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Introduction

Nous nous proposons de faire état d’un processus unique et original de coconstruction des savoirs dont le résultat vise à soutenir l’élaboration de politiques publiques en éducation. Nous tenterons de cerner le jeu des rapports entre la recherche comme démarche de production de savoirs savants, les interventions des acteurs du système d’éducation porteurs de savoirs pratiques et l’élaboration de politiques publiques. À cette fin, nous nous intéresserons plus particulièrement à un organisme assez unique, soit le Conseil supérieur de l’éducation, un conseil aviseur auprès du ministre de l’Éducation et du gouvernement du Québec. Cet organisme est né en l964 à la suite d’une recommandation du Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec. Il faut dire ici que peu de gouvernements se sont dotés d’un tel type d’organisme dans leur structure et l’intérêt qu’il suscite dans d’autres pays et auprès de nombreux observateurs relève à la fois de la nature de sa mission et de l’originalité de son fonctionnement. En plus d’être un conseiller de l’État, le législateur, dans sa décision de mettre sur pied cet organisme[1], lui a attribué le rôle de favoriser la participation démocratique de la société civile à la définition des politiques en éducation. La réalisation de ce volet de sa mission repose en grande partie sur sa capacité à mettre en oeuvre un véritable processus de coconstruction et de circulation des savoirs dont les enjeux prennent place dans le champ éducatif considéré comme espace socio-politique. Le Rapport de cette Commission, mieux connu sous le nom de Rapport Parent, a appuyé sa recommandation sur sa conviction qu’il fallait assurer, au-delà du ministère de l’Éducation, une « liaison entre le grand public et le gouvernement, l’opinion publique ayant, en régime démocratique, le droit et le devoir de s’exprimer sur une question aussi vitale que l’éducation ». (Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, 1963). Cet objectif allait devoir s’incarner dans une mission et un mode de fonctionnement favorisant l’interaction entre la recherche, les pratiques des acteurs de l’éducation et l’élaboration des politiques publiques en éducation.

Dans un premier temps, nous examinerons quel mode de travail a été mis en place par cet organisme pour réaliser sa mission. Nous verrons que la forme de sa structure et la composition de ses instances font se côtoyer chercheurs et praticiens de l’éducation dans la production des avis et des rapports destinés au ministre de l’Éducation. La réalisation de la mission centrale du Conseil supérieur de l’éducation repose en très grande partie sur la qualité expérientielle, les compétences intellectuelles et la disponibilité des membres de ses diverses instances, issus en très grande majorité du milieu même de l’éducation. Ces membres sont appelés à contribuer à l’élaboration de diagnostics et d’évaluations de situations à partir d’un examen critique des pratiques de leur propre milieu ; par ailleurs, il leur est demandé d’appuyer leur analyse sur les résultats des recherches existantes ou réalisées par l’équipe de recherche du Conseil sur le sujet traité. Les connaissances ainsi coproduites par les chercheurs et les praticiens constituent le matériau premier et essentiel au travail des membres du Conseil et de ses commissions chargés de formuler des orientations pour l’action sous forme de recommandations. Celles-ci sont déposées en premier lieu au ministre de l’Éducation du Québec et diffusées par la suite aux acteurs de l’ensemble du système d’éducation. Tous les avis et rapports sont rendus publics et font l’objet d’une large diffusion.

Dans un deuxième temps, nous présenterons quelques exemples concrets qui permettront d’expliciter comment le Conseil produit ses avis et de dégager, dans la mesure du possible, l’influence qu’il a exercé sur l’élaboration de certaines politiques éducatives. Nous y verrons comment la recherche joue un rôle-clé dans la validation des recommandations du Conseil et permet aussi d’ouvrir de nouveaux champs de connaissance qui orienteront les contenus des politiques éducatives.

Enfin, nous terminerons par la formulation de quelques pistes visant la consolidation des rapports entre la recherche, les milieux de pratique et l’élaboration des politiques éducatives. L’une d’elles mise sur l’acquisition de compétences spécifiques par les acteurs de terrain, une composante du professionnalisme collectif. Une autre concerne le statut des sciences de l’éducation dans la production des savoirs et la place que les facultés d’éducation occupent au sein de l’institution universitaire. Et enfin, nous concluons en montrant que, si pour le Conseil, l’évaluation de sa production au regard de la réalisation de sa mission est une garantie nécessaire à l’exercice de l’influence recherchée, le choix d’indicateurs pour ce faire n’est pas simple.

Une démarche originale de production des connaissances : le mode de travail du Conseil supérieur de l’éducation

Pour bien saisir l’originalité du Conseil supérieur de l’éducation, il faut en exposer la mission et le fonctionnement, puisqu’il n’existe pas d’organisme identique dans d’autres pays. Il s’agit d’un organisme consultatif dont le rôle est de préparer et de soumettre, à son initiative, des avis au ministre de l’Éducation. Ces avis portent sur toutes questions relatives à l’éducation à tous les ordres d’enseignement et à l’éducation des adultes, ainsi qu’à l’éducation à l’extérieur du système formel. Par ailleurs, la Loi constitutive du Conseil supérieur de l’éducation oblige aussi le ministre à consulter le Conseil sur un certain nombre de questions, telles que les projets de règlements pédagogiques et leur modification. La loi prévoit que l’État et le ministre de l’Éducation se doivent de respecter l’indépendance et l’autonomie complète de l’organisme et d’observer la non-ingérence politique dans ses travaux.

