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Comme l’indiquent le titre et le montage de la page couverture, parsemée de feuilles d’érable et de petites photographies de membres de quelques groupes ethniques à diverses époques, cet ouvrage de Jacques Henripin traite des principaux changements qui ont caractérisé l’évolution démographique de la population du Canada depuis ses origines. Le terme « métamorphose » est sans doute un peu fort, bien que l’auteur insiste beaucoup sur les différences entre la situation démographique actuelle et celle qui existait jadis.

Précisons d’entrée de jeu, comme le fait d’ailleurs l’auteur en introduction, que cette histoire de la population canadienne porte presque exclusivement sur le 20e siècle. Une trentaine de pages portent sur les siècles antérieurs (un survol qui couvre plus de 10 000 ans d’histoire), et un chapitre est consacré aux perspectives. Le volume est ainsi divisé en deux parties. La première partie, intitulée « Les grandes étapes de la métamorphose », comprend cinq chapitres qui décrivent les faits saillants de l’histoire démographique canadienne depuis le mésolithique. La deuxième partie, entièrement consacrée au 20e siècle, avec quelques incursions occasionnelles dans le 19e, est divisée en huit chapitres qui traitent des composantes de la croissance et de la structure de la population. Le texte est clair et les explications fournies permettent aux non-spécialistes de s’y retrouver facilement, quoiqu’il aurait été pratique de disposer d’un lexique en annexe. L’auteur fait fréquemment référence au contexte socio-politique national ou international, ce qui permet de mieux apprécier les causes et les conséquences des mouvements démographiques. L’ouvrage est abondamment garni de tableaux et de graphiques (plus d’une centaine) fort bien construits et faciles à lire. On peut déplorer cependant l’absence quasi totale de cartes géographiques, qui auraient pu avantageusement illustrer certaines caractéristiques provinciales ou régionales. Tel qu’attendu, les principales données présentées proviennent de Statistique Canada (recensements, état civil et enquêtes). L’auteur utilise aussi des résultats tirés d’ouvrages publiés par des démographes canadiens.

Le premier chapitre évoque d’abord l’arrivée et le chemin parcouru par les premiers migrants sur le continent américain. On retrouve ici les deux seules cartes de l’ouvrage, qui illustrent la position et l’étendue des glaciers sur le territoire canadien il y a 11 000 et 7 000 ans. Quelques informations sont fournies sur les peuples autochtones présents avant l’arrivée des Européens. On passe ensuite à l’époque de la Nouvelle-France (1608-1760), qui fait curieusement partie de ce premier chapitre intitulé « Le passage du mésolithique à l’âge du fer ». Les travaux du Programme de recherche en démographique historique sont utilisés pour décrire sommairement la croissance de la population de la vallée laurentienne aux 17e et 18e siècles. L’auteur souligne les conséquences énormes du déséquilibre migratoire entre Français et Britanniques au cours de cette première période de colonisation européenne en Amérique du Nord. Les deux chapitres qui suivent couvrent la période qui va de la fin du Régime français (1760) jusqu’à la fin du 19e siècle. L’immigration anglophone (Loyalistes, Britanniques, Irlandais) et l’émigration vers les États-Unis (à partir du milieu du 19e siècle) font l’objet de ces chapitres. Quelques tableaux fournissent des informations sur la croissance des régions du pays et sur l’évolution de la mortalité durant cette période. Au chapitre 4, l’auteur brosse un tableau des principales étapes de l’histoire démographique du 20e siècle (peuplement des provinces de l’Ouest, diversification de l’immigration internationale, baby-boom et chute de la natalité) qui seront présentées en détail dans la deuxième partie du livre. Le dernier chapitre de la première partie présente quelques aspects de l’évolution future de la population canadienne, selon les perspectives établies par Statistique Canada pour la période 2001-2051. Le vieillissement de la population et le passage à un régime d’accroissement naturel négatif (plus de décès que de naissances à partir de 2025) sont mis en évidence dans ce chapitre. L’auteur en profite au passage pour glisser quelques remarques plutôt cinglantes au sujet des transformations de la structure familiale, en qualifiant notamment les nouveaux couples d’« égocentriques » comparativement à leurs ancêtres, comme si ces ancêtres n’avaient vécu que pour la gloire de la famille et de la patrie. On retrouve d’autres déclarations de ce type dans les chapitres 4 et 5, comme « la liberté un peu dangeureuse » de s’abstenir d’avoir des enfants et les « accidents de parcours » que constituent les unions libres et les familles reconstituées. On semble déceler dans les propos de l’auteur une certaine nostalgie des temps passés...

