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Agréable à lire, formateur, audacieux, voire parfois provocateur, l’ouvrage de Jean-Claude Bernatchez offre au lecteur une remise en question réfléchie du régime de relations industrielles nord-américain. Le questionnement de l’auteur provient du constat des différences importantes entre la qualité des conditions de travail nord-américaines lorsque comparées aux conditions de travail en Europe, l’avantage étant clairement en faveur des salariés européens. Le régime nord-américain ne pourrait générer des conditions de travail d’une qualité qui reflète la prospérité économique américaine ou canadienne.

Prenant appui au chapitre 1 sur un survol historique du régime, l’auteur présente aux deux chapitres suivants les contextes et les caractéristiques du régime nord-américain en allant plus en détails quant aux particularités québécoises. Il s’agit là d’une synthèse intéressante qui permettra entre autres au lecteur européen de saisir les particularités du mode de régulation et de détermination des conditions de travail outre-mer. Certes, on comprend bien en Europe que le régime nord-américain est décentralisé, mais on ne saisit pas toujours sur une base opérationnelle comment le tout fonctionne. À tort, on qualifie souvent ce régime de régulation de laissez-faire et l’analyse offerte par l’auteur permet d’en comprendre le fonctionnement. Ces chapitres, tout comme les autres d’ailleurs, se terminent par des séries de questions qui suscitent une poursuite de la réflexion ou permettent, dans un contexte d’enseignement universitaire, de vérifier la compréhension des concepts et des analyses qu’ils contiennent.

Intitulé « Les modèles internationaux de relations industrielles », le chapitre 4 introduit en une quinzaine de pages une série de comparaisons internationales eu égard aux divers niveaux de négociation (local, sectoriel, national), aux taux de syndicalisation ainsi qu’au temps de travail et au temps de congé payé. Ces données sont suivies d’une explication sommaire sur les diverses formes de représentation syndicale. Ces informations s’avèrent utiles pour appuyer l’argument de l’auteur sur la déficience des conditions de travail nord-américaines, mais elles nous semblent un peu trop sommaires. Il aurait sans doute fallu aller plus loin afin de mieux saisir les différences dans les régimes et les résultats qu’ils produisent.

Au chapitre 5, l’auteur présente différentes thèses relatives aux effets de la mondialisation sur les relations industrielles. D’une part, la mondialisation contribuerait à niveler par le bas les conditions générales de travail, à renforcer le pouvoir des multinationales et à accentuer une distribution inéquitable de la richesse entre les pays. Mais, en contrepartie, les États conservent le pouvoir de légiférer en matière de normes minimales du travail afin de minimiser les pressions à la baisse sur les conditions de travail, les multinationales deviennent plus vulnérables à la concurrence accrue et les déplacements de la production vers les pays plus pauvres pourraient amener une hausse de leurs standards de vie. Quelle que soit la thèse retenue, il est clair que la mondialisation pose un défi au maintien des valeurs et des régimes de régulation nationaux. La présence de mécanismes régulateurs qui protègent les salariés est remise en question au nom de la capacité concurrentielle. Les travailleurs deviennent alors craintifs de perdre leur emploi et de devoir se recycler pour avoir accès à un marché du travail transformé. S’ajoute à l’ouverture des frontières commerciales la révolution technologique qui se poursuit à un rythme effréné, transformant ainsi les procédés de fabrication et de prestation de services et, ultimement, le travail humain.

C’est dans ce contexte de différences entre les systèmes nationaux et d’écarts dans les conditions de travail sur fond de mondialisation que l’auteur propose une série de remises en question, certaines mineures, d’autres radicales, des modes dominants d’organisation et de régulation du travail et des relations du travail. Il y consacre cinq chapitres de l’ouvrage proposant de donner un nouveau sens au travail, de gérer différemment les conflits et de négocier à partir des intérêts, de repenser les relations industrielles au niveau local et d’innover au niveau sociétal.