De par la composition de ses instances, le législateur a voulu en faire un organisme de participation démocratique, ce qui le situe à l’opposé d’un bureau d’experts scientifiques ou de spécialistes. La centaine de membres qui les composent sont pour la plupart des acteurs de première ligne du milieu de l’éducation et une minorité provient de divers autres secteurs de la société québécoise. Ils sont enseignants et directeurs d’établissements à tous les ordres d’enseignement, parents d’élèves, étudiants à l’enseignement supérieur, ou représentants du milieu socio-économique. Les 22 membres du Conseil sont nommés par un décret du gouvernement du Québec. Les commissions couvrent chacune un ordre d’enseignement et le secteur de l’éducation des adultes et elles sont composées de membres nommés par le Conseil suite à une consultation des milieux de l’éducation. Leur mandat est de 4 ans, renouvelable une fois. Ils siègent à titre individuel et non comme porte-parole de l’instance professionnelle ou de l’organisme auquel ils appartiennent, bien qu’ils doivent en répercuter les préoccupations et rendre compte de ce qui se passe sur le terrain.

Tant la mission du Conseil que les caractéristiques des membres qui composent ses instances obligent à mettre en place une démarche de production des connaissances tout à fait originale. Elle fait appel, d’une part, à une démarche classique de recherche sous la responsabilité des chercheurs rattachés à la permanence du Conseil. D’autre part, les membres des instances de l’organisme, dont les interventions se fondent principalement sur leurs propres pratiques et expériences professionnelles, sont aussi mis à contribution dans la production de l’argumentaire analytique qui sera déployé pour soutenir les recommandations qui seront mises de l’avant dans un avis donné. Par ailleurs, en tant qu’organisme consultatif auprès du ministre de l’Éducation et outil de participation démocratique, le Conseil doit aussi solliciter les opinions du milieu, faire effectuer des recherches et des études et entendre les requêtes et suggestions du public en matière d’éducation. Pour remplir adéquatement ses objectifs, le Conseil doit pouvoir miser sur sa capacité d’intégration des savoirs savants et des savoirs pratiques. Il doit, en conséquence, favoriser une interaction dynamique entre les porteurs de ces deux catégories de savoirs et soutenir une intégration fructueuse des résultats des travaux de recherche et des connaissances provenant des pratiques des acteurs sur le terrain.

C’est dans la mise en oeuvre de ce processus complexe que se trouve la spécificité de son mode de travail qui s’assimile à une démarche de coconstruction des savoirs. Une analyse rigoureuse de ce mode de travail menée en temps réel et fondée sur une observation systématique des différentes étapes de préparation d’un avis, depuis le choix du thème qui sera traité jusqu’à son adoption par les membres du Conseil, n’a malheureusement jamais fait l’objet d’aucune recherche. C’est pourquoi il nous sera impossible de rendre compte d’une manière fine et rigoureuse des rapports qui se déploient dans ce jeu de face-à-face entre ces deux ordres de connaissances portés par deux catégories de producteurs (chercheurs et praticiens) ; difficile aussi de démontrer comment ce jeu d’interactions a mené aux résultats obtenus en terme de contenus programmatiques et de nouvelles connaissances.

La mission du Conseil exige davantage et ne s’arrête pas ici. En tant qu’organisme de participation démocratique, il se doit d’accomplir son devoir de consultation très judicieusement. Pour y arriver, il doit prendre les moyens nécessaires pour rappeler au ministère de l’Éducation, aux citoyens et aux organismes et associations leurs responsabilités de participer aux consultations et de répondre aux demandes d’informations et d’enquêtes de terrain qu’il leur adresse. Sous cet angle, cette cueillette d’information prend une dimension particulière. Tout en enrichissant la démarche classique de recherche, elle répond ici à d’autres objectifs qui visent à responsabiliser les acteurs de l’éducation à tous les niveaux du système, ainsi que la population en général, à remplir leur devoir de citoyen. Ce qui se traduit ici par un apport volontaire des membres de la société civile à la production et à la circulation d’informations lorsqu’ils sont sollicités par les recherches et enquêtes du Conseil. La démarche de recherche du Conseil doit aussi se concevoir comme un outil de consultation démocratique à des fins de conseil auprès du ministre de l’Éducation et en vue de l’éclairer dans sa prise de décision. On trouve ici un autre aspect de l’originalité de la démarche de recherche du Conseil qui n’est pas présent dans la démarche classique de recherche. De par la loi qui le fonde, le Conseil doit se donner les moyens de sonder la population et, plus spécifiquement, le monde de l’éducation et de répercuter les opinions ainsi recueillies dans ses avis. Pour le ministre, il s’agit d’un volet important de validation des recommandations que lui soumet le Conseil.

Le pouvoir de cet organisme consultatif en est un d’influence auprès des décideurs politiques. Il s’exerce directement au moment de l’élaboration des politiques éducatives et de l’adoption de nouveaux régimes pédagogiques ou de leur modification, vu l’obligation du ministre, dans ce dernier cas, de demander l’avis du Conseil. Ici aussi, la recherche joue un rôle tout à fait particulier. L’efficacité de ce pouvoir repose sur la capacité du Conseil de traduire ses observations et son analyse en orientations pour l’action. Sa crédibilité nécessite de pouvoir s’appuyer sur des recherches menées selon les règles de l’art et de les jouxter à une analyse réflexive de ses membres qui soit de haut niveau. L’analyse réflexive que le Conseil préconise s’appuie sur une pensée critique et pragmatique, sur une vision systémique et prospective, sur l’utilisation de résultats de recherches, sur une connaissance de la conjoncture nationale et internationale afin de mettre en contexte les questions traitées. Elle doit mener à la formulation de recommandations opérationnelles axées sur des ajustements ou des changements majeurs à apporter pour améliorer le système d’éducation au Québec. Cette forme d’analyse comporte des exigences spécifiques pour les membres qui doivent délaisser la défense de leurs intérêts catégoriels, voire personnels, et être en mesure de traduire leur expérience professionnelle en savoirs d’expérience et à soumettre leurs opinions et leurs perceptions au registre de l’analyse. En même temps, ils doivent faire preuve de capacités d’écoute des préoccupations de leur milieu et être en mesure de répercuter ce qui se passe dans le champ de l’éducation, tout en contribuant aussi à l’élaboration d’analyses de questions très diverses et parfois éloignées de leurs préoccupations premières. De plus, ils doivent posséder un intérêt pour l’évolution des idées et des courants de pensée qui animent les débats de société et, en particulier, dans le champ de l’éducation.

