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Le 24 janvier 2007, lors d’une visite à Washington, les édiles de Québec invitaient les Américains aux célébrations du 400e anniversaire de cette ville où le « Old World Charm » cohabite avec le « New World Excitement » (Lemieux, 2007 : 4). Ces expressions évoquent bien l’urbanité particulière de Québec, où tradition romantique (Duval, 1979) et modernité fonctionnelle se côtoient, où le vernaculaire devient valeur universelle (Raffestin, 1981). Contrairement à la perception qu’il avait de Montréal, « énorme métropole invertébrée », Raoul Blanchard retrouvait à Québec l’harmonie des villes françaises de province : « aucune disproportion ; un état de chose que nous qualifierions volontiers de français, car il se trouve dans beaucoup de villes de France d’importance analogue » (Blanchard, 1935, t. 2 : 257). Quelques décennies plus tard, Gérald Fortin détecte à Québec une « forme ambiguë » : le Vieux-Québec demeure, bien sûr, le centre patrimonial, identitaire et ludique du Québec métropolitain, mais ce dernier constitue un ensemble polycentrique assez dispersé, à l’image des villes américaines (Fortin, 1981). C’est que, depuis l’époque de Raoul Blanchard, Québec a bien changé.

Auparavant, sa croissance assez lente avait sans doute aidé à conserver son charme suranné. Lieu de continuité par excellence, Québec jouait bien son rôle de capitale de province (Villeneuve, 1981). Avec la Révolution tranquille, on a voulu qu’elle devienne capitale d’État, avec la série de transformations urbaines qui suivirent : réaménagement du centre accompagné d’une prolifération des banlieues déjà en marche depuis les années 1940, et amplifiée par un tout nouveau système autoroutier. Depuis longtemps, Québec est une ville commerciale. D’abord à l’époque coloniale du commerce lointain. Ensuite, au vingtième siècle, comme principal pôle tertiaire du Québec oriental. Couillard (1981) a bien décrit le dépérissement industriel et la prospérité commerciale de Québec, centrée sur la rue Saint-Joseph dans Saint-Roch, entre 1929 et 1960. Après cette dernière date, les centres commerciaux de la banlieue induiront une baisse de l’activité commerciale du centre-ville. Les grands magasins de Saint-Roch fermeront leurs portes à tour de rôle et le Vieux-Québec intra-muros se spécialisera dans la restauration et les boutiques de produits pour touristes (Gazillo, 1981). Aujourd’hui, avec la renaissance du quartier Saint-Roch axée sur les activités culturelles et éducatives (Dufault et Villeneuve, 2006 ; Villeneuve et Trudelle, 2008), avec aussi l’importance de l’industrie touristique pour le centre de Québec (Kerçuku, 2004) et la profonde restructuration municipale du début des années 2000, on pourrait penser qu’un nouvel équilibre entre le centre et la banlieue est en voie d’être atteint. Rien n’est toutefois moins sûr. Les premiers résultats du recensement de 2006 montrent en effet que l’étalement urbain se poursuit, tout particulièrement au-delà des nouvelles limites de la ville de Québec. Et cet étalement résidentiel s’accompagne d’une transformation profonde des activités de commerce de détail, s’il faut en croire la rapide croissance du nombre de magasins-entrepôts, surnommés big boxes en anglais (Biba, 2007), qui est passée de 5 avant 1990, à 39 en 2000 et à 72 en 2006, une croissance qui n’est pas particulière à Québec (Hernandez et Simmons, 2006).

Ces changements soulèvent une série de questions. Dans quelle mesure les anciennes formes commerciales peuvent-elles résister à la concurrence des nouvelles ? De quelle façon la dynamique des formes commerciales est-elle associée au déploiement de diverses formes de mobilité quotidienne ? Et comment, à Québec peut-on dépasser l’ambiguïté des formes urbaines notée par Gérald Fortin ? En d’autres termes, quelle organisation spatiale de la vie quotidienne et de la consommation permettrait à Québec des pratiques de développement durable plus affirmées ? Ces trois questions seront abordées tour à tour. Nous décrirons d’abord l’évolution des formes commerciales en mettant l’accent sur la situation récente. Ensuite, nous analyserons la fréquentation de ces diverses formes par les habitants de Québec. Enfin, nous suggérerons que le renforcement d’une organisation axiale de l’espace urbain, déjà présente à Québec, offre la possibilité, mieux qu’une organisation polycentrique, d’un développement urbain durable.

Étalement urbain et concentration commerciale

Habituellement, dans les théories économiques sur la ville, l’importance des activités de commerce de détail en un lieu donné est une fonction de l’importance de la population en ce lieu, c’est-à-dire de la demande locale de biens de consommation. C’est pourquoi le commerce de détail est souvent classé parmi les activités qu’on nomme quelques fois activités résidentielles (Merlin, 1973). Ces activités, appelées aussi non basiques ou induites, se distinguent des activités basiques, ou exportatrices, qui produisent des biens et services vendus hors de la zone considérée, celle-ci pouvant tout aussi bien être un quartier, une ville ou une région. Si la population augmente fortement dans un secteur de la banlieue, les activités de commerce de détail devraient aussi croître fortement dans ce secteur. Ainsi, l’étalement marqué de la population, depuis 1940, autour du noyau compact de Québec formé des trois districts traditionnels de la Haute-Ville, la Basse-Ville et Limoilou, aurait dû produire un étalement proportionnel du commerce de détail. Or il s’est plutôt produit une concentration graduelle des activités commerciales, en certains points du territoire, de plus en plus loin de ce noyau, une tendance qui s’est accélérée au cours de la dernière décennie.

