Corps de l’article

Les questions entourant les jeunes dits « en marge de la société » occupent encore une place importante tant dans l’actualité urbaine que dans le monde de la recherche et de l’intervention sociale, même si les étiquettes varient considérablement quand il s’agit de nommer les manifestations diversifiées de leur réalité. Codirigé par trois chercheures de l’UQAM, Annamaria Colombo, Sophie Gilbert et Véronique Lussier, le dossier intitulé Jeunesse et marginalités : faut-il intervenir ? questionne la place que prend la marge dans la vie des jeunes dans les domaines de l’itinérance, de la vie de rue, du handicap et de la précarité. Un regard pluridisciplinaire (histoire, psychanalyse, sociologie, anthropologie, etc.) sur les réalités de ces jeunes peut offrir des pistes d’intervention sociale surtout dans un contexte où les mesures politiques qui concernent la présence de ces jeunes dans l’espace public se réduisent de plus en plus à de la répression ou à une prise en charge institutionnelle de plus en plus systématisée. Depuis près de dix ans, dans les grandes villes nord-américaines notamment, on assiste au développement de politiques urbaines d’invisibilisation des manifestations des marginalités sociales telles que les populations de sans-abri (Mitchell, 1998). D’importants enjeux économiques se dessinent au centre des grandes villes ; ainsi, Montréal et Québec ambitionnent de faire disparaître les signes d’extrême pauvreté et de marginalités pour laisser place aux signes de prospérité (quartier des spectacles, économie touristique, etc.). On pense donc régler le problème de l’attractivité des centres-villes pour les populations marginalisées en appliquant des solutions simples à des problèmes complexes. C’est pourquoi il importe de souligner la complexité de ce phénomène si l’on désire intervenir d’une façon plus démocratique avec ces jeunes.

Dans ce numéro, NPS vous livre une entrevue réalisée par François Huot avec Kouakou Fiendi Pira, travailleur social dans le Grand Nord. D’origine ivoirienne, et diplômé à la maîtrise de l’École de travail social de l’UQAM, monsieur Pira s’est découvert une passion pour le Grand Nord québécois et canadien en travaillant d’abord au Nunavik auprès des Inuits et ensuite dans les Territoires du Nord-Ouest. Ceux qui sont intéressés par les rapports métissés interculturels trouveront l’expérience de cet intervenant très intéressante et assez inusitée.

Colloque international – NPS (13-14 novembre 2008)

C’est avec plaisir que nous vous présentons dans ce numéro le projet de colloque international organisé par NPS sur le thème du renouvellement démocratique des pratiques d’intervention et d’action sociales. Vous aurez l’occasion de lire le texte d’orientation du colloque ainsi que l’appel de communications qui circulent dans les milieux d’intervention intéressés par les questions démocratiques de l’intervention sociale. Nous souhaitons non seulement réfléchir sur l’idée même de renouvellement démocratique des pratiques de l’intervention sociale selon des contextes culturels et politiques différents, mais aussi analyser des pratiques concrètes d’intervention ayant des visées démocratiques. Il s’agit de partager des expériences ayant trait aux difficultés éprouvées dans la mise en pratique des idéaux et des principes d’intervention. Le texte d’orientation inclus dans ce numéro développe cette idée et propose des thématiques qui sauront rejoindre les praticiens de tous les horizons d’intervention dans leurs préoccupations actuelles.

Échos et débats

Afin de favoriser la discussion autour des questions d’insertion sociale par l’emploi, nous avons demandé à deux praticiennes de nous faire état de leurs réflexions sur leurs expériences dans deux contextes culturels différents et à chacune d’elle de réagir au texte de l’autre. Formatrice et accompagnatrice en insertion sociale en France depuis près de vingt ans, Valérie Baudot nous donne son point de vue sur le contexte français en discutant de l’influence des politiques sur les contextes d’intervention. En ce qui concerne l’expérience québécoise, Nathalie Pérusse qui travaille depuis dix ans dans une maison d’hébergement pour jeunes en difficulté jette aussi un regard critique sur le contexte de sa pratique tout en considérant les enjeux politiques. Tout comme nous le verrons dans les articles insérés dans les rubriques perspectives, leurs réactions soulèvent des questions de cohérence et de difficultés à lier les idéaux, les valeurs éthiques avec les moyens et les situations concrètes d’intervention auxquels ces deux intervenantes sont confrontées.