La mission du Conseil comporte par ailleurs d’autres enjeux de taille. À titre d’exemple, il ne peut se faire le porte-parole direct des groupes particuliers, mais il doit prendre acte de leurs positionnements. Il doit être tenu au courant des grands dossiers de l’actualité en éducation, tout en conservant la distance critique nécessaire au maintien de son autonomie et de sa liberté de pensée pour pouvoir jouer son rôle premier d’évaluation de situation, de réflexion critique, de diagnostic et de recommandation.

Si le Conseil utilise de manière importante les résultats de la recherche académique dans le domaine de l’éducation pour bien documenter les thématiques qu’il traite, il se différencie cependant des organismes classiques de recherche. En effet, la recherche menée au Conseil vise aussi à soutenir d’une certaine manière son fonctionnement démocratique et son rôle d’éclaireur auprès des décideurs politiques en matière d’éducation. De plus, l’expertise de ses chercheurs et la qualité des recherches produites ne sont pas suffisantes à l’exercice de sa mission. Celle-ci repose en grande partie sur les niveaux de compétences des membres des commissions à pouvoir fonctionner dans un mode de coproduction d’analyses de situation devant ouvrir sur des recommandations de nature politique, recommandations dont la formulation et l’adoption relèvent d’une autre instance, celle de la table des membres du Conseil qui chapeaute tout l’organisme.

Le pouvoir d’influence du Conseil repose entre autres sur sa capacité à faire circuler ses idées tant dans les milieux de l’éducation que dans les autres segments de la société civile. Une large diffusion publique de ses productions présentées sous différentes formes constitue un levier pouvant favoriser son influence auprès du ministre et dans la société civile. En ce sens, le Conseil est appelé à jouer, pour ainsi dire, le rôle d’un centre de liaison et de transfert des connaissances, un peu à la manière de ceux qui ont été formés, il y a une quinzaine d’années, par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Science et de la Technologie. Il exerce un rôle de liaison entre la recherche universitaire et les milieux de pratique par le processus même de coconstruction des savoirs que nous venons de décrire ; son rôle de transfert des connaissances passe par la diffusion de ses productions vers les milieux de pratique et vers les décideurs politiques et rejoint sa mission d’alimenter et d’animer le débat public dans le champ de l’éducation.

La notion de « passeur » proposée par Jean-Louis Derouet décrit bien, à notre avis, en quoi consiste ce travail de liaison et de transfert. En effet, cette notion permet de montrer comment l’interaction, la négociation et la reformulation sont des activités constantes du processus de circulation des savoirs. Selon lui :

Cette approche permettrait de mieux appréhender les rapports complexes entre les formes savantes et les formes ordinaires de la connaissance telles que les acteurs la construisent, mais aussi entre les savoirs académiques et les pratiques pédagogiques et administratives qui posent la question de repérer à la fois comment la science récupère l’expérience professionnelle et comment l’activité pratique mobilise les résultats scientifiques.

Derouet, 2001

Cette fonction de passeur s’applique bien à la mission du Conseil supérieur de l’éducation qui, pour respecter l’esprit qui a présidé à sa création, se doit de miser sur la création de liens efficaces entre la connaissance scientifique et la connaissance ordinaire, d’une part, et, d’autre part, sur une rencontre productive entre les chercheurs et les acteurs de terrain porteurs de ces différents savoirs.

L’exercice de ce rôle requiert des compétences spécifiques et c’est pourquoi nous en avons fait une dimension de la capacité du Conseil à remplir sa mission. Nous y reviendrons. De plus, ce rôle exige un fonctionnement particulier de la part des chercheurs devant travailler dans cette perspective. Ils doivent être en mesure de traduire des savoirs de nature fort différente en provenance des acteurs de terrain et de la recherche scientifique. Ils doivent aussi dégager de ces savoirs ainsi intégrés une analyse sociopolitique qui servira de toile de fond à la formulation de recommandations qui soient crédibles pour les différentes catégories d’acteurs concernés, au premier rang desquels figurent les décideurs politiques. Dans ces deux moments de circulation des savoirs, tant les chercheurs que les acteurs du système d’éducation sont appelés à exercer des compétences spécifiques en matière de transfert des connaissances.

Dans cette première partie, nous avons voulu faire ressortir l’originalité du mode de travail du Conseil supérieur de l’éducation et la place qu’y occupe la recherche dans la production des idées et des connaissances. Cette originalité repose en bonne partie sur sa démarche de coconstruction des savoirs où sont mobilisées des compétences en matière de production, de traduction et de transfert des savoirs ; des compétences que doivent posséder les chercheurs, mais aussi les acteurs du milieu de l’éducation. La qualité et la crédibilité des travaux d’organismes aviseurs tels que le Conseil, et le niveau de leur impact auprès des responsables politiques et de la société en général, en dépendent. Ces compétences sont davantage requises de la part de personnes appelées à siéger dans des instances chargées d’influencer les politiques publiques. Ils deviennent, pour ainsi dire, des partenaires des chercheurs tout en demeurant les acteurs du système qu’ils appellent à se transformer suite aux recommandations qui émergeront de leur travail analytique. Compte tenu du rôle attendu de ces personnes, nous avons observé que les personnes qui sont proposées par le milieu de l’éducation, lors des consultations du ministre, et celles qui sont choisies pour siéger dans les instances du Conseil, sont, dans la grande majorité des cas, des personnes qui avaient déjà à leur crédit l’exercice de responsabilités de direction ou de leadership dans le milieu de l’éducation, ou encore qui avaient manifesté un intérêt certain pour la chose publique.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, aucune recherche rigoureuse n’a été réalisée jusqu’à ce jour sur le mode de production des avis du Conseil à partir du point de vue des chercheurs et des membres de ses instances. Il faut donc souhaiter que des projets de recherche soient réalisés pour mieux documenter cette démarche tout à fait particulière de production de savoirs en éducation parce qu’elle fait appel à une interaction continue entre les porteurs de savoirs pratiques et les chercheurs engagés dans une démarche scientifique.

