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1. Introduction

La furonculose est une des principales causes de mortalité des salmonidés d’élevage (STOSKOPF, 1992). Cette maladie systémique, causée par la bactérie à Gram négatif Aeromonas salmonicida, peut se présenter sous formes aigue et chronique. La première forme se traduit par une septicémie, visible par des signes d’hémorragies cutanées et au niveau des organes internes. La forme aigue engendre des taux importants de mortalité en l’espace de quelques jours. La seconde forme, dite chronique, est caractérisée par l’apparition de lésions sous-cutanées et cause moins de mortalité mais rend le poisson impropre à la commercialisation (AUSTIN et AUSTIN, 1987; UHLAND et al., 2000).

Bien connu de l’industrie piscicole, A. salmonicida est responsable de pertes économiques importantes et pose problème en Amérique du Nord, au Japon et en Europe (FRDC, 1995). De même, ORTEGA et al. (1995) ont démontré clairement que non seulement A. salmonicida était le pathogène le plus retrouvé dans les élevages de salmonidés, mais aussi chez les poissons des plans d’eau à proximité (en aval et en amont) des piscicultures.

La furonculose est généralement traitée par antibiothérapie. Au Canada, quatre agents antibactériens sont approuvés pour le traitement de la furonculose en aquaculture par le Canadian Animal Health Institute (CAHI, 2001) : le florfenicol (antibiotique à large spectre, de la famille du chloramphénicol, qui inhibe l’activité de l’acétyl transférase), le sulfadimethoxine-ormetoprim (antibiotique à large spectre, de la famille des sulfonamides, composé de sulfadimethoxine et d’ormetoprim dans un rapport de 5 pour 1, qui inhibe la sythèse des acides foliques), le sulfadiazine-trimethoprim (antibiotique à large spectre, aussi de la famille des sulfonamides, composé de sulfadiazine et de trimethoprim dans un rapport de 5 pour 1, qui inhibe la sythèse des acides foliques) et l’oxytétracycline (antibiotique à large spectre, de la famille des tétracyclines, qui inhibe la fixation de l’amino-acyl-T-RNA). Ces antibiotiques sont utilisés seuls ou en consortium selon le vétérinaire traitant et l’historique de la ferme.

Des résistances aux antibiotiques ont toutefois été régulièrement répertoriées dans les laboratoires d’ichtyopathologie. C’est notamment le cas du sulfadimethoxine-ormetoprim, commercialisé au Canada sous le nom de Romet‑30® (Alpharma Canada Corporation, Mississauga Ontario). Cet antibiotique agit dans le sentier métabolique de l’acide folique impliqué dans la synthèse de l’ADN des procaryotes. Les premières souches de A. salmonicida résistantes à un agent antibactérien de la famille des sulfonamides ont été décrites dès la fin des années 1950. Dans la seconde moitié des années 1990, des pisciculteurs ont également noté l’inefficacité du Romet‑30® pour le traitement de la furonculose (USGS, 1997).

Au Japon, plusieurs plasmides de résistance à divers antibiotiques ont été retrouvés parmi la flore bactérienne de poissons d’élevage (HAYASHI et al., 1982). Une proportion de 7,7 % des souches isolées parmi la flore intestinale de truites arc-en-ciel étaient résistantes à l’oxytétracycline, 1,4 % au chloramphénicol, 0,2 % à la streptomycine, 78,7 % aux aminobenzylpénicillines (ampicilline, amoxicilline, bacampicilline, hétacilline, pivampicilline et talampicilline), 40,8 % à la sulfanilamide et 3,0 % à la kanamycine. Dans cette étude japonaise, les proportions de résistance aux mêmes antibiotiques pour des bactéries isolées de l’eau des bassins où ont été prélevés les poissons étaient de 1,4 %, 2,8 %, 1,2 %, 15,6 %, 5,5 % et 4,4 % respectivement.

Au cours des dernières décennies, les problèmes de résistances bactériennes aux antibiotiques ont conduit les chercheurs à explorer d’autres avenues de lutte contre les infections bactériennes chez les animaux. Ainsi, au cours des dernières années, le potentiel curatif des bactériophages a été exploré avec intérêt (SMITH et al., 1987; SOOTHILL, 1992, 1994; MERRILL et al., 1996). Dans ce contexte, PARK et NAKAI (2003) ont testé l’utilisation de bactériophages pour guérir des poissons d’une infection bactérienne.