Concours étudiant

L’article résultant de notre concours d’articles auprès des étudiants et étudiantes des universités québécoises est signé par François Robert, diplômé du deuxième cycle en communication de l’Université du Québec à Montréal. Cet article s’intitule Engagement et participation en assemblée délibérante. Rappelons que cet article est celui qui a été jugé par les membres du comité exécutif de la revue comme le meilleur selon les critères d’évaluation en vigueur dans les revues scientifiques.

S’appuyant sur la littérature disponible, l’auteur relève six facteurs principaux (formation, animation, méthode/code, information, valeurs et suivis) affectant la participation des individus à une grande assemblée délibérante. Il a appliqué cette grille de facteurs à 15 personnes ayant une bonne expérience de présidence dans l’animation d’assemblées. Très peu explorée, cette thématique de recherche touche les questions entourant les processus décisionnels qui se veulent démocratiques. Qu’il s’agisse du droit à l’expression ou de l’équité dans un processus délibératif de décision collective, les pratiques ne réussissent pas toujours à en respecter les principes. C’est pourquoi l’auteur formule la question de recherche suivante : « Comment les codes de procédure et la manière de les appliquer contribuent-ils à favoriser la participation des personnes lors d’une assemblée délibérante et à assurer leur engagement dans les décisions prises par cette instance ? » Des récits de pratiques réalisées auprès des 15 intervenants expérimentés dans le domaine, il ressort deux grandes approches. La première approche qualifiée de « technicienne » par l’auteur repose sur la séparation de la présidence de l’assemblée et de la direction politique de l’organisation. La seconde, qualifiée de « tacticienne », implique que la même personne doit assumer les deux rôles. L’approche technicienne se préoccupe davantage de faire respecter les codes et procédures sans en déroger que de l’impact politique de l’assemblée. La participation et l’engagement sont favorisés par les procédures mêmes de ce type d’encadrement faisant l’objet d’un consensus. Le travail d’animation de ce cadre délibératif se trouve ainsi séparé de l’animation politique proprement dite.

Quant à l’approche tacticienne, elle valorise « l’adhésion du plus grand nombre et le résultat des délibérations ». Ici, c’est l’objectif qui prime la règle. La pratique démocratique serait plus vue comme une relation humaine qu’un traitement équitable de la parole ou qu’un processus de régulation. C’est pourquoi il importerait que l’animation et la présidence de l’assemblée soient prises en charge par la même personne. En général, cette personne doit posséder des qualités de leadership. Avec cette deuxième approche, « on vise plutôt l’établissement et la consolidation d’un lien subjectif d’appartenance à l’organisation, et à assurer un plus grand engagement des membres et ainsi stimuler une meilleure participation ».

La typologie résultant de ces récits de pratiques soulève des questions fort judicieuses concernant le renouvellement démocratique des pratiques d’intervention dans ce domaine. Prenons seulement cette approche tacticienne des animations d’assemblées. Comment ne pas glisser dans un rapport d’engagement non pas face à un objectif, un projet, une orientation, mais envers un leader incarnant la « bonne éthique » de l’organisation ? En quoi la participation et l’engagement des individus peuvent-ils être démocratiques si le charisme d’un seul réussit à mobiliser le groupe ? Nous sommes alors plus près d’un modèle d’organisation familialiste que d’une pratique collective de citoyens visant l’égalité des conditions d’expression. Certes la démocratie délibérative lorsqu’elle est prise au sérieux sur le plan des principes d’équité requiert plus de temps et de patience que de suivre un ou une leader. Mais, à moyen terme, l’impact politique sur la vie collective n’est pas le même. À suivre…

Articles en perspectives

Rappelons que depuis le vol. 17, no 1, en 2004, l’avant-propos des numéros de la revue consiste à présenter les articles regroupés dans les rubriques « Perspectives » en privilégiant un regard sur le renouvellement démocratique de l’intervention sociale. Il s’agit de relever dans ces articles les aspects ou les questions qui nous aident à poursuivre la réflexion amorcée dans le texte d’orientation de la revue publié dans le vol. 17, no 1 (Parazelli, 2004).