Nous tenterons maintenant, à l’aide de quelques exemples, d’expliciter plus concrètement le travail propre du Conseil dans la construction de sa pensée. Son impact sur l’élaboration des politiques dans le champ de l’éducation fera aussi l’objet de notre examen.

La production du discours du Conseil supérieur de l’éducation et son impact sur l’élaboration des politiques publiques

Pour bien saisir les particularités de la production du discours du Conseil, il faut tenter de cerner comment le travail s’organise entre les représentants des milieux de pratique et les chercheurs, d’une part, et, d’autre part, comment se combinent les savoirs pratiques et les savoirs savants dans l’élaboration d’analyses et de propositions visant à éclairer et à orienter l’action des décideurs publics et des milieux de l’éducation.

Nos observations reposent sur notre propre expérience au sein de cet organisme en tant que présidente[2] durant près de 6 ans (1997-2002). Nous avons à ce titre dirigé l’organisme et supervisé l’ensemble des activités. Nous avons agi comme porte-parole auprès du milieu de l’éducation et nous avons été redevable au ministre de l’Éducation de la réalisation de la mission du Conseil.

La démarche de préparation d’un avis comporte plusieurs étapes que nous décrirons brièvement afin d’identifier dans la mesure du possible le rôle de chacun des groupes d’acteurs qui y participent. La première étape consiste à décider des thèmes sur lesquels porteront les avis qui devront être produits dans une année donnée. Le choix de ces thèmes représente une étape critique. Il repose sur une analyse de la conjoncture à moyen terme en éducation, au Québec et dans le monde, et sur la prise en compte des dossiers qui sont sur la table du ministre au cours de l’année : des questions particulières qui font problème et qui demandent des solutions à court terme ou encore l’élaboration de nouvelles politiques menant à des réformes. La réflexion qui mènera au choix du thème doit combiner une vision prospective et un souci d’éclairer le ministre sur des questions qui figurent dans l’actualité de l’éducation au Québec.

À cette première étape du processus, nous avons observé que le partage du travail entre les chercheurs et les membres des instances s’effectue la plupart du temps de la manière suivante : les chercheurs contribuent davantage à l’analyse prospective et à la cueillette de données de recherche et à l’évaluation de la pertinence de choisir un thème donné au regard de la conjoncture qui prévaut en éducation au Québec. De leur côté, les membres des instances apportent davantage de considérations témoignant des préoccupations de leurs groupes professionnels respectifs et de leurs perceptions des problèmes présents dans le milieu de l’éducation. Données de recherche et perceptions des acteurs deviennent les matériaux sur lesquels s’appuient les commissions pour choisir le thème qui fera l’objet de l’avis. Les chercheurs agissent ici en soutien aux membres des commissions. C’est finalement la table du Conseil qui a le pouvoir de trancher et de faire le choix final du thème qui fera l’objet de l’avis dont la préparation revient ensuite à l’une ou l’autre des Commissions selon que le thème choisi concerne l’enseignement primaire, secondaire, collégial, universitaire ou l’éducation des adultes.

En fin de parcours, l’étape finale, qui consiste en l’adoption de l’avis préparé par la Commission, est du ressort du Conseil. Celui-ci a tout le pouvoir d’y apporter des modifications et d’ajouter ou de retrancher des recommandations. La table du Conseil doit dans la mesure du possible fonder ses décisions sur une vision systémique de l’évolution du système d’éducation et démontrer un certain flair politique pour évaluer la pertinence du contenu, tant du point de vue du ministre que de celui des acteurs du système d’éducation. Il en va de sa crédibilité publique et de sa légitimité politique.

Tout en suivant les règles propres à toute démarche scientifique, les chercheurs du Conseil doivent tenir compte dans leur façon de conduire la recherche et de rassembler les matériaux de l’importance de présenter les résultats de leurs recherches dans une forme qui soit appropriée aux finalités d’un avis qui doit comprendre des recommandations pour l’action. L’analyse du processus qui conduit à la production d’un avis montre clairement que les problématiques retenues et les concepts utilisés sont ceux qui auront été proposés par les chercheurs. Les membres des instances demeurent en retrait de cette partie du travail et adhèrent, sans en débattre longuement aux cadres d’analyses proposés par les chercheurs. Il s’est établi une relation de confiance envers les chercheurs de la part des membres des commissions et du Conseil. Il arrive rarement que leurs compétences soient remises en question et, lorsque c’est le cas, il est attendu que la direction administrative du Conseil fasse en sorte qu’ils soient retirés du dossier. Au Conseil, selon nos observations, les chercheurs ont un pouvoir d’influence important sur le choix du cadre analytique qui soutiendra l’argumentaire d’où émergeront les recommandations de l’avis en préparation.

