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Principal débat culturel qui caractérise les relations internationales contemporaines, la diversité culturelle ne cesse de gagner en importance ; du moins si l’on en juge par l’intérêt accrû que lui portent les organisations internationales, les gouvernements et de façon générale la société civile. Alors que l’unesco cherche à doter le système international d’un instrument international relatif à la diversité culturelle, il reste que l’élaboration de ce projet soulève un bon nombre d’interrogations. D’ailleurs, la convention que tente d’instaurer l’unesco n’est pas sans nous rappeler les autres tentatives de régulation touchant au domaine culturel qui ont échoué par le passé. À l’instar du nomic, échec cuisant de régulation des flux culturels, ou bien de la notion d’exception culturelle, résultat mitigé de régulation de la libéralisation du secteur culturel, la norme que l’organisation tente de promouvoir pourrait rencontrer de multiples freins.

Le premier réfère directement à la définition de la diversité culturelle en elle-même. Complaisante, à la fois molle et fragile, l’expression a été introduite rapidement sans fondements théoriques solides. Tandis que le concept a été posé sur un piédestal qui le vide parfois de son sens, il paraît nécessaire de le refonder sur des assises multidisciplinaires plus fortes afin de présenter un véritable concept juridique doublé de revendication politique. Sans cet effort de conceptualisation, la norme risque de manquer de poids pour faire front au droit commercial qui tente de soumettre le secteur culturel à la libéralisation.

Mais au-delà de la signification que l’on attribue au concept, d’autres inquiétudes pèsent sur le caractère effectif de la démarche entreprise par l’unesco. Pour que l’instrument devienne contraignant, il importe de résoudre les difficultés de négociation qui se trouvent au coeur de son élaboration, notamment pour ce qui est du règlement des différends et de l’épineuse question de la relation avec les autres instruments. En ce qui concerne cette dernière, la difficulté est de taille si l’on considère que la hiérarchisation des traités est un enjeu qui interroge les fondements de la gouvernance mondiale. Afin d’éviter la domination du régime commercial sur les normes qui défendent l’intérêt public, la diversité culturelle ne peut faire l’économie d’une stratégie plus large qui serait en lien avec d’autres normes comme celles relatives à la biodiversité, à la condition de travail et à la santé publique.

Il y a lieu de prendre en compte que le principe du libre-échange continue à s’étendre à un nombre croissant de domaines tandis que les normes et les principes développés par d’autres organisations internationales tendent à s’affaiblir (par exemple celles de l’oit et de la fao pour ce qui est des domaines du travail et de la faim dans le monde). En toile de fond, c’est bel et bien la vision restreinte et méprisante du commerce qui est appliquée aux accords commerciaux qui mérite d’être critiquée. La bataille pour la diversité culturelle doit donc de se jouer aussi au sein des gouvernements, lesquels doivent développer une plus grande coordination pour octroyer à la culture la place qui lui revient. Ceci représente un véritable défi pour ceux qui, à l’occasion, s’autocensurent pour ne pas contrecarrer le projet libéral.

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la norme promue par l’unesco éprouve des difficultés de reconnaissance dans d’autres forums. Comme on a pu l’observer lors du Sommet mondial sur la société de l’information (smsi), organisé par l’Union internationale des communications (iut), la gestion de la diversité culturelle est un sujet qui s’ancre difficilement là où les intérêts du privé sont bien représentés. Processus consistant à créer un cadre réglementaire propice au déploiement du marché de l’information, le smsi présente un projet concurrent et antinomique de celui qui est en oeuvre à l’unesco. Sans les efforts de la société civile, le dilemme que pose la protection de la diversité culturelle tendrait a y être évacué, d’autant plus que le processus en cours à l’iut se développe simultanément à celui de l’unesco.

En articulant la réflexion autour de trois thèmes que sont culture et commerce, la culture comme droit fondamental et le projet de l’unesco en regard à la société de l’information, cet ouvrage possède la particularité de présenter un ensemble de points de vue critiques et multidisciplinaires. Les brèves analyses rassemblées ici par Gilbert Gagné enrichissent la réflexion sur ce projet qui est en cours d’élaboration. L’ouvrage arrive donc à un moment propice au débat et il comble un besoin de mise à jour pour les universitaires et les gestionnaires du milieu culturel qui s’intéressent à la question. Pour des raisons inhérentes à tout débat d’actualité, on comprendra que l’ouvrage n’a pas pu se pencher sur les derniers faits marquants, dont particulièrement l’ultime version de l’avant-projet de juin 2005. Il y a lieu de tenir compte que le processus menant à l’adoption de l’instrument est avancé au-delà de l’analyse qu’en font les auteurs. L’ouvrage n’en conserve pas moins toute la pertinence et le mérite de se pencher sur un enjeu complexe où figure l’un des projets-phares prétendant à une mondialisation plus humaine.