Dans ce numéro, nous présentons trois articles dans les rubriques « Perspectives » qui abordent indirectement les défis de cohérence entre les idéaux des intervenants et les pratiques réelles de l’intervention située socialement. Qu’il s’agisse de l’impact de la fusion des établissements en santé et services sociaux, des pratiques fondées sur les principes d’empowerment ou encore de l’engagement politique des jeunes dans des pratiques de consommation responsable, les auteurs de ces textes traitent tous à leur manière des écarts existant entre les idéaux collectifs de mieux-être, de démocratie ou de développement social et les pratiques réelles qui sont censées en assurer l’atteinte.

L’existence d’écarts entre l’idéal démocratique et les pratiques sociales a déjà été soulignée non seulement par plusieurs sociologues, mais aussi par des historiens de la démocratie. Dans un ouvrage synthèse traitant de la fondation et des difficultés de la démocratie, Baudart (2005 : 10) avance que, dès le début de la démocratie grecque, les rapports entre les discours et les faits ne furent jamais en cohérence ou en harmonie, mais en constante tension entre la libération et l’aliénation, ou entre l’égalité de statut et les inégalités de conditions, suivant les dérives et les avancées des collectivités qui en portaient le projet. C’est à l’aide d’un extrait d’un ouvrage classique du philosophe politique Alexis de Tocqueville à propos de la démocratie des États-Unis du xixe siècle, que l’auteure illustre particulièrement bien cette tension encore très actuelle (Tocqueville, cité par Baudart, 2005 : 77) :

Nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies : ils sentent le besoin d’être conduits et l’envie de rester libres. Ne pouvant détruire ni l’un ni l’autre de ces instincts contraires, ils s’efforcent de les satisfaire à la fois tous les deux. Ils imaginent un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, mais élu par les citoyens. Ils combinent la centralisation et la souveraineté du peuple. Cela leur donne quelque relâche. Ils se consolent d’être en tutelle, en songeant qu’ils ont eux-mêmes choisi leurs tuteurs. Chaque individu souffre qu’on l’attache, parce qu’il voit que ce n’est pas un homme ni une classe, mais le peuple lui-même, qui tient le bout de la chaîne. Dans ce système, les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y rentrent.

Les pratiques d’intervention sociale sont inévitablement traversées par ces tensions paradoxales qui rendent autrement plus complexe l’actualisation des visées démocratiques des intervenants sociaux. C’est pourquoi la considération attentive des écarts, des contradictions ou des paradoxes dans la mise à l’épreuve empirique des idéaux d’intervention devient nécessaire pour ne pas être obnubilés par les promesses d’une utopie ou se laisser choir dans l’inertie. Et, comme le propose le sociopsychanalyste Mendel (1998), l’acte humain doit être considéré comme un engagement de soi avec le monde extérieur où la part d’imprévisibilité et d’incertitude est toujours présente. La différence ou l’écart qui découlerait de l’acte posé ne constituerait pas tant une « erreur » qu’un principe de réalité. Selon cet auteur, nous aurions beaucoup de difficulté à penser et à accepter que le réel « résiste » toujours en partie à nos intentions et à nos idéaux (1998 : 67) :

Deux vérités s’opposent ici, que nous estimons toutes deux porteuses d’un quotient de validité. « Les faits sont seuls réels », écrivait Claude Bernard. Le sens que prennent les faits dans les représentations du sujet est, seul, réel, affirme l’herméneutique dans la tradition idéaliste du néo-kantisme. Dans les sciences humaines et sociales, chacune des deux propositions considérées isolément reste fausse ; la prise conjointe des deux propositions paraît seule valide. Il est probable qu’une des difficultés majeures pour l’esprit humain a, depuis toujours, consisté à voir le monde au travers des désirs, des fantasmes, des projections, des peurs, c’est-à-dire, en définitive, en ne se fiant qu’à la seule subjectivité. C’est très lentement, grâce à l’observation, à l’expérimentation, à la discussion critique, que l’idée a pu se faire jour que des jeux de forces se manifestent dans notre monde indépendamment de tout fantasme et de tout désir.

