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Décédé en 2001 après une carrière littéraire s’étalant sur près d’un demi-siècle, Mordecai Richler laisse une oeuvre importante. Ce romancier anglo-montréalais occupe une place privilégiée dans les lettres canadiennes-anglaises, essentiellement pour ses romans sur la communauté juive de Saint-Urbain, quartier montréalais de son enfance. Satiriste polémiste cinglant, Richer était controversé dans sa communauté d’origine, mais également auprès de certains Québécois, cibles parmi d’autres de ses critiques sociales. Cette « biographie orale » de Michael Posner, journaliste et chroniqueur artistique au Globe and Mail, dresse un portrait humain et nuancé de l’homme complexe qu’était Mordecai Richler. Pour les besoins de la recherche, Posner a interviewé 150 personnes et consulté la correspondance et les écrits de Mordecai Richler. Le livre ressemble à un documentaire cinématogra- phique constitué d’entrevues entrecoupées, reliées parfois par des commentaires de Posner ou de citations puisées dans les archives de Richler.

Destinée principalement au grand public, cette biographie fait progresser les études richlériennes relativement minces jusque-là. La connaissance de l’histoire culturelle du Québec s’en trouve également enrichie. L’ouvrage est divisé en 16 chapitres relatant d’une façon plus ou moins linéaire le cheminement de l’écrivain, de l’enfance à la mort, sans oublier ses deux mariages. Un aperçu détaillé de la vie privée de Richler renforce en effet le lien entre les inventions et certains lieux, personnes et expériences réels. Ces révélations ainsi que la description de son parcours d’apprenti écrivain recèlent un intérêt particulier pour l’étude de la création littéraire. Le rôle primordial de première lectrice assumé par sa femme pour bon nombre de ses manuscrits ressort comme un élément central, peu connu jusque-là.

Les témoignages sur l’authenticité de certaines histoires puisées dans le bassin familial ou amical s’équilibrent assez bien. Certains louent la quête d’honnêteté de Richler de même que sa hantise de l’hypocrisie. D’autres l’accusent d’exagérer et même de mentir pour amplifier un effet dramatique, rendre une intrigue plus intéressante ou un personnage plus mémorable. Ce souci du contrepoids des témoignages critiques et admiratifs s’atténue quand s’impose la question épineuse de la représentation des Juifs ou des Québécois. Posner n’inclut que le rare commentaire direct d’un Juif en désaccord avec la représentation des Juifs dans certains romans de Richler. Il en va de même pour la représentation des Québécois, surtout des nationalistes, exprimée indirectement par le biographe à travers des citations extraites de sources secondaires. Posner n’a pas jugé nécessaire d’inclure des entrevues avec ceux qui critiquaient la représentation des nationalistes et de leurs politiques dans la non-fiction de Richler. Malgré l’inclusion essentielle de témoins qui affirment que Richler a été mal cité ou mal interprété par les critiques, l’ouvrage aurait gagné à présenter davantage de points de vue de témoins critiques québécois, entre autres, afin d’assurer un portrait plus complet de la controverse.

Axée sur les souvenirs personnels de proches ou de relations de Richler, la biographie ne scrute pas les contextes littéraire, culturel et historique de l’écrivain au-delà de ses relations amicales avec certains écrivains, poètes et réalisateurs cinématographiques. Ainsi, aucune analyse profonde n’étudie les rapports littéraires de Richler avec les auteurs juifs du Canada anglais ou des États-Unis, ou ses liens avec les écrivains satiriques du Québec. Il eût également été avantageux de présenter une liste formelle de tous les témoins, dates et lieux d’entrevues ainsi qu’une bibliographie des sources primaires et secondaires. La traduction française offre toutefois une liste complète des oeuvres de Richler traduites en français. Un progrès par rapport à la version originale en anglais dans laquelle aucune liste ne figure. Cela dit, Posner a tout de même atteint l’objectif premier de son ouvrage – nous aider à mieux « comprendre et… apprécier ce que [… Richler] a été et ce qu’il a réalisé » (p. 310).