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Avant de devenir le romancier que l’on connaît, Hubert Aquin a travaillé à la radio de Radio-Canada comme réalisateur et créateur de documentaires de 1954 à 1977. L’ouvrage de Renée Legris, Hubert Aquin et la radio. Une quête d’écriture (1954-1977), propose une étude structurale et historique des différentes émissions radiophoniques produites et conçues par Aquin durant cette période.

Le livre est divisé en huit chapitres. Le premier présente les différentes étapes de la carrière d’Aquin à la Société Radio-Canada. Le découpage que propose Legris correspond à trois grandes périodes. Une première (1954-1956), au cours de laquelle Aquin travaille comme réalisateur et écrit sa première dramatique, La Toile d’araignée. Pendant la seconde période (1956-1960), l’auteur occupe des fonctions d’organisateur, de coordonnateur et de superviseur des Émissions éducatives et d’Affaires publiques. Dans la troisième étape, qui s’étend de 1960 à 1977, Aquin travaille comme animateur. Soucieux de faire participer des spécialistes dans les domaines de l’art et de la littérature, il recevra notamment Roland Barthes, Michel Butor et Yves Bonnefoy, et il sera lui-même interviewé à propos de ses propres romans après leur parution.

Le chapitre suivant propose une perspective historique des émissions savantes à la radio. Aquin débute sa carrière comme réalisateur le 7 septembre 1954 à Radio-Collège (1941-1954) qui était une série d’émissions de culture et de formation personnelle. Les programmes qui lui seront confiés toucheront surtout à la littérature, à l’histoire et à l’ethnologie. Outre son travail de réalisateur à Radio-Collège, il réalisera entre 1954 et 1956 deux programmes de radiothéâtre, Billet de faveur et Flagrant délit. Alors que la perspective traditionnelle pratiquée avant les années 1950 se préoccupait le plus souvent d’adapter le théâtre sur scène à la radio, Aquin, précise Legris, a favorisé, avec des auteurs tels que Jacques Languirand ou Gilbert Choquette, la création de nouveaux genres qui s’inspirent de la « tradition du comique et de l’absurde » (p. 67).

Dans le chapitre trois, Legris analyse deux radiothéâtres rédigés par Aquin : La Toile d’araignée et Confession d’un héros. L’analyse de Legris tient compte de la genèse des oeuvres, de leur réception critique et des principaux thèmes qui caractérisent l’originalité de l’écriture radiophonique d’Aquin. Le chapitre quatre propose une étude des productions d’Aquin dans « le secteur des émissions éducatives et culturelles » (p.153). Distribuées sur les ondes de Radio-Canada dans le cadre du programme Les Hommes illustres à l’automne 1954 et à l’hiver 1955, ces émissions visaient à faire connaître la biographie d’écrivains importants tels que Pascal, Dostoïevski et Malraux. Pour donner au contenu savant de ces émissions un caractère dynamique, Aquin privilégie « la structure dialogale et la dramatisation » (p. 160).

On trouvera, dans le chapitre qui suit, une analyse de cinq émissions culturelles sur l’indépendance des pays des Amériques écrites par Aquin au début des années 1960. Dans ces émissions, présentées dans le cadre du programme culturel L’Homme américain, Aquin retrace les étapes de la conquête des indépendances du Pérou, des États-Unis, de Cuba, des colonies européennes et du Canada. Dans l’émission qui a pour sujet le Canada, Aquin propose « une argumentation serrée qui met en opposition ce pays américain demeuré colonie, avec les réussites des indépendances sud-américaines et états-uniennes » (p. 177).

Le sixième chapitre a pour sujet l’analyse de huit émissions écrites par Aquin sur la culture religieuse diffusées au programme Philosophes et penseurs entre 1963 et 1964. Dans chaque émission Aquin se penche sur la conception du monde d’un penseur religieux ou agnostique. L’objectif de l’auteur est non seulement de faire connaître ces « penseurs de la chrétienneté », précise Legris, mais également, « grâce au recul critique que lui permet sa formation » universitaire, « de mettre en cause certaines idées reçues sur ces auteurs » (p. 205).

Legris termine son livre par une analyse de deux émissions spéciales conçues par Aquin entre 1966 et 1970. Il avait alors déjà quitté Radio-Canada pour se consacrer à l’écriture romanesque mais il y revenait à l’occasion comme rédacteur. Il s’agit de Don Quichotte, le héros tragique et de Paul-Émile Borduas et le refus global. Après une analyse détaillée de ces deux documentaires qui met en évidence « les techniques d’écriture postmodernes d’Aquin caractérisées par une esthétique du ”bricolage“ et du ”collage“ » (p. 329), Legris propose un bref mais dense résumé des différents « modèles aquiniens des émissions éducatives et culturelles » (p. 347).

L’ouvrage de Renée Legris est un document original et fiable avec une portée véritable pour les études aquiniennes car l’écriture de l’oeuvre romanesque d’Aquin, comme le montre de manière convaincante Legris, est tributaire des émissions et documentaires qu’il a réalisés. En outre, par la mise en contexte de la carrière radiophonique d’Aquin, le livre de Legris permet de mieux comprendre l’histoire culturelle de Radio-Canada et l’importance de son apport à l’évolution sociale du Québec.