Autrement dit, une pratique d’intervention est habituellement dite cohérente si les faits observables « parlent d’eux-mêmes » comme avec les pratiques fondées sur des données probantes (best practices) ou si les idées réussissent à produire une réalité qui semble leur obéir comme un certain constructivisme social pourrait l’avancer. Selon l’hypothèse de Mendel, chacune de ces positions prise isolément ne permet ni de prendre en considération la subjectivité de l’acteur, ni la part d’inconnu ou d’imprévisibilité du monde extérieur. Bref, l’interactivité même entre les deux mondes (intérieur et extérieur) serait vite évacuée des réflexions en ce qui regarde les pratiques d’intervention, probablement à cause de l’inconfort que cela implique : l’incertitude et la peur de l’impuissance conjuguées.

Si l’on poursuit le raisonnement de Mendel, la quête de cohérence entre les idéaux d’intervention et les pratiques ne peut jamais être satisfaite. Elle devient toutefois un souci constant, les actes étant constamment engagés dans le monde extérieur. Ce point de vue nous invite alors à intensifier les échanges collectifs et les réflexions critiques autour des efforts visant à mieux s’approprier nos propres actes en considérant leur part d’imprévisibilité… les désirs politiques qui les habitent ainsi que les fantasmes multiples qui agitent les intervenants. Cette hypothèse, liant des dimensions sociologiques à celles de la psychanalyse, m’apparaît une piste prometteuse pour le renouvellement démocratique des pratiques, car elle rend nécessaire la discussion critique et l’interrogation constante sur les effets de l’appropriation de nos actes, et ce, de façon collective. La « vérité » ne résiderait donc pas dans la « vraie science » appelée positiviste où seuls les comportements observables méritent le statut de réalité, ni dans les repères normatifs subjectifs censés fonder la réalité des pratiques sociales. En fait, il n’y aurait de vérité à proprement parler que dans les fantasmes de nos esprits constamment aux prises avec le réel qui n’a que faire de la vérité, car trop occupé à exister.

Le premier article de la rubrique Perspectives étatiques, nous offre une revue de littérature sur l’impact et les enjeux de la fusion des établissements en santé et services sociaux. Signé par Marie-Claude Richard, Danielle Maltais, Denis Bourque, Sébastien Savard et Marielle Tremblay, cet article présente les résultats d’une recension d’écrits scientifiques et empiriques sur les répercussions des fusions d’établissements de services sociaux et de santé. En décrivant le cadre législatif québécois présidant à la mise en place d’une nouvelle structure d’organisation des services par la fusion d’anciens établissements, les auteurs soulignent que cette réforme visant à « mieux garantir la qualité des services et à favoriser une meilleure circulation de l’information nécessaire à la prestation des soins et services ». Selon les auteurs, les conclusions des recherches à ce sujet sont partagées et il n’existe pas de consensus sur les attentes, les appréhensions et les impacts chez les auteurs consultés au sujet des fusions d’établissements.

