mise en intrigue, d’un récit, d’une histoire. Non pas une histoire objective, mais l’histoire que chacun se raconte de sa propre vie : la vie personnelle se vit, se constitue et se transforme au fil des narrations qu’elle produit et de celles qu’elle intègre continuellement. (Car aux récits propres qui s’accumulent, se greffent également des récits transmis par la tradition ou la littérature, et qui restructurent en permanence l’ensemble de l’histoire personnelle.) Chez Ricoeur, l’identité narrative n’est donc jamais ni parfaitement stable ni définitive — au point même qu’on est en droit de se demander à quoi tiennent exactement l’unité et l’identité du montage narratif qui en découle. Pour répondre à cette interrogation, Ricoeur avance les notions de mise en intrigue et de personnage. D’une part la mise en intrigue assure une forme de cohérence dans le temps au divers hétérogène des événements qu’elle configure narrativement et d’autre part le personnage du récit apparaît lui-même mis en intrigue, mieux : il se construit à même l’intrigue. C’est ce déplacement de la mise en intrigue vers le personnage qui permet à Ricoeur d’enrichir la notion de personne, conçue dès lors comme un personnage intriqué dans ses propres expériences vécues et luttant narrativement contre l’éparpillement de soi.

Dans cette perspective, on le constate, l’identité est assurément le fruit d’un montage narratif mais qui ne se rapproche en rien d’un coup monté. Certes, ce que nous appellerions le personnage-soi se constitue au sein d’une narration dont les grandes articulations suivent certaines règles (règles mobiles d’ailleurs, comme l’atteste l’évolution des récits de fiction de la « Princesse de Clèves » jusqu’à « L’homme sans qualités »). Mais Ricoeur se sert essentiellement des règles générales de la mise en intrigue comme ce qui permet de lire l’enchaînement de nos actions comme un texte et ainsi de parler avec Dilthey d’une cohésion de la vie (Lebenszusammenhang). L’idée d’identité narrative ouvre ainsi la possibilité d’un montage auto-interprétatif et cohérent de notre propre vie sans pour autant l’astreindre à un cadre pour ainsi dire prédéterminé par des structures rigides. L’identité narrative est bel et bien constitutive de l’ipséité, et ce, dans la mesure où elle consiste à configurer et à refigurer en permanence l’histoire d’une vie de telle sorte que, « cette refiguration fait de la vie elle-même un tissu d’histoires racontées[3] ». Il n’est donc nullement question chez Ricoeur d’envisager la mise en intrigue du soi sous la guise d’un coup monté : aucune instance extérieure au montage narratif qui le manipulerait n’est évoquée pas plus qu’il n’est question d’un coup monté au sens de ce qui nommerait, au sein même du montage narratif, des contraintes inhérentes à la mise en intrigue de la vie — contraintes d’ordre narratif, rhétorique, pragmatique, voire existentielles, bref ce qui aurait pouvoir de contraindre, d’invalider, d’interrompre, d’empêcher ou même de faire échouer ce montage constitutif du soi de l’intérieur ou à partir de lui-même[4].

L’idée de coup monté, absente du montage narratif de l’identité chez Ricoeur, permet ici de pointer vers une dimension passive et constituante du soi que ce dernier ne prend pas explicitement en charge. En d’autres termes : s’il est une dimension de passivité inscrite à même l’identité narrative, elle est accessoire à la réflexion proposée par Ricoeur. Non que la vie humaine soit pour Ricoeur le résultat d’une activité narrative purement maîtrisée, bien au contraire, mais la « donne passive » ou « part subie » du soi, qui aurait pu ouvrir l’idée d’un coup monté au sein du montage narratif, se fait jour chez Ricoeur par un autre biais que celui de la mise en intrigue. Les modalités passives qui participent éminemment de la constitution de l’être-soi relèvent d’une triple expérience de l’altérité que Ricoeur identifie à l’expérience de la chair ou corps propre, à l’expérience pré-morale de la conscience et à l’expérience d’autrui :

À cet égard, je suggère à titre d’hypothèse de travail ce qu’on pourrait appeler le trépied de la passivité, et donc de l’altérité. D’abord la passivité résumée dans l’expérience du corps propre, ou mieux, comme on le dira plus loin, de la chair, en tant que médiatrice entre le soi et un monde lui-même pris selon ses degrés variables de praticabilité et donc d’étrang(èr)eté. Ensuite, la passivité impliquée par la relation de soi à l’étranger, au sens précis de l’autre que soi, et donc l’altérité inhérente à la relation d’intersubjectivité. Enfin, la passivité la plus dissimulée, celle du rapport de soi à soi-même qu’est la conscience, au sens de Gewissen plutôt que de Bewusstsein[5].

