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Le Dictionnaire biographique du Canada Dictionary of Canadian Biography fait partie du paysage intellectuel canadien depuis la parution du premier volume en 1966. Par la qualité qu’il a su maintenir au fil des années, cet ouvrage a acquis le statut de véritable présence auprès des universitaires, professeurs et étudiants, ainsi que du grand public. Cette présence s’est encore accrue ces dernières années avec l’arrivée des versions CD-ROM (2000) et en ligne (2003-2005). L’instigateur et le premier donateur du dictionnaire, James Nicholson, espérait voir produire un ouvrage rigoureux et accessible dont le but ne serait pas seulement de « combler une lacune dûment constatée de l’érudition canadienne », mais bien d’« égaler et même dépasser des ouvrages analogues publiés ailleurs ». Sous cet aspect, le DBC constitue une indéniable réussite, comme l’a maintes fois souligné la critique. Fernand Dumont disait d’ailleurs avoir pesé ses mots en qualifiant, en ces pages, de « chef-d’oeuvre » le premier opus de cette entreprise démesurée.

On comprend que dans un projet de si longue haleine, la sortie d’une nouvelle livraison du DBC ne suscite plus l’engouement des premiers temps. Plusieurs éléments contribuent cependant à donner à ce volume XV (1921-1930) un caractère spécial. D’abord le décès, en 1998, d’un des principaux artisans du DBC. En tout et pour tout, Jean Hamelin a consacré 25 ans au dictionnaire à titre de directeur général adjoint. Il a participé à l’élaboration de 10 volumes, en plus de signer ou cosigner 51 biographies. Le DBC porte et conservera toujours sa marque. À la suite des responsables actuels du dictionnaire, qui ont tenu à lui dédier le volume XV, nous saluons le dévouement de cet historien québécois à la réalisation d’un des plus importants outils de recherche au Canada.

Un autre élément qui rend ce volume singulier est l’annonce du départ de Ramsay Cook de la direction générale du dictionnaire. Depuis 1989, année où il a remplacé Francess G. Halpenny à titre de general editor, Cook a mené à terme trois volumes dans un contexte d’austérité financière qui menaçait la poursuite du projet. Il a décidé que ce volume XV serait le dernier auquel il serait associé. Son successeur n’est pas nommé dans l’« au revoir » que l’équipe bilingue du dictionnaire a tenu à lui adresser, mais on sait déjà que cette personne aura la lourde responsabilité de chausser, à son tour, les bottes des George W. Brown, Marcel Trudel, Francess G. Halpenny, Jean Hamelin et, maintenant, Ramsay Cook.

Grâce au travail de ces pionniers de l’édition savante au Canada, les responsables actuels du dictionnaire peuvent s’appuyer sur une pratique solidement établie. Mis à part la maquette qui a fait peau neuve au volume XIV (1998), l’économie générale de la version imprimée s’est d’ailleurs stabilisée depuis les volumes IV (1980) et XI (1982), alors qu’on l’a enrichie d’une série de nouveaux appendices. Les principales sections du dictionnaire sont depuis : l’introduction, la nomenclature des personnages, les rubriques biographiques, la bibliographie générale, la liste des collaborateurs, l’identification et la répartition géographique des personnages et l’index.

Il faut être courageux et avoir beaucoup de temps libre devant soi pour s’attaquer à la lecture intégrale de cette brique de près de 1400 pages. Le format et la nature encyclopédique de l’ouvrage découragent son utilisation comme lecture de chevet. L’abandon des études préliminaires, après seulement quelques volumes, et des hésitations apparentes sur l’ampleur et le statut à donner à l’introduction de chaque ouvrage ont d’ailleurs confirmé le DBC comme ouvrage de référence plutôt que comme oeuvre de synthèse.

Pourtant, celui ou celle qui se risquerait à lire le dictionnaire de la première à la dernière page en serait probablement quitte pour beaucoup de plaisir et un lourd bagage de nouvelles connaissances. Depuis l’origine du projet, les responsables ont veillé à ce que la lisibilité ne soit jamais sacrifiée au profit de l’érudition. Le choix initial du genre biographique, associé plus que tout autre à la littérature, témoigne de la volonté de proposer un ouvrage à la fois rigoureux et agréable à lire. Soulignons au passage la qualité des traductions qui confère une grande unité à l’ensemble et permet une lecture sans rupture de ton.

Comme nous le savons trop bien, une réussite intellectuelle ne se traduit pas nécessairement sur le plan financier. Dans leur courte introduction, Ramsay Cook et Réal Bélanger rappellent les difficultés financières auxquelles ils ont dû faire face dans la gestion du projet. Il faut dire que l’organisation actuelle des champs universitaire et de l’édition, axée pour l’essentiel sur la vitesse et la rentabilité, ne favorise pas la réalisation des grands chantiers d’érudition. Trouver des sources de financement a toujours été l’un des grands soucis, et l’une des principales occupations, des administrateurs de ce type d’entreprises. En homme d’affaires averti, sir George Smith (1824-1901), initiateur en Angleterre du Dictionary of National Biography qui a servi de principale source d’inspiration à James Nicholson dans son testament, écrivait au XIXe siècle que son projet « ne remplissait aucune des conditions d’une entreprise commerciale » (DBC, vol. I, p. xi). Il ne pouvait pas mieux dire…

Parvenu jusqu’à nous grâce au soutien de différents organismes subventionnaires, à la contribution de généreux donateurs et au travail rigoureux de l’équipe éditoriale et des collaborateurs, le volume XV comprend 619 biographies rédigées par 446 auteurs, professionnels et non professionnels. Fidèle à la tradition de la série, l’ouvrage rassemble les biographies des personnages qui sont morts durant la période 1921-1930. Un examen rapide de l’identification des personnages laisse voir une prédominance des hommes d’affaires, des politiciens et des auteurs, tandis que la répartition géographique (par lieux de naissance et d’activité) rappelle l’importance du Canada central à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Le thème de la construction des chemins de fer continue d’être très présent, même si l’on sent monter l’importance des médias et des nouvelles technologies, l’apparition des mouvements de revendication féminins et la montée de l’immigration.

Parmi les personnages les plus connus – d’un point de vue surtout québécois – qui ont l’honneur de se faire gratifier d’une biographie dans ce volume, on retrouve Félicité Angers (dite Laure Conan), sir Adam Beck, Alexander Graham Bell, Joseph-Édouard Caron, Robert Drummond, William Stevens Fielding, sir Lomer Gouin, sir Samuel Hughes, Emma Lajeunesse (dite Emma Albani), Godfroy Langlois, Alexis Lapointe (dit Alexis le Trotteur), David Ross McCord, sir William Mackenzie, Joséphine Marchand (Dandurand), sir William Price, sir Clifford Sifton, George Stephen (1er baron Mount Stephen), sir Louis-Olivier Taillon, Georges Vézina.

Avec ce volume XV, le DBC continue d’évoluer tout en restant le même. Les contextes financiers changent, les responsables se succèdent, les formats évoluent et se diversifient, les modes historiographiques passent, mais la qualité de l’ouvrage, elle, demeure.