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La collection dont cet ouvrage collectif forme le troisième volume est intéressante à plusieurs égards. Tout d’abord, selon les voeux de son directeur Max Roy, elle remet à la disposition du lecteur des articles qui, parus initialement dans Voix et images depuis sa fondation, fournissent un bon point de vue sur l’évolution du discours critique dans le dernier tiers du XXe siècle. Les textes les moins lisibles ayant été écartés, chaque volume constitue une sorte d’anthologie critique sur un thème ou un auteur donné (Réjean Ducharme, Hubert Aquin et, pour ce nouveau volume, Anne Hébert). On voit ainsi se succéder, au fil de la lecture, différentes questions et diverses méthodes qui enrichissent, sans l’épuiser, l’oeuvre de l’auteur traité.

Dans la présentation qui ouvre le volume, Janet M. Paterson et Lori Saint-Martin rappellent qu’outre la qualité intrinsèque des articles, elles ont souhaité présenter des articles traitant du plus grand nombre d’oeuvres possible de l’écrivaine et offrir un vaste éventail d’approches critiques. À lire l’ensemble des contributions du volume, on peut dire que ce double objectif a été atteint, puisque y est traité l’essentiel du corpus hébertien (même si les oeuvres narratives sont surreprésentées par rapport aux oeuvres poétiques) et sont mises à profit plusieurs approches théoriques : thématique, psychanalytique, mythocritique, sociocritique, narratologique, féministe. Dans ce concert théorique, il faut dire que l’approche psychanalytique est nettement dominante. Henri-Paul Jacques veut montrer qu’un souvenir évoqué par l’Élisabeth de Kamouraska (celui d’un coq dont les ergots se sont pris dans la crinière d’un cheval) peut être lu comme une scène originaire, scène traumatisante à la source de la « pulsion créatrice » d’Anne Hébert. Lillian Pestre de Almeida, dans une étude sur Héloïse, propose ensuite que le désir de Bernard pour Héloïse peut être lu comme l’attirance de l’homme pour la « Femme inquiétante et phallique », pour la « Mère terrifiante » (p. 49). Les contributions d’Anne-Marie Picard Drillien et de Lori Saint-Martin se réclament aussi, à divers titres, de cette approche. Deux autres études qu’on pourrait dire féministes marquent un point fort du volume. Neil B. Bishop cherche d’abord à montrer, avec les outils de la narratologie, que les voix narratives des Fous de Bassan permettent de « découvrir dans ce roman une substance idéologique de caractère féministe » (p. 163), ce que refuse d’admettre Marilyn Randall qui voit un leurre dans la multiplicité des voix narratives du roman et refuse de considérer l’accès de plusieurs femmes au statut de narratrice comme un signe du caractère « féministe » des Fous de Bassan. Elle arrive à cette conclusion après avoir interrogé différents « indices » laissés de côté par les autres lecteurs, ce « résidu problématique » qui tend à montrer qu’une seule vision, celle de Stevens, informe finalement les diverses voix.

Même si l’intérêt de cette publication réside en partie dans l’espèce de « dialogue théorique » qui s’élabore d’un article à l’autre, on remerciera les éditrices d’avoir retenu la belle étude de Gille Marcotte qui tranche par sa (fausse) simplicité avec les autres contributions du recueil. Seul article du volume à s’intéresser exclusivement à la poésie, le texte de Marcotte propose une lecture d’un poème peu connu du Tombeau des rois, « Un bruit de soie ». Fidèle moins à une théorie ou à une méthode qu’à un mode de lecture où la subjectivité a sa part, Marcotte se demande ce qu’est ce poème qui paraît « échapper au mouvement dramatique qui porte l’ensemble du recueil » (p. 72). Les réponses qu’il fournit (une scène érotique, une histoire cosmique, un poème typiquement hébertien, une histoire de mots), mais surtout l’attention qu’il porte aux mots, à la simplicité du poème et à l’économie de ses moyens rappellent d’autres études du Lecteur de poèmes (2000).

Les articles du recueil sont précédés d’une utile présentation des responsables de la publication, Janet M. Paterson et Lori Saint-Martin ; elles s’attachent à retracer, d’une part, certaines constantes (notamment la thématique de l’enfermement qui intéresse plus d’un critique) et, d’autre part, les ruptures et les différends qui émergent au cours des trois décennies couvertes. Il manque peut-être à cette synthèse un rappel de la réception critique d’Anne Hébert avant 1975 qui permettrait de mieux comprendre l’inscription du discours critique, celui tenu dans les pages de la revue Voix et images au sujet d’Anne Hébert, dans l’ensemble de la critique hébertienne. On aurait aussi souhaité que les responsables de la publication explicitent les critères qui ont prévalu à la disposition des articles dans le recueil (par exemple, on ne comprend pas très bien pourquoi l’article de Lori Saint-Martin sur Le premier jardin, paru initialement en 1995, succède à celui d’Érik Falardeau sur le même roman, alors que ce dernier article a paru initialement en 1997) ou qu’elles choisissent un mode de présentation qui s’impose par son évidence (par ordre chronologique, par exemple), mais ce sont là des détails dans l’ensemble et les amateurs et spécialistes de l’oeuvre hébertienne, aussi bien que les lecteurs de Voix et images, trouveront leur compte dans cet ouvrage.