Chez Ricoeur, c’est dans cette expérience non proprement narrative que chacun a d’être « soi-même comme un autre » que réside le noeud de la constitution du soi et que se trouve incluse la dimension de passivité qui lui appartient. Par là, et c’est ce qui nous importe, il faut voir que Ricoeur sépare la perspective langagière-narrative sur le soi de la réflexion ontologique. Il ne l’en exclut certes pas mais la constitution ontologique du soi ne relève pas d’abord de la sphère narrative. En ce sens, pour reprendre les mots de Ricoeur, « l’identité narrative n’épuise pas la question de l’ipséité du sujet[6] ». Cette dissociation ou séparation, qui est en dernière instance un refus de penser en termes ontologiques la constitution ou montage narratif du soi, permet à Ricoeur d’en rester à ce que nous appellerions une version « faible » de l’identité narrative. Celle-ci n’engage pas tant d’abord l’être-soi comme tel qu’elle ne décrit, en dernière instance, certaines modalités privilégiées de son apparaître, c’est-à-dire de sa configuration et, au mieux, de sa refiguration[7]. Du même coup, Ricoeur évite la difficulté qui consisterait à traduire en termes de récit ou de montage narratif la dimension irrémédiablement passive que l’idée de vie comme coup monté sous-entend. La possibilité inverse, qui serait de conjoindre les perspectives narrative et ontologique (et donc langage et ipséité), semble trouver un meilleur écho dans la philosophie de Wilhelm Schapp qui propose une explicitation phénoménologique-ontologique de la vie humaine et des choses en général uniquement en termes d’histoires, de narration et de récits. Précisons.

II. Schapp : être c’est être-raconté

Dans son ouvrage intitulé Empêtrés dans des histoires. L’être de l’homme et l’être de la chose[8], Schapp se consacre essentiellement au mode d’apparition ou plus précisément au mode de surgissement de la vie. Celle-ci, de quelque côté qu’on la prenne, surgit à travers et grâce à des histoires. Ici prévaut sans nuances le principe phénoménologique : « autant d’apparaître, autant d’être ». L’effort de Schapp consiste en effet à montrer que non seulement l’être de l’homme mais l’être des choses également apparaît dans et comme des histoires, avec en arrière-plan d’autres histoires et en avant des histoires préfigurées. La perception des choses et la temporalisation de la vie elles-mêmes sont déterminées et phénoménalisées par les récits dans lesquels et par rapport auxquels la vie se déploie constamment. Derrière chaque histoire, une histoire et rien d’autre sinon davantage d’histoire(s).

En ce sens, l’homme est toujours-déjà non seulement pris ou empêtré dans ses propres histoires, mais empêtré dans les histoires des autres et enfin empêtré dans une histoire collective. Pour Schapp, ces empêtrements ou intrications multiples sont intégralement constitutifs de l’identité d’un individu et de son histoire vécue. C’est en ce sens qu’il affirme : « Nous employons l’expression “empêtrement” dans un sens englobant et en parlant d’un empêtré nous voulons atteindre quiconque à qui l’histoire arrive et qui se tient en son centre ou en fait partie[9] ». Le montage narratif de la vie est donc ici ouvertement pluriel, toujours susceptible d’une reprise et d’un démontage. Il faut imaginer un grand réseau mouvant de récits qui s’entrecroisent et se superposent et duquel surgit l’identité toujours racontée ou du moins racontable des êtres et des choses. Dans cet horizon, l’être-soi n’a ni les moyens ni même la vocation de se déprendre ou de se « désempêtrer » de ces histoires qui le traversent, l’enserrent et le constituent intégralement. C’est dire dès lors qu’on n’advient à soi et qu’on ne revient sur soi que dans une histoire et comme histoire. Schapp est on ne peut plus clair sur ce point : « Apparemment nous ne pouvons nous atteindre nous-mêmes que par nos propres histoires, par la manière dont nous les assumons, dont nous y sommes empêtrés, la manière dont ces empêtrements prennent forme, s’assouplissent ou deviennent inextricables[10] ». Ou encore, exprimé de la façon la plus radicale qui soit : « Par ces histoires nous entrons en contact avec un soi. L’homme n’est pas l’homme en chair et en os. À sa place s’impose son histoire comme ce qu’il a de plus propre[11] ».