Cette concentration commerciale a une dimension économique. Thériault et al. (2004) ont étudié cet aspect et leurs résultats suggèrent que la concentration économique du commerce de détail est plus élevée dans la région métropolitaine de Québec que dans l’ensemble du Québec. C’est du moins ce que l’on peut déduire de l’importance relative des magasins à succursales. Pour Statistique Canada (2004), un magasin de détail à succursales est une organisation qui exploite quatre points de vente ou plus appartenant à la même entité juridique et dans une même classe de produits. L’incidence des magasins à succursales peut être vue comme un indice d’intégration économique horizontale, une firme possédant au moins quatre points de vente étant plus intégrée qu’un magasin indépendant, qui exploite habituellement moins de quatre points de vente. Quant aux franchises, qui font partie de regroupements dont les membres sont indépendants les uns des autres du point de vue de la propriété, elles peuvent être fortement contrôlées par l’entreprise-mère, autre source d’intégration économique que les données de Statistique Canada ne permettent toutefois pas de mesurer. En 2001, 39 % du volume total des ventes au détail dans la région métropolitaine de Québec (RMR) ont été le fait de magasins à succursales contre 34 % pour l’ensemble du Québec. Un autre aspect de la concentration commerciale concerne le nombre et la taille des établissements. Entre 1991 et 2004, le nombre total d’établissements de commerces de détail dans la RMR a diminué de près de 24 %. Mais c’est surtout l’évolution du nombre d’établissements selon la taille de ceux-ci qui est révélatrice : pendant que le nombre d’établissements de moins de 10 employés diminuait de 33 %, ceux de 50 employés et plus croissaient de 92 % (Statistique Canada, 2004).

La concentration économique ne va toutefois pas nécessairement de pair avec la concentration géographique. Les agglomérations commerciales dans l’espace géographique peuvent contenir des commerces indépendants de taille très diverses et exerçant une attractivité variable sur la clientèle potentielle. Afin de documenter ceci, nous utilisons ici trois sources de données désagrégées et intégrées au moyen d’un système d’information géographique (SIG) : le répertoire ZipCom 2000 ; les adresses civiques et les géoréférences du rôle d’évaluation municipale ; et l’enquête origine-destination (OD) de 2001 du Ministère des transport du Québec et du Réseau de transport de la capitale, géoréférencée à l’échelle de l’adresse civique. Ces enquêtes et les procédés de géomatique qui leur ont été appliqués sont décrits de façon détaillée dans un rapport de recherche effectué pour le compte de la Communauté métropolitaine de Québec et accessible par Internet (Thériault et al., 2004). Ces bases de données permettent : 1) de localiser chacun des 6500 établissements commerciaux de la RMR de Québec à l’échelle de son adresse civique, et incluant les types de biens et services offerts ; 2) de géoréférencer et de décrire les caractéristiques d’un échantillon de 24 522 déplacements effectués du lundi au vendredi au cours de l’automne 2001 pour fins de consommation et réalisés par 17 947 personnes appartenant à 13 074 ménages (des facteurs d’expansion tirés des données sur les secteurs de recensement de 2001 permettent d’estimer ces effectifs pour l’ensemble de la population). La grande taille de l’échantillon permet, entre autres, d’évaluer l’aire d’attraction des diverses formes commerciales à l’aide des déplacements effectués vers elles. Cette enquête fournit une quantité considérable d’informations finement localisées, mais elle comporte une limite importante : l’absence de réponses pour les journées du samedi et du dimanche, alors même que les commerces sont ouverts et que certains reçoivent sans doute leur maximum de clientèle puisque la majorité des consommateurs disposent alors du temps requis. Les résultats présentés plus bas sont affectés par cette limite. En semaine, une proportion importante de la population est en situation d’activité professionnelle, ce qui pourrait faire en sorte que les déplacements de consommation faits à partir des lieux de travail sont surreprésentés.

Si nous mesurons la concentration géographique par la taille des agglomérations commerciales, nous notons que, depuis quelques décennies, le commerce de détail a fortement tendance à se concentrer en certains points du territoire de la RMR de Québec. Le tableau 1 présente une typologie des formes commerciales rencontrées à Québec. Les quelque 6 500 établissements de commerce de détail et de service de la RMR de Québec sont répartis selon huit types définis par des variables qui concernent la superficie commerciale des édifices, le nombre ou la densité d’établissements, les caractéristiques des biens et services offerts, ainsi que l’aire de marché potentielle. Décrivons brièvement ces types, du plus dispersé au plus concentré (figure 1).

Tableau 1

Typologie des formes commerciales

Formes commerciales (nombre en 2006)

Superficie de plancher (m2)

Nombre et types de magasin

Caractéristiques spécifiques de l'offre

Aire de marché potentiel

Commerces isolés

Grande variabilité

2227

Diversifiée

Grande variabilité

Rue commerciale

(71)

Varie selon le magasin

Densité ≥ 10 commerces / km de route (moyenne = 32 commerces / km)

Mixité des commerces et des services; mixité des formes de déplacement pour consommation

Clientèle avoisinante et de passage - forte proportion de déplacements à pied

Centre commercial

De voisinage

(54)

< 14 000

5 à 14 (dont une épicerie ou une pharmacie de bonne taille)

Produits et services d'utilité quotidienne

Clientèle avoisinante -déplacements à pied ou en automobile

De quartier

(23)

14 000 - 50 000

15 à 99 (au moins ungrand magasin dechaîne nationale)

Besoins quotidiens etcourants : vêtements,chaussures, etc.

