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L’étiolement actuel du syndicalisme aux États-Unis (seulement 7,9 % des salariés du secteur privé y appartenaient à un syndicat en 2004) avait incité à la tenue d’un séminaire conjoint de la School of Labor and Industrial Relations at Michigan State University et de la centrale AFL-CIO ayant pour objet de promouvoir la recherche universitaire sur les droits des travailleurs en ce pays. De là, le présent collectif réunissant 13 textes de spécialistes de différentes sciences du travail qu’unissait une préoccupation commune : la faiblesse de la protection des droits des travailleurs aux États-Unis porte atteinte non seulement aux personnes lésées, mais au bien-être de l’ensemble de la société américaine : « Justice, fairness, and widely shared prosperity are the watchwords of the papers in this volume » (p. 5). Trois angles d’intervention se conjuguent ainsi : tantôt un appel à des valeurs, à des principes moraux, comme les droits fondamentaux de la personne, tantôt l’examen critique détaillé de la mise en oeuvre de la législation régissant les rapports collectifs du travail, tantôt une démonstration empirique d’un aspect particulier de ce contexte syndical difficile, sinon adverse. Ces textes sont regroupés selon cinq parties : l’étendue de la liberté syndicale dont jouissent les travailleurs américains (I); l’importance de cette liberté pour les travailleurs et leurs milieux (II); les entraves juridiques à l’exercice des droits des salariés (III); la réception aux USA de l’apport du droit international relatif à ces droits (IV), et, enfin, des stratégies qui s’imposeraient pour promouvoir les droits des travailleurs (V).

Le premier de ces textes, celui du professeur Gross de Cornell apporte le diapason : la liberté d’association, celle de négocier collectivement et le droit de grève doivent être reçus comme les droits humains fondamentaux; la hiérarchie des droits devrait conduire à limiter la portée du pouvoir de l’employeur fondé sur le droit de propriété de l’entreprise, ou encore sa liberté d’expression lors de campagnes de syndicalisation, ce que ne reconnaît pas la jurisprudence des arbitres américains, ni celle du N.L.R.B.; des courants actuels en GRH ne respectent pas, non plus, ces valeurs humaines fondamentales. Une étude suivante porte précisément sur le processus électoral du N.L.R.B. en matière de représentativité syndicale et tend à démontrer qu’il ne correspond pas aux standards de liberté et d’équité en matière électorale; en particulier devrait-on s’assurer d’une liberté effective d’expression du syndicat. Un texte suivant relève les limites qu’apporte le droit, tant fédéral qu’étatique, à la liberté syndicale dans le secteur public. Les fruits de l’exercice de cette liberté sont ensuite concrètement entrevus grâce à une analyse empirique des avantages résultant pour les travailleurs, tant individuellement que collectivement, d’une première convention collective, lorsque, du moins, l’on parvient à la négocier… Semblablement, un examen de l’apport de la négociation collective en tant qu’instrument de valorisation du travail dans un secteur de travail de bas niveau, en l’occurrence, le secteur hôtelier, soit un exemple d’un domaine vital d’implantation du syndicalisme actuel. Recherche empirique ensuite de ce qui peut motiver certains employeurs à négocier certains accords de neutralité avec des syndicats cherchant à s’implanter dans l’entreprise et à s’en remettre volontairement à ce sujet à l’évaluation de la représentativité du groupement à partir des cartes d’adhésion, sans recourir au vote officiel selon la loi. L’impact négatif d’une conception jurisprudentielle de la notion de personnel de direction, catégorie exclue de la portée positive de la loi régissant les rapports collectifs du travail et dont l’ampleur s’est accrue au fil des ans, est l’objet d’un examen en fonction de la syndicalisation du personnel infirmier dans les hôpitaux. Suit une évaluation empirique de la perception des intérêts, patronaux ou syndicaux, que pourraient favoriser certaines réformes de la législation du travail relative à la négociation collective, par exemple, l’interdiction de remplacer les grévistes. Passant au volet de la réception nationale du droit international, le collègue canadien Roy J. Adams, Mc Master University, s’interroge sur la compatibilité des intérêts promus sur le plan national par certaines associations patronales et les positions de l’OIT en matière de liberté syndicale en la personne des délégués que ces associations désignent dans les instances de ce dernier organisme. Deux professeurs de la University of Rhode Island, messieurs McIntyre et Boday, jugent ensuite non fondés les arguments usuellement avancés aux États-Unis pour expliquer le défaut de ce pays de ratifier les Conventions nos 87 et 98 de l’OIT en matière de liberté syndicale.

Comment assurer et promouvoir la liberté syndicale dans un tel contexte se demande-t-on enfin ? Le professeur Charles J. Morris, de la Southern Methodist University, apporte un élément particulier de solution : contrairement à l’opinion courante, avance-t-il à travers une étude fouillée de la question, la loi fédérale américaine n’empêche pas, en l’absence d’un syndicat majoritaire qui représente déjà légalement l’ensemble des salariés d’une unité de négociation, un syndicat minoritaire de conclure une convention collective dont les effets juridiques se limiteront à ses seuls adhérents. Cette pratique avait d’ailleurs cours durant les premières années du Wagner Act. Elle pouvait conduire – ce qui pourrait encore être le cas aujourd’hui – à la venue subséquente d’un syndicat majoritaire dans l’entreprise. Une autre étude favoriserait une législation relative aux entreprises de travail temporaire qui les assujettirait à des obligations similaires à celles qui incombent aux syndicats s’adonnant au placement. Une dernière suggestion : l’activisme de l’actionnariat relié à des caisses de retraite pour inculquer des comportements patronaux respectueux des droits des travailleurs.

Malgré tout, un certain pessimisme demeure : « […] on the 70th anniversary of the signing of the National Labor Relations Act on July 5, 1935, our system of laws designed to facilitate worker self-organization and access to collective bargaining is badly broken » (p. 13). Une large concertation des mouvements sympathiques aux droits des travailleurs serait nécessaire pour renverser la vapeur ! Il y va, se rappelle-t-on, d’un choix de valeurs sociétales.

L’ensemble de ces études plutôt variées ainsi rassemblées par un même fil conducteur présente, à l’avantage particulier d’un lecteur canadien, une vision bien contemporaine de la portée réduite, dans les faits, de la liberté syndicale en contexte américain. Même si des disparités existent entre la législation américaine et les lois canadiennes régissant les rapports collectifs du travail, de même que, surtout, entre leur contexte d’application, l’expérience américaine met en relief l’impact négatif de certains traits du traitement juridique de la liberté syndicale sur le plan national. Il en est ainsi d’une façon fort actuelle, par exemple, de l’exclusion de la prise en compte des adhésions syndicales en tant que moyen pour le N.L.R.B. d’établir la représentation syndicale – certains milieux demandent d’amender la législation applicable au Québec en ce sens –, ou encore, de l’étendue de la liberté d’expression de l’employeur lors d’une phase de syndicalisation de l’entreprise, comme le veut maintenant la jurisprudence ayant cours au Québec.