Contrairement à cette approche curative, les recherches menées dans notre laboratoire ont plutôt visé à utiliser les bactériophages pour contrôler les populations de A. salmonicida et, ainsi, prévenir l’apparition de la furonculose chez les salmonidés d’élevage. Dans une étude récente (IMBEAULT et al., 2006), 100 % des ombles de fontaine (Salvelinus fontinalis) mis en présence de la bactérie A. salmonicida HER 1107 ont été atteints de furonculose et sont morts suite aux lésions causées par le pathogène après 20 jours de contact permanent avec la bactérie. Par contre, les poissons exposés à A. salmonicida HER 1107 et au bactériophage 65 n’ont montré des signes d’infection qu’après 25 à 27 jours. La même étude a également démontré que la viabilité des ombles de fontaine et la pathogénicité des souches de A. salmonicida résistantes au bactériophage 65 pouvaient être affectées par l’acquisition d’un mécanisme de résistance.

La présente étude a eu pour but de tester la sensibilité de diverses souches de A. salmonicida en présence de différents bactériophages. À cet effet, 19 souches de A. salmonicida comprenant des souches non résistantes et des souches résistantes à un, deux ou trois antibiotiques, ont été soumises aux infections par douze bactériophages.

2. Matériel et méthodes

2.1. Microorganismes

Un total de 12 bactériophages portant les numéros de code HER 84, HER 85, HER 98, HER 99, HER 100, HER 104, HER 105, HER 106, HER 107, HER 108, HER 109 et HER 110 ont été utilisés lors de cette étude (Tableau 1). Ces bactériophages proviennent du Centre de référence Félix d’Hérelle (Faculté de Médecine, Université Laval, Québec, Canada). Ce sont des virus caudés que ACKERMANN et al. (1985) et ACKERMANN et DUBOW (1987) ont classé dans la famille des Myoviridae malgré leurs caractéristiques morphologiques (taille, forme, nombre de spicules, etc.) différentes. Chacun des 12 bactériophages a été cultivé à l’aide des souches de A. salmonicida de la colonne « Numéro de souche » du tableau 1.

Tableau 1

Identification et origine des bactériophages du Centre de Référence pour bactériophages Félix d’Hérelle.

Identification and origin of bacteriophages provided by the Felix d’Hérelle Bacteriophages Reference Centre.

Numéro de phage

Nom

Numéro de souche

Genre

Espèce

Morphotype

Référence

Origine

HER 84

3

1084

 

37

A1

Popoff et Vieu (1970)

Eaux usées, France

HER 85

25

1085

Similaire à T4

25

A2

Popoff et Vieu (1970)

Eau de ferme piscicole, France

HER 98

44RR2.8t

1098

Similaire à T4

40RR2.8t

A2

Paterson (1968)

Bassin d’élevage de truite, Canada

HER 99

Asp37

1098

 

37

A1

Paterson (1968)

Bassin d’élevage de truite, Canada

HER 100

59.1

1098

 

59.1

A1

Paterson (1968)

Boues d’étang, Canada

HER 104

29

1108

 

29

A1

Popoff et Vieu (1970)

Eau de ferme piscicole, France

HER 105

31

1084

Similaire à T4

31

A2

Popoff et Vieu (1970)

Eau de ferme piscicole, France

HER 106

32

1104

 

37

A1

Popoff et Vieu (1970)

Eau de lac, France

HER 107

43

1107

Similaire à P1

43

A1

Popoff et Vieu (1970)

Spontané de A. salmonicida HER1041

HER 108

51

1108

 

51

A1

Popoff et Vieu (1970)

Bassin d’élevage de truite, France

HER 109

56

1084

 

51

A1

Popoff et Vieu (1970)

Eau de lac, France

HER 110

65

1110

Similaire à T4

65

A2

Popoff et Vieu (1970)

Eau de rivière, France

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Un total de 19 souches bactériennes ont été utilisées lors des essais. Ces souches ont été prélevées sur des poissons présentant des signes de furonculose. Elles ont été obtenues grâce au Laboratoire de bactériologie de la Faculté de médecine vétérinaire, à l’Université de Montréal (Saint-Hyacinthe, Québec, Canada). Une colonie isolée de chaque souche a été déposée dans des tubes contenant 10 mL de bouillon de culture Tryptic Soy Broth (TSB, Difco), puis les tubes ont été incubés à la température de la pièce pour une durée de 24 h.