Le montage narratif, ici compris sous le terme d’histoire, joue donc chez Schapp le rôle d’instance constituante unique de l’ipséité : « L’histoire, écrit-il sans équivoque, tient lieu de l’homme[12] » (Die Geschichte steht für den Mann) — que Ricoeur de son côté traduit par : « L’histoire répond de l’homme ». De tout cela, il ressort que l’être, y compris mon être le plus propre, comme être de chair et de langage, tel qu’il se manifeste dans un rapport aux choses, dans le rapport à autrui et comme rapport à soi, ne se manifeste qu’à travers les histoires qui s’y rapportent et dans lesquelles il s’inscrit. Pour autant, dans ce grand empêtrement du soi dans ses histoires, Schapp s’abstient de considérer ce qui, en dernière analyse, serait éventuellement susceptible de commander ou encore d’empêcher le montage narratif de l’ipséité ou encore, plus simplement, de s’y soustraire. C’est ainsi que là où Ricoeur renvoyait la part subie du soi à l’expérience de l’altérité, située hors de la sphère narrative, Schapp, qui lui ne sort jamais de cette sphère narrative, néglige en revanche de rendre compte du moment de passivité qui affecterait le soi du fait précisément de sa constitution narrative. Certes, il va sans dire que le terme même d’empêtrement ou d’intrication dans des histoires employé par Schapp exprime une forme de passivité ou de dimension subie par celui qui s’y trouve empêtré. L’histoire m’arrive ou arrive à quelqu’un avant que d’être racontée ; nous sommes inscrits dans des histoires qui nous font autant voire davantage que nous ne les faisons. En d’autres termes, nous sommes toujours déjà pris dans une histoire ou, comme dit Ricoeur évoquant la thèse de Schapp, dans la « préhistoire de l’histoire racontée[13] ». Il y a donc une forme de passivité de l’ipséité incluse dans son être-empêtré. Mais la passivité du soi narratif qui se fait ainsi jour apparaît sous-déterminée à trois égards au moins.

D’une part, on peut se demander à quel point le montage narratif proposé par Schapp permet de rendre compte de l’instance passive constitutive du soi que représente par exemple la triple altérité à soi identifiée par Ricoeur. L’empêtrement dans des histoires permet-il de faire luire ce qui m’individualise en tant que je suis ma chair ? Permet-il d’ouvrir un espace où le soi s’engage et se maintient dans la promesse faite à autrui ? Permet-il d’exprimer la voix de la conscience comme altérité à soi constamment reconduite dans l’agir ? À ces questions, Schapp n’apporte aucune réponse. Par ailleurs, la dimension passive du soi semble sous-déterminée eu égard à la mise en histoire comme telle. À l’encontre de la position de Schapp, en effet, on peut faire valoir que l’histoire racontée n’est pas seulement subie par celui à qui elle arrive et qui en est, pour ainsi dire, le personnage principal : elle est elle-même susceptible d’être contrainte et investie par des pouvoirs qui la dirigent et qu’il faudrait, sur les traces de Foucault, arriver à identifier comme tels. Enfin, troisième lacune qui prolonge la précédente : la constitution du soi comme être-raconté est décrite par Schapp sans que nous soyons en mesure d’en sonder les implications en termes de restrictions que la narration elle-même imposerait à l’être-soi — on pourrait penser, par exemple, à des limitations ou contraintes rattachées à un potentiel fini d’expressivité de la mise en histoire.