Clientèle du quartier oudes quartiers voisins -desserte par le transportcollectif

Régional

(3)

50 000 - 80 000

100 à 199 (au moins deux grands magasins de chaînes nationales)

Grande diversité de toutes sortes de produits

Clientèle régionale -accessibilité automobile et en transport collectif

Suprarégional

(3)

> 80 000

> 200 (plusieurs grands magasins de chaînes nationales)

Grande diversité de toutes sortes de produits

Clientèle régionale -accessibilité automobile et en transport collectif

Grande surface

Magasin-entrepôt isolé

(42)

> 4600

Un établissement principal qui loue éventuellement des espaces spécialisées pour des boutiques

Marchandises mixtes ou spécialité dans une gamme de produits

Clientèle locale et régionale (selon la taille et la spécialité de magasin) - accessibilité automobile surtout

Mégacentre d'affaire

(5)

> 25 000

Plusieurs magasins -entrepôts adjacents

Conglomérat de magasins-entrepôts avec quelques commerces plus petits mais de même style

Clientèle régionale et suprarégionale -accessibilité autoroutière

Source : version modifiée de Thériault et al. (2004 : 39)

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Un premier type, l’établissement isolé, inclut environ le tiers du nombre total d’établissements. C’est dire à quel point, malgré une tendance forte à la concentration géographique, le commerce de détail reste une activité relativement atomisée. En l’occurence cette catégorie est constituée des établissements qui ne rencontrent pas les critères de regroupement géographique des sept autres types. Les commerces isolés offrent une vaste gamme de produits et services. Ils accaparent des parts de marché élevées, mais difficiles à évaluer, dans certains secteurs tels l’alimentation, la quincaillerie, les véhicules, la finance et l’assurance, les loisirs et les sports. Leur isolement peut être dû à une gamme de facteurs hétéroclites tels la faible portée des biens qu’ils offrent (le dépanneur localisé au coin de la rue dans un quartier résidentiel) ; le besoin d’espace où stocker la marchandise (le vendeur d’automobiles) ; ou, encore, surtout en banlieue éloignée, des règlements de zonage peu contraignants.

Un deuxième type, les rues commerciales, regroupe environ 35 % du nombre total d’établissements. Pour qu’un tronçon de rue soit considéré comme étant commercial, il doit posséder au moins 10 commerces au kilomètre. Les 71 tronçons commerciaux qui appartiennent à 54 rues différentes renferment en moyenne 32 commerces au kilomètre. En général, les rues commerciales se caractérisent par une mixité de l’offre et une diversité des modes de transport utilisés pour les atteindre, avec une proportion plus grande de déplacements à pied que les autres formes commerciales. Selon leur localisation, elles attirent soit une clientèle surtout avoisinante, soit une clientèle surtout de passage et qui réside ailleurs dans l’agglomération ou à l’extérieur de celle-ci. Une comparaison du segment de la rue Saint-Jean situé à l’intérieur des murs au segment situé dans le Faubourg Saint-Jean-Baptiste illustre bien cette différence : la clientèle quotidienne, pendant les jours de semaine, du segment situé dans le Faubourg provient dans une proportion de 50 % d’une aire dont la superficie est de 2,24 km2 et pour 80 % d’une aire de 33 km2 (figure 2). Les chiffres équivalents pour le tronçon intra-muros sont 18,5 et 105,6. Il s’agit de deux segments voisins d’une même rue et ayant chacun sensiblement le même nombre de commerces (environ 100). Tous deux sont très animés et, ensemble, ils véhiculent une dimension clé de l’urbanité et de son rôle dans la fabrication des identités, soit la cohabitation d’une vie de quartier intense et d’une centralité patrimoniale et ludique rassembleuse. De Jane Jacobs (1961) à Éric Charmes (2007), des rues du type de la rue Saint-Jean jouent un rôle social, qui va bien au-delà de leur fonction commerciale. Jacobs fait valoir, mieux que tout autre, l’importance des rues animées pour la vitalité des villes. Charmes montre comment la gentrification commerciale, dont l’intention est de recréer l’animation chère à Jacobs, finit souvent par ne créer qu’un décor.

Figure 1

Répartition des formes commerciales. RMR de Québec, 2006

Répartition des formes commerciales. RMR de Québec, 2006

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Figure 2

Aires de marché de la rue Saint-Jean (tronçon à l’extérieur des murs)

Aires de marché de la rue Saint-Jean (tronçon à l’extérieur des murs)

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Les quatre types suivants relèvent tous d’une forme de base, le centre commercial, hiérarchisée selon la taille. Ces regroupements de plusieurs commerces sous un même toit génèrent des rentes qui dépendent de facteurs tant spatiaux que non spatiaux (Des Rosiers et al., 2005). Au niveau le plus local, les 54 centres commerciaux de voisinage de la RMR de Québec comptent chacun entre 5 et 14 boutiques, offrant des produits et services d’utilité quotidienne à une clientèle qui se déplace à pied ou en voiture. Les 23 centres commerciaux de quartier comptent un nombre de commerces nettement plus élevé (entre 15 et 99) ; ils offrent en plus des produits d’utilité quotidienne, des biens courants comme les vêtements et les chaussures, et sont souvent desservis par le transport en commun. Viennent ensuite les six centres régionaux et suprarégionaux qui en fait forment quatre concentrations géographiques : le conglomérat de Sainte-Foy, les Galeries de la Capitale, Place Fleur de Lys et les Galeries Chagnon. Ils offrent une grande diversité de produits et services et leur clientèle, qui se déplace surtout en voiture, mais aussi en autobus, déborde les limites de l’aire métropolitaine.