Les souches bactériennes utilisées présentaient des résistances variables envers les antibiotiques (Tableau 2). Provenant de divers milieux, elles ont été en contact avec des antibiotiques différents et soumises à des conditions variées. Ces résistances ont été observées suite aux tests antibiogrammes effectués par le personnel du Laboratoire de bactériologie de la Faculté de médecine vétérinaire à l’Université de Montréal (Saint-Hyacinthe, Québec, Canada) tel qu’il est décrit au point 1.2. Les souches numérotées 4 et 9 présentaient des résistances limites (une partie des cellules cultivées et mises en présence de l’antibiotique démontrait une sensibilité significative mais insuffisamment marquée pour conclure, selon les standards établis par Alderman et Smith (2001) qu’il s’agissait d’une résistance complète) ou complètes aux trois antibiotiques. Les souches numérotées 3, 7, 10, 11, 13, 15, 16, 17, 20 et 21 ne présentaient aucune résistance aux antibiotiques utilisés en aquaculture. Elles ont servi de souches contrôles.

Tableau 2

Identification des souches d’Aeromonas salmonicida du laboratoire de bactériologie de l’Université de Montréal.

Identification of Aeromonas salmonicida strains from the Bacteriology Laboratory of the Université de Montréal.

Souche bactérienne

Antibiogramme *

Florfénicol

Oxytétracycline

Sulfadimethoxine-ormetoprim

UM 1

L

L

S

UM 3

S

S

S

UM 4

R

L

R

UM 5

S

R

R

UM 6

R

R

S

UM 7

S

S

S

UM 8

S

R

R

UM 9

L

L

R

UM 10

S

S

S

UM 11

S

S

S

UM 12

S

R

R

UM 13

S

S

S

UM 14

S

R

S

UM 15

S

S

S

UM 16

S

S

S

UM 17

S

S

S

UM 19

R

R

S

UM 20

S

S

S

UM 21

S

S

S

* L : Limite, R : Résistance, S : Sensible.

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2.2. Antibiogrammes

Une suspension bactérienne de chaque souche a été préparée dans une solution saline stérile 0,9 % à partir d’une culture de 24 h de A. salmonicida cultivée sur gélose sang (Columbia + 5 % de sang de mouton), à une densité optique finale de 0,5 McFarland au néphélomètre. Un dénombrement des cellules viables a été effectué préalablement afin de s’assurer que cette valeur de 0,5 McFarland correspondait à 1 x 108 unités formatrices de colonies (UFC)/mL. Un tampon stérile de prélèvement a été utilisé afin d’étendre la suspension sur le milieu de culture (Mueller-Hinton, en boîtes de Pétri de 9 cm). Les disques contenant les antibiotiques ont été placés sur le tapis bactérien à l’aide de pinces stériles à raison de trois disques par boîte. Le florfénicol (30 µg/L), l’oxytétracycline (30 µg/L) et le sulfadimethoxine (23,8 µg/L)-ormetoprim (1,2 µg/L) ont été testés sur chacune des souches du tableau 2.

Les boîtes de Pétri ont été incubées à 22 ± 1 oC pendant 48 h en présence d’oxygène. Les zones d’inhibition de la croissance bactérienne ont été mesurées après 24 h et 48 h. Leur interprétation a été effectuée d’après les recommandations de ALDERMAN et SMITH (2001).

2.3. Lyse bactérienne

Dans un premier temps, un milieu gélosé Tryptic Soy Agar (TSA, Difco) a été séparé en douze espaces numérotés, en prévision d’y déposer une goutte d’une suspension de chacun des bactériophages à l’étude. Un tapis bactérien de chacune des souches du tableau 1 a été produit à partir de 3 mL des bouillons de culture TSB étalés sur un milieu de culture TSA préalablement identifié. Les boîtes de Pétri ont été laissées dans un champ stérile à la température ambiante durant 15 à 30 min, couvercle mi-clos. Dans chaque espace, une goutte de suspension d’un des 10 bactériophages (108 à 109 unités formatrices de plages (UFP)/mL) a été déposée. Les milieux de culture ont été incubés à la température de la pièce et les observations faites aux temps 24 et 48 h. Ces essais ont été répétés en triplicata.

