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Dernier titre de la collection Cahiers Jacques Ferron – consacrée à la publication d’inédits et d’études récentes sur l’oeuvre de l’auteur décédé en 1985 –Ferron post-scriptum rassemble une douzaine d’articles signés Ginette Michaud, publiés au cours des vingt dernières années dans différentes revues ou ouvrages collectifs, et portant sur ce qu’elle nomme les « contours de l'oeuvre »: ses correspondances, ses manuscrits et principalement son recueil posthume, La conférence inachevée. Cet angle particulier permet de mettre en évidence certains aspects moins connus de l’oeuvre de Ferron, tels que sa bibliothèque imaginaire, anglaise ou française (« Lire à l’anglaise »), ses chroniques littéraires (« Ferron, critique et lecteur ») ou alors les lettres au père, qui mettent à l’avant-plan toute la généalogie de l’oeuvre. « C’est en écrivant des lettres que j’ai appris à faire des livres », affirmait-il. Plusieurs études portent également sur la nouvelle intitulée « Le pas de Gamelin », un des textes les plus troublants de l’auteur qui s’appuie en grande partie sur sa propre expérience en milieu psychiatrique ; fortement marqué par une « infiltration biographique », il nous présente un autre Ferron, moins politique, plus intimiste.

Comme le remarque Michaud dans « Jacques Ferron au regard de ses autres », cette image est renforcée à la lecture de l’échange épistolaire entre l’auteur et les membres de sa famille. Ses lettres, qu’elle considère comme « la structure la plus fondamentale et la plus permanente de l’oeuvre », sont néanmoins empreintes d’une certaine ambivalence, d’un « mouvement alterné d’exhibition et d’effacement, de mégalomanie et d’humilité, de grandeur et de défaites », signes de la modernité de Ferron. Modernité qui s’affiche également de façon manifeste par le caractère hybride de l’oeuvre, révélée notamment à la lecture des manuscrits de son dernier recueil, devant d’abord porter le titre de « Contes d'adieu »: sur le plan strictement de la forme, par le truchement de différents genres littéraires, et sur le plan du contenu, par la volonté de réunir des objets hétérogènes. La conférence inachevée est une réussite à cet effet, Ferron étant parvenu en outre à faire entendre plusieurs voix qu’on lui reconnaît, celles de médecin, de conteur, et celle, plus personnelle, de l’autobiographe. Réussite, certes, mais dont certains aspects nous échappent toujours, en raison de l’état fragmentaire du texte et de l’incertitude qu’il laisse transparaître. Explorer ce mouvement du posthume au prélude, d’une extrémité à l’autre – car « entre l’oeuvre et l’archive, les comptes ne sont pas tirés, l’un refait ce que l’autre défait, et inversement » – nous aura sans doute permis de prendre conscience une fois de plus du caractère singulier de l'oeuvre ferronienne : il semble en effet que les manuscrits soient tout aussi éclatés que ses contes et récits, constat que fait Michaud dans « De Varsovie à Grande-Ligne : l’oeuvre in extremis ». « Les parties sont condamnées à errer, tant d’un bout à l’autre de l’oeuvre publiée, que dans les fragments épars du manuscrit. »

La lecture parallèle des lettres et textes posthumes fait donc découvrir un autre visage de l’auteur qui, s’il reste toujours préoccupé par les mêmes questions historiques, politiques, identitaires ou médicales, laisse néanmoins transparaître une certaine angoisse par rapport à son écriture, le sentiment perdurable que son oeuvre lui échappe. Là se trouve probablement l’un des apports importants de l’ouvrage de Ginette Michaud : il nous révèle une fois de plus la potentialité de l’archive qui, tout en jetant un éclairage nouveau sur l’oeuvre ferronienne, nous renseigne également sur le regard que posait l’auteur sur sa propre démarche créatrice.