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Très peu d’ouvrages s’intéressent à la mode canadienne. Le défi relevé par Alexandra Palmer est d’autant plus louable que le sujet est abordé sous plusieurs aspects. Que ce soit dans les contextes économique, social et culturel, ou sous l’angle de la haute couture et de la production de masse, ou de l’impact de sa diffusion dans les médias, la mode est étudiée en regard de la spécificité canadienne. Quinze auteurs ont apporté leur contribution à la rédaction de cet ouvrage divisé en quatre parties. Les essais, très documentés, dressent un large portrait du secteur de la mode et apportent un nouvel éclairage sur son développement au Canada.

Trois textes de la première partie démontrent comment certaines tenues vestimentaires de la seconde moitié du xixe siècle sont liées à l’expression de l’identité nationale, féminine ou masculine. Eileen Stack retrace l’histoire du manteau en couverture de laine (blanket coat) adopté par les raquetteurs qui en ont fait un objet de prestige. Ce manteau qui tire ses origines de la capote portée autant par les marins français, les tribus des Premières Nations, les militaires que les paysans canadiens-français est devenu au fil du temps un symbole de l’appartenance anglo-saxonne des Canadiens. Cynthia Cooper analyse l’expression de l’identité masculine et féminine dans les tenues de bals costumés. Si c’est une occasion de transcender les limites imposées par la mode, elle démontre que les règles de la moralité doivent aussi être respectées. Jan Noël s’attarde aux liens entre le vêtement et l’identité culturelle à partir des tenues vestimentaires portées par trois Montréalais d’origine différente. L’Écossais John Redpath, le Français Claude de Ramezay et le Canadien français Louis-Joseph Papineau expriment chacun à leur façon leur masculinité à travers des vêtements qui font référence à leur identité première. Par contre, ces chapitres ne permettent pas de généraliser à l’ensemble de la population, étant donné que ce sont des cas particuliers et isolés. Si ces trois textes s’avèrent très intéressants, le lecteur reste sur son appétit puisque la majorité des exemples cités concernent le milieu anglophone. Il est dommage que la comparaison des symboles identitaires de deux peuples qui se côtoient n’ait pas été faite de façon plus globale.

Dans le dernier texte de cette partie, Alexandra Palmer relate les difficultés rencontrées par l’Association des couturiers canadiens au milieu du xxe siècle pour se faire reconnaître sur la scène internationale même si beaucoup d’efforts furent entrepris. Plusieurs facteurs comme, entre autres, l’émergence du prêt-à-porter et le peu de ressources en matières premières disponibles ici, n’ont pas aidé les créateurs de mode à arriver à se distancier de l’influence européenne pour concevoir des collections représentatives de notre identité tout en étant commerciales.

Quatre textes de la deuxième partie sont consacrés aux méthodes de fabrication et au fonctionnement d’industries du secteur de la mode. Tout d’abord, Christina Bates trace un portrait assez complet de l’évolution de la fabrication des chapeaux de 1870 à 1930 en Ontario. En plus de donner des précisions sur les différents styles et des détails sur la confection, elle réussit à bien illustrer les changements imposés lors du passage de la fabrication manuelle à la fabrication industrielle autant dans les méthodes de travail que dans les formes et le design.

Deux auteurs examinent de plus près les débuts de la machine à coudre dans l’industrie des vêtements féminins. Si Larocque fait ressortir, avec statistiques à l’appui, les caractéristiques et l’apport des femmes dans les entreprises du vêtement à St. John en 1871, MacKay démontre comment la productivité dans les usines de Halifax a été améliorée par ce changement de technologie. Les ajustements au niveau de la structure des entreprises ont nécessité l’instauration de mesures pour assurer de meilleures conditions de travail étant donné le grand nombre d’employés féminins. Toutefois, le choix des Maritimes pour cette étude est un peu restrictif puisque très peu de vêtements féminins y étaient produits, comparativement à l’ensemble du Canada, ce qui donne un aperçu partiel de la situation générale.

Dans son essai, Gail Cariou dresse un portrait du fonctionnement de la compagnie de vêtements masculins Gibb à Montréal, des méthodes de travail, des politiques de rémunération des employés et des méthodes de fabrication. L’étude est limitée à cette compagnie, mais permet de voir l’évolution d’une entreprise familiale à travers plusieurs générations. L’entreprise ayant fermé ses portes en 1968, le chapitre couvre aussi une période plus contemporaine soit une grande partie du xxe siècle.