Enfin, le type des magasins-entrepôts, isolés (42) ou regroupés en méga centres d’affaire (cinq qui comptent en moyenne six magasins-entrepôts chacun), est celui qui se développe le plus rapidement. Ces grandes surfaces comptent sur l’accessibilité autoroutière et offrent des marchandes mixtes (ex. : Costco, Wal Mart) ou une gamme de produits dans une spécialité (ex. : Canadian Tire, Rona L’Entrepôt). Leur très fort accroissement entre 2001 et 2006 (de 36 à 72 établissements) dans une région métropolitaine dont la population croît modérément (4,2 % entre ces deux dates) porte à faire l’hypothèse que magasins-entrepôts et mégacentres ne font pas que répondre à une demande additionnelle, mais cherchent plutôt à s’accaparer des parts du marché aux dépens des autres formes commerciales.

Les données dont nous disposons permettent d’estimer, pour 2001, l’attractivité du lundi au vendredi de chaque forme commerciale par le biais de la fréquentation par les clients (Thériault et al., 2004). Le nombre de déplacements de consommation attirés (du lundi au vendredi) par chaque type d’agglomération commerciale est divisé par le nombre total de déplacements de consommation dans la région et le ratio est exprimé en pourcentage. Une agglomération commerciale, pour être incluse, doit avoir reçu au moins 30 visites signalées lors de l’enquête origine-destination de 2001. Environ 40 % des déplacements sont surtout effectués vers des commerces isolés. Des autres 60 %, les rues commerciales et les centres de voisinage en reçoivent 22 %, les centres de quartier 12 %, les centres régionaux et suprarégionaux 18 %, et les magasins-entrepôts 8 %. La modélisation détaillée des choix de formes commerciales par les consommateurs, en fonction du profil social de ceux-ci, est présentée ailleurs (Biba et al., 2006 ; Thériault et al., 2004). Elle permet d’identifier trois aspects importants du processus de compétition en cours.

Premièrement, l’implantation des magasins-entrepôts pose un sérieux défi aux centres commerciaux, particulièrement aux centres de voisinage et de quartier. Ils attirent surtout les hommes, les ouvriers âgés entre 25 et 64 ans, les ménages avec enfants et motorisés. Localisés près des carrefours autoroutiers, ils ont de ce fait des aires de marché assez vastes (de 5 à 10 km de rayon) et profitent du chaînage des déplacements, attirant des clients provenant d’autres endroits que leur lieu de travail ou de résidence. Deuxièmement, les centres régionaux et suprarégionaux constituent encore la principale forme commerciale à l’échelle de la région métropolitaine. Ils attirent les retraités, les femmes et les étudiants, et certains d’entre eux profitent d’une bonne desserte par autobus. Leur localisation à proximité de pôles d’emploi importants leur permet aussi de desservir cette clientèle. Troisièmement, les rues commerciales résistent assez bien à la concurrence des magasins-entrepôts et des mégacentres, surtout celles qui privilégient la restauration et les activités de loisirs. Leur accessibilité par plusieurs modes de transport, incluant la marche qui connaît une augmentation, joue un rôle clé dans leur capacité à maintenir leur attractivité.

Facteurs de regroupement spatial des commerces à Québec

Il y a déjà plus de 25 ans, Fortin (1981) notait la concentration du commerce de détail à Québec et l’associait à l’importance relative du réseau routier qui permet un accès rapide aux agglomérations commerciales. D’autres facteurs interreliés peuvent être suggérés. Le commerce de détail à Québec fait partie des activités basiques, plus qu’ailleurs au Canada. Parmi les agglomérations urbaines de taille comparable (Hamilton, Ottawa, Winnipeg, Calgary et Edmonton), Québec compte la plus forte proportion de sa main-d’oeuvre dans le secteur du commerce de détail, soit 13 % (Villeneuve et al., 1990). Ceci est dû au tourisme et au rayonnement extramétropolitain de l’agglomération. Québec reçoit en moyenne quelque 5 millions de touristes par année et une bonne proportion de ceux-ci visitent les grands centres commerciaux de l’agglomération. Thériault et al. (2004 : 31) estiment à environ 8 % la part de la demande totale de biens de consommation venant des touristes. Le magasinage constitue l’activité principale de 18 % des visiteurs et la deuxième activité pour 15 % d’entre eux. Après le Vieux-Québec (53 %), Place Laurier (30 %) et les Galeries de la capitale (22 %) sont les endroits les plus visités par les touristes (Bruno-Elias, 1999 : III-8 ; OTQ, 2003 : 5). De plus, les habitants des régions situées à l’extérieur de l’agglomération de Québec, mais à moins de 80 km (ils ne sont pas alors considérés comme des touristes), fréquentent assidûment ses établissements commerciaux. Ces deux clientèles extérieures à Québec contribuent fortement à faire du commerce de détail de Québec une activité basique, non dépendante de la localisation de la clientèle interne, ce qui pousse à la concentration spatiale des activités commerciales dans des lieux facilement accessibles, la quintessence de ce phénomène étant Wal Mart qui ouvre ses stationnements aux roulottes des touristes de passage.

