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Pierre-Arnaud Barthel est un jeune géographe français, connaisseur de l’urbain, qui brosse ici un tableau très fouillé et original d’une ville du Sud en effervescence urbanistique, la ville de Tunis.

Il est toujours intéressant de voir le regard extérieur que porte le géographe sur une ville étrangère. Ici le piège, dans lequel l’auteur n’est pas tombé, aurait été de faire entendre trop fort la voix de l’ancien colonisateur. En effet, la France fut, on le sait, l’État dit protecteur de la Tunisie de mai 1881 à mars 1956. Cette ancienne colonie française a réussi depuis à se tailler une place économique dans des domaines comme le tourisme ou l’informatique mais aussi à soutenir une politique sociale ambitieuse de promotion de la femme tunisienne. Entrée depuis les années 1990 dans une phase de libéralisation de son économie, la Tunisie a passé un accord d’association avec l’Union Européenne en 1995 qui a vu ses applications sur le terrain dès 1998. Ici, ce qui est au coeur de l’ouvrage, ce sont la fabrication de la métropole tunisienne soumise au flux continu de la périurbanisation et l’implosion urbaine corrélative à l’attrait pour les ruraux de la capitale.

L’urbain tous azimuts, titre du premier chapitre, nous donne à voir les « mutations très rapides depuis vingt ans de la société et de l’économie tunisiennes » (p. 21). Cette ville en mouvement est superbement analysée et présentée avec force cartes et tableaux, tous très informatifs. Le passage intitulé (p. 38) Faire la ville sur la Ville : la régénération des espaces centraux illustre fort bien les enjeux de la patrimonialisation de la Médina. On peut signaler, page 42, une carte originale sur la sauvegarde patrimoniale et la mise en tourisme très synthétique. Par ailleurs, la prise en compte du phénomène de fabrication de la ville de Tunis pousse invariablement l’auteur à s’interroger sur ceux qui effectivement font cette ville, réponses apportées dans le deuxième chapitre : De l’Etat au privé : qui « fait » la ville ?

La prise en compte de la géographie historique du site de Tunis a conduit l’auteur à la perspective novatrice et originale de considérer la ville autour de ses éléments aquatiques, la mer et les lagunes, éléments longtemps déniés, et qui aboutissent depuis peu à une reconnaissance (chapitres 3 et 4). Aussi Barthel se penche avec minutie sur les grands projets qui sont réalisés « pour réconcilier Tunis et ses lacs » (chapitre 5) et analyse la réforme du gouvernement urbain qu’il qualifie d’efficace (chapitre 6).

Mais l’universitaire, qui a une réelle connaissance du terrain, n’est pas dupe du success story à la tunisienne et s’est intéressé aux parts d’ombre, aux non-dits et à l’implicite derrière les projets dans un chapitre critique (Masques et ambiguïtés de l’aménagement), soulevant ainsi les problèmes d’artificialisation des paysages et de manque de conscience en rapport avec le développement durable.

Son dernier chapitre (Tunis-sur-Lac : pour quelle métropole ?) démontre l’incertitude d’un projet en devenir et a le mérite de parler des plus récentes constructions du Tunis moderne, à l’américaine, qui ne peuvent que frapper l’imagination du touriste qui débarque avec des préjugés sur la ville du monde arabe.

C’est un livre à conseiller à tous les amoureux de l’urbain, géographes comme urbanistes, mais aussi à toute personne fascinée par le monde arabe et sa culture en évolution.