Résumés
Résumé
L’enseignement du paysage chez Montaigne se fait avec une vue sur l’avenir et les lointains de la mort. La sincérité, pour Van Gogh, est un comportement par rapport au paysage: dans cette proximité la pensée de « l’au-delà de la tombe » peut se poursuivre, la souffrance se trouve apaisée. Enfin, chez Nietzsche, le paysage est la bonne nouvelle d’un véritablement paisible, éternel au-delà. Le moment d’arrêt bienheureux d’une nature qui se suffit à elle-même, où la pensée a enfin atteint sa pause éternelle. Cet article explore le transfert que ces philosophes-artistes opèrent entre leurs expériences précoces de l’espace et le paysage au sein duquel ils imaginent leur propre mort trouver un jour abri.
Mots clés:
- L’humanité de l’être humain,
- l’expérience de l’espace,
- l’heure de la mort,
- Montaigne,
- Nietzsche,
- Van Gogh
Abstract
Montaigne’s teachings on landscape look to the future and beyond, to the distant realm of death. For Van Gogh, sincerity is the only mode for relating to landscape, the closeness of which makes it possible to think about “beyond the grave” and find relief for one’s suffering. For Nietzsche, landscape is the good news of a truly peaceful, eternal beyond, the moment of blissful abandon by a self-sufficient nature, in which thinking reaches its eternal pause. This article explores the transference that these philosopher-artists make between their early experience of space and the landscape they imagine as the scene for their own death.
Keywords:
- Humanity,
- Experience of space,
- Death,
- Montaigne,
- Nietzsche,
- Van Gogh
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Parties annexes
Notes
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[1]
« L’ame qui loge la philosophie, doit par sa santé, rendre sain encores le corps. Elle doit faire luire jusques au dehors son repos et son aise ; doit former à son moule le port exterieur, et l’armer par consequent d’une gratieuse fierté, d’un maintien actif et allegre, et d’une contenance contente et debonnaire. (c) La plus expresse marque de la sagesse, c’est une esjouïssance constante ; son estat est comme des choses au dessus de la Lune : tousjours serein. (a) C’est « Barroco » et « Baralipton » qui rendent leurs supposts ainsi crotez et enfumez, ce n’est pas elle ; ils ne la connoissent que par ouïr dire. Comment ? elle fait estat de serainer les tempestes de l’âme, et d’apprendre la faim et les fiebvres à rire, non par quelques Epicycles imaginaires, mais par raisons naturelles et palpables. (c) Elle a pour son but la vertu, qui n’est pas, comme dit l’eschole, plantée à la teste d’un mont coupé, rabotteux et inaccessible. Ceux qui l’ont approchée, la tiennent, au rebours, logée dans une belle plaine fertile et fleurissante, d’où elle voit bien souz soy toutes choses ; mais si peut on y arriver, qui en sçait l’addresse, par des routes ombrageuses, gazonnées et doux fleurantes, plaisamment et d’une pante facile et polie, comme est celle des voutes celestes. Pour n’avoir hanté cette vertu supreme, belle, triumphante, amoureuse, délicieuse pareillement et courageuse, ennemie professe et irreconciliable d’aigreur, de desplaisir, de crainte et de contrainte, ayant pour guide nature, fortune et volupté pour compaignes, ils sont allez, selon leur foiblesse, faindre cette sotte image, triste, querelleuse, despite, menaceuse, mineuse, et la placer sur un rocher, à l’escart, emmy des ronces, fantosme à estonner les gens. » (Montaigne, 1962, p. 160-161)
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[2]
Dans son Introduction de 1954 au livre de Ludwig Binswanger Le Rêve et l’Existence. Ce n’est donc pas la peine de prétendre rejeter les leçons offertes par la perspective de Montaigne en concluant rapidement que son rapport à la transcendance n’est plus le nôtre. Il nous suffit de réfléchir à la notion d’honneur : ses hypostases, chez Nietzsche et Van Gogh, nous permettront de concevoir une humanité de l’homme différente de celle qui, depuis des millénaires, assure le fondement sur lequel l’être humain s’assied, afin de bâtir l’avantage qu’il pense avoir sur les autres créatures.
