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Dans son ouvrage, Nicolas Landry brosse un portrait de la pêche commerciale au poisson de fond sur les bancs du sud du golfe du Saint-Laurent. Avec la minutie d’un historien, il décrit la pêche côtière au homard, à l’éperlan et au saumon sans oublier le hareng, le maquereau et les huîtres. La Loi canadienne sur les pêches ayant toujours accordé une grande place à l’intervention du politique, cela a permis au ministre fédéral des Pêches de recourir au favoritisme.

Trois points ressortent de l’activité de la pêche durant la période de 1890 à 1950 : la difficulté d’appliquer la réglementation des captures du homard étant donné les pratiques de pêche illégales ; la difficulté d’exporter le poisson à l’état frais sur les marchés plus lucratifs de la Nouvelle-Angleterre ; enfin, le système de troc pratiqué par les entreprises anglo-normandes rendant le pêcheur dépendant et tuant dans l’oeuf sa capacité d’innover. Tout cela constituait un frein à sa responsabilisation, d’où l’action des associations coopératives qui a servi de médiation au marché, favorisant ainsi l’émancipation des pêcheurs comme sujets responsables. Landry souligne aussi que la vulnérabilité du métier de pêcheur face aux intempéries et aux tempêtes a amené le gouvernement fédéral à mettre en place des incitatifs tels que celui d’établir une prime aux bateaux de pêche, particulièrement aux goélettes jugées plus sécuritaires. Si ces mesures étaient nécessaires dans le contexte de troc, elles avaient aussi, selon nous, l’effet pervers de freiner la prise en charge.

Un des aspects intéressants de l’ouvrage de Landry est de montrer, à l’instar des auteurs de la théorie de la régulation (Aglietta, Boyer et Lipietz), l’importance des guerres et des crises comme facteurs de changement. D’une part, grâce à la demande des pays européens en guerre, le prix du poisson a augmenté. Cette hausse a permis à de nouvelles entreprises de faire concurrence aux marchands anglo-normands et aux pêcheurs de se moderniser avec des bateaux motorisés et plus productifs. Également, dans la période de crise de 1928, on a été témoin de l’intervention fédérale visant à favoriser l’intervention des coopératives comme outil de prise en charge, de responsabilisation et d’autonomisation des pêcheurs et de leurs communautés. Un autre aspect important est la sensibilisation et la formation continue tant sur les facteurs de qualité du poisson, le soin apporté à la manutention des femelles oeuvées et aux alevins qu’à la fragilité des habitats. Ces leçons sont d’actualité et donc riches d’enseignement. À cet égard, Moses Perley montrait dès 1852 la vulnérabilité des habitats de saumon sur les côtes du sud du golfe du Saint-Laurent. Les derniers chapitres sur la pêche aux huîtres font part également de la vulnérabilité de ce crustacé face à la surpêche au XIXe siècle.

L’ouvrage nous apprend que la valorisation des travailleurs de la pêche – en respectant leur capacité de s’autodéterminer, mais aussi leurs connaissances et leur savoir-faire – sont des prérequis pour que ces derniers deviennent de véritables citoyens : on leur donne ainsi la place nécessaire afin qu’ils soient en mesure de négocier pour faire reconnaître leurs intérêts, leur identité et leur culture tant auprès des institutions publiques qu’auprès des entreprises privées. En ce sens la compréhension de cette période de l’histoire des pêches par Landry permet de mieux apprécier les comportements des acteurs contemporains dans l’activité de la pêche tant dans la péninsule acadienne que sur la côte Atlantique.