Par ailleurs, la mobilité accrue due à l’usage toujours grandissant de l’automobile favorise aussi la concentration spatiale des commerces en allongeant la portée spatiale des biens (the range of a good), notion-clé de la théorie des lieux centraux (Berry et Garrison, 1958), c’est-à-dire la distance-temps que les consommateurs sont prêts à parcourir pour se procurer un type de biens, faible pour les biens les plus courants et s’allongeant avec le degré de rareté du bien. De plus, la diversité des types de biens et services offerts en un lieu est liée positivement à l’aire de chalandise de ce lieu. Par exemple, après avoir maintenu constant le nombre d’établissements, nous obtenons un coefficient de corrélation partielle positif de 0,234 (n = 71 ; p = 0,051) entre la diversité des types d’établissements, mesurée par l’indice d’entropie, et le logarithme de la longueur des déplacements vers les rues commerciales de la région. Une autre donnée conforte la perception de l’importance de la mobilité automobile à Québec. Elle porte sur la répartition des dépenses des ménages (Statistique Canada, 2006). Les ménages de Québec consacrent une part grandissante de leurs dépenses au transport privé (11,2 % en 1997 ; 12,5 % en 2005), alors qu’à Montréal, cette proportion est plus basse et progresse moins rapidement (9,7 % en 1997 ; 10,2 % en 2005). Par contre, pour les mêmes dates, la part consacrée au logement (incluant l’entretien et les équipements ménagers) est plus faible à Québec et diminue alors qu’elle augmente à Montréal (de 24,7 à 23,4 % à Québec ; de 25,4 à 25,6 % à Montréal). L’importance croissante à Québec de l’usage de l’automobile à des fins de consommation conduit à s’interroger sur la possibilité d’infléchir cette tendance.

Développement durable et déplacements de consommation

Quelques comparaisons sur des indicateurs-clés entre 1991 et 2001 permettent d’entrevoir l’impact des déplacements de consommation en regard des critères de développement durable que sont l’efficacité économique, l’équité sociale et la qualité environnementale. En ce qui concerne l’efficacité économique apparente et à court terme, celle qui motive bien des décisions, le gain apparaît appréciable : la durée moyenne des déplacements de consommation dans la RMR de Québec est passée de 11 minutes en 1991 à 7 minutes en 2001, pour une distance moyenne qui reste stable à environ 7 km. Ce gain semble dû à une redistribution spatiale des commerces en bordure des autoroutes, associée à l’augmentation de la part modale de l’automobile pour fins de consommation, qui passe de 81,7 % à 85,7 %, alors que la part de l’autobus chute fortement de 11,3 % à 4,2 %, mais que la part de la marche augmente de 6,2 % à 9,1 %. À première vue, l’augmentation du mode le plus lent surprend. Certains Québécois seraient-ils en train de succomber aux charmes du mouvement « Cittaslow » nous venant d’Italie ? Ou, de façon plus prosaïque, cette augmentation serait-elle liée au fait que certaines rues commerciales, dont une part de la fréquentation se fait à pied, résistent mieux aux magasins-entrepôts que les centres commerciaux de taille intermédiaire, comme nous l’avons suggéré plus haut ?

La concentration géographique des commerces de plus en plus loin des banlieues de première et seconde couronnes, dont Fortin (1981) a noté qu’elles étaient plus denses à Québec qu’ailleurs en Amérique, joue sans doute un rôle dans la diminution de la part modale des transports en commun car elle incite les ménages qui y résident à s’équiper d’une voiture pour s’approvisionner, ce qui ne favorise ni l’équité sociale, ni la qualité environnementale. Ces ménages pourraient toujours se relocaliser plus au centre, à proximité des rues commerciales diversifiées, mais les quartiers où se localisent ces rues sont de plus en plus attrayants, ce qui fait augmenter le coût du logement. Comment assurer, assez loin du centre, des densités suffisantes pour qu’une desserte en transport en commun soit rentable, sans que la rente foncière devienne prohibitive ? Nous suggérerons plus bas qu’une organisation spatiale misant sur l’effet structurant de corridors de développement urbain apparaît particulièrement adaptée à Québec où, historiquement, les formes urbaines linéaires ont occupé une grande place, qu’il s’agisse de villages-rues, de rues commerciales ou d’axes d’urbanisation. Hamelin (1993) a retracé l’importance du rang d’habitat et des formes linéaires de peuplement dans l’évolution du territoire québécois. De plus, tout indique que dans la partie périurbaine des corridors axés sur le transport en commun, la marge est encore grande avant que la rente foncière devienne prohibitive (Des Rosiers et al., 2006).

Nous avons identifié plus haut 71 tronçons de rues commerciales dans la RMR de Québec. Soixante pour cent de ces rues sont situées dans des milieux dont la période de construction de la majorité des logements, date d’avant 1961, 23 % dans des milieux urbanisés entre 1961 et 2000 et 17 % en périphérie, dans des milieux d’habitat dispersé. Par ailleurs, la moitié de ces rues sont desservies par le Métrobus. Le fait d’être desservies par le Métrobus constitue-t-il un avantage pour ces rues ? Il est permis d’en douter à Québec, étant donné la très faible proportion des déplacements de consommation effectuées en autobus, même si des recherches menées ailleurs montrent l’importance de la desserte d’autobus pour maintenir la chalandise (Cervero, 1996 ; Desse, 2001 : 37 ; Merenne-Schoumaker, 2003 : 211). Pour en avoir le coeur net, nous avons modélisé l’effet de la desserte par Métrobus sur la chalandise des rues commerciales, sans inclure les centres commerciaux pour garder son homogénéité à la variable dépendante. Nous mesurons la chalandise par le nombre de déplacements de consommation effectués vers chaque rue pendant une journée (rappelons qu’il s’agit de jours de semaine, soit du lundi au vendredi). Nous tentons d’abord de voir si les rues desservies par le Métrobus montrent une chalandise plus élevée que celles qui ne le sont pas. En moyenne, les 35 rues desservies sont fréquentées par 1060 personnes par jour en 2001 alors que les 36 autres le sont par 667 personnes. La différence est appréciable mais est-elle due au Métrobus ? Elle pourrait être due à d’autres facteurs dont il faut contrôler l’influence. En effet, le niveau de fréquentation devrait d’abord être influencé par l’importance commerciale de chaque rue. Nous mesurons cette importance par la densité des commerces, c’est-à-dire le nombre d’établissements au kilomètre de rue. Plus cette densité est élevée, plus la fréquentation devrait aussi l’être. Il y a également de bonnes chances pour que la diversité commerciale de la rue ait une influence à la hausse sur sa fréquentation. Nous mesurons la diversité commerciale à l’aide d’un indice d’entropie calculé sur huit catégories de commerces et services. Si tous les établissements d’une rue sont dans la même catégorie, il y a diversité minimale (spécialisation maximale) et l’indice prend la valeur « 0 ». Si les établissements sont répartis également entre les huit catégories, il y a diversité maximale et l’indice prend la valeur « 1 ».