3. Résultats

3.1. Sensibilité générale des souches bactériennes aux bactériophages

Les résultats des tests de sensibilité des 19 souches bactériennes de A. salmonicida vis-à-vis des 12 bactériophages sont présentés dans le tableau 3. Les résultats montrent que, de manière générale, les souches bactériennes de A. salmonicida sont particulièrement sensibles aux bactériophages testés. Ainsi, un total de 13 souches sur 19 souches bactériennes ont été lysées par les 12 bactériophages, alors que les souches les plus résistantes (UM 1, UM 3 et UM 10) ont été lysées par 7 ou 8 bactériophages. Les 19 souches de A. salmonicida utilisées dans cette étude ont montré une moyenne de sensibilité aux bactériophages de 93 ± 14 % (moyenne de lyse de 11,1/12 phages).

Tableau 3

Profil de lyse bactérienne des différentes souches Aeromonas salmonicida L : Lyse; Lf : Lyse faible avec plages minuscules (≈ 0,1 mm diamètre); Lm : Lyse marbrée avec plages de tailles normales (≈ 1 mm de diamètre) entremêlées de zones voilées; L++ : Lyse complète de la taille de la goutte déposée; L+++ : Lyse complète de la taille de la goutte déposée sans croissance de cellules résistantes après 48 h; x : absence de lyse.

Bacterial lysis pattern of the different Aeromonas salmonicida strains. L: Lysis; Lf: Weak lysis with small zones (≈ 0.1 mm diameter); Lm: Marbled lysis with medium-size zones (≈ 1 mm diameter) including veiled zones; L++: Complete lysis; L+++: Complete lysis without growth of resistant cells after 48 h incubation; x: No lysis.

Souche bactérienne

Bactériophage

HER

84

HER

85

HER

98

HER

99

HER

100

HER

104

HER

105

HER

106

HER

107

HER

108

HER

109

HER

110

UM 1

L

L

L

x

x

L

L

x

x

L++

L

L

UM 3*

L

x

L

x

x

L

L

x

x

L

L

L

UM 4

L

L

L

L

L

L

L++

L

L

L

L

L+++

UM 5

L

Lm

L

L

Lf

L

L

Lm

L

L

L

L

UM 6

L

Lm

L

L

L

L

L

Lf

L

L

L

L

UM 7*

L

L

L

L

Lf

L

L

L

L

L

L+++

L

UM 8

L

L

L

L

Lf

L

L

L

L

L

L+++

L

UM 9

Lf

L

L

Lf

L

Lm

L

L

L

L

L

L

UM 10*

x

L

L

Lf

x

L

Lf

x

x

Lf

L

L

UM 11*

L

L

L

Lf

L

L

L

L

L

L

L

L

UM 12

L

Lm

L

L

Lf

L

L

Lm

L

L

L

L

UM 13*

Lf

L

L

Lf

x

L

Lf

L

L

L

L

L

UM 14

L

L

L

L

L

Lm

L

L

L

L

L

L

UM 15*

L

L

L

L

L

L

L

L

L

L

L

L

UM 16*

Lmf

L

L

L

Lf

L

Lf

L

L

L

L

L

UM 17*

Lf

L

L

L

L

L

L

L

L

L

L

x

UM 19

L

L

L

x

x

L

L

L

L++

L++

L++

L++

UM 20*

L

Lm

L

L

L

L

L+++

Lf

L

L+++

L

L

UM 21*

L

L

L

L

L

L

L

L

L

L

L

L

* Souches sans résistance aux trois antibiotiques

-> Voir la liste des tableaux

3.2. Sensibilité aux bactériophages des souches sensibles et résistantes aux antibiotiques

Les souches contrôles (UM 3, UM 7, UM 10, UM 11, UM 13, UM 15, UM 16, UM 17, UM 20 et UM 21) sensibles à tous les antibiotiques, n’ont pas démontré une sensibilité différente aux bactériophages que les souches résistantes. Ainsi, 6 des 10 souches contrôles ont été lysées par tous les bactériophages, alors que 7 des 9 souches résistantes aux antibiotiques ont été lysées par les 12 phages testés. De plus, les 10 souches contrôles ont présenté une moyenne de sensibilité aux bactériophages de 91 ± 15 % (moyenne de lyse de 10,9/12 phages), alors que les 9 souches résistantes aux antibiotiques ont montré une sensibilité moyenne aux bactériophages de 94 ± 12 % (moyenne de lyse de 11,3/12 phages).

