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Qu’appelle-t-on aujourd’hui une organisation intègre ? Certes le terme peut sembler pompeux mais ce qu’il désigne est devenu la pierre angulaire destinée à lutter contre la corruption dans le secteur privé et le secteur public de nos démocraties modernes. Pour Brown, traiter la notion d’intégrité devient capital aujourd’hui car les entreprises laissent une empreinte qui est plus forte qu’avant non seulement auprès des communautés mais aussi dans l’environnement naturel.

La notion d’intégrité connaît un essor important suite aux scandales et à la corruption découverts en entreprise et mis au grand jour. Abordée au départ en philosophie et en éthique, la notion d’intégrité est maintenant discutée et traitée dans d’autres disciplines telles que l’administration et le management des affaires (business ethics). Le mérite du livre de Brown est de proposer un modèle théorique d’intégrité corporative pouvant s’appliquer dans les organisations. Toutefois, le changement proposé par Brown vers l’intégrité corporative nécessite des changements majeurs dans les structures et dans les processus.

Par une analyse au départ philosophique, l’auteur s’appuie sur plusieurs études scientifiques qui font référence en la matière. Ces études proviennent en partie du monde managérial et des sciences administratives. L’auteur cite les principaux auteurs qui ont contribué de près ou de loin à relancer le débat sur la place de l’éthique déclinée soit en termes de vertu (Aristote) telle que l’intégrité ou par l’instauration d’un nouveau pacte social pour les entreprises. Brown propose un cadre conceptuel pouvant s’appliquer pour les entreprises soucieuses de démontrer un comportement ethically correct. La proposition de l’auteur à l’effet de développer une intégrité corporative est relativement bien articulée au plan conceptuel. Cinq dimensions sont explorées et bien définies pouvant faciliter ou empêcher le développement de l’intégrité en entreprise. Ces dimensions sont l’intégrité culturelle, interpersonnelle, organisationnelle, sociale et environnementale. L’auteur évoque que les cinq dimensions représentent actuellement des défis auxquels sont confrontées les organisations.

La notion d’entreprise intègre telle qu’avancée par Brown s’inscrit dans la conception européenne qui affirme que les entreprises doivent se comporter comme des citoyens d’où le statut d’agent imputable; idée fort répandue en Europe mais qui commence à être débattue ici en Amérique du Nord suite à la montée de la notion de responsabilité sociale. La vision de Brown à l’égard de l’entreprise est de l’inciter à coopérer avec les communautés et les gouvernements. Ceci représente un standard minimal pour le développement d’une entreprise citoyenne et intègre (p. 137). Brown conçoit l’entreprise comme une communauté humaine qui prend des décisions selon des fonctions spécifiques. En prenant appui sur la pensée d’Aristote, l’entreprise est vue comme ayant des fonctions spécifiques dans la société plutôt que limitée uniquement à une vision de profits. Ce changement paradigmatique philosophique s’éloigne de la conception de Milton Friedman voyant uniquement l’aspect financier de l’entreprise : « The corporation’s purpose is not determined by the source of its financing, but by its function in society » (p. 130).

Dans la première partie, l’auteur revient sur la notion de responsabilité sociale qu’il décline selon la théorie contractuelle de la responsabilité corporative, la théorie des parties prenantes (Freeman, 1997), la théorie d’agent corporatif et celle d’entreprise citoyenne. Pour situer la notion d’intégrité corporative, Brown suggère de l’inscrire dans la perspective civique car cette dernière voit les entreprises comme étant des membres de la société civile et ses membres corporatifs comme des citoyens (p. ix). Ceci représente à notre avis une des grandes forces de ce livre qui se détache d’un simple arrangement superficiel au plan conceptuel.

Le développement du modèle multidimensionnel d’intégrité corporative ne passe pas sous silence le leadership nécessaire à l’incorporation d’un tel projet. Présentée plutôt en termes de leadership organisationnel, l’auteur s’appuie notamment sur les nouvelles théories en leadership et développe un peu plus en reprenant les idées de McMahon (1994), la notion d’autorité civique en milieu de travail. Chaque chapitre est complété par des questions générales et par des exercices visant à approfondir les notions. Ce livre peut certainement accompagner un cours et soulever de nombreux débats intellectuels sur la notion d’entreprise, des valeurs à promouvoir, de la responsabilité sociale et des relations à développer avec la communauté.

Le projet de Brown est certes ambitieux et nécessite un changement radical dans la manière dont sont gérées actuellement nos organisations. Il a le mérite de proposer une avenue pouvant s’appliquer de manière concrète dans nos organisations du travail. Comme l’affirme l’auteur : « The notion of integrity is a calling: a calling to relate, to include. It means that the stranger is recognized not as part from us, but rather as a part of us » (p. 233). Un défi pouvant être relevé par les hommes et femmes qui n’ont pas seulement de bonnes intentions mais qui désirent passer à l’action collectivement. Un livre qui suscite la réflexion sur les finalités organisationnelles.