Une fois contrôlés les effets de la densité et de la diversité sur le niveau de chalandise, la desserte par Métrobus a-t-elle encore un effet significatif ? Pour tenter de répondre à cette question, nous définissons une variable binaire qui prend la valeur « 1 » lorsqu’une rue commerciale est desservie et la valeur « 0 » lorsqu’elle ne l’est pas, la desserte étant définie par une intersection entre la rue et le corridor du Métrobus. Nous construisons un modèle de régression multiple avec une variable dépendante, le niveau de chalandise, et trois variables indépendantes, la densité des commerces, leur diversité, et leur desserte, ou non, par le Métrobus. Le niveau de chalandise et la densité de commerce sont distribués de façon asymétrique à droite. Ces deux variables sont donc exprimées sous forme logarithmique dans le modèle. Celui-ci présente un R2 ajusté de 0,169 (n = 71 ; F = 5,757 ; p < 0,001). Les trois variables indépendantes exercent un effet positif modéré, mais significatif, sur la chalandise des rues. Le modèle se présente comme suit, avec une distribution bien configurée des résidus :

En moyenne, à densité et diversité égales, une rue desservie par le Métrobus voit sa chalandise augmenter d’un facteur de (e0,669) ou 1,952 par rapport à une rue non desservie. Ce résultat incite à explorer plus avant les rapports entre le Métrobus et les déplacements de consommation.

Des rues commerciales liées par le Métrobus

Les équipements de transport exercent généralement des effets structurants considérables sur le milieu urbain. À Québec, jusqu’aux années 1960, l’agglomération s’est développée le long de corridors reliant la ville centrale et les noyaux urbains de sa région, tout particulièrement Sainte-Foy et Charlesbourg, mais aussi Beauport et Loretteville. Fortin (1981 : 200) note à Québec une densification de l’habitat « par creux et par sommets, à partir du centre de l’urbanisation ancienne ». Pointe Sainte-Foy, localisée à l’extrémité ouest du corridor du Métrobus constitue une excellente illustration de densification d’un milieu périurbain s’inscrivant dans une démarche de développement durable (Villeneuve et Vandersmissen, 2001). Le système autoroutier mis en place au cours des années 1970 a restructuré l’espace métropolitain en modifiant profondément l’accessibilité relative, en voiture, des diverses parties du territoire (Villeneuve et Vandersmissen, 2002). Le réseau d’autoroutes a fortement contribué à augmenter les vitesses de déplacement en périphérie, par rapport à celles possibles au centre. Cependant, la forme urbaine axiale, héritée des époques précédentes, continue aujourd’hui de jouer un rôle considérable dans la structuration des déplacements quotidiens (Vandersmissen et al., 2003). Au début des années 1990, les autorités municipales ont voulu répondre à la progression inexorable de la part modale de la voiture privée en aménageant un Métrobus qui mettrait à profit cette structure axiale. Le Métrobus circule en site propre, avec une fréquence et une vitesse plus élevées que les circuits habituels. Il a contribué à réduire, mais pas à renverser, la baisse de la part modale du transport en commun (Bourel, 2005).

Afin d’explorer plus avant les rapports possibles entre un équipement potentiellement structurant comme le Métrobus et les comportements de mobilité quotidienne, nous avons délimité, de part et d’autre de la ligne, une zone tampon de 500 mètres, correspondant à environ 10 minutes de marche des arrêts (figure 3). Le corridor ainsi défini fait 34 km2 sur une superficie totale de quelque 782 km2 de territoire urbanisé dans la RMR de Québec (CMQ, 2003 : 194). Il renferme environ 20 % des personnes et 23 % des ménages de la RMR de Québec. Les parts modales de la voiture, de l’autobus et de la marche sont respectivement de 64 %, 14 % et 20 % dans le corridor du Métrobus et de 77 %, 12 % et 9 % dans le reste de la région métropolitaine.

Nous avons vu plus haut que la desserte par le Métrobus a un effet à la hausse sur la chalandise des rues commerciales. Pour que ce soit la forme axiale du Métrobus qui influence la chalandise, et non les densités ambiantes, il faut de plus que, parmi les rues commerciales situées en dehors de la partie centrale de l’agglomération, celles desservies par le Métrobus montrent un niveau de chalandise plus élevé que celles qui ne le sont pas. Si nous définissons la partie centrale de l’agglomération comme étant composée des trois districts formant la ville de Québec dans ses anciennes limites, soit la Haute-Ville, la Basse-Ville et Limoilou, nous constatons que les 16 rues commerciales situées à l’extérieur de ces limites et desservies par le Métrobus reçoivent 27 clients-visiteurs par établissement en moyenne par jour, tandis que les 27 rues aussi situées à l’extérieur de ces limites mais qui ne sont pas desservies par le Métrobus en reçoivent 19. Un tel constat incite à en savoir plus long sur les comportements de mobilité des résidents du corridor comparés aux comportements de ceux qui résident dans le reste de la RMR de Québec. Par exemple, Bédard et Fortin (2004 : 496) notent qu’un nombre croissant des résidants des quartiers centraux travaillent et consomment en banlieue. Qu’en est-il des habitants du couloir du Métrobus, si on les compare aux résidants du reste de l’agglomération ? Dans le but d’apporter une réponse à cette question, le tableau 2 ventile les déplacements en 2001 selon le motif et selon qu’ils originent ou se destinent dans le couloir du Métrobus ou en dehors.