Il faut souligner que les souches bactériennes présentant la meilleure résistance aux antibiotiques, soit les souches UM 4, UM 5, UM 6, UM 9 et UM 12, sont sensibles à tous les bactériophages, alors que la souche UM 19 qui est également en mesure de résister à la florfénicol et à l’oxytétracycline, est lysée par 10 des 12 bactériophages testés.

3.3. Sensibilité des souches bactériennes aux bactériophages

La souche UM 4, présentant une sensibilité limite à l’oxytétracycline et une résistance au florfénicol et au sulfadimethoxine-ormetoprim, a été lysée par les 12 bactériophages étudiés. De même, la souche UM 9, présentant une sensibilité limite au florfénicol et à l’oxytétracycline et une résistance au sulfadimethoxine-ormetoprim, a aussi été lysée par les 12 bactériophages.

Les souches UM 5, UM 8 et UM 12 sensibles au florfénicol et résistantes à l’oxytétracycline et au sulfadimethoxine-ormetoprim ont également été lysées par tous les bactériophages. Les souches UM 5 et UM 12 présentent le même profil de lyse cellulaire et ont été plus faiblement touchées par les bactériophages HER 85, HER 100 et HER 106. Malgré ces similitudes, ces deux souches ont été isolées d’élevages différents. La souche UM 8 a été plus faiblement touchée par le bactériophage HER 100 mais une zone de lyse complète a été produite à partir du bactériophage HER 109.

Les souches UM 6 et UM 19 sensibles au sulfadimethoxine-ormetoprim, résistantes au florfénicol et à l’oxytétracycline ont présenté des profils de lyse bactérienne complètement différents. La souche UM 6 a été lysée par tous les bactériophages mais a été plus faiblement touchée par les bactériophages HER 85 et HER 106. La souche UM 19 a été lysée par 10 bactériophages sur 12, mais une zone de lyse complète a été produite à partir des bactériophages HER 107, HER 108, HER 109 et HER 110.

La souche UM 1, ne présentant aucune résistance proprement dite mais une sensibilité limite au florfénicol et à l’oxytétracycline, a été lysée par 8 bactériophages sur 12. Une zone de lyse complète a cependant été produite à partir du bactériophage HER 108.

La souche UM 14, résistante à l’oxytétracycline, a été lysée par tous les bactériophages. Une lyse plus faible a toutefois été produite avec le bactériophage HER 104.

3.4. Efficacité des bactériophages pour la lyse des souches bactériennes

Les résultats présentés au tableau 3 permettent également d’apprécier l’efficacité de chaque bactériophage pour la lyse de 19 souches différentes de A. salmonicida. De manière générale, les bactériophages possèdent une excellente efficacité de lyse bactérienne. Ainsi, les 12 bactériophages ont montré une moyenne d’efficacité de 93 ± 9 %, soit la lyse de 17,7 souches sur les 19 souches bactériennes testées.

Au total, cinq bactériophages (HER 98, HER 104, HER 105, HER 108 et HER 109) ont été capables de lyser toutes les souches bactériennes. D’autre part, les bactériophages HER 84, HER 85 et HER 110 ont lysé 18 des 19 souches testées. La souche d’A. salmonicida insensible a été différente dans chaque cas.

De bons résultats ont également été obtenus avec les bactériophages HER 99, HER 107 et HER 106 avec 16 et 17 souches lysées. Le bactériophage le moins performant, soit HER 100, a tout de même lysé un total de 14 souches bactériennes.

4. Discussion

Cette recherche a permis de montrer qu’il n’y a pas de lien direct entre les résistances aux antibiotiques des souches de A. salmonicida et leur sensibilité aux bactériophages. Ainsi, les souches bactériennes ne présentant aucune résistance aux trois antibiotiques utilisés dans l’industrie piscicole canadienne sont aussi sensibles aux bactériophages que les souches bactériennes résistantes à un ou plusieurs antibiotiques.

Il ne semble pas y avoir de lien non plus entre la viabilité des cellules et le nombre d’antibiotiques auxquels la bactérie résiste. Par exemple, les souches UM 4 et UM 9 résistantes à deux antibiotiques ont été facilement multipliées. Le lien à faire dans ce cas est probablement dans la nature même de la mutation par laquelle la cellule résiste à un antibiotique, donc la structure cellulaire touchée par cette mutation. Les souches UM 4 et UM 9, qui se multiplient aisément malgré la multiplicité des résistances, représentent bien les souches bactériennes que l’on cherche à éliminer dans les bassins d’élevage. Il faudrait toutefois vérifier si le potentiel pathogène, la production de facteur de virulence par exemple, a été affecté dans le processus d’acquisition de résistances aux antibiotiques.