Pensons aux cas d’Oedipe, Hamlet ou Lear dont l’identité, ou plus précisément l’être-soi, se défait en raison de failles narratives qu’ils ne peuvent justement pas intégrer à leur histoire. C’est ainsi par exemple qu’Oedipe sait et, simultanément, ne sait pas ce qu’il en retourne de sa propre histoire, il se raconte et simultanément il estraconté par le décret divin. La tension entre ces deux narrations qui le constituent en propre l’une et l’autre se résout ou plutôt se brise dans une perte radicale de soi où précisément, la narration doit s’arrêter. Le roi Lear qui hurle dans la tempête, manifeste un autre exemple de la faille qui peut affecter — ou affecte peut-être toujours déjà — le rapport à soi dans l’auto-narration. Impuissant devant son malheur, le roi Lear exprime l’ampleur indicible de son désastre jusqu’à ce qu’il perde les mots pourse dire et se perde simultanément dans une folie où l’ipse même perd son nom. Le cas de Hamlet, enfin, nous met face à des narrations de soi concurrentes où, non pas l’aveuglement sur soi mais la lucidité entraîne un refus ou une incapacité de se raconter davantage et devient précisément l’ennemi de toute résolution et un moteur de non-action entraînant l’histoire et le personnage-soi vers leur fin.

Telle qu’exposée dans l’ouvrage de Schapp, la théorie de l’être-empêtré dans des histoires semble impuissante à rendre compte de ces cas, même fictifs, de narration brisée affectant l’être même du soi. Elle ne se hisse pas à la hauteur de ces personnages tragiques qui, en dernière instance, révèlent le risque existentiel ultime inscrit dans la réussite ou l’échec du montage narratif du soi, à savoir la folie et la mort. Un risque qui, révélant les limites du montage narratif, traduit la part subie du soi raconté, incapable de s’approprier sa propre histoire dans laquelle il se trouve pourtant intriqué. En ce sens, malgré la connotation passive du terme même d’empêtrement ou d’intrication (Verstrickung) que Schapp utilise, la spécificité et la portée de cette passivité eu égard à la mise en histoire constitutive de « l’être de l’homme » semblent bel et bien éludées par son propos. Dès lors une question se pose : Schapp nous a-t-il permis de progresser comme nous l’espérions, par rapport à Ricoeur, dans le projet de pousser et de penser jusqu’au bout l’idée d’un montage narratif de l’être-soi ?

La position de Ricoeur à cet égard était apparue à première vue trop étroite dans la mesure où il confinait la narration au mode de construction et de phénoménalisation de l’identité personnelle qu’il opposait ou du moins distinguait d’une réflexion proprement ontologique sur l’ipséité. Ipséité, rappelons-le, constituée dans son altérité originaire sous la triple guise de la chair, d’autrui et de la conscience et s’attestant comme expérience de la passivité. La démarche de Schapp, qui prétend penser intégralement l’ipséité de l’homme à partir de son être-empêtré-dans-des-histoires, semblait donc de prime abord offrir une conception plus radicale, plus vaste et plus satisfaisante du soi narratif que la position, disons plus prudente, de Ricoeur. Mais est-ce vraiment le cas ? En dernière instance, nous rencontrons ici le problème inverse de celui entrevu chez Ricoeur : la description narrative du soi chez Schapp est certes investie d’une dimension ontologique indéniable mais qui tend à délester l’ipséité de sa part subie ou dimension passive constituante tant en ce qui à trait aux contraintes du montage narratif du soi qu’en ce qui à trait aux instances individuantes comme telles que Ricoeur a identifiées (chair, autrui, conscience). En d’autres termes, la description phénoménologique de Schapp, qui a l’avantage de ne jamais sortir du montage narratif pour rendre compte de la constitution du soi, allège ce dernier de sa dimension d’altérité et de passivité qui lui donne toute sa consistance ontologique chez Ricoeur.

La raison d’une telle omission est en fait assez simple : pour Schapp, la dimension passive du soi n’a aucune spécificité par rapport aux autres. Comme le reste de l’expérience de l’être de l’homme et de l’être des choses, la part subie du soi se phénoménalise en histoires. Seul le montage narratif se trouve ainsi être à la mesure de l’être et rien n’en saurait déborder : « Nous sommes d’avis que l’être homme s’épuise dans l’être empêtré dans des histoires, que l’homme est celui qui est empêtré dans des histoires[14] ». Kant écrivait dans la Critique de la raison pure : « […] il faut que quelque chose soit pour que quelque chose apparaisse[15] ». À cela Ricoeur répond en écho, dans la Métaphore vive : « […] il faut que quelque chose soit, pour que quelque chose soit dit[16] ». Ce à quoi Schapp répliquerait à son tour, en inversant la formule : « […] il faut que quelque chose soit dit (ou plus précisément raconté), pour que quelque chose soit ». À l’équation idéaliste : être, c’est être connu, Schapp substitue donc une équation pour ainsi dire narrativiste : être, c’est être raconté. Très bien. Mais une question demeure alors : d’où vient ce pouvoir proprement ontologique (ou performatif) de la narration ? Schapp devrait pouvoir répondre à cette question fondamentale à son propos. Or il n’y répond pas.