Figure 3

Le corridor du Métrobus, RMR de Québec, 2001

Le corridor du Métrobus, RMR de Québec, 2001

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Huit motifs de déplacements sont ventilés dans le tableau. Pour chacun des motifs, une petite matrice 2 x 2 donne le volume de déplacements quotidiens à l’intérieur du couloir du Métrobus, hors de celui-ci et entre les deux, c’est-à-dire du couloir au reste de l’agglomération et du reste de l’agglomération vers le couloir. Dans quelle mesure ces deux espaces s’interpénètrent-ils ? Considérons d’abord la capacité de rétention du couloir, c’est-à-dire la proportion des déplacements qui y aboutissent parmi ceux qui en originent. Pour tous les motifs, sauf les visites chez les parents et amis, cette proportion dépasse 50 %. Elle est même très élevée (71,9 %) pour ce qui est du motif « santé ». On notera cependant que les pourcentages équivalents sont toujours plus élevés, sauf pour le motif « santé », en ce qui concerne la capacité de rétention du territoire en dehors du couloir. Ceci s’explique en partie par la taille beaucoup plus grande de ce territoire. Une façon de comparer la capacité de rétention des deux territoires, en standardisant l’effet de la taille, est de diviser le ratio des déplacements « hors couloir – hors couloir » sur les déplacements « couloir – couloir » par le ratio « population hors couloir / population couloir ». Un ratio supérieur à 1 indique une capacité de rétention plus grande hors couloir que dans le couloir et un ratio inférieur à 1 indique le contraire. Dans le cas des déplacements travail, ceci donne : (186645 / 32646) / (553033 / 129724) = 1,34, c’est-à-dire une capacité de rétention plus grande en dehors du couloir. Le même calcul révèle que les motifs suivants vont dans le même sens : études (1,72), magasinage (1,12), loisirs (1,17), visites aux amis et parents (1,47) et autres (1,51). À l’opposé, les motifs suivants montrent une capacité de rétention plus grande dans le couloir : restaurants (0,97) et santé (0,60). Des analyses plus poussées permettront d’identifier les facteurs expliquant ces variations d’un motif à l’autre. Pour le moment, nous retenons qu’en ce qui concerne le magasinage, le corridor du Métrobus n’est pas loin de retenir ses propres résidents face à la concurrence des formes commerciales implantées dans le reste de l’agglomération. Ceci s’explique sans doute en partie par le fait que plusieurs rues commerciales, mais aussi plusieurs centres commerciaux de diverses tailles dont le plus gros (le conglomérat de Sainte-Foy), sont localisés dans le couloir du Métrobus. Il est fort probable qu’une bonne proportion des 20 222 déplacements pour magasinage effectués à l’intérieur du corridor n’ont pas été faits en autobus mais il reste que le Métrobus offre une alternative et qu’il peut servir de lien entre les différentes agglomérations commerciales.

Tableau 2

Matrice résidence - destination selon les motifs de déplacement et par rapport au couloir Métrobus

 

Motif de déplacement

Localisation

Lieu de destination (par rapport au Métrobus)

Hors du couloir

Dans le couloir

Total

 

 

Nombre de déplacements

Pourcentage

Nombre de déplacements

Pourcentage

Nombre de déplacements

Pourcentage

Lieu de résidence (par rapport au Métrobus)

Travail

Hors du couloir

186 645

68,4

86 276

31,6

272 921

100,0

Dans le couloir

26 339

44,7

32 646

55,3

58 985

100,0

Total

212 984

64,2

118 922

35,8

331 906

100,0

Études

Hors du couloir

120 946

79,6

31 025

20,4

151 971

100,0

Dans le couloir

10 162

38,1

16 505

61,9

26 667

100,0

Total

131 108

73,4

47 530

26,6

178 638

100,0

Magasinage

Hors du couloir

96 596

77,9

27 437

22,1

124 033

100,0

Dans le couloir

14 619

42,0

20 222

58,0

34 841

100,0

Total

111 215

70,0

47 659

30,0

158 874

100,0

Loisirs

Hors du couloir

39 613

73,5

14 261

26,5

53 874

100,0

Dans le couloir

7 015

47,0

7 915

53,0

14 930

100,0

Total

46 628

67,8

22 176

32,2

68 804

100,0

Restaurants

Hors du couloir

16 013

66,3

8 127

33,7

24 140

100,0

Dans le couloir

2 655

40,7

3 863

59,3

6 518

100,0

Total

18 668

60,9

11 990

39,1

30 658

100,0

Visite amis/parents

Hors du couloir

29 761

78,9

7 959

21,1

37 720

100,0

Dans le couloir

4 940

50,9

4 759

49,1

9 699

100,0

Total

34 701

73,2

12 718

26,8

47 419

100,0

Santé

Hors du couloir

8 236

58,7

5 798

41,3

14 034

100,0

Dans le couloir

1 260

28,1

3 219

71,9

4 479

100,0

Total

9 496

51,3

9 017

48,7

18 513

100,0

Autres

Hors du couloir

119 756

76,8

36 169

23,2

155 925

100,0

Dans le couloir

14 056

43,0

18 625

57,0

32 681

100,0

Total

133 812

70,9

54 794

29,1

188 606

100,0

Source : MTQ et RTC (2002)

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Discussion et conclusion : des pôles aux axes