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[3]
À propos de quoi Benjamin cite Georges Lukács : « En vain notre époque démocratique voulut-elle imposer l’idée d’une égalité de droit au tragique ; toute tentative d’ouvrir le royaume des cieux à ceux dont l’âme est pauvre fut vaine. » (Benjamin, 1985, p. 114)
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[4]
« À l’ère de la métaphysique classique […] le maître subjectif, lorsqu’il utilise l’outil, met les objets en esclavage et néglige leur nature propre […] » Les techniques liées aux outils simples et aux machines classiques sont toutes des allotechniques : elles pratiquent des interventions profondes dans ce qu’elles trouvent, et utilisent des matériaux à des fins qui sont fondamentalement indifférents ou étrangers à ces matériaux. « Elles placent le monde des choses dans un état d’esclavage ontologique contre lequel l’intelligence s’est toujours insurgée… » (Sloterdijk, 2000, p. 90). Cette ancienne image de la technique comme hétéronomie et esclavage des matériaux perd sa plausibilité aujourd’hui devant la phrase : « il y a de l’information ». Sloterdijk soutient qu’avec les technologies intelligentes, une forme d’opérativité est en train de naître qui ne relève plus de la position du maître. Il l’appelle homéotechnique, car, par son essence, cette nouvelle technique « ne peut rien vouloir de totalement différent que ce que les “choses elles-mêmes” sont par elles-mêmes ou peuvent devenir par elles-mêmes. Il n’existerait donc de “matières premières et grossières” que là où des sujets premiers – disons tranquillement : des humanistes et autres égoïstes – leur appliquent des techniques premières et grossières » (Sloterdijk, 2000, p. 90-91).
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[5]
De manière étonnante, le passage de Nietzsche que nous analysons ici pourrait trouver son commentaire dans ces remarques de Foucault au sujet de la manière dont Binswanger – à la différence de Freud – comprend le travail du rêve : « [L]e sujet du rêve n’est pas tant le personnage qui dit “je” [...], mais c’est en réalité le rêve tout entier, avec l’ensemble de son contenu onirique ; la malade qui rêve est bien le personnage angoissé, mais c’est aussi la mer, mais c’est aussi l’homme inquiétant qui déploie son filet mortel, mais c’est aussi, et surtout, ce monde d’abord en vacarme, puis frappé d’immobilité et de mort, qui revient finalement au mouvement allègre de la vie. Le sujet du rêve ou la première personne onirique, c’est le rêve lui-même, c’est le rêve tout entier. Dans le rêve, tout dit “je”, même les objets et les bêtes, même l’espace vide, même les choses lointaines et étranges, qui en peuplent la fantasmagorie. » (Foucault, 1994, p. 100)
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[6]
Ce lieu de « compétence », de la maîtrise de la vie animale, est bien le lieu où nous nous retrouvons tous, dans la société « avancée » occidentale aujourd’hui.
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[7]
« Le paradoxe économique de la bonne nouvelle nietzschéenne, c’est d’indiquer que la nouvelle primaire, incommensurablement mauvaise, doit être compensée par une mobilisation encore jamais vue de contre-énergies créatives. […] “Nous avons l’art pour que la vérité ne nous fasse pas périr.” » (Sloterdijk, 2002b, p. 53)
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[8]
Voir à ce sujet le numéro spécial « La pensée de Peter Sloterdijk » de la revue Horizons philosophiques et particulièrement Angela Cozea, « Habiter en kosmopolite : enquête sur les modes de comportement », dans Horizons philosophiques, printemps 2007, vol. 17, n° 2, p. 81-108.
Bibliographie
- BENJAMIN, Walter (2000). « Le conteur. Réflexions sur l’oeuvre de Nicolas Leskov », Oeuvres III, traduit de l’allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, Paris, Gallimard.
- BENJAMIN, Walter (1985). Origine du drame baroque allemand, trad. Sibylle Muller. Paris, Flammarion, collection « La philosophie en effet ». Texte original : Ursprung des deutschen Trauerspiels in Gesammelte Schriften, Vol. I, I. Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 1974.
- FOUCAULT, Michel (1994). Dits et écrits 1954-1988, Paris, Gallimard.
- MONTAIGNE, Michel de (1962). EssaisI, xcvi, dans Oeuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade ».
- NIETZSCHE, Friedrich (1982). Le gai savoir, traduit de l’allemand par Pierre Klossowski, Paris, Gallimard.
- SLOTERDIJK, Peter (2002a). Bulles Sphères, Microsphérologie, Tome I, Paris, Pauvert.
- SLOTERDIJK, Peter (2002b), La compétition des Bonnes Nouvelles : Nietzsche évangéliste, trad. O. Mannoni, Paris, Fayard, « Mille et une nuits ».
- SLOTERDIJK, Peter (2000). La domestication de l’être, Paris, Fayard, « Mille et une nuits ».
- VAN GOGH, Vincent (1988). Lettres à son frère Théo, traduit du néerlandais par Louis Roëdlant. Introduction et chronologie par Pascal Bonafoux, Paris, Gallimard.