Concrètement, le processus se déroule à peu près comme suit. Un premier exemple nous servira à le décrire. Il y a quelques années, la question du décrochage scolaire des garçons et de l’écart de réussite entre les filles et les garçons a fait l’objet de vives préoccupations au sein du monde scolaire et, plus largement, de la société québécoise. La ministre de l’Éducation de l’époque a demandé au Conseil de préparer un avis sur cette question en centrant l’étude sur les problèmes rencontrés par les garçons. Les membres du Conseil ont plutôt opté pour une comparaison des facteurs de réussite des filles et de ceux des garçons, indiquant, de ce fait, un positionnement politique à l’effet que les problèmes rencontrés par les garçons ne devraient pas conduire à négliger la situation des filles. Une fois fixé par le Conseil le choix des orientations à donner au traitement de ce thème, ce sont les chercheurs qui ont eu la responsabilité de colliger les résultats de recherche sur cette question et de trier les éléments nécessaires à la construction de la problématique qui allait encadrer la formulation du problème ainsi que les dimensions à prendre en compte dans l’analyse. Les chercheurs ont soumis aux membres des commissions de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire les résultats de leurs recherches et des recherches consultées en mettant en évidence les dimensions explicatives les plus intéressantes. Ceux-ci en ont débattu pour bien en comprendre le sens et la portée et, enfin, adopter une grille d’analyse.

Cette étape étant franchie, le travail des membres de ces deux commissions a porté plus spécifiquement sur l’élaboration des mesures à prendre pour corriger la situation et soutenir l’amélioration de la réussite des filles et des garçons. Comme c’est le cas dans la préparation de la grande majorité des avis, l’organisation du travail qui y préside repose sur une séparation claire des fonctions et des expertises entre la production des savoirs savants et celle des savoirs pratiques. Il est clair, compte tenu des composantes de la mission du Conseil que nous avons exposées dans la première partie de notre présentation, que ce dernier doit s’appuyer sur ces deux types de savoirs dans l’élaboration des contenus des recommandations. Dans le cas de cet avis, les savoirs pratiques portés par les membres des commissions ont été davantage mis à contribution dans l’élaboration du plan d’action et dans la désignation des acteurs du système scolaire appelés à les réaliser.

Cependant, un retour sur les étapes de la préparation de cet avis montre clairement que ce sont les résultats de la recherche qui ont orienté de manière forte le diagnostic concernant les problèmes identifiés et servi d’outils pour valider le choix des positionnements des membres des commissions et du Conseil. Les nombreux débats qui ont suivi la parution de cet avis (Conseil supérieur de l’éducation, 1999) ont montré l’importance de s’appuyer sur les résultats de recherche pour légitimer certaines des recommandations auprès du monde scolaire et de la population en général. Ainsi, la mixité des classes et l’absence d’hommes dans le corps enseignant au primaire ont souvent été évoquées comme causes des problèmes scolaires des garçons, lors de débats publics. La présentation de résultats de recherches menées sur ces questions au Québec et dans d’autres pays a permis de démontrer et de convaincre, du moins en bonne partie, qu’il ne s’agissait pas de facteurs déterminants et de réorienter les prises de position sur d’autres facteurs explicatifs plus significatifs. La recherche dans ce cas-ci a permis de déconstruire des perceptions premières très fortes et de réorienter l’action sur d’autres causes (mesures spécifiques en lecture et écriture, décodage des stéréotypes sexuels dans la conception des rôles scolaires, rôle des pères dans l’éducation de leurs fils, etc.).

Les analyses et les recommandations du Conseil sur cette question ont franchi le terrain du politique et servi de références centrales au ministre dans la définition des propositions qu’il a mis de l’avant pour remédier aux problèmes identifiés. En effet, plusieurs mesures et programmes spéciaux (Agir autrement ; plans de réussite pour chaque établissement) ont été mis en place par le ministre de l’Éducation pour donner suite aux recommandations du Conseil. Nous avons ici un exemple probant des liens étroits qui ont existé entre la recherche, la définition des pistes d’action par les membres des instances du Conseil représentant les milieux de pratique et l’élaboration de mesures et de politiques au sein du ministère de l’Éducation. Cette question a occupé la place publique à la suite de la publication de cet avis et elle constitue encore aujourd’hui une préoccupation qui rejoint l’ensemble de la société québécoise.

Dans le cas de figure que nous venons d’évoquer, c’est un constat de situation venant du terrain sur le taux de décrochage scolaire des garçons qui a conduit les décideurs politiques à demander au Conseil supérieur de l’éducation de lui donner un avis sur cette question. Un autre cas de figure que nous évoquerons maintenant fait référence au mandat d’initiative du Conseil. Celui-ci peut, à partir de sa propre évaluation de la conjoncture qui prévaut en éducation, choisir de préparer un avis au ministre sur une question qu’il juge nécessaire de prioriser dans l’agenda politique. Dans ce cas de figure, la thématique est choisie par le Conseil et l’argumentaire vise à convaincre le ministre de faire les suivis nécessaires soit par le biais de modifications aux règlements pédagogiques ou encore au niveau législatif, ou par l’implantation de toute autre mesure relevant de sa juridiction. L’exemple que nous avons choisi de présenter pour illustrer le mandat d’initiative du Conseil fait référence au Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation qu’il a déposé au ministre en 1998 à l’effet d’introduire une nouvelle dimension dans les finalités de la formation. Dans ce rapport il était proposé d’inscrire l’éducation à la citoyenneté comme composante des nouveaux programmes de formation au primaire et au secondaire et comme finalité de formation.

Cet exemple nous permettra de mettre en évidence une autre forme d’apport de la recherche. Elle consiste, dans ce cas, à explorer de nouveaux champs d’intervention en éducation et à proposer un nouveau corpus de références en matière de finalités de formation. L’examen des retombées de ce rapport (Conseil supérieur de l’éducation, 1998) à la suite de sa publication et de sa diffusion publique montre que la problématique et les concepts proposés par le Conseil ont été repris en grande partie par les divers comités chargés d’élaborer les programmes au ministère de l’Éducation ainsi que par les intervenants de la société civile qui ont appuyé la recommandation du Conseil d’inscrire l’éducation à la citoyenneté dans les finalités de formation.

