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Comment fonctionne concrètement l’Organisation des Nations Unies ? Comment gérer les différents intérêts des 191 États souverains qui la composent, sans compter les innombrables ong, les divers services du Secrétariat général et les lobbyistes internationaux et comment trouver des solutions efficaces à la myriade de problèmes auxquels l’Organisation est confrontée chaque jour ? L’ouvrage de Courtney Smith tente de répondre à ces questions et propose une photographie originale de la dynamique opératoire entre acteurs et structures. Emportant le lecteur dans une « danse globale » au sein des bureaux centraux à New York, l’auteur, professeur à Seton Hall University, opère une description précise des membres de la troupe et détaille les procédures complexes qui régulent les mouvements de la danse. Et surtout il pose la question essentielle, que chacun s’est un jour posé et se posera, à savoir est-ce que les décisions prises au sein de l’onu sont réellement pertinentes face aux problèmes de notre monde ?

L’ouvrage est divisé en deux grandes parties. D’abord une analyse des différents acteurs impliqués dans la prise de décision, puis une recherche approfondie sur les procédures et les cheminements utilisés par ces acteurs pour influencer les votes ultimes et ainsi renforcer leur poids politique. La première partie donc, divisée en cinq chapitres, rappelle que les études réalisées sur les Nations Unies ont souvent identifié neuf participants distincts dans les processus de décisions : les représentants des États membres, les représentants des groupes d’États organisés en blocs d’intérêts communs, les représentants d’autres organisations internationales, le bureau exécutif de l’Organisation, les membres du personnel, les représentants des organisations non gouvernementales, les lobbies d’intérêts privés, les représentants des grandes sociétés multinationales et les médias.

Les États membres constituent évidemment les acteurs les plus importants mais leur poids varie énormément en fonction de leur vote au sein du Secrétariat général et de leur contribution financière. Le chapitre 2 montre ainsi combien les États utilisent leur influence pour faire adopter des résolutions proches de leurs intérêts nationaux. Smith insiste sur la difficulté des représentants de ces États à combiner une certaine autonomie et le fait de devoir rendre des comptes auprès de leur gouvernement respectif. Le chapitre 3 fait le point sur la façon dont les différents acteurs agissent, mais l’auteur distingue de façon originale trois dimensions de groupes politiques. La première dimension concerne les cinq grandes zones géographiques représentées par des groupes régionaux qui négocient au préalable et qui parleront en leur nom. La deuxième dimension rassemble des pays qui ont des intérêts économiques communs ponctuels (par exemple le Groupe des 77). La troisième enfin est relativement petite et consiste en de petits groupes d’intérêts utilisés pour résoudre des crises ponctuelles lorsque des groupes plus larges se trouvent dans l’impasse. Le chapitre 4 se penche sur la structure interne de l’onu, notamment sur son personnel et son exécutif. Les mécanismes de pouvoir et de prise de décision y sont disséqués sans concession. Smith insiste aussi sur le rôle important de la personnalité du Secrétaire général dans l’image de l’Organisation. Le chapitre 5 étudie plus particulièrement le rôle de la société civile et du secteur privé. Depuis la création des Nations Unies, le rôle et l’influence des ong n’ont en effet jamais cessé de s’étendre.

La deuxième partie de l’ouvrage se détourne des acteurs eux-mêmes pour se focaliser sur les procédures qui animent leurs prises de décision. Les structures de l’Assemblée générale et des différents groupes qui s’y rattachent sont examinés (chap. 6) et les différents forums existants (notamment les Conférences globales) explicités. Chaque forum tente ainsi d’établir un équilibre entre une large participation d’acteurs aux intérêts divergents et le souci de l’efficacité de ses conclusions finales. Le chapitre 8 porte sur les processus informels qui opèrent à l’intérieur de la mécanique de décision. La plupart des ouvrages sur les Nations Unies soulignent que 95 % des décisions au sein de l’Organisation se font par des échanges informels entre différentes parties prenantes. Smith ne remet pas en cause cette idée mais l’affine en soulignant les dynamiques propres liées aux étapes des négociations internes. La partie conclusive (chap. 8) se concentre sur la façon dont les acteurs jouent de leur influence et mesurent leur niveau de puissance de ralliement. C’est sans doute la partie la plus intéressante de l’ouvrage qui, dans l’ensemble, n’apporte rien de vraiment nouveau. On entre alors dans le jeu subtil de la diplomatie et des rapports de force dans le cadre des relations internationales : tous les participants impliqués dans une négociation doivent jouer la prudence, car les alliés du jour peuvent devenir les adversaires de demain dans une autre négociation.

En conclusion l’auteur s’interroge : est-ce que les prises de décision au sein des Nations Unies importent vraiment ? Beaucoup d’observateurs en doutent et soulignent le décalage souvent important entre prise de décision et réelle mise en oeuvre des programmes, entre mesures coercitives et recommandations peu suivies. Mais les Nations Unies ne sont pas une fin en soi mais plutôt un instrument pour atteindre des objectifs communs. Sa force et son efficacité dépendent largement du soutien des États pour mettre en oeuvre ses programmes. Ceci ne sous-entend pas forcément l’atteinte d’un consensus général sur tous les sujets, mais d’accepter des règles du jeu visant à concilier des intérêts nationaux égoïstes à des intérêts universels. L’ouvrage de Courtney Smith est un compagnon idéal pour toute étude sur l’Organisation : il offre au lecteur quelques clefs importantes pour comprendre les processus de décision internes menant au vote d’une résolution. Il s’agit d’un ouvrage de qualité qui, en cette période d’unilatérisme américain, peut certainement contribuer à alimenter les discussions sur la pertinence du multilatérisme et des Nations Unies.