Depuis quelques décennies, les analystes urbains détectent l’émergence, plus ou moins sentie selon la région en cause, de formes multipolaires au sein des régions métropolitaines. Souvent, ils ne se limitent pas à identifier de telles formes ; ils soutiennent également qu’il s’agit là d’une structuration spatiale souhaitable qui peut réduire les distances de déplacement, les personnes se rendant au pôle le plus près. Cette option urbanistique a été populaire à Québec (Villeneuve et al., 2004). Plusieurs documents d’urbanisme produits depuis 1970 préconisent la consolidation des pôles secondaires de Sainte-Foy, Lebourgneuf et, quelquefois, Beauport, ainsi que Lévis sur la Rive-Sud. Ce schéma, en vertu duquel les activités non résidentielles seraient regroupées dans des pôles (dont les agglomérations commerciales) plutôt que d’être dispersées dans tout l’espace périurbain n’a pas connu beaucoup de succès, pour deux raisons. Premièrement, les pôles en question sont eux-mêmes de faible densité comparativement au pôle principal du centre-ville de Québec et ils sont beaucoup plus nombreux que ceux des schémas d’urbanisme. Deuxièmement, l’analyse détaillée des déplacements quotidiens révèle que ces derniers ne sont pas très fortement polarisés par le pôle le plus près et qu’ils le sont de moins en moins. Dans un document récent relatif à l’aménagement de son territoire, La Communauté métropolitaine de Québec (CMQ, 2006 : 3-15) attache une importance grandissante aux axes qui structurent son territoire. Peu d’agglomérations dans le monde ont misé, jusqu’ici, tout autant sur les axes structurants que sur les pôles d’activités. Pourtant, l’exemple de Curitiba au Brésil illustre de façon convaincante l’intérêt d’une stratégie de développement métropolitain qui privilégie des axes, ou corridors, afin de rentabiliser le transport en commun (Cervero, 1998). L’agglomération de Bordeaux va aussi dans ce sens (Cuillier et Crombé, 2001), ainsi que, dans une certaine mesure, celle de Toronto (Filion, 2001).

Par ailleurs, nous faisons l’hypothèse qu’un principe de design urbain très populaire, soit le principe de mixité des fonctions, est plus facilement réalisable au sein d’un forme axiale qu’au sein d’une forme polaire. Ce principe est le plus souvent appliqué à l’échelle locale, celle de l’immeuble ou du projet immobilier. À Québec, l’aménagement de Pointe Sainte-Foy en constitue un bel exemple (Villeneuve et Vandersmissen, 2001). À cette échelle, un seul décideur voit à l’agencement des fonctions les unes aux autres. Il impose, en quelque sorte, la mixité. À l’échelle métropolitaine, les choses sont plus complexes. Plusieurs décideurs interviennent et les arbitrages entre eux se font par le biais du marché foncier et d’instruments de guidage de celui-ci, tel le zonage. Nous avons fait valoir ailleurs (Villeneuve et al., 2004) qu’à cette échelle, des formes urbaines axiales peuvent mieux favoriser la mixité des fonctions que des formes polaires, essentiellement en raison de gradients de rente foncière moins prononcés dans les corridors qu’à l’extérieur de ceux-ci. À Québec, le corridor urbain par excellence s’étire entre le Vieux-Québec et Pointe Sainte-Foy. La mixité des fonctions dans chaque segment du corridor, combinée à la spatialité et à la temporalité des activités, fait en sorte que les heures de pointes sont étalées et que les véhicules du Métrobus connaissent de bon taux d’achalandage, dans les deux directions, pendant toute la journée.

L’histoire ancienne et récente de l’agglomération métropolitaine de Québec fait que les axes y sont probablement devenus plus structurants que les pôles. Au Québec, les formes linéaires de peuplement remontent au système seigneurial qui a, entre autres, engendré le village-rue. Souvent, le renforcement ultérieur du village-rue ne lui fait pas perdre complètement sa forme linéaire de base qui continue à se déployer autour de la « grand’rue ». Cette forme linéaire a été renforcée, comme partout en Amérique, par l’avènement du tramway au début de siècle dernier, la venue subséquente de l’automobile contribuant surtout à colmater, par des développements résidentiels, les espaces entre les lignes de tramway. Ensuite, la percée des grands boulevards urbains a contribué à renforcer la forme axiale, mais le design de ces artères est désormais déterminé par le mode de transport automobile, comme ce sera aussi le cas pour l’autoroute.

Le résultat actuel de cette évolution historique fait en sorte que dès que nous quittons la zone fortement urbanisée, qui correspond à la ville de Québec dans ces anciennes limite d’avant les fusions (Haute-Ville, Basse-Ville, Limoilou), nous pénétrons dans un milieu urbain dont la structure de base est axiale. Comprenons-nous bien : ces axes relient entre eux des pôles, souvent allongés, et les axes les plus denses, ceux où le transport en commun est rentable, se localisent surtout dans la partie centrale de l’agglomération. En fait, nous pouvons distinguer au moins trois types d’axes. D’abord, ceux où le transport en commun est rentable, essentiellement les axes du Métrobus. Ensuite, les axes autoroutiers, qui génèrent des centres d’activités aux échangeurs, et qui encouragent un genre de vie aux antipodes du développement urbain durable. Enfin, il y a des boulevards, tels l’autoroute Duplessis et le boulevard de la Rive-Sud, aujourd’hui surtout axés sur l’automobile, mais qui pourraient faire l’objet d’un réaménagement donnant une place beaucoup plus grande aux transports en commun. À Québec, en ce 400e anniversaire, la bataille de l’urbanité, si elle est loin d’être gagnée, n’est pas pour autant perdue.