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Le collectif sur « la manière de gérer les aspirations, les droits et les contraintes touchant les minorités de langue officielle au Canada, notamment les minorités francophones », réunit vingt textes portant sur les aspects théoriques et conceptuels de la politique, les droits linguistiques, les institutions de la gouvernance linguistique et les médias. On y trouve aussi quatre textes portant spécifiquement sur les enjeux et les défis prochains. Les contributions sont de la plume de plusieurs chercheurs éminents et nourrissent bien la réflexion. Les chapitres de Maurice Beaudin sur les francophones des Maritimes, de Edmund Aunger sur l’évolution du néolibéralisme linguistique en Alberta, de Michel Bock sur la marginalisation de la thèse des peuples fondateurs dans la presse française de Sudbury et de François-Pierre Gingras sur l’identité linguistique et plurielle des jeunes universitaires présentent de nouvelles et intéressantes données empiriques. Sur le plan théorique et conceptuel, les cinq lois linguistiques de Jean Laponce et l’analyse des changements de paradigmes étatiques envers les minorités linguistiques et culturelles en Europe de l’Ouest de John Loughlin, de la diversité de l’espace franco-ontarien d’Anne Gilbert et de l’apartheid linguistique de Gilles Paquet sont des plus stimulants. Et les textes de Marc Johnson et Yvon Fontaine sur les transformations gouvernementales en matière de langues officielles et de Linda Cardinal et Luc Juillet sur la gouvernance des langues officielles montrent comment cette gouvernance s’est complexifiée au cours des dernières décennies dans un Canada davantage multiculturel et plurilingue.

Par contre, le recueil souffre de quatre limites. Premièrement, on y repère difficilement le fil conducteur. En fait, peu de textes répondent à la question de base : « Dans un contexte de mondialisation qui, paradoxalement, peut pousser vers l’uniformité ou stimuler le dynamisme des cultures minoritaires, dans le contexte canadien de ”chartisme” et de multiculturalisme, comment peut-on assurer la transmission et la vitalité des deux langues officielles, dont l’une compte relativement peu de locuteurs hors du Québec et du Nouveau-Brunswick ? » En deuxième lieu, on aborde peu ou indirectement les champs provinciaux alors que l’éducation, la santé, les services sociaux et municipaux sont de très grande importance dans « la gouvernance linguistique au Canada ». Et les textes qui l’abordent critiquent les provinces anglophones et louangent le Québec. Or, le bilan est plus nuancé. De plus, les textes sur la Suisse et la Belgique éclairent peu la réflexion sur les défis d’une fédération. Troisièmement, il manque une conclusion qui aborderait, par exemple, la cohabitation difficile du bilinguisme et du multiculturalisme des immigrants et des nouveaux arrivants francophones, la difficulté d’appliquer à la fois la solution territoriale suggérée par certains (Québec français, reste du Canada anglais), l’approche communautaire proposée par d’autres et les défis posés par le fédéralisme canadien et le « chartisme » en matière de langues officielles. Et quel est, au juste, l’apport des institutions revendiquées par plusieurs textes, une problématique rarement abordée depuis les travaux fondateurs de Raymond Breton en 1964 ? Enfin, plusieurs pistes de solutions et prospectives sont simplistes ou présentées sans appui empirique ou théorique – par exemple : « revigorer ses bases (régions de souche) au moyen d’une meilleure diversification économique qui favoriserait les secteurs faisant appel aux connaissances » ou encore reconnaître que la langue française « est, partout au Canada, en situation d’infériorité actuelle ou potentielle et qu’elle a besoin d’institutions protectrices ».

Néanmoins, plusieurs prospectives remuent les méninges. Dyane Adam propose une harmonisation des lois et des politiques provinciales et fédérales et un dialogue plus systématique et formel entre minorités et majorités provinciales. Gilbert pense que les politiques linguistiques doivent s’appliquer différemment dans les milieux de culture forte et dans ceux de culture faible; il faut renforcer les institutions minoritaires dans les deux milieux, mais selon leur rôle particulier. Beaudin aborde la complémentarité du rural et de l’urbain en cette époque d’urbanisation (locale et interprovinciale) accrue. Cardinal et Juillet démontrent une certaine « connivence entre le gouvernement et l’élite du milieu » et les défis de la gouvernance horizontale axée sur la communauté et les silos verticaux des gouvernements. Ils indiquent aussi que les minorités de langue officielle « bénéficient d’un niveau d’institutionnalisation plus important que les autres groupes », ce qui donne lieu à « une capacité de mobilisation et d’influence » considérable. Enfin, ils concluent que « la gouvernance des langues officielles a été cooptée par les structures existantes » et « qu’elle n’a pas facilité la cohésion sociale à l’intérieur des milieux minoritaires où les conflits entre les groupes sont encore bien réels et où les rapports de force sont favorables à une vision hiérarchique de la gouvernance des langues officielles plutôt qu’à une plus grande concertation ». Ces prospectives politiques sont matière à débat, mais elles soulèvent des questions empiriques et théoriques intéressantes.

Organiser un colloque sur la gouvernance linguistique au Canada et en publier les actes est un but louable pour lequel Jean-Pierre Wallot mérite des éloges, mais les textes sont, à de rares exceptions près, sans lien entre eux et ne répondent pas à la question de base. L’effort aurait mieux réussi s’il avait été davantage ciblé et moins ambitieux. Il apporte néanmoins une contribution originale et intéressante à la littérature sur le sujet.