Le problème est précisément qu’il ne donne pas à voir à partir et en vertu de quelle instance le montage narratif de soi fonctionne de facto. Il part du principe que l’ipséité se donne à voir dans une histoire sans questionner les conditions de possibilité et d’effectivité de cet apparaître. Il ne questionne pas, autrement dit, le montage narratif en tant qu’instance performative de la constitution du soi — pas plus d’ailleurs qu’il n’en sonde les limites s’il en est (mais il n’en est pas). Le montage narratif tient lieu de puissance ontologique fondamentale chez Schapp sans qu’on puisse pour autant identifier les fondements et les implications de cette thèse posant le soi dans son intégralité comme résultat ou pro-duit d’une narration. Pour éclaircir cette question, il faudrait que Schapp en vienne, semble-t-il, à une réflexion sur le langage qui justifierait le pouvoir constitutif ou ontologique de la narration eu égard à l’être-soi. En d’autres termes, s’il doit bel et bien être question, avec l’être-empêtré dans des histoires et avec le montage narratif du soi en général, d’un enjeu ontologique (c’est-à-dire touchant l’être de l’homme) il faut pouvoir accéder, à travers le couple d’ipséité et de montage narratif, aux notions de passivité et de langage qui les sous-tendent. Or Schapp fait l’impasse sur cette double exigence. Non seulement, il fait fi d’une dimension de passivité du soi qui, par exemple, pourrait résister à un montage narratif sans pour autant lui échapper, mais il revendique par ailleurs l’autonomie du récit par rapport à l’instance générale du langage : « […] comment le langage, écrit-il, pourrait-il avoir le pouvoir de susciter des histoires [et donc de l’être] comme par enchantement ? » Et un peu plus loin : « L’histoire surgit avec les expressions de la proposition, avec le langage. Mais le surgissement de l’histoire n’est pas lié au langage[17] ». Du coup, Schapp fait l’économie d’une composante incontournable de ce qui justement fait problème. Et pour séduisante que paraissait de prime abord sa théorie, elle semble désormais insuffisante[18].

Ricoeur, au contraire, prend position de façon claire sur cette double exigence c’est-à-dire, d’une part, sur la question de la passivité constitutive de l’ipséité — qui déborde de toute part l’identité narrative — d’autre part, sur la question du langage dans son rapport à l’être. Peut être pris à témoin sur ce point le premier tome de Temps et récit où Ricoeur précise ce qui fonde le privilège du récit à configurer la vie. Ce privilège repose sur la structure pré-narrative de l’expérience elle-même[19]. De là, il n’en conclut toutefois pas, avec Schapp, à l’identité de l’être-raconté et de l’être du monde. Dans la mesure, en effet, où le récit appartient à la sphère du langage, c’est à ce dernier qu’on doit en référer en dernière instance pour statuer du pouvoir ontologique du montage narratif. Or Ricoeur admet d’emblée une hétérogénéité du langage et de l’être : le langage porte sur le monde mais il n’est pas du monde[20]. Il atteste seulement de ce monde et donc de l’être dans la mesure où l’extériorisation que cette attestation exige est « la contrepartie d’une motion préalable et plus originaire, partant de l’expérience d’être dans le monde et dans le temps, et procédant de cette condition ontologique vers son expression dans le langage[21] ». L’attestation du monde qu’exprime le langage est portée par une motion plus originaire que tout dire, à savoir celle de notre être-au-monde et de la compréhension affectée qui le caractérise. Ricoeur adopte clairement ici une posture heideggérienne : c’est parce que nous sommes dans le monde et affectés par des situations, que « nous tentons de nous y orienter sur le mode de la compréhension et [que] nous avons quelque chose à dire, une expérience à porter au langage et à partager ». Et il conclut : « Telle est la présupposition ontologique de la référence, présupposition réfléchie à l’intérieur du langage lui-même comme un postulat dénué de justification immanente[22] ».