En effet, il y a quelques années, au moment de la parution de ce rapport, le champ de l’éducation à la citoyenneté était tout à fait nouveau, du moins au Québec, et fort différent dans sa perspective de l’éducation civique figurant dans les programmes antérieurs. Cette nouvelle problématique allait nécessiter d’inscrire de nouveaux objectifs à la fois dans les finalités globales et dans les contenus des programmes du primaire et du secondaire. Les influences qui ont présidé à ce travail sont venues de mouvements similaires observés au sein de la Communauté européenne et de pratiques déjà en oeuvre dans certains milieux de l’éducation, tant dans ces pays qu’au Québec, mettant de l’avant la valorisation d’une formation à la citoyenneté visant à moyen terme à redonner à la société civile les outils nécessaires à l’exercice de la démocratie.

Tout le mouvement qui a initié ce changement provient en grande partie de débats d’idées initiés par le Conseil. Si le Conseil, à l’aide de son équipe de recherche, a construit son argumentation à partir de recherches menées dans plusieurs pays, il s’est cependant appuyé sur une conjoncture spécifique au Québec pour justifier cette recommandation. Le principal élément de cette justification est venu de la Commission des États généraux sur l’éducation (1995-1996) qui venait de déposer son rapport au ministre de l’Éducation. La Commission y recommandait d’inscrire la mission de socialisation comme finalités de l’éducation, avec celles d’instruire et de qualifier. La socialisation y était définie sous l’angle de « la transmission des valeurs qui fondent notre société démocratique (l’égalité, les libertés fondamentales, la justice, la coopération et la solidarité) et le respect des institutions communes. Elle prépare les individus à l’exercice de la citoyenneté en leur apprenant leurs droits et devoirs, le respect des règles communes et l’ouverture à la diversité. » (Gouvernement du Québec, 1996, p. 5) Ces objectifs furent explicités et concrétisés par le Conseil dans son rapport remis au Gouvernement du Québec en 1998. À peine quelques années plus tard, les objectifs proposés ont été mis en oeuvre dans la réforme de l’école québécoise.

Enfin, il est important de mentionner que la dernière décennie a été marquée dans le champ de l’éducation par des changements majeurs inspirés de la recherche en éducation et de l’intervention de la société civile, celle-ci s’exprimant tant par la voix de la Commission des états généraux sur l’éducation que par celle du Conseil supérieur de l’éducation. Notons aussi qu’environ 85 % des 2000 mémoires soumis à cette Commission, lors de ses audiences à travers le Québec, ont cité au moins une référence provenant des avis du Conseil. Le Plan d’action ministériel pour la réforme de l’éducation Prendre le virage du succès (Gouvernement du Québec, 1997) a repris, sous la forme de sept lignes d’action, l’essentiel des dix chantiers prioritaires proposés par la Commission qui s’était, à son tour, fortement inspirée des travaux du Conseil supérieur de l’éducation (1995b). En 1998, le gouvernement du Québec adoptait la Loi sur l’instruction publique (loi 180) qui allait concrétiser les grandes orientations de ce Plan d’action et donner le coup d’envoi de la présente réforme de l’éducation.

Il est difficile d’établir clairement la part d’influence de chacun de ces acteurs dans l’élaboration et la mise en application des réformes ou des changements en éducation, aucune étude rigoureuse et systématique n’ayant été réalisée encore sous cet angle. Mais il nous apparaît clair qu’en plus des acteurs dont nous venons de parler, le ministère de l’Éducation en tant qu’appareil d’État a joué le rôle de grand arbitre dans les choix qui ont été faits par la suite à partir des recommandations provenant de la Commission des états généraux sur l’éducation et du Conseil supérieur de l’éducation. En effet, durant cette décennie (1995-2005), sept ministres de l’Éducation se sont succédé, provenant de deux gouvernements différents, soit le Parti québécois, de 1995 à 2003 et, par la suite, le Parti libéral. Cependant, tous ces ministres ont maintenu le cap sur le cheminement de cette réforme et n’ont pas modifié les grandes orientations qui la guident, du moins jusqu’à ce jour[3]. La mise en application de cette réforme au sein des établissements et la rédaction des programmes ont été confiées au sous-ministre associé à l’enseignement primaire et secondaire et à des comités composés de fonctionnaires du ministère et de professeurs des facultés des sciences de l’éducation.

La situation québécoise suggère le commentaire suivant. La plupart des études qui ont porté sur le rôle de l’État en éducation se sont beaucoup intéressées à l’analyse de contenu des politiques et aux conséquences de leur mise en application sur le système d’éducation. Il faudrait encourager la réalisation de recherches portant sur les processus de prise de décision dans l’élaboration des politiques et des divers programmes en éducation et y cerner le rôle de chacun des acteurs. Parmi ces acteurs, il serait opportun de porter une attention particulière au rôle de la bureaucratie d’État dont relèvent les comités ministériels chargés de formuler les politiques et les programmes qui les accompagnent. Nous constatons que peu d’études ont été menées sur la nature des pouvoirs de l’ensemble des acteurs qui oeuvrent dans le champ de l’éducation et sur la façon dont ceux-ci se partagent entre la société civile et le gouvernement.