Pour rendre compte des points de vue des auteurs recensés sur le sujet, les auteurs de l’article proposent trois types d’impacts liés à la fusion des établissements : des impacts cliniques et professionnels, liés à la gestion administrative et/ou à la gouvernance. Sans reprendre en détail l’analyse de cet article, on y apprend que certains éléments considérés par certains auteurs comme susceptibles d’améliorer les services – par exemple l’uniformisation des services, la meilleure coordination des travailleurs ou le développement de grandes équipes de spécialistes – peuvent selon d’autres auteurs avoir des impacts négatifs sur les populations, notamment la déshumanisation des services, une bureaucratie plus lourde et l’impossibilité pour les organisations de répondre à des besoins particuliers d’une population. On indique que si la nouvelle structuration hiérarchique peut, dans certains cas, favoriser la continuité des services, dans d’autres situations, cela crée des obstacles pour les professionnels qui souhaitent améliorer leurs actes de travail de façon collective (communauté de pratique). À propos des économies créées par les fusions elles-mêmes, les études sont également fort divisées. Certains auteurs mentionnent qu’il importe de considérer la résistance du personnel en réaction à l’incertitude et l’insécurité qu’entraînent les fusions. Il est particulièrement intéressant de noter que cette résistance serait responsable de 30 % à 50 % de l’échec des expériences de fusions, car celles-ci affecteraient le climat de travail, la motivation des employés, les relations professionnelles, l’identité organisationnelle, etc. Bref, compte tenu de ces constats contradictoires ou opposés quant à l’analyse de l’impact des fusions, les auteurs recommandent fortement de mener des études qualitatives afin de saisir la complexité des situations de façon la plus rigoureuse possible.

En outre, les intentions idéalisées visant à garantir la qualité des services ainsi que la circulation de l’information sont contrariées non seulement par des aspects imprévus des pratiques concrètes où ces idées s’appliquent, mais aussi par des points de vue divergents des auteurs et du personnel quant à la visée politique des fusions d’établissement. Premièrement, une solution technique telle que la fusion politico-administrative d’institutions ne peut évidemment pas à elle seule garantir le résultat pratique de sa visée. Encore une fois, comment des solutions simples à des problèmes complexes peuvent-elles atteindre leur but ? Deuxièmement, à moins que la visée politique ne soit pas inscrite dans une perspective démocratique, la prise en compte des désirs des employés et des bénéficiaires exigerait de revoir les fantasmes de toute-puissance gestionnaire liés aux moyens technocratiques en considérant l’incertitude associée à tous les actes humains.

Le deuxième article inséré dans les Perspectives communautaires nous a été soumis par Louise Lemay. Elle y expose sa propre compréhension théorique et idéologique de l’empowerment, tout en critiquant l’application de ses principes auprès des jeunes et des familles. Elle constate d’abord que dans la littérature, si l’on discourt abondamment sur l’importance des relations égalitaires, des vertus du pouvoir partagé et des compétences des personnes, très peu de recherches font état des relations de pouvoir au sein du rapport d’aide entre l’intervenant et l’individu ou le groupe faisant « l’objet » d’empowerment. Se voulant un modèle d’intervention démocratique, il serait aussi paradoxal de constater, selon elle, les difficultés de prendre en compte les situations d’inégalités créées par les contextes d’intervention d’empowerment. L’auteure soutient même que la non-considération de tout exercice de pouvoir « en contexte de pratique d’empowerment risque de produire l’inverse de l’effet escompté ».

À partir de son expérience de quinze ans avec les milieux de pratique et une recension d’écrits sur l’empowerment, l’auteure nous présente d’abord la synthèse de sa conception des principes d’action, des croyances et des stratégies d’intervention associées à l’empowerment. À l’instar d’autres auteurs, elle observe que les « conceptions d’empowerment diffèrent selon le niveau d’analyse ou d’intervention considéré (individu, groupe, communauté) ou le paradigme utilisé ». Contrairement à la plupart des autres écrits sur l’empowerment, cet article pose clairement le problème de cohérence entre le discours, les idées de l’empowerment visant l’égalité des acteurs notamment, et les pratiques qui tentent de les concrétiser. Redéfinir les relations de pouvoir comme les principes d’empowerment le réclament exige de comprendre ce qu’est ce pouvoir, d’en saisir les formes et les dynamiques. Mais, selon l’auteure, la notion de pouvoir serait très peu explorée dans les écrits sur l’empowerment. Le plus souvent, on évoque des notions d’interdépendance, des besoins d’autodétermination et de conscientisation sans essayer d’en comprendre les dynamiques fondamentales.