Là donc où Schapp pense intégralement l’être de l’homme à partir de l’empêtrement dans des histoires, sans rendre compte ni de la part subie du soi ni de ce qui dans le langage justifierait la performativité du montage, Ricoeur honore cette double exigence mais de telle sorte que le montage narratif n’est plus ni dans un cas ni dans l’autre, à la hauteur d’une pleine constitution performative de l’ipséité. Dès lors il faut se demander si l’on peut vraiment penser intégralement l’être-soi sous les guises du montage narratif ? Dans quelle mesure, au vu de ce qui a été mis en lumière, l’idée d’un montage narratif de la vie peut-elle être reprise et comprise en termes de constitution performative du soi ? Cette question, que nous ne prétendons pas résoudre mais que nous voulons du moins sonder plus avant, est celle qui motive la dernière partie de ce texte, la plus brève, la plus ouverte et la plus franchement exploratoire.

Nous allons nous appuyer dans notre « prospection » sur certains textes d’Antonin Artaud pour indiquer, à partir de ce qui a été discuté jusqu’ici, les perspectives qui nous intéressent. Pourquoi Artaud ? C’est que dans ses écrits, Artaud véritable phénoménologue de la difficulté d’être soi, permet précisément de penser dans le langage la part subie de l’ipséité. Il donne proprement voix à la passivité qui résiste au montage narratif du soi et pourtant s’y inscrit. Il décrit, mieux il effectue la possibilité pour l’instance langagière, à l’oeuvre dans ce montage, d’être à la hauteur de l’ipséité y compris dans ses dimensions passives, et ce, dans la mesure où il prend acte du pouvoir d’imposition du langage dans l’être, de sa puissance, autrement dit, de faire événement. C’est de cette dimension fondamentale qu’Artaud nous semble — davantage peut-être que Ricoeur et que Schapp — avoir pris la mesure, entrevoyant simultanément, de façon sans doute hyperbolique, le fondement et les contraintes inhérentes au montage narratif de l’être-soi.

III. Artaud : la chair se dit

Chez Artaud, et c’est là son intérêt pour notre propos, les deux pôles constitutifs de l’ipséité qui ont été dégagés, c’est-à-dire la passivité et le langage, sont immédiatement mis en lien. La vie est d’entrée de jeu la vie d’une chair qui se dit ou tente de se dire singulièrement : « […] il y a des cris intellectuels, écrit Artaud, qui proviennent de la finesse des moelles. C’est cela moi, que j’appelle la Chair. Je ne sépare pas ma pensée de ma vie. Je refais à chacune des vibrations de ma langue tous les chemins de ma pensée dans ma chair[23] ». Dans ce texte, Artaud se met d’emblée en scène comme une singularité incarnée, une ipséité charnelle qui peine à se dire et s’éructe dans des cris dont on pourrait douter qu’ils relèvent d’un événement langagier à proprement parler si ce n’est qu’Artaud précise qu’ils sont des cris intellectuels. Il ne s’agit pas avec ces cris de l’expression brute d’affects mais de l’expression de sa pensée et donc de sa chair dans des mots. Or cette phrase, loin d’être isolée, révèle la posture générale d’Artaud, celle qui fait de l’ipséité l’enjeu d’un combat de tous les instants : « Et la question est que moi, Artaud, j’ai besoin de me battre, parce que je suis un combattant-né[24] ». Je suis un combattant-né — en d’autres termes : ma vie s’ouvre sur un combat. Combat dont l’enjeu est l’être-soi, mais dont le siège est avant tout le corps. Le corps qui lutte pour vivre c’est-à-dire pour être chair plutôt que de simplement être ou exister comme une chose[25]. Or cette vie de la chair chez Artaud, et c’est ce qui nous intéresse, s’atteste avant tout dans le fait de (se) sentir, de (se) penser et surtout de s’atteindre dans la fulgurance d’un langage propre — issu précisément de la chair et non de la raison[26] : « Le conflit éternel de la raison et du coeur se départage dans ma chair même […]. Et c’est ainsi que j’assiste à la formation d’un concept qui porte en lui la fulguration même des choses, qui arrive sur moi avec un bruit de création[27] ».

