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Cet ouvrage collectif redonne l’accès à des textes publiés dans la revue Voix et images qui ont balisé l’évolution du discours critique au Québec sur l’oeuvre de Réjean Ducharme. Le choix comprend dix-sept études dont la publication s’étend sur trente-deux ans (1972-2004) et dont la plupart sont focalisées sur l’oeuvre romanesque de Ducharme. Le parcours proposé offre une grande variété d’approches théoriques (sémiotique, narratologique, rhétorique, thématique, sociologie et analyse sociodiscursive) qui examinent un ou plusieurs romans de Ducharme ou encore scrutent l’ensemble de l’oeuvre. Les analyses plus globales visent à dégager le caractère contestataire, provocateur et iconoclaste de l’écriture ducharmienne. Parmi celles-ci se rangent les contributions sur la portée polémique, subversive et ludique de la créativité verbale de l’écrivain (Bernard Dupriez, Kenneth W. Meadwell, Brigitte Seyfried et Jean Valenti). Plusieurs articles mettent en relief la prise de position « ex-centrique », révoltée, hors de toute contrainte sociale et institutionnelle de Ducharme. Cette perspective est bien visible dans les articles de Pierre-Louis Vaillancourt sur la « régression esthétisante » et l’indifférenciation idéologique de l’oeuvre, d’Alain Piette sur l’ironie et les commentaires métatextuels et celui de Myrianne Pavlovic qui retrace l’ « affaire Ducharme » (la polémique autour de l’identité de l’auteur et de l’authenticité du texte) après la publication de L’avalée des avalés en 1966 chez Gallimard à Paris. D’autres études, plus ciblées, sont consacrées aux jeux ducharmiens avec le nom propre, l’intertexte et les discours figés. Ainsi, Lucie Hotte-Pilon s’intéresse-t-elle à la signification des patronymes et Élisabeth Nardout-Lafarge à l’onomastique juive et aux stéréotypes juifs constituant un « déjà dit » du discours social. Susanna Finnel démontre le renversement dans Les Enfantômes des modèles utopiques anciens (ceux de Jean Rivard d’Antoine Gérin-Lajoie) alors que Janusz Przychodzen retrace le travail sur les références à Nietzche, Rimbaud et à la philosophie bouddhiste dans Dévadé.

À lire ce recueil dans l’ordre chronologique, on constate que la critique plus récente (à partir du milieu des années 1990) est moins sensible à la seule capacité de contestation langagière et sociale inscrite dans les romans de Ducharme et plus attentive au retour du signifié, à l’intime et aux questions identitaires jusqu’alors peu explorées. Les articles de Jean-François Chassay donnent cette nouvelle orientation dans la réception de l’oeuvre en montrant par exemple la présence de la maladie et de la douleur physique dans Va savoir ou la signification du bavardage dans L’hiver de force comme symptômes de la crise sociale occidentale à l’« ère du vide » (du capitalisme hédoniste). Parmi ces nouvelles approches se situe également l’étude des stratégies paratextuelles (la pratique des épigraphes par Ducharme) proposée par Marie-Andrée Beaudet. Sa lecture des effets parodiques à l’égard de la doxa littéraire consacrée permet d’observer, au détour d’une analyse institutionnelle, comment l’usage « des figures d’inversion associées au manque et à l’inculture » traduit une forme de revendication du statut de « littérature mineure » (désacralisant les discours autoritaires) propre aux littératures francophones. Les travaux réunis dans cet ouvrage rendent ainsi compte de l’évolution de la critique universitaire sur les romans de Ducharme, de multiples lectures, interrogations et méthodes d’analyse qui permettent de prendre la mesure de la singularité d’une entreprise romanesque qui n’a pas d’équivalent dans la littérature québécoise.