Pistes pour une consolidation des rapports entre la recherche, les milieux de pratique et les politiques éducatives

La réflexion que nous venons de présenter à propos du mode de travail du Conseil supérieur de l’éducation et l’expérience qui a été la nôtre à travers diverses commissions gouvernementales en éducation[4] au cours de la dernière décennie nous suggèrent certaines pistes pour consolider les rapports entre la recherche, les milieux de pratique et les acteurs politiques chargés d’élaborer les politiques éducatives. La priorité, selon nous, devrait être accordée au renforcement des capacités professionnelles des acteurs qui interviennent en première ligne dans le champ de l’éducation dans le but de mieux les outiller afin qu’ils puissent contribuer davantage à la construction des savoirs en éducation. Le Conseil, dans l’un de ses avis, a recommandé que l’une des composantes du référentiel (Conseil supérieur de l’éducation, 1995b) de formation des enseignants au niveau collégial vise l’acquisition de compétences qui préparent l’enseignant à la maîtrise de l’évolution de sa pratique et qui développent sa capacité de pouvoir contribuer au devenir de la profession enseignante, à court, moyen ou long terme. Ces compétences visent l’acquisition des outils nécessaires pour permettre à l’enseignant d’analyser ses pratiques et de participer au développement de connaissances tant pédagogiques que disciplinaires et technologiques.

En tant qu’acte réflexif, la pratique de l’enseignement requiert une démarche de réflexion dans l’action et sur l’action. On dira que l’enseignement se professionnalise dans la mesure où il prend de plus en plus ses distances par rapport à l’application mécanique de techniques ; dans la mesure aussi où il intègre davantage une activité d’élaboration de stratégies qui s’appuient sur des savoirs constitués et, selon Altet (1996), sur le développement « d’une expertise de l’action en situation professionnelle » (p. 29). Perrenoud (1996) dira de cette démarche de réflexion qu’elle est une démarche de « lucidité professionnelle » qui requiert de développer un « habitus professionnel » (p. 206) autour de l’analyse des pratiques en vue de les modifier au besoin. Pour y arriver, il est essentiel de se mettre en situation de prise de conscience de son propre mode de fonctionnement. Tant le « savoir analyser » que « l’habitus professionnel » font partie de ce que Develay (1997) décrit comme étant « la conscience des ressorts de son action[5] ».

Par ailleurs, la maîtrise de l’évolution de la pratique enseignante et la contribution au devenir de la profession enseignante requièrent aussi de pouvoir contribuer au développement des connaissances d’une manière qui aille au-delà de l’auto-analyse des pratiques et d’une démarche de réflexion. S’il est souhaitable que tous les enseignants prennent connaissance de la recherche et de ses résultats pour les réinvestir dans leur pratique, ils devraient aussi être mis à contribution d’une façon plus active pour fournir un apport plus significatif à la théorisation des savoirs d’expérience pédagogique, c’est-à-dire à la transposition des savoirs de sens commun en savoirs savants.

Ces propositions nous apparaissent fort pertinentes du point de vue des objectifs de la formation des enseignants et du développement de leur identité professionnelle, comme cela a été proposé dans les divers documents publiés sur ces questions. Elles comportent un intérêt supplémentaire et non négligeable, compte tenu de l’analyse que nous venons de proposer sur les rapports entre les milieux de pratique et l’élaboration des politiques en éducation, à partir de la description du mode de travail du Conseil. L’acquisition de ce type de compétences et de connaissances permettrait aux enseignants de tous les ordres d’enseignement de disposer des outils nécessaires pour intervenir sur les orientations des politiques en éducation avec la distance critique nécessaire ; d’acquérir les connaissances nécessaires pour pouvoir non seulement les influencer mais aussi proposer des alternatives créatives allant au-delà de la perspective défensive et corporatiste, dans laquelle ils se situent trop souvent. La maîtrise de ces compétences permettrait aussi aux acteurs des divers milieux de l’éducation appelés à siéger sur des instances consultatives du gouvernement, comme le Conseil supérieur de l’éducation ou tout autre comité ministériel, d’être moins dépendants des spécialistes et des experts et de pouvoir débattre des résultats de recherche et des propositions d’analyse en toute connaissance de cause.

À ce titre, les Facultés de sciences de l’éducation ont un rôle primordial à jouer dans la formation initiale et le perfectionnement des personnels scolaires. En conséquence, il serait souhaitable qu’elles poursuivent leur association avec des écoles primaires et secondaires ; qu’elles introduisent dans leurs programmes de formation une approche pédagogique favorisant une meilleure intégration des savoirs pratiques et des savoirs savants et encouragent l’innovation et l’expérimentation de nouveaux modèles de gestion et de formation ainsi que leur évaluation. Les programmes universitaires de formation des maîtres devraient accorder une place spécifique à la formation à la recherche dans les programmes de premier cycle (Conseil supérieur de l’éducation, 1993) pour inciter les enseignants à prendre connaissance des résultats de la recherche et à les réinvestir dans leurs pratiques, à développer leur capacité d’analyse critique de leurs propres pratiques et des pratiques éducatives en général, et à contribuer à leur renouvellement.

Dans la foulée des nouvelles politiques en éducation et considérant les changements majeurs qui traversent son mode de gestion et d’organisation de même que ses programmes et ses méthodes pédagogiques, le système scolaire se situe, au Québec, à une croisée des chemins. Les universités ont un rôle central à y jouer, car elles portent une double responsabilité : celle de la formation des maîtres et des directions d’établissements scolaires et celle de la recherche en éducation. C’est une lourde responsabilité dont la prise en charge requiert de l’institution universitaire qu’elle se conçoive comme un lieu stratégique de rencontre de ces divers types de savoirs et de production de nouvelles connaissances nécessaires à l’élaboration de politiques éducatives et à leur ajustement.