Il apparaît ainsi juste d’affirmer que l’enjeu du combat, de cette confrontation en vue de l’être-soi, se manifeste dans le langage. Ce que nous entrevoyons là, c’est l’idée d’une constitution performative du soi dans le langage qui précéderait son inscription dans le monde des choses. C’est d’abord dans le langage que se joue et se risque l’être-soi, et non, par exemple, dans la confrontation à l’étant ni aux choses comme telles : « Étant dieu et le maître des choses, écrit Artaud, ce ne sont pas les choses qui pourront quelque chose contre moi[28] ». Des choses, Artaud sait qu’elles ne peuvent pas l’atteindre ni attenter à son ipséité. Pourquoi ? Parce que les choses elles-mêmes, tout comme les discours sur ces choses, sont d’abord soumis à la puissance de mots qui se jouent d’eux :

L’homme de cette terre a souffert, et je crois que ça va avoir fini par lui donner une science, à savoir qu’il n’y a jamais eu de science, de morale ou de philosophie, pas de religion et pas de néant, pas d’être et pas d’existence, pas de parole, et pas de silence où l’on puisse être muet en paix, parce que les espaces sont habités, et qu’il n’y a rien qui se puisse nommer, que les choses n’ont pas de nom et qu’on ne peut donner un nom aux choses sans être tout de suite cocu ou marron[29].

À l’inverse de l’analyse citée de Ricoeur cette phrase étonnante sous-entend que c’est le langage qui tient l’être en son pouvoir et non l’inverse. C’est lui qui a pouvoir de nommer les choses et ainsi de les inscrire dans l’être, de les faire « fulgurer » et arriver sur nous « avec un bruit de création[30] », pour reprendre les mots d’Artaud. Mais c’est ce langage également qui, le plus souvent, a le pouvoir de nous faire cocu ou marron. Il nous fait cocu parce qu’il a pouvoir de nous tromper sur les choses et sur l’être, y compris notre être propre. C’est donc ici l’idée de coup monté que nous retrouvons à mots couverts. S’il y a en effet combat dès le début de la vie, c’est que celle-ci comme exigence de soi est menacée dans la possibilité même de son déploiement. Cette possibilité, encore une fois, ne relève pas du monde des choses qui nous renvoie éternellement d’une chose à une autre chose, mais du monde des mots et du langage. Le langage a la puissance de nous tromper sur l’être précisément parce qu’il est envisagé par Artaud comme la puissance ontologique déterminante. C’est d’abord dans le langage et non dans le monde qu’il devient possible qu’il sepasse quelque chose, qu’un événement ait lieu, que quelque chose ou quelqu’un puisse être nommé et, ainsi à strictement parler, arriver[31]. Le langage devient tout aussi bien ainsi l’instance dont relève toute chair qui tente de se dire, d’advenir comme ipséité.

Mais, sous-entend Artaud, ce pouvoir ontologique du langage est à double tranchant. Car dès lors que la tentative éminemment singulière — puisque constitutive du soi précisément — de se dire est prise en charge dans les espaces habités, par la société qui fait corps, qui dit « nous » et qui dit « on », le langage prend figure de coup monté. Il prend dans ses rets l’histoire et le dire singuliers de ma chair et de ma vie qu’il vise à envoûter, à vaincre et à perdre dans sa singularité. Ce corps social voire cette parole « sociale », qui veut assigner chaque ipséité au lieu commun, devient prétexte à toutes les violences, dès lors qu’on tente de s’y soustraire[32]. En un sens, le langage lui-même, ainsi détourné ou capté, devient puissance maîtrisante ; il y a, pour reprendre le vocabulaire d’Artaud, tentative d’envoûtement de l’être-soi singulier par le langage de l’identité commune : « Je suis toi et ta conscience c’est moi, voilà ce qu’à ce moment-là disent tous les êtres, commis, droguistes, épiciers, poinçonneurs de tickets dans les métros, fossoyeurs, rémouleurs, cantonniers, boutiquiers, banquiers, prêtres, patrons d’usines, pédagogues, savants, médecins[33] ».