L’auteur constate une déshumanisation du travail dont il faut se défaire. Il propose à cet égard de réorganiser le travail, d’en élargir le contenu de sorte que la personne se le réapproprie. La rotation occupationnelle, la participation des travailleurs aux décisions et la qualité de vie au travail sont autant d’initiatives qui vont en ce sens. Puis, l’auteur, conscient du défi posé par les conflits en milieu de travail, propose une approche pour les gérer. Après avoir traité des formes du conflit, de ses modes et de ses formes d’expression, il précise qu’il n’y a pas de méthode unique de résolution de conflit, car on doit prendre en compte le type de conflits et le contexte dans lequel il se produit. Néanmoins, la démarche de base demeure la même et, à cet égard, une méthode en douze étapes est proposée comme plan de médiation du conflit. Même si le contenu de chacune de ces étapes n’a rien de neuf, leur articulation dans une suite logique constitue en soi une innovation.

Toujours sur le thème du conflit ou de sa régulation, l’auteur suggère de traiter le conflit d’intérêts qui se pose lors de la négociation de la convention collective à partir d’une approche de coopération. Sur ce, l’auteur s’inscrit dans le courant dominant des chercheurs en relations industrielles qui soulignent les mérites de la négociation de coopération, dite raisonnée ou basée sur les intérêts. Mais il ajoute une contribution intéressante aux écrits sur le sujet en comparant la négociation basée sur les intérêts à la négociation traditionnelle sous l’angle des stratégies de pouvoir, relationnelles, temporelles, argumentatives et informationnelles. Enfin, il propose aux parties de négocier au départ des niveaux et des indicateurs de productivité. Une fois ces éléments établis, ils serviront de balises à la négociation, facilitant par la suite les compromis.

Au chapitre 9, l’auteur propose de repenser les relations industrielles au niveau de l’entreprise. En plus de souligner l’importance d’un climat de travail basé sur le respect, d’un partage des valeurs d’entreprise ainsi que des devoirs et responsabilités respectives, l’auteur suggère un changement radical au contrat collectif de travail. Il remarque avec justesse que les conventions collectives ont tendance à se ressembler quant à leur contenu même si les besoins des entreprises et des salariés varient. À cet égard, il est proposé un contrat de travail qui exprimerait les buts de l’entreprise, ses environnements internes et externes, sa philosophie de gestion, puis préciserait les obligations respectives de l’employeur et des salariés, viendraient ensuite les conditions ou normes de travail. Une telle proposition mérite certainement d’être examinée, mais ce n’est pas demain que syndicats et patrons accepteront de signer un tel contrat de travail.

Enfin, le dernier chapitre comprend une panoplie de recommandations qui permettraient de soutenir l’innovation dans les relations industrielles. Tout d’abord, on propose un plus grand interventionnisme étatique pour réguler les effets de la mondialisation. Puis, comme d’autres, l’auteur suggère une revalorisation du rôle des organismes internationaux, comme le BIT par exemple. Au niveau national, il s’avère important de renforcer, à tout le moins de maintenir, le cadre juridique qui favorise la croissance syndicale, car sans syndicats bien organisés les conditions de travail stagneront ou dépériront. Les débats tripartites au niveau sectoriel ou sociétal sont essentiels pour permettre aux parties de travailler de concert eu égard aux ajustements nécessaires aux conditions d’emplois. Qui plus est, on doit construire un management plus humain et adapter les structures et les sujets de négociation aux situations des secteurs économiques, puis des particularités des entreprises qui les composent.

Cet ouvrage pose des questions importantes et apportent quelques pistes de solutions qui méritent d’être débattues. Le programme de réforme que propose Jean-Claude Bernatchez est osé et ne risque pas d’être implanté dans son intégralité. Mais, il ne fait pas de doute que des changements soient nécessaires au niveau des institutions et des approches si on veut à la fois satisfaire les objectifs d’efficacité des entreprises et ceux d’équité des travailleurs.

Je conclurai en affirmant sans hésitation qu’il s’agit là d’un ouvrage à lire pour générer de nouveaux débats dans les milieux universitaires et ceux de la pratique professionnelle.