Les bactéries résistantes aux antibiotiques ont toutes été susceptibles à au moins huit bactériophages sur douze. Il est donc envisageable de conceptualiser un traitement préventif à base de bactériophages dans les industries piscicoles canadiennes utilisant des combinaisons d’au moins trois bactériophages et, ainsi, d’éviter le développement de bactéries résistantes aux bactériophages dans les bassins.

PARK et al. (2000) ont étudié l’utilisation de bactériophages pour contrôler la bactérie Pseudomonas plecoglossicida chez le Ayu, Plecoglossus altivelis, un poisson Salmonoïdé de Taiwan. Ils ont obtenu des souches bactériennes de P. plecoglossicida résistantes aux deux bactériophages inoculés (appelés PPpW1 et PPpW2 par les auteurs). Cependant, ces souches se sont avérées moins pathogènes lorsque mises en présence du poisson étudié (LD50 > 104 UFC/poisson pour les bactéries résistantes vs LD50 > 101,2 UFC/poisson pour la souche originale). Plus récemment, PARK et NAKAI (2003) ont démontré que les bactériophages PPpW3 et PPpW4 procuraient une protection accrue lorsqu’ajoutés ensemble dans la nourriture de Plecoglossus altivelis infecté artificiellement par P. plecoglossicida, par rapport à la situation où un seul des deux phages était administré.

La flore bactérienne présente dans les bassins de pisciculture variant d’une ferme à l’autre, des combinaisons spécifiques de bactériophages pourraient être mises au point. Les mélanges pourraient également être modifiés à chaque année afin de diminuer le risque de formation de souches bactériennes résistantes. De plus, la furonculose étant engendrée principalement au printemps et à l’été (ORTEGA et al., 1995), une surveillance accrue durant ces périodes avec utilisation de bactériophages pourrait permettre d’éviter l’utilisation d’antibiotiques ultérieurement. Les bactériophages étant peu coûteux à produire (milieux de culture standards), les principaux frais consisteraient à rémunérer le personnel chargé de l’entretien et du maintien de la banque de bactériophages et des bactéries utilisées pour l’amplification des virus.

De même, des bactériophages pourraient être ajoutés à l’eau de transport des poissons vendus entre pisciculteurs et, ainsi, éviter les contaminations de cette nature. Des consortiums ayant un large spectre pourraient alors être utilisés. Une étude menée par DUBOIS-DARNAUDPEYS (1977) a montré la présence durant toute l’année de bactériophages spécifiques à A. salmonicida dans les sédiments d’une rivière où vivent des salmonidés sauvages. Cette étude a aussi confirmé la présence continue du pathogène malgré le caractère épisodique des infections. Cette étude donne une preuve supplémentaire que l’utilisation de bactériophages comme agent préventif ne représenterait pas l’apport d’un nouvel antagoniste au sein de la pisciculture ou de l’environnement naturel. Les principaux inconvénients de l’utilisation des bactériophages sont possiblement la nécessité d’effectuer des suivis de l’évolution des bactéries de la ferme afin de produire le consortium approprié et la nécessité de varier les bactériophages inoculés afin d’éviter l’apparition de populations bactériennes résistantes.

5. Conclusion

Cette étude a montré que les souches d’Aeromonas salmonicida sont lysées par une proportion élevée (> 90 %) de bactériophages disponibles dans les banques de conservation de microorganismes. Elle a aussi démontré que les souches d’A. salmonicida résistantes aux antibiotiques utilisés dans l’industrie piscicole canadienne sont aussi sensibles à de nombreux bactériophages que les souches sensibles aux antibiotiques. Toutes les souches d’A. salmonicida étudiées sont sensibles à plusieurs bactériophages et, inversement, plusieurs bactériophages sont efficaces contre toutes les souches bactériennes d’A. salmonicida ayant fait l’objet de cette étude.

Les informations tirées de cette recherche permettent d’envisager l’élaboration d’un traitement préventif à base de bactériophages pour lutter contre la furonculose chez les salmonidés d’élevage. Des essais en milieu piscicole devraient être menés afin d’explorer l’avenue de l’utilisation des bactériophages à l’échelle commerciale. Ces essais nécessiteraient toutefois, au préalable, une étude des risques environnementaux éventuels liés à l’introduction de bactériophages dans les fermes d’élevage piscicole.