Cette perspective sur le rôle des universités ouvre sur une seconde piste d’action susceptible de favoriser la consolidation des rapports entre la recherche et les pratiques enseignantes. Elle oblige à examiner le statut des sciences de l’éducation et leur place dans l’institution universitaire. En effet, le développement de la recherche en éducation et la reconnaissance de la légitimité du champ de l’éducation en tant que domaine de connaissance et champ du savoir doivent être mieux soutenus. Au Québec, la situation à cet égard s’est beaucoup améliorée depuis quelques années mais elle demeure encore fragile. Les débats qui ont eu lieu dans nos universités au moment des modifications des programmes de formation des enseignants au primaire et au secondaire ont été vifs entre les facultés disciplinaires et les facultés des sciences de l’éducation. Bien que la situation aille en s’améliorant, ces facultés (anciennement des écoles normales intégrées aux universités en 1969-1970) demeurent encore aujourd’hui les mal-aimées des universitaires et des universités et trop souvent marginalisées dans le champ proprement académique.

Le développement récent de plusieurs centres de recherche et la croissance du financement de la recherche en éducation témoignent de ce changement important. Le besoin de connaissances en éducation est très ressenti et nous observons encore de graves lacunes au Québec. Récemment, l’on a assisté à une multiplication des projets de recherche sur le développement du curriculum, la réussite éducative, les modes de gestion scolaire, les politiques en éducation, le système d’éducation et son organisation, les pratiques d’enseignement, etc. Pour mieux soutenir ce développement et les particularités propres aux démarches de recherche en éducation, le Conseil a soutenu l’idée de la valorisation de nouveaux modèles de recherche qui répondraient mieux aux besoins propres au champ de l’éducation. Il a aussi souhaité que soit renforcé le support des organismes subventionnaires à ces types de recherche. Nous pensons ici à la recherche-action, à la recherche collaborative, à la recherche en partenariat universités-écoles dans l’esprit du programme de subventions connu sous le nom d’Alliances de recherche universités-communautés (ARUC). Ce programme accorde un soutien financier à une série d’activités de recherche, de formation et de communication novatrices « qui accentueront l’apprentissage mutuel et la collaboration horizontale entre les organismes de la communauté et les universités ; qui contribueront au développement social, culturel et/ou économique des communautés ; qui enrichiront la recherche, les méthodes d’enseignement et les programmes dans les universités et renforceront la capacité des collectivités de prendre les décisions et de résoudre les problèmes ». À notre avis, il s’agit ici d’une voie prometteuse pour le développement de la recherche en sciences de l’éducation en association avec les milieux de pratique, susceptible aussi de maximiser l’impact social de la recherche et d’assurer un meilleur soutien à l’évolution continue du système d’éducation et à l’élaboration des politiques éducatives. Rappelons que la Politique québécoise de la science et de l’innovation (Gouvernement du Québec, 2001) a fait une place à l’innovation sociale comme créneau de recherche à développer et l’innovation pédagogique fait partie des types d’innovation à soutenir.

Par ailleurs, la société québécoise dans son ensemble doit pouvoir compter sur la recherche pour évaluer et améliorer son système d’éducation et mettre en place les politiques nécessaires pour ce faire. C’est pourquoi, dans son rapport annuel 2000-2001 (Conseil supérieur de l’éducation, 2001a) au ministre de l’Éducation, le Conseil a proposé « un axe d’intervention qui serait susceptible de soutenir l’État dans sa fonction de gouverne de l’ensemble du système d’éducation. […] Le Conseil croit nécessaire de mettre en place un dispositif concerté de veille et de diffusion de l’innovation en éducation » (p. 93).

En guise de conclusion

Il nous apparaît opportun en terminant de rappeler le souhait impératif formulé par le Conseil dans son rapport annuel 1994-1995 (Conseil supérieur de l’éducation, 1995a) parce qu’il renforce l’idée de l’université comme lieu stratégique de création et de renforcement des rapports entre la recherche, les pratiques et les politiques en éducation.

Il paraît au Conseil d’une importance capitale que les universités privilégient dans leur rôle de développement social, celui de fournir tout l’éclairage qu’elles sont capables d’apporter en éducation, quand et où il le faut, à la fois dans des équipes de recherche-action sur le terrain, dans les grands débats publics et dans l’analyse indépendante des politiques d’éducation.

Le Conseil a aussi réfléchi à la façon dont il pourrait mieux contribuer à soutenir les acteurs du système d’éducation à tous les échelons, depuis le ministre de l’Éducation, dont il relève en premier lieu, jusqu’aux acteurs de première ligne. Dans son premier plan stratégique (Conseil supérieur de l’éducation, 2001b) préparé à la demande du gouvernement, il a été appelé à proposer des indicateurs devant permettre d’évaluer comment il remplit sa mission et répond aux mandats qui lui sont confiés. Il est intéressant de noter la place importante qu’y occupe la recherche comme indicateur de la qualité de son travail : « production de rapports de recherche qui fondent la réflexion et présentent des synthèses de connaissances sur un sujet en mettant l’accent sur l’aspect novateur et sur les modèles porteurs d’avenir ici et ailleurs dans le monde ; réalisations de consultations sous forme d’enquêtes, d’entrevues, d’audiences, d’appels de mémoires […] qui assurent l’ancrage de la production du Conseil et offrent des balises quant à la pertinence des orientations proposées et à l’opportunité des pistes d’action » (p. 21).

Il a proposé d’autres indicateurs pour mesurer son influence en termes de portée effective de ses avis compte tenu de son rôle de conseiller d’État. Ceux-ci renvoient notamment à la mesure de l’influence du Conseil dans « l’avènement d’une politique ou l’ajustement d’une politique en réponse à une recommandation du Conseil » (ibid., p. 22). Tout en reconnaissant que la décision en matière de politiques publiques relève de plusieurs facteurs, il n’en demeure pas moins qu’il serait souhaitable qu’une analyse de l’influence du Conseil soit faite. De telles études d’impact permettraient d’enrichir la compréhension des rapports qui se jouent entre la recherche, les milieux de pratique et l’élaboration de politiques publiques. Le Conseil supérieur de l’éducation se révèle être un laboratoire exceptionnel à ce titre.