Pour autant, dire la vie, toute la vie est un coup monté (nous y revenons) ce n’est pas suggérer que « je » vis au sein d’un complot qui m’oppose comme une subjectivité ou un individu à d’autres subjectivités qui veulent ma perte. C’est affirmer que l’événement langagier de l’être-soi est en danger permanent d’expropriation ou d’envoûtement par une société qui veut s’approprier et maîtriser toute chair, toute création et tout langage par les gestes et la voix de ses prophètes : juges, policiers, médecins, psychiatres, prêtres, philosophes aussi. C’est affirmer que le dire même dans lequel ma vie peut émerger et se déployer comme ipséité, c’est-à-dire comme événement de chair et (donc) de langage, s’est constitué socialement dans un langage, non innocent, par-delà toute subjectivité, en un empêchement qui exige d’être combattu et ce, à même le langage : « […] il ne me faudrait qu’un seul mot parfois, un simple petit mot sans importance, pour être grand, pour parler sur le ton des prophètes, un mot-témoin, un mot précis, un mot subtil, un mot bien macéré dans mes moelles, sorti de moi, qui se tiendrait à l’extrême bout de mon être, et qui, pour tout le monde, ne serait rien[34] ».

Qu’en conclure ? Nos réflexions n’avaient certes pas pour but de rendre compte de la pensée d’Artaud ou de la systématiser. Elles visaient surtout à mettre en évidence le fait que son affirmation, « la vie, toute la vie est un coup monté », de prime abord énigmatique et provocatrice, peut être entendue, en écho et par contraste avec les théories de l’identité narrative chez Ricoeur et de l’être-empêtré dans des histoires de Schapp, comme la forme la plus radicale, voire outrancière, d’une thèse sur le langage et sur l’être permettant dès lors de penser l’ipséité sous les guises d’une constitution performative qui éviterait en droit les limites mises de l’avant dans les théories de Ricoeur et de Schapp. Comparée à l’idée d’une chair qui s’exprime en direct dans le dire de soi, on peut se demander, en effet, si les descriptions respectives de l’ipséité dans l’horizon d’un montage narratif ne portent pas trop court — tant chez Ricoeur qui dissocie le récit et la constitution du soi liée à sa passivité que chez Schapp qui réduit sans la questionner cette constitution ontologique du soi au récit. Tout bien pesé, dans ce contexte — et la question se veut ouverte — n’est-ce pas Artaud, faisant d’emblée droit à la dimension ontologique du langage à partir d’une description de la chair singulière qui exige de se dire malgré et contre la menace d’expropriation par le verbe de la société, qui apparaît ici comme le meilleur phénoménologue de l’être-soi dans l’horizon d’un montage narratif ? Montage narratif qui préfigure un coup monté par et dans un langage qui me précède, me déborde et toujours-déjà « m’identifie » par-devers moi qui n’ai d’autre alternative, à tout prendre, que de m’y soumettre ou de me battre. Pourquoi ? Parce que de ce combat dépend précisément l’émergence, mieux, la constitution de l’ipséité c’est-à-dire d’une vie singulière — chair et pensée — qui tente de se dire aux limites du coup monté quand ce n’est pas contre lui. Relisons le texte tout à la suite :

Et la question est que moi, Artaud j’ai besoin de me battre parce que je suis un combattant-né. […] L’homme de cette terre a souffert, et je crois que ça va avoir fini par lui donner une science, à savoir qu’il n’y a jamais eu de science, de morale ou de philosophie, pas de religion et pas de néant, pas d’être et pas d’existence, pas de parole, et pas de silence où l’on puisse être muet en paix, parce que les espaces sont habités, et qu’il n’y a rien qui se puisse nommer, que les choses n’ont pas de nom et qu’on ne peut donner un nom aux choses sans être tout de suite cocu ou marron. Nous nous croyons libres et nous ne le sommes pas, les sociétés se croient libres, elles ne le sont pas, les gouvernements se croient libres, ils ne le sont pas, les nations se croient libres, elles ne le sont pas, les hommes se croient libres, je veux dire au moins de leurs consciences, et c’est le point où justement l’homme prisonnier des quatre planches de son cercueil pourrait penser avoir plus de liberté si les choses étaient ce qu’il paraît, mais elles ne sont pas ce qu’il paraît, et voilà justement où le vieil Artaud que je suis a été poignardé, incarcéré, empoisonné, endormi à l’électricité pour m’empêcher d’ouvrir la bouche, sur une certaine chose que je sais, et qui est que la vie est truquée, un vieux guignol machiné de la tête aux pieds[35].