Elizabeth Sifton décrit, dans le dernier article de cette section, comment s’est effectué le déplacement du centre de la mode du Vieux Montréal à la rue Sainte-Catherine. La construction des grands magasins avec une architecture moderne, l’attention apportée à l’aménagement intérieur, les promotions les plus attirantes les unes que les autres, la publicité, les vêtements provenant des maisons de couture française, les défilés de mode sont autant d’éléments qui ont séduit la clientèle. Ce texte complète la partie dédiée à la production et à la commercialisation des vêtements.

Dans la troisième section, Barbara E. Kelcey analyse les changements survenus dans le vestiaire féminin au tournant du xxe siècle. Une vie plus active de la part des femmes ainsi que le début de la pratique des sports de loisirs comme la bicyclette ont contribué à la simplification des tenues vestimentaires. Entre autres, elle s’attarde au corset remplacé par des sous-vêtements plus souples et aux premières tentatives du port du pantalon pour les femmes. Elle précise comment ce dernier a provoqué un tollé parmi la population. Si le pantalon pour la femme a été toléré et porté seulement pour la pratique des sports, c’est au cours de la Deuxième Guerre mondiale qu’il sera adopté pour le travail en usine comme le mentionne Susan Turnbull Caton. Elle s’est servie du magazine Châtelaine, seulement en anglais avant 1960, afin d’analyser à travers les publicités l’évolution de la mode féminine de 1939 à 1945. En se basant sur les composantes de la mode : couleur, détail, silhouette et texture, elle a pu constater que même en période de restrictions, on a usé de subterfuges et on a réussi à créer de nouveaux modèles. L’analyse est bien conduite et pourrait servir de grille pour scruter d’autres périodes. Enfin, l’auteure Lydia Ferrabbe Sharman raconte la contribution de Jane Harris dans le milieu de la mode montréalaise. Émigrée d’Angleterre, elle dirige un salon de couture de 1941 à 1961 et recrute sa clientèle surtout dans la communauté anglophone. Ce texte est le fruit de nombreuses rencontres entre l’auteure et cette femme, et nous fait découvrir une facette souvent ignorée de la personnalité d’un designer de mode. Les textes de cette partie mettent en relation mode et société et comment l’une et l’autre s’influencent mutuellement.

La dernière partie analyse plus particulièrement comment la mode peut être tributaire des écrits journalistiques, des émissions de télévision et des annonces publicitaires. Deux périodes et deux approches sont mises en parallèle soit la fin du xixe siècle avec les écrits journalistiques et la fin du xxe siècle avec l’influence de la télévision. Si, dans le premier cas, Freeman mentionne que les commentaires donnés par les femmes journalistes étaient largement influencés par les dirigeants ainsi que les publicités mises dans leurs journaux respectifs, cent ans plus tard, c’est l’influence de Jane Baker par le biais de son émission de télévision qui aura un impact sur la mode et sur les écrits journalistiques. Deborah Fulsang ajoute que le public étant mieux informé et plus critique face à la mode incite les journalistes à donner des commentaires qui rehaussent le débat sur le sujet. Enfin, Katherine Bosnitch explique que les annonces de Eaton publiées dans les journaux au cours des décennies 1950 et 1960 étaient le résultat d’une recherche minutieuse orchestrée par une équipe de travail hors pair dont le sens artistique poussé a contribué à l’image prestigieuse de ce magasin.

Tout compte fait, les textes de ce volume sont le fruit d’une grande recherche. S’ils sont bien documentés et piquent notre curiosité, ils laissent un peu perplexe. Étant souvent très spécialisés et s’appuyant sur des détails techniques, ils s’adressent à un lecteur qui s’intéresse particulièrement au secteur de la mode plutôt qu’à un lecteur profane. L’ensemble des textes trop disparates ne permet pas d’avoir un perspective juste de la mode canadienne. Par contre, il faut tenir compte que ce recueil de textes ne prétend pas faire l’étude de la mode dans son ensemble. De plus, l’approche choisie rejoint davantage ce qui s’est passé dans le milieu anglophone. Or les francophones ont été des joueurs importants dans l’évolution de la mode au Canada, il est donc dommage qu’on en ait peu tenu compte. Néanmoins, ce livre doit être apprécié pour sa juste valeur et sera très utile entre autres aux historiens et aux chercheurs qui voudront exploiter d’autres avenues et faire en sorte qu’un jour on puisse dresser un portrait global de la mode canadienne.