L’auteure termine son article en abordant l’existence de paradoxes associés au partage du pouvoir des acteurs dans des contextes réels d’intervention. Elle affirme que souvent les décisions les plus importantes sont prises par des responsables des organismes et non par les personnes concernées. Elle se demande si « l’idéologie égalitaire, située au coeur du discours sur l’empowerment, contribue […] à négliger la question des inégalités au sein du rapport d’aide ». Elle constate qu’une difficulté importante se situe dans le processus d’apprentissage lui-même en ce qu’il exige de ne pas répéter ce que l’on sait faire plutôt que de critiquer les pratiques mises en place.

Si les intervenants reconnaissaient qu’il existe toujours un écart entre l’idée et le réel, la crainte de ne pas avoir été à la hauteur freinant l’examen de leurs propres pratiques serait-elle atténuée ? Cela en inciterait-il davantage à développer un regard critique sur leurs propres pratiques ? Penser que l’on a fait une erreur de jugement est très différent de penser que l’on ne peut tout contrôler. La première posture renvoie à l’incompétence et la seconde, à une certaine lucidité. Comprenons-nous, les erreurs de jugement existent évidemment, mais n’expliquent pas la totalité des résultats non prévus ni tous les échecs et difficultés d’intervention. Mais dans un contexte où la performance quantitative, l’efficacité technique et la rentabilité comptable sont de rigueur, examiner sereinement les ratés des visées de nos actes tend à devenir un interdit systémique. Cet article souligne une fois de plus la nécessité de valoriser l’exercice d’une pensée critique sur les pratiques et de prendre en compte l’existence de paradoxes dans l’intervention prônant l’égalité des relations entre acteurs.

Un troisième article s’inscrivant dans les Perspectives citoyennes se différencie des deux précédents en ce que les auteures, Anne Quéniart, Julie Jacques et Catherine Jauzion-Graverolle, présentent les résultats d’une recherche empirique menée auprès de 30 jeunes sur une forme d’engagement politique : la consommation responsable. Ici, ce sont les jeunes impliqués en tant que citoyens et citoyennes qui, à l’écart des organisations communautaires et des institutions étatiques, poursuivent des idéaux écologiques et politiques. Après avoir décrit les transformations historiques de l’engagement politique chez les jeunes, les auteures montrent que si l’engagement actuel des jeunes a toujours une portée collective ses manifestations se sont individualisées tout en devenant plus pragmatiques. Adhérant à des valeurs de solidarité, de justice sociale à l’échelle planétaire au regard d’enjeux liés à l’environnement et au partage des richesses, les jeunes de moins de 25 ans cherchent à concrétiser dans leur vie quotidienne ces idéologies aux visées démocratiques. Pour ce qui est des motivations des jeunes interviewés, il est intéressant de noter l’importance qu’ils accordent à la cohérence entre les principes idéologiques de l’écologie et les gestes qui pourraient les incarner, jusqu’à devenir, pour certains, une philosophie de vie. Ainsi peut-on lire que « […] l’intérêt pour les produits de consommation biologiques ou équitables s’étend à d’autres pratiques responsables (recyclage, réduction des déchets, etc.) participant ainsi à une sorte de recherche de cohérence entre les opinions et idées et les gestes concrètement posés au quotidien ». Défendre une cause sans en assumer concrètement les actions qui pourraient mener au changement n’aurait donc aucun sens pour eux. Pour les auteures, l’enjeu de cette quête de cohérence par l’achat de produits équitables, locaux ou écologiques n’est pas banal. Pour ces jeunes, « adopter et défendre un ensemble de valeurs, c’est […] affirmer leur propre vision du monde ».

En terminant, si la cohérence entre les idéaux et les pratiques entendue comme un achèvement possible est une chimère très bien entretenue par nos fantasmes et les désirs politiques, la quête permanente de cohérence ne se situerait-elle pas au coeur du sens démocratique de la vie sociale ?