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Les auteurs de cet ouvrage collectif l’annoncent dès l’introduction, il est le fruit de la collaboration, longue de dix ans d’ailleurs, de deux groupes de chercheurs en histoire sociale, l’un de l’Université de Moncton, et l’autre de l’Université de Poitiers. Le présent recueil provient d’un colloque, auquel les deux groupes participaient, en août 2000 à l’Université de Moncton, autour du thème : Territoire et identité. Approche comparative Centre-Ouest français et Acadie.

Le livre se divise en deux parties, la première traitant de « territoires et identités » et la seconde, « d’identités culturelles ». La plupart des textes de la première partie ont comme thème un aspect ou l’autre de la réalité historique du Centre-Ouest français, sauf les deux premiers textes sur l’Acadie, dont un, celui de Jacques-Paul Couturier sur les identités madawaskayenne et acadienne, est déjà paru ailleurs (dans la RHAF). La seconde section est davantage consacrée à l’Acadie, à l’exception encore ici de deux textes concernant la région du Poitou.

Certains de ces textes alimentent la réflexion sur les manières dont peuvent s’articuler territorialité et identité à partir d’expériences historiques particulières. Je pense à l’article de Dominique Guillemet, mort récemment et à qui l’ouvrage est dédié, portant sur les « identités emboîtées » du Centre-Ouest français, qui tente de comprendre l’identité régionale à partir de la façon qu’ont ses parties, la ville, le pays, le quartier, la province, de se structurer entre elles. Ici le texte, à partir d’un cas bien particulier, informe le lecteur d’une réalité plus complexe qu’elle n’y paraît en premier lieu. Le texte de Frédéric Chauveau est de la même veine ; travaillant à éclaircir l’identité paysanne de la fin du XIXe siècle en France, il cherche à aller au-delà des simples représentations et à voir comment se construit cette identité à même les conflits symboliques et surtout politiques qui animent ces gens.

Il faut le dire, l’ouvrage est d’intérêt inégal, et cela est probablement dû à son manque de cohérence. En fait, le lecteur comme les auteurs auraient gagné à avoir en introduction un texte de développement théorique sur l’utilisation des concepts de territorialité et d’identité, ici vague et variable (lorsque présente !) selon les auteurs. Ce sont là des concepts qui, adoptés sans appui théorique aucun, perdent beaucoup de leurs significations. Au lieu, on passe de sujets variant de l’analyse de contenu de journaux, des colonies de pêches à la paysannerie du Poitou. On cherche parfois le lien entre certains de ces textes et « les territoires de l’identité ». Si le portrait d’ensemble est inégal, certains textes ressortent du lot par leur qualité, notamment ceux de Jacques-Paul Couturier, de Nicole Lang (sur le syndicalisme universitaire acadien), de Frédéric Chauveau, de Fabrice Vigier (l’identité religieuse du Centre-Ouest français aux XVIIIe et XIXe siècles) et de Dominique Guillemet.

Si le collectif est inégal, c’est aussi peut-être parce qu’il est incomplet. Incomplet selon la perspective comparative que s’était donnée les auteurs au départ. On considère les réalités acadiennes et françaises isolément, sans jamais établir de liens ou de comparaisons véritables entre les deux. Pourtant, certaines réalités françaises ressemblent beaucoup à certains moments de l’histoire acadienne (je pense particulièrement au texte de Chauveau, mais à d’autres aussi), et la comparaison aurait été sans doute enrichissante.

Le caractère vague des concepts soulève par contre d’autres thèmes. La religion est de ceux-là ; dans la première partie de l’ouvrage, celle où l’on traite davantage de la France du Centre-Ouest, la question religieuse surgit de chacun des textes. On y constate l’importance de l’expérience religieuse dans le processus d’inscription de l’identité dans l’espace. On aurait facilement pu y consacrer une section. Puisque c’est un thème qui surgit un peu « par défaut », on ne peut s’attendre à le retrouver partout dans l’ouvrage, et on ne l’y retrouve pas. Cela met aussi en évidence les complexes de la plupart des historiens acadiens contemporains, qui évitent le fait religieux comme la peste (et pas seulement dans cet ouvrage), contrairement aux historiens français.

S’il faut voir cet ouvrage s’inscrire dans la lignée d’autres collectifs émanant de l’histoire sociale acadienne, le manque de cohérence de celui-ci fait en sorte qu’il n’arrive pas au seuil d’autres publications, de haute qualité, par exemple Économie et société en Acadie, 1850-1950, dirigée en 1996 par Couturier et Phyllis Leblanc.

Cet ouvrage peut en apprendre beaucoup au lecteur, ce qui n’est pas la moindre des choses, sur plusieurs sujets, réalités et événements particuliers de la France du Centre-Ouest et de l’Acadie des XVIIIe et XIXe siècles. Plusieurs de ces textes constituent d’importantes contributions à maints champs de recherche. Malheureusement, ce qu’il y a de meilleur à retenir de cet ouvrage ne concerne que partiellement l’identité et le territoire.