Les huit chapitres de la seconde partie de la Métamorphose constituent, rappelons-le, la plus grande partie de l’ouvrage. L’auteur utilise plusieurs données tirées de l’état civil et des recensements de 1901 à 2001 (certaines données du recensement de 2001 n’étaient toutefois pas encore disponibles au moment de la rédaction). Le premier chapitre de cette deuxième partie porte sur la croissance de la population canadienne. On y trouve des informations sur l’évolution des effectifs de la population du pays, des provinces et des principales villes. Des données sur les composantes de la croissance (natalité, mortalité, immigration et émigration) sont également analysées, par périodes décennales. Le chapitre suivant présente les changements qui se sont produits au cours des cent dernières années dans la structure par âge et par sexe de la population. Les causes du vieillissement et ses conséquences sociales et économiques sont largement discutées dans ce chapitre. Les différences régionales ne sont cependant pas évoquées. Les chapitres 8 à 12 portent sur l’analyse des phénomènes démographiques (mortalité, fécondité, nuptialité-divortialité et migration). Le chapitre sur la mortalité présente plusieurs tableaux et figures sur l’espérance de vie à la naissance, les taux (ou quotients, la distinction n’est pas claire) et les probabilités de survie par âge et sexe. À noter que l’auteur ne précise pas que ses données sont tirées de tables de mortalité du moment. En fait, aucune distinction n’est faite entre tables du moment (données transversales) et tables par génération (données longitudinales). On peut comprendre que l’auteur n’ait pas voulu encombrer ses analyses de telles subtilités démométriques, mais il aurait pu en glisser un mot, en donnant quelques références au besoin, car les différences entre les résultats des deux types de tables peuvent s’avérer assez importantes [1]. Ce chapitre sur la mortalité comprend aussi quelques analyses intéressantes sur les principales causes de décès et sur les inégalités sociales devant la mort. Les chapitres 9 et 10 sont consacrés à la fécondité. Contrairement au chapitre précédent, le chapitre 9 présente et explique clairement les distinctions entre mesures transversales (indice synthétique de fécondité) et mesures longitudinales (descendances des générations). Les effets d’intensité et du calendrier des naissances sont particulièrement bien illustrés à l’aide des données de la période du baby-boom (1945-1965). À partir de données rétrospectives, de nombreuses comparaisons sont effectuées entre la fécondité des femmes de générations nées entre la fin du 19e siècle et le milieu du 20e siècle. On trouve également quelques comparaisons interprovinciales et selon certaines caractéristiques sociodémographiques (langue maternelle, origine ethnique, religion et scolarité). Une analyse intéressante des facteurs ayant directement contribué à la baisse de la fécondité (contraception, avortement, stérilisation, vie conjugale écourtée) est présentée au chapitre 10. Diverses théories se rapportant aux causes sous-jacentes aux changements de comportement des femmes (ou des hommes) en matière de fécondité sont également discutées dans ce chapitre. Ici encore, l’auteur s’amuse à parachuter quelques phrases chocs (« certains peuvent préférer élever des enfants, d’autres voyager ou jouer au golf »), mais dans l’ensemble cette section est très instructive. Le chapitre qui suit traite de la nuptialité, de la divortialité et des structures familiales. Il est notamment beaucoup question des conséquences de la chute fulgurante de l’institution du mariage au profit des unions libres. On trouve aussi des données fort éloquentes sur les familles monoparentales et recomposées. Le chapitre se termine avec une discussion sur le partage des rôles entre conjoints. L’avant-dernier chapitre (le douzième) porte sur les migrations interprovinciales et internationales. L’auteur présente notamment un bilan des mouvements migratoires interprovinciaux (migrations résultantes) pour certaines années censitaires (jusqu’en 1996) qui fait ressortir les provinces « gagnantes » ou « perdantes » du point de vue de leurs échanges migratoires. Quelques caractéristiques des migrants, telles que l’âge, le sexe, l’état matrimonial et le type d’habitat, sont examinées succinctement. L’auteur ne peut s’empêcher de souligner au passage le « caractère exceptionnel » de l’émigration des Québécois après le 15 novembre 1976, date de la victoire du Parti québécois (parti politique « à tendance sécessionniste »), caractère qu’il ne démontre par ailleurs d’aucune façon. En ce qui concerne les migrations internationales, l’analyse est divisée en quatre périodes qui font bien ressortir les principaux bouleversements qui se sont produits dans ce domaine depuis la fin du 19e siècle, notamment en ce qui a trait à la provenance (pays ou continents) et à la destination (provinces et villes) des immigrants internationaux. Les diverses politiques fédérales en matière d’immigration (et leurs conséquences) sont évoquées à travers cette analyse. Les effets de la diversification de l’immigration internationale sont aussi mis en évidence dans le dernier chapitre qui porte sur les traits culturels de la population canadienne. L’auteur présente quelques données sur la répartition de la population selon l’origine ethnique, la langue maternelle, la langue d’usage au foyer et la religion, en mettant l’accent sur les différences importantes entre le Québec et le reste du Canada. Une section distincte traite du phénomène de la mobilité linguistique intra- et intergénérationnelle (transferts d’un groupe linguistique à un autre), dont les conséquences risquent de s’amplifier avec la part grandissante de l’immigration internationale dans le renouvellement de la population. Quelques pages de ce dernier chapitre sont consacrées plus particulièrement aux populations autochtones. Enfin, dans la conclusion, l’auteur fait un bref résumé des principales étapes de la Métamorphose, en ajoutant quelques considérations à propos de l’avenir de la population canadienne. Curieusement toutefois, le dernier paragraphe de cette conclusion ne porte pas spécifiquement sur la population canadienne, mais plutôt sur la « survie » de la « civilisation occidentale »…

Dans l’ensemble il s’agit donc d’un ouvrage très bien fait, nonobstant les quelques envolées typiques de l’auteur. J’ai relevé quelques erreurs ou coquilles ici et là, mais elles sont peu nombreuses. Je recommande ce volume à tous ceux qui s’intéressent à la démographie canadienne et aux questions démographiques en général. Le contenu est particulièrement utile et pertinent pour les cours d’histoire